Kerby Miller est l'auteur de nombreuses publications scientifiques sur l'histoire irlandaise. Son livre Emigrants and Exiles : Ireland and the Irish Exodus to North America a remporté le prix Merle Curti du meilleur livre de l’histoire sociale des États-Unis et le prix Theodore Saloutos du meilleur livre de l’histoire de l’immigration et a été finaliste pour le prix Pulitzer. Miller est actuellement professeur émérite à l'université du Missouri, professeur honoraire d'histoire à l'université de Galway et chercheur en résidence à l'université Christopher Newport à Newport News, en Virginie. Miller s’est entretenu récemment avec Tom Mackaman et Jordan Shilton du World Socialist Web Site pour une discussion sur sa carrière, l'histoire de l’Irlande, l'écriture de l'histoire irlandaise et la falsification de cette histoire par Aidan Beatty dans son récent livre qui calomnie Gerry Healy, important leader trotskiste.
Tom Mackaman (TM) : Merci d’avoir accepté notre invitation, Kerby. Une question biographique pour commencer : qu'est-ce qui vous a attiré pour la première fois vers l'histoire de l’Irlande ?
Kerby Miller (KM) : Ma famille était principalement composée de ce que l'on appelait autrefois des «Irlandais écossais», ayant émigré d'Ulster, dans le nord de l'Irlande, avant la révolution américaine. Ma famille était protestante, mais ses origines ont précédé les fortes tendances évangéliques anti-catholiques du 19e et du début du 20e siècle. J'ai donc grandi dans un foyer protestant, mais consciemment irlandais et généralement anti-britannique, dans la mesure où la nationalité britannique était associée à l'impérialisme, à l'aristocratie, à la monarchie et à la tyrannie des deux côtés de l'océan. Mes premières attitudes à l'égard de l'Irlande et de la résistance irlandaise à la domination britannique étaient donc très favorables, bien que très vagues.
Ensuite, lorsque j'étais étudiant en histoire à Berkeley, je me préparais à rédiger une thèse de doctorat comparant l'esclavage et les relations raciales aux États-Unis et en Amérique latine, mais j'ai été détourné par des recherches sur les grandes émeutes de la guerre de Sécession de 1863. Cela a ravivé mon intérêt ancestral pour les immigrants irlandais, car ils ont joué un rôle majeur dans ces émeutes. J'ai également été séduit par la notion traditionnelle selon laquelle de nombreux, voire la plupart des immigrants irlandais se considéraient comme des «exilés» involontaires aux États-Unis, contraints d'émigrer en raison de l'oppression britannique et aliénés par l'exploitation capitaliste américaine. Cela m'a beaucoup touché personnellement, car c'était à la fin des années 1960 et au début des années 1970, pendant la guerre du Viêt Nam, les manifestations étudiantes, lorsque Martin Luther King, Malcolm X et Fred Hampton ont été assassinés. Je me sentais certainement comme un exilé aux États-Unis, tout comme je pensais que les immigrants irlandais s'étaient sentis exilés un siècle plus tôt.
C'est donc, je pense, une combinaison de ces raisons qui m'a ramené à une sorte d'intérêt ancestral pour les immigrants irlandais et l'Irlande, l'histoire irlandaise, la lutte de plusieurs siècles des Irlandais, du moins d'une partie d'entre eux, contre l'impérialisme anglais. Et j'en ai fait l'œuvre de ma vie.
Jordan Shilton (JS) : Vous avez parlé de votre enfance dans une famille où l'impérialisme britannique était considéré comme l'oppresseur et la force qui s'opposait aux droits démocratiques. Je me demandais si vous pouviez nous parler de votre point de vue sur l'école révisionniste de l'histoire irlandaise, qui semble minimiser, ou du moins relativiser, l'oppression de l'Irlande par la Grande-Bretagne.
KM : Mon propre parcours à cet égard n'est pas simple, en ce sens que lorsque j'ai commencé à étudier l'histoire irlandaise, j'en savais très peu sur le sujet. Et j'étais si peu sophistiqué politiquement et idéologiquement en ce qui concerne l'historiographie irlandaise que lorsque des historiens irlandais me disaient que tel ou tel ouvrage était le plus récent, le plus important, le plus brillant et le plus sophistiqué sur la famine ou un autre aspect de l'histoire irlandaise, j'avais tendance à l'accepter sans poser de questions. Et il m'a fallu beaucoup de temps avant de me rendre compte qu'une grande partie de ces nouvelles études visaient à minimiser les effets sur l'Irlande de la conquête et de la colonisation britanniques, voire de la grande famine de 1845-52, et à saper le soutien populaire au nationalisme irlandais. Je ne suis pas sûr que j’en étais arrivé là, même en 1985, lorsque Emigrants and Exiles, mon premier livre, a été publié. Il a été finaliste du prix Pulitzer, mais certains critiques ne savaient pas quoi en penser, car je reprenais certains arguments d'historiens résolument révisionnistes et d'autres d'historiens très pro-nationalistes.
Ce n'est que bien plus tard, lorsque j'ai commencé à prendre pleinement conscience des implications politiques et idéologiques du révisionnisme, que j'ai commencé à le critiquer comme je le fais aujourd'hui. Je pense qu'il m'a même fallu attendre les années 1990, avec le début du «processus de paix» en Irlande du Nord, qui a abouti à l'accord du Vendredi saint de 1998. J'avais été associé à un grand nombre d'éminents universitaires irlandais révisionnistes et ils avaient toujours affirmé qu'ils n'étaient ni pro-britanniques ni anti-irlandais nationalistes, mais qu'ils étaient simplement opposés à toute violence, de quelque côté qu'elle vienne, et qu'ils voulaient qu'elle s'arrête. Ils mettaient l'accent sur l'horreur de la violence, qui, dans de nombreux cas, était horrible. Mais avec l'avènement du processus de paix, puis de l'accord du Vendredi saint, nombre de ces mêmes personnes se sont soudain révélées très, très pro-britanniques. Le plus important pour eux n'était pas que la violence cesse, mais que le gouvernement britannique et les unionistes sortent vainqueurs du conflit.
TM : Au sujet du révisionnisme, comme vous le savez, le World Socialist Web Site a écrit des articles démolissant la biographie de Gerry Healy écrite par l'historien irlandais Aidan Beatty. Avez-vous pu suivre cette controverse ? Que pensez-vous de cette discussion ?
KM : J'ai pu le suivre dans les articles parus sur le World Socialist Web Site. Je ne sais rien ou presque de Gerry Healy, et je ne pense pas avoir lu grand-chose de ce qu'a écrit Beatty jusqu'à ce que votre travail m'incite à le faire. J'ai été très surpris d'apprendre qu'en 2025, il sera président de l'American Conference for Irish Studies (ACIS). Cela semble tout à fait extraordinaire. Et j'ai été encore plus surpris d'apprendre que Beatty a reçu un soutien académique et financier de la part de diverses organisations sionistes, et qu'il a basé une grande partie de sa carrière sur l'établissement d'analogies historiques positives entre le nationalisme irlandais et le sionisme.
TM : Cela soulève la question de savoir ce que les révisionnistes combattent dans l'histoire irlandaise. Il existe une longue tradition de lutte contre l'oppression coloniale en Irlande, qui est d'ailleurs totalement absente du livre de Beatty, une omission flagrante lorsqu'on écrit ostensiblement la biographie d'un leader socialiste. Comment ces luttes se sont-elles exprimées dans la vie des immigrants que vous avez étudiés ?
KM : Il est très difficile de répondre à cette question. Un historien a affirmé qu'environ un demi-million de personnes ont été expulsées pendant la Grande Famine, c'est-à-dire rien qu'à la fin des années 1840 et au début des années 1850. Ces personnes ont donc été expulsées par leurs propriétaires ou, s'il s'agissait de travailleurs sans terre ou de sous-propriétaires, elles ont pu être expulsées par ce que l'on appelait des fermiers puissants, c'est-à-dire des fermiers commerciaux relativement aisés qui pouvaient appartenir à la même église que les personnes qu'ils expulsaient.
La question est maintenant de savoir dans quelle mesure ces personnes auraient eu une conscience politique leur permettant de conceptualiser ce qui leur arrivait dans un contexte plus large, un contexte politique plus large, un contexte anti-impérialiste. Je soupçonne qu'un très grand nombre d'entre eux l'auraient fait parce que les histoires et les thèmes anti-britanniques et anti-impérialistes étaient si populaires dans le folklore et la poésie des habitants de la campagne irlandaise.
Ce que j'ai soutenu dans mon propre travail, c'est que le degré de solitude en Amérique ou le degré d'aliénation de la vie américaine, que de nombreux immigrants irlandais ressentaient et exprimaient dans leurs lettres, étaient liés à une réticence historique et culturelle profondément ancrée à émigrer et à une culpabilisation traditionnelle de l'Angleterre et de la classe des propriétaires pour la pauvreté qui les avait obligés à émigrer. Pour en revenir au révisionnisme, je pense que ce sentiment était suffisamment présent chez les Irlandais d'Amérique, même chez ceux qui étaient nés aux États-Unis, pour que l'un des principaux objectifs des révisionnistes irlandais soit d'essayer de convaincre les Irlando-Américains que les traditions anti-britanniques, anti-anglaises, anglophobes, nationalistes et anti-impérialistes étaient erronées. Et que pour être «modernes» et sophistiqués, ils devraient abandonner ces notions «dépassées» et accepter les attitudes prétendument «objectives», pro-britanniques, pro-américaines et pro-capitalistes des révisionnistes eux-mêmes.
JS : Vous avez parlé du système des propriétaires terriens soutenu par les Britanniques, de la violence qu'il engendrait et des conditions sociales horribles. Le travail que Beatty a effectué sur Gerry Healy, auquel nous avons répondu sur le World Socialist Web Site, contient un passage qui, selon moi, résume assez bien le révisionnisme et je voulais juste le lire et voir si vous aviez un commentaire à faire sur la base de votre propre connaissance de la période.
Il dit, et je cite, «Galway avait une tradition d'agitation rurale et même de militantisme à la fin du 19e siècle, mais était devenu plus calme dans les premières décennies du 20e siècle». Il ajoute ensuite : «La violence politique qui a éclaté en Irlande à partir de 1919 – appelée à titre posthume la guerre d'indépendance irlandaise – était principalement centrée sur Dublin, sur la côte est et dans la province méridionale de Munster.»
Il dit donc en substance qu'il s'agissait d'un conflit régional dans certaines parties de l'Irlande qui n'englobait pas vraiment l'ensemble de la nation. Que répondriez-vous à de telles affirmations ?
KM : Ce n'est pas vraiment mon domaine de recherche, mais j'ai toujours compris qu'il y avait d'importantes différences régionales dans les niveaux d'activités anti-britanniques de l'IRA pendant la guerre pour l'indépendance de l'Irlande.
Cependant, j'ai été très impressionné par les articles que vous avez publiés, basés sur les recherches d'historiens de Galway tels que Conor McNamara et Fergus Campbell. Je n'avais pas réalisé qu'il y avait eu autant d'activités révolutionnaires dans le comté de Galway et autant de violence contre-révolutionnaire de la part des forces de la Couronne. Quoi qu'il en soit, d'une manière générale, je suis entièrement d'accord avec vous. Il ne fait aucun doute que Beatty, comme la plupart des révisionnistes, fait tout son possible pour marginaliser la tradition révolutionnaire irlandaise et les preuves de la révolution irlandaise – ainsi que du terrorisme britannique.
Pour prendre un autre exemple de révisionnisme, pendant de nombreuses années, plusieurs éminents historiens révisionnistes irlandais ont soutenu qu'à Monaghan, l'un des comtés du sud de l'Ulster, l'IRA avait assassiné une femme, Kitty Carroll, uniquement ou principalement parce qu'elle était protestante, et qu'il s'agissait donc d'un exemple de l'extrême sectarisme des nationalistes catholiques irlandais. En fait, elle a été assassinée, après de nombreux avertissements, parce qu'elle était une informatrice. Mais surtout, Kitty Carroll n'était pas protestante, elle était catholique, et la religion et le sectarisme n'avaient donc aucune importance. Pendant de nombreuses années, quelques chercheurs ont répété cela aux historiens révisionnistes : non, elle n'était pas protestante, elle était catholique ; voici la preuve, voici la preuve supplémentaire, voici la triple preuve qu'elle était catholique. Mais les révisionnistes n'ont cessé de jouer la «carte du sectarisme» et de répéter qu'elle était protestante et que c'était la seule raison pour laquelle l'IRA l'avait tuée. Finalement, les révisionnistes ont abandonné. Ils n'ont jamais admis qu'elle n'était pas protestante, mais ils ont finalement cessé de lui attribuer une religion protestante. Mais ils ont ensuite inventé une autre histoire selon laquelle l'IRA l'avait tuée non pas pour des raisons politiques, mais parce qu'elle avait rejeté les avances sexuelles de l'un des membres de l'IRA. Ainsi, les révisionnistes ont cessé de jouer la carte «les nationalistes irlandais sont tous des catholiques intolérants» et ont commencé à jouer la carte «les nationalistes irlandais sont des porcs sexistes». Certaines de ces choses sont tout à fait étonnantes !
TM : Je voudrais revenir sur la comparaison que fait Beatty entre le sionisme et le nationalisme irlandais. En l'espace d'une décennie, il a publié un certain nombre d'articles, un livre, un volume édité, des articles dans les journaux irlandais et est apparu dans des podcasts pour vanter cette comparaison, ce qu'il va jusqu'à appeler une «histoire partagée». Qu'en pensez-vous ?
KM : Je pense que vous et moi sommes d'accord pour dire que l'analogie entre la résistance nationaliste irlandaise à l'impérialisme britannique et la résistance palestinienne au sionisme est beaucoup plus valable, beaucoup plus précise historiquement que l'analogie de Beatty entre le nationalisme irlandais et le sionisme lui-même. Les Irlandais et les Palestiniens ont tous deux été victimes du «colonialisme de peuplement» – y compris des méthodes génocidaires –, le premier imposé par les Britanniques, en particulier en Ulster, le second imposé par le sionisme avec la complicité des Britanniques et, aujourd'hui, des Américains. L'analogie que fait Beatty me semble donc tout à fait fausse. Elle semble bizarre. Elle semble presque obscène.
JS : Toujours sur le thème des analogies ou des comparaisons, quand on regarde l'histoire irlandaise, des mouvements comme les Volontaires irlandais à la fin du XVIIIe siècle ou le mouvement fenian dans les années 1860 se sont développés parallèlement ou ont été influencés par les mouvements révolutionnaires aux États-Unis. Compte tenu de vos recherches approfondies sur l'immigration irlandaise, pourriez-vous nous parler de cette relation entre les mouvements des deux côtés de l'Atlantique ?
KM : La période sur laquelle j'ai écrit le plus récemment est la fin du 18e et le début du 19e siècle, parce que j'étais très intéressée par la manière dont de nombreux presbytériens d'Ulster, tant dans le nord de l'Irlande qu'aux États-Unis, se sont définis à cette époque comme «Irlandais» et se sont identifiés aux rebelles catholiques irlandais dans leur enthousiasme mutuel pour les idéaux démocratiques et œcuméniques des révolutions américaine et française, et ont rejoint les catholiques dans les United Irishmen et leur rébellion ratée de 1798 contre la domination britannique et celle des propriétaires terriens. Je m'intéresse également aux conséquences tragiques et contre-révolutionnaires de cette rébellion, car, au milieu du XIXe siècle, la plupart des presbytériens d'Ulster aux États-Unis se définissaient comme des «Irlandais écossais», ce qui signifiait qu'ils étaient exclusivement protestants et généralement conservateurs sur le plan politique et favorables à la Grande-Bretagne. Pour moi, l'un des thèmes les plus intéressants de l'histoire irlando-américaine n'est donc pas tant la façon dont les catholiques irlandais sont devenus nationalistes et ont formé des organisations nationalistes irlando-américaines, comme les Fenians, mais plutôt la façon dont la plupart des presbytériens irlandais ont été politiquement et idéologiquement disciplinés et sont devenus ce que l'on appelait des «Irlandais écossais» et, par rapport à l'Irlande elle-même, des pro-unionistes et des partisans de la partition.
TM : Il s'agit là d'un aspect fascinant de votre travail historique, à savoir comment l'arrivée des catholiques irlandais opprimés a modifié la conscience des Irlandais d'Amérique d'origine protestante. Pourriez-vous nous parler des immigrants catholiques irlandais et des formes de discrimination auxquelles ils ont été confrontés ? Peut-être pourrions-nous même vous amener à faire une comparaison avec le sentiment anti-immigrant qui règne aujourd'hui aux États-Unis.
KM : Je pense que le sentiment anti-irlandais aux États-Unis était une combinaison de culture, de politique et de classe. Les Irlandais les plus pauvres étaient méprisés parce qu'ils appartenaient aux classes les plus basses des Blancs en Amérique, en particulier ceux qui avaient fui vers l'Amérique pendant la Grande Famine, où ils étaient rongés par la maladie et à moitié affamés à leur arrivée. C'est aussi une question de culture. Les protestants américains avaient un héritage, qu’ils ont développé par la suite, enraciné dans la conquête anglaise de l'Irlande et justifié par la Réforme protestante, qui qualifiait les Irlandais et leur religion d'«arriérés» et de «sauvages». La croyance selon laquelle les «Irlandais sauvages» – qui comprenaient les protestants irlandais politiquement radicaux ainsi que les catholiques – étaient intrinsèquement «non civilisés», ignorants, brutaux, traîtres, indignes de confiance, etc. était largement répandue.
Enfin, l'hystérie anti-irlandaise et les préjugés anti-immigrés en général sont devenus politiquement utiles lorsque le capitalisme américain et le système des partis politiques américains étaient en crise. Aujourd'hui, la question de l'immigration se pose alors que le capitalisme américain est sans doute un système très, très malade et grossièrement inégalitaire, dans lequel la classe dirigeante américaine a délocalisé des millions d'emplois manufacturiers, d'emplois d'ouvriers semi-qualifiés et non qualifiés, et alors qu'il existe également une crise politique profonde et permanente, parce que les deux partis sont contrôlés par les super-riches. À certains égards, les États-Unis d'aujourd'hui ne sont pas si différents des États-Unis des années 1840 et 1850, lorsque le sentiment anti-irlandais montait en flèche tandis que le système politique américain s'effondrait sur la question de l'esclavage et que le système économique américain chancelait entre les paniques financières de 1837 et 1857. Mais à cette époque, un très grand nombre de travailleurs blancs des anciens États de la côte – des travailleurs protestants autochtones des anciens États de la côte – pouvaient faire ce qu'ils ne peuvent pas faire aujourd'hui, à savoir migrer vers l'ouest dans des endroits comme le Wisconsin, le Minnesota ou l'Iowa, où la terre était moins chère ou les salaires plus élevés.
JS : Pourriez-vous nous parler de la collection Kerby A. Miller de l'université de Galway et nous dire ce que les lettres et les mémoires des émigrants vous ont appris ?
KM : Il s'agit de lettres, de mémoires et d'autres documents que j'ai commencé à rassembler et à lire dans les années 1970. Ma thèse de doctorat était basée sur des lettres d'immigrants irlandais que j'avais trouvées dans des bibliothèques et des archives, mais je savais que je devais en trouver davantage. Après avoir terminé ma thèse, j'ai donc obtenu une bourse postdoctorale à l'université Queen's de Belfast. Pendant mon séjour, j'ai lancé un appel public dans les médias, demandant aux gens s'ils avaient de la correspondance d'anciens immigrants irlandais et s'ils voulaient bien me prêter leurs vieilles lettres suffisamment longtemps pour que je puisse les photocopier pour mes recherches. À la suite de cet appel, j'ai reçu environ 2000 documents que les gens m'ont envoyés.
Et j'ai tenu ma promesse. Je les ai photocopiées et renvoyées, puis j'ai utilisé le matériel de ces lettres et mémoires dans Emigrants and Exiles, paru en 1985, et dans mes publications ultérieures. Depuis lors, j'ai découvert d'autres collections de lettres. À l'improviste, des gens m'ont écrit pour me dire qu'ils avaient vu quelque chose que j'avais publié et pour me demander si cela m'intéresserait de voir les lettres de leurs propres ancêtres. J'ai toujours répondu «Oh, oui, bien sûr», et lorsque le courrier électronique s'est développé, il est devenu tellement plus facile de communiquer avec des gens comme ça.
Au bout du compte, je me suis retrouvé avec des milliers de documents supplémentaires. Il y a quelques années, mon ami Breandán Mac Suibhne m'a convaincu de faire don de cette collection à la bibliothèque Hardiman de l'université de Galway, car il pensait que la meilleure chose à faire avec ce matériel était de le mettre en ligne et de le rendre accessible à un plus grand nombre d'érudits et de généalogistes. C'est ce qui a été fait à Galway.
JS : C'est une question très générale, mais avez-vous une idée des types de recherches auxquelles elle a donné lieu parmi les chercheurs que vous connaissez ? Y a-t-il des questions particulières qui ont été mises en lumière par le matériel que vous avez rassemblé ?
KM : Entre la fin des années 1970 et mon départ à la retraite en 2015, environ 25 ou 30 chercheurs, dont de nombreux étudiants de troisième cycle, certains Irlandais, d'autres Américains, l'un d'entre eux originaire de Cuba, ont pris connaissance de ma collection et m'ont écrit, ou bien je les ai contactés. Je leur ai envoyé des documents de ma collection s'ils n'avaient pas les moyens de venir à Columbia, dans le Missouri, de s'asseoir dans mon bureau et d'examiner les documents. Ou bien ils venaient me rendre visite pendant une semaine. Ils choisissaient les documents qui leur semblaient utiles pour leur thèse de doctorat ou tout autre projet qu'ils avaient en tête. Pour rendre leur travail plus efficace, je photocopiais et leur envoyais les lettres qu'ils avaient choisies.
Les intérêts de ces historiens étaient très variés. Certains voulaient étudier ce que les immigrantes irlandaises avaient à dire sur tel ou tel sujet. Ou bien leurs sujets de recherche étaient géographiquement ou socialement ciblés, en ce sens qu'ils s'intéressaient aux immigrants irlandais qui étaient devenus fermiers dans le Midwest, ou mineurs dans le Far West, ou qui avaient vécu dans le Sud et avaient écrit chez eux au sujet des esclaves ou de l'esclavage. Il y avait donc une grande variété de sujets. Quelques-uns de mes propres étudiants de troisième cycle ont également utilisé ce matériel pour leurs projets.
Presque tout ce que j'ai écrit au cours des 50 dernières années est basé, au moins en partie, sur ces lettres, journaux et mémoires. Mais la quantité de matériel est si importante et couvre tant de sujets qu'il est nécessaire d'aborder le matériel avec une sorte de cadre conceptuel ou de questions – parfois basées sur la classe et le conflit de classe, parfois basées sur l'étude des différentes origines régionales ou culturelles des immigrants en Irlande, ou de leurs différentes expériences dans les différentes parties des États-Unis. Je pense que, de manière générale, il y avait des différences importantes entre les expériences des immigrants irlandais qui parlaient principalement anglais ou irlandais, qui étaient catholiques ou protestants, ou qui venaient de grandes fermes relativement aisées ou qui venaient des classes les plus pauvres de petits fermiers et d'ouvriers agricoles. Par ailleurs, si l'adaptation des immigrants est importante, qu'en est-il des différents environnements sociaux, culturels ou régionaux américains auxquels ils ont dû s'adapter ? Un immigrant irlandais qui s'est installé à New York en 1910, par exemple, a-t-il dû s'adapter à une situation très différente de celle qu'il aurait connue s'il s'était installé à Butte, dans le Montana, ou même à New York cinquante ans plus tôt ? Voilà le genre de questions que j'ai essayé d'examiner au fil des ans et que la plupart des personnes qui ont consulté la collection ont également essayé d'examiner.
TM : Pouvez-vous nous dire sur quoi vous travaillez en ce moment ?
KM : L'un d'eux est un manuscrit de livre qui est actuellement relu par un éditeur. Depuis plusieurs années, je me penche sur la question de l'adaptation des immigrants irlandais. J'aborde la question différemment de la plupart des gens. La plupart ont supposé que l'adaptation à la société américaine, à ses «règles» et à ses valeurs, était à la fois nécessaire et souhaitable : que les États-Unis, la «plus grande démocratie du monde», étaient une société à laquelle les immigrants devaient s'adapter. J'aborde la question d'un point de vue différent, bien que ce soit également le point de vue de nombreux immigrants irlandais eux-mêmes, qui écrivaient par exemple en Irlande pour dire : «Chère mère, ce pays n'est pas ce que nous pensions qu'il était» ou «il n'est plus ce qu'il était, parce qu'il faut faire et dire des choses ici que nous n'aurions jamais pensé à faire ou à dire chez nous».
D'autre part, des radicaux irlandais de passage comme Liam Mellows et James Connolly, dans une perspective politique plus sophistiquée, disaient à peu près la même chose de la société américaine – que les immigrants irlandais étaient obligés de s'adapter ou de se conformer à un système économique et politique exploiteur, brutal, corrompu, intellectuellement infantilisant – et que cela avait des effets négatifs sur les immigrants irlandais, parce que la seule façon pour eux de «réussir», ou même de survivre, était d'adopter les systèmes de valeurs capitalistes et impérialistes américains, y compris les préjugés de classe, raciaux et autres. Il s'agit donc d'une collection d'essais que j'ai écrits au cours des dix dernières années sous diverses formes, dont certains ont été publiés auparavant, mais la plupart ne l'ont pas été.
Le livre comprendra une introduction, sept chapitres et une annexe, qui contiendra la transcription intégrale de deux mémoires particulièrement intéressants, mais qui n'ont jamais été publiés. Le premier est celui d'une jeune Irlandaise, une adolescente, arrivée au Québec en 1832, qui a souffert de la terrible épidémie de choléra de cette année-là et qui y a survécu de justesse.
L'autre est le mémoire beaucoup plus long d'un immigrant irlandais qui s'est rendu à Chicago en 1882. Dans la première partie de ses mémoires, il raconte à quel point il est désabusé par la société américaine, par le système capitaliste, par les immigrants irlandais et les Américains d'origine irlandaise nés aux États-Unis qui se sont déjà adaptés à ce système et qui, à ses yeux, sont devenus très peu irlandais, en ce sens qu'ils sont devenus brutaux, antipathiques et instrumentaux dans leur attitude à l'égard des autres travailleurs immigrés.
Au début de sa carrière, il se rebelle contre le système capitaliste, contre les contremaîtres véreux et les patrons exploiteurs. Il mène ou contribue à mener des grèves à Chicago au début et au milieu des années 1880, période de montée en puissance des Chevaliers du travail. Mais tout change radicalement avec l'attentat de Haymarket en 1886 et la répression politique qui s'ensuit. Quelques années plus tard, il termine ses mémoires en disant à quel point il est heureux et fier d'être membre des forces de police de Chicago : qui étaient notoirement corrompues et dont la principale fonction était de protéger le capitalisme contre les travailleurs en grève, comme l'était l'auteur des mémoires.
Par ailleurs, un autre éditeur m'a proposé un contrat pour la production d'un recueil d'extraits des lettres d'immigrants irlandais de la collection que j'ai donnée à Galway. Je commence donc à travailler sur ce projet. J'ai également quelques autres projets à long terme.
(Article paru en anglais le 9 décembre 2024)
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