De la calomnie au lieu d’une biographie: la falsification par Aidan Beatty de la famille et de l'enfance de Gerry Healy dans une décennie de rébellion et de guerre civile

La diabolisation de Gerry Healy par Aidan Beatty dans « The Party is Always Right » (Le parti a toujours raison), commence par cette déclaration: «Gerry Healy est né en Irlande en 1913 et est devenu trotskyste en Grande-Bretagne quelque 20 ans plus tard. Presque tous les autres détails importants dont il se souviendra plus tard à propos de son enfance et de sa jeunesse ont été exagérés, voire inventés en bloc […] Le plus flagrant d’entre eux étant l’affirmation répétée maintes fois par Gerry Healy qu’il aurait vu les Black and Tans [forces spéciales militaires britanniques] tirer sur son père et le tuer pendant la guerre d’indépendance, ce qui était un mensonge total ».

Beatty contredit ce mensonge présumé en affirmant que le père de Healy, Michael, «ne figure pas sur la liste complète des victimes dans le Galway» fournie par un historien de la guerre d’indépendance. De plus, selon Beatty, la région où Healy est né et a grandi a été largement épargnée par la violence du début du XXe siècle en Irlande. Il affirme que Galway – après une «tradition d’agitation rurale et même de militantisme à la fin du XIXe siècle» – était « devenue plus calme dans les premières décennies du XXe siècle».

Ce n’est pas tout: Beatty affirme que Healy «a grandi dans un confort relatif, sa famille possédant une ferme de 109 acres […] une bourgeoisie catholique propriétaire foncière s’étant cristallisée en Irlande depuis la famine des années 1840 et les Healy étaient le produit de ce développement à long terme ».

Aidan Beatty [Photo: Carnegie Mellon University]

L’objectif des «révélations» accablantes par lesquelles Beatty ouvre sa biographie est de présenter Gerry Healy comme un menteur et un escroc politique, un fabuliste si dénué de scrupules qu’il a même inventé une histoire sur le meurtre de son père. Beatty voulait que ses lecteurs concluent, au moment où ils atteindraient la fin de la première page de son livre, que toute la carrière politique de Healy était fondée sur un récit mensonger, et qu’un homme qui racontait de tels mensonges sur ses propres origines et sa jeunesse était prêt à tout.

Si cela était vrai, cela constituerait certainement une révélation dévastatrice sur le sujet de sa biographie. Mais, en fait, les allégations de Beatty sont entièrement composées de déformations, de fabrications et de mensonges purs et simples. Les allégations, qu'il formule sur la prétendue fausse représentation par Healy de sa vie, ne se fondent pas sur ce que Healy a écrit ou dit, mais bien plutôt sur des récits entièrement non documentés et sans fondement, racontés par ses ennemis politiques.

Le mensonge primordial que Beatty attribue à Healy – celui d’avoir été témoin du meurtre de son père par les Black and Tans – n’a jamais été raconté. En fait, Healy a rarement parlé de sa jeunesse. En faisant des recherches pour cet essai, nous avons mis en lumière la seule histoire que Healy ait racontée à propos de son enfance, racontée par des témoins dignes de confiance en Irlande. Il n’a fait aucune mention de son père et des circonstances de sa mort.

L’affirmation de Beatty que Healy a joui d’une enfance bucolique bourgeoise dans une partie de l’Irlande épargnée par la violence de la révolution et de la guerre civile est une incroyable falsification d’une réalité historique bien documentée.

Mettant en avant son identité irlandaise et ses références universitaires, Beatty présente son livre comme une biographie érudite, fruit de recherches minutieuses et exhaustives. En fait, il n'a pratiquement mené aucune recherche, mis à part un coup d'œil sur Ancestry.com, ni sur les conditions sociales et politiques qui prévalaient dans la région où Healy est né, ni sur la situation de sa famille. Pour un homme qui sera bientôt président de la Conférence américaine pour les études irlandaises, l'ampleur de sa négligence et de sa malhonnêteté est stupéfiante. Les pages traitant des antécédents de Healy ne contiennent aucune référence d'archives, et une seule référence à la littérature historique secondaire, qui est mal utilisée.

Après avoir ainsi dénigré Healy, Beatty a depuis tenté de défendre son récit par les mêmes moyens grossiers. Interrogé lors d’un événement en ligne le 23 novembre par David North, président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site, sur sa présentation de la région où Gerry Healy a grandi comme étant «relativement calme», Beatty n’a pu se contrôler et a interrompu: «Vous n’avez aucune idée de ce dont vous parlez. Vous êtes un clown mal informé.» D’autres interventions de l’historien Tom Mackaman et du secrétaire national du Parti de l’égalité socialiste Joseph Kishore ont suscité des remarques similaires.

Beatty affirme que Healy a pu falsifier son histoire personnelle «en raison du manque général de connaissances de la gauche britannique sur l’Irlande». Healy, selon Beatty, croyait pouvoir mentir sans se faire prendre. Mais c’est précisément ce que Beatty pensait de son propre travail. Il pensait que son exercice de diffamation ne ferait pas l’objet d’une enquête sérieuse. Combien grande fut son erreur de calcul fut déjà montré par les divulgations dévastatrices de North et Andrea Peters concernant sa pseudo-biographie et publiées sur le WSWS.

Ce troisième essai est consacré à une exposition détaillée de la fausse représentation par Beatty de la famille et de la jeunesse de Healy ; il fait suite à un essai précédent de Mackaman. Il est basé sur des recherches que j'ai menées en Irlande pour le compte du World Socialist Web Site, qui comprenaient une visite des archives pertinentes à Dublin et à Galway où vivait la famille Healy.

Cette recherche démontre: 1. Que Healy n’était pas un des «fils de la bourgeoisie» comme le prétend Beatty, mais qu’il venait d’une famille de fermiers métayers récemment en mesure d’acheter leurs terres grâce aux décennies de lutte menée contre la classe des propriétaires fonciers par les métayers irlandais; 2. Que Healy a grandi dans une région de l’Irlande qui a subi une violence extrême pendant la révolution et la guerre civile; et 3. Que si Healy n’a jamais prétendu que son père avait été assassiné, ou qu’il avait été témoin d’un événement aussi traumatisant, son enfance fut marquée par la violence qui eut lieu dans le quartier où il a passé les treize premières années de sa vie.

Les métayers de Killererin

La propriété d'une ferme de 43 hectares par la famille de Gerry Healy ne la plaçait pas dans les rangs de la «bourgeoisie», comme Beatty le prétend de manière absurde. Les Healy appartenaient à la classe croissante des agriculteurs moyens dont l'acquisition de terres était inextricablement liée à la grande lutte politique et économique de la paysannerie irlandaise contre le système des grands propriétaires fonciers, rempart de l'impérialisme britannique sur l'île.

Selon Griffith’s Evaluation, une étude d'évaluation foncière de l'Irlande commandée par le gouvernement britannique, le grand-père de Gerry, Thomas Healy, était agriculteur à Galway au milieu des années 1850. Il était métayer d'une petite propriété de 7 hectares dans la commune de Barnaderg South, dans la paroisse de Killererin, à quelques kilomètres au sud-est de la ville de Tuam.

Né vers 1841, Thomas Healy a dû vivre une jeunesse dévastée par la Grande Famine (ou Grande Faim, an Gorta Mór) de 1845-1852, qui a tué près d'un million de personnes et poussé des millions d'autres à fuir le pays. Si Thomas Healy, qui a donné son nom à Thomas Gerry Healy, n'a pas lui-même souffert de la famine, il a certainement été témoin des effets de la famine tout autour de lui. Galway a perdu près d'un tiers de sa population dû aux décès et à l'émigration à bord de «bateaux-cercueils». Un prêtre de Ballinasloe, à proximité, a décrit la situation de ses paroissiens en 1847 dans les termes suivants:

Santé, force, jeunesse, enfance et vieillesse, tout se fane devant cette terrible famine. J’ai rompu le «pain de vie» à ses victimes: le pain qui périt, je ne pouvais pas le commander; et souvent, en effet, j’ai pleuré amèrement en quittant le foyer de la misère, incapable de venir en aide à ses malheureux habitants […] Mon Dieu, est-il possible que l’homme, créé à l’image du Dieu vivant, soit contraint de vivre de mauvaises herbes? [[1]]

Une famille affamée en Irlande, telle que décrite dans le London News du 22 décembre 1849

Le grand-père de Gerry survécut à l'une des plus grandes tragédies de l'histoire moderne, mais la famine laissa derrière elle des changements considérables. Elle renforça la haine des masses irlandaises envers les propriétaires terriens et la Grande-Bretagne, un héritage transmis de génération en génération. En réduisant la main-d'œuvre agricole, elle créa la possibilité de l'émergence d'une nouvelle couche moyenne d'agriculteurs. C'est à cette strate que les Healy allaient accéder au cours des deux générations suivantes.

Dans les années 1850, Thomas Healy vivait encore sous la coupe de son propriétaire John A. Kirwan, l’un des Kirwan de Hillsbrook, membre d’une branche des Kirwan de Cregg, une grande famille de propriétaires terriens de Galway possédant des milliers d’hectares. Mais au moment de sa mort en 1904, Thomas avait agrandi ses terres et vivait dans la ville voisine de Corralea. Son testament, disponible aux Archives nationales d’Irlande, comprend une déclaration d’un géomètre local expliquant que «parmi les biens du défunt ci-dessus, il y a une ferme de terre contenant environ 26 hectares détenue en tant que locataire annuel au loyer de 43 £… si ladite ferme était vendue sur le marché libre, elle rapporterait environ 450 £». Cela représentait la quasi-totalité de sa succession, avec seulement 20 £ supplémentaires en biens ménagers.

La mort de Thomas, survenue quelques jours après celle de sa femme Honoria «Norah» Healy (née Donnellan), a précipité une crise urgente pour la famille. À peine un mois plus tôt, son fils Michael (le père de Gerry) avait été inscrit au Blackrock College de Dublin pour suivre une formation de prêtre, dont il existe un dossier dans les archives de l'école. Il est revenu pour s'occuper de ses parents mourants. Leurs certificats de décès indiquent qu'il a été témoin des deux décès.

L’Acte public de décès des grands-parents de Gerry Healy, décédés à quelques jours d'intervalle en octobre 1904. Leur maladie a forcé Michael Healy, le père de Gerry, à abandonner ses études à Blackrock. Comme le montre l'acte de décès, il a été témoin du décès de ses deux parents.

Le grand-père de Gerry Healy, Thomas, fut enterré au cimetière de St Mary. Michael, le père de Gerry, ne retourna jamais à Blackrock. Son ‘inscription’ ne dura qu'un mois. Il resta à Killererin pour travailler à la ferme familiale, où il est répertorié comme «domestique agricole» dans le recensement de 1911.

Loin de faire partie d’une «bourgeoisie catholique irlandaise» montante, le recensement irlandais de 1911 nous apprend également que Michael Healy vivait dans une maison au toit de chaume, avec plus de personnes que de pièces. Le recensement classait la maison Healy au bas de la «deuxième classe» des structures d’habitation. Cela signifie que Michael Healy résidait dans une maison située dans le tiers inférieur des logements irlandais, selon les données compilées par la Cambridge Social History of Modern Ireland. [[2]]

La manière fourbe par laquelle Beatty a géré cette période est révélatrice. Dans un échange X/Twitter avec Mackaman, tentant d'étayer sa caractérisation de Gerry Healy comme un des «fils de la bourgeoisie», Beatty a cité la présence de Michael à Blackrock, omettant commodément le fait qu'il n'y était resté qu'un mois. Démasqué par Mackaman, Beatty a répondu en fermant l'accès à son compte X.

Des recherches menées en Irlande ont également révélé que la place de Michael au Blackrock College lui avait été proposée à un tarif considérablement réduit, soit 4 £ par trimestre, contre les 21 £ annuels habituels. En présentant ce document, l'archiviste du Blackrock College a expliqué que ce n'était pas inhabituel, car l'école souhaitait recruter des personnes, en particulier issues d'un milieu pieux et respectable. Le compte rendu des funérailles de Thomas dans le Western People nous apprend que l'un de ses fils était le révérend Martin Canon Healy, auteur de plusieurs histoires bibliques pour enfants, qui a probablement fourni une référence utile à son jeune frère Michael. [[3]]

De telles circonstances n'étaient pas inconnues pour ceux qui connaissaient l'histoire irlandaise. Parmi les étudiants issus d'un milieu relativement pauvre qui fréquentaient néanmoins le Blackrock College, se trouvait le futur président de l'Irlande, Éamon de Valera, dont le nom aujourd'hui arbore l'une des résidences d'étudiants.

La famille Healy et la lutte pour la terre en Irlande

À partir de la fin de 1904, Michael Healy reprend le travail dans la ferme familiale. Selon les registres d'occupation des terres conservés dans les livres d'évaluation foncière, accessibles au Valuation Office de Dublin, la famille aurait été dirigée d'abord par son frère aîné Martin, bénéficiaire du testament de Thomas, puis, à partir de 1910 environ, par son autre frère plus âgé James. Pendant cette période, les livres d'évaluation indiquent que les terres atteignaient un peu plus de 40 hectares, avec une «valeur annuelle imposable», c'est-à-dire un loyer, de 38£, et ont été achetées en pleine propriété avec l'aide financière de la Commission foncière.

Les changements dans la situation de la famille Healy furent l’un des résultats individuels d’un processus de troubles agraires qui dura des décennies, auquel Beatty ne fait qu’une allusion très superficielle et dédaigneuse, mais qui aura eu un impact énorme sur la vie de Michael et de ses frères et sœurs. La Commission foncière qui les aida à acheter les terres qu’ils avaient travaillées pendant des décennies fut initialement créée par le gouvernement britannique en 1843 pour enquêter sur la question foncière en Irlande, mais son champ d’action et ses pouvoirs s’accrurent considérablement au fil des décennies avec l’adoption d’une série de lois foncières en 1870, 1880, 1881, 1882, 1885 (la «loi Ashbourne»), 1887 (la «loi Balfour»), 1896 et 1903 (la «loi Wyndham»).

Les séries successives de lois du Parlement britannique ont été motivées par l'agitation politique persistante des métayers irlandais, une classe de paysans qui travaillaient et dépendaient de la terre mais n'en étaient pas propriétaires.

Les années 1879-1882 furent connues sous le nom de «guerre de la terre», en lien avec la Ligue nationale irlandaise pour la terre de Michael Davitt et Charles Stewart Parnell. La première grande réunion du mouvement se tint à Irishtown, dans le comté de Mayo, à environ 25 kilomètres au nord-ouest de Barnaderg/Corralea, et attira plus de 10 000 personnes de Mayo, Roscommon et Galway. [[4]] Les métayers de domaines de toute l’Irlande, en particulier dans l’Ouest, organisèrent des grèves des loyers, des boycotts et des attaques contre les propriétés.

Les tentatives du gouvernement britannique pour réprimer le mouvement, en emprisonnant nombre de ses principaux dirigeants et en encourageant les propriétaires à lancer une vague d'expulsions, se sont finalement révélées inefficaces. Entre 1886 et 1891, le «Plan de campagne» a mobilisé une nouvelle série d'actions. En 1898, William O'Brien a fondé la United Irish League (UIL) avec pour devise «La terre pour le peuple» et a commencé à organiser de nouvelles initiatives, notamment les convois de bétail de la «guerre des ranchs» au début des années 1900, centrés sur l'ouest de l'Irlande, y compris Galway. [[5]]

William O'Brien, fondateur de la United Irish League.

L'UIL a rapidement grandi, atteignant plus de 100 000 membres, et a organisé des rassemblements populaires dans tout le pays. Michael Healy et James Healy, le père et l'oncle de Gerry, semblent avoir été actifs dans l'agitation agraire, un détail important que Beatty aurait pu apprendre s'il avait fait des recherches. Un reportage du Tuam Herald de 1906 montre que les frères de Killererin étaient présents à une réunion de l'UIL à Cummer en 1906. [6]

Richard Hazleton, récemment élu député de North Galway, qui avait étudié à Blackrock, prit la parole lors de cette réunion. Il fit remarquer, écrit le reportage du journal, que la loi foncière de 1903 était «en vigueur depuis un certain temps et que certains métayers en avaient sans doute bénéficié, mais qu'elle nécessitait d'être amendée et qu'il (M. Hazleton) coopérerait avec le Parti irlandais pour la faire amender afin que la paysannerie irlandaise puisse prendre possession de la terre». Les journalistes font état des acclamations enthousiastes de la foule à ce moment-là.

Hazleton a prononcé une partie de son discours en irlandais, se déclarant fier d'être membre de la Ligue gaélique. L'organisation, fondée en 1893, faisait campagne pour la renaissance d'une langue irlandaise de plus en plus confinée à l'ouest rural du pays et fut une source importante du mouvement pour l'indépendance nationale vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Tous les Healy sont répertoriés dans le recensement de 1911 comme parlant irlandais et anglais, et Martin Healy a écrit ses histoires bibliques dans les deux langues. Un certain James Healy est mentionné comme membre de la Ligue gaélique locale de Tuam dans une édition de 1903 du Tuam Herald. [7]

Un autre article du même journal mentionne un certain Michael Healy comme étant présent à une réunion de 1907 de la section de Tuam du Sinn Féin, qui avait été fondée trois ans plus tôt et allait bientôt représenter la voix dominante du nationalisme irlandais.[8] Les preuves sont incomplètes et il est impossible d'affirmer avec certitude, à ce stade, que le Michael Healy mentionné dans l'article était le père de Gerry. Mais les preuves cumulatives suggèrent que la famille Healy a joué un rôle actif dans les mouvements politiques de l'époque.

L’impact combiné de l’agitation nationaliste et agraire à Galway et dans toute l’Irlande, ainsi que des lois adoptées à Londres en réponse, fut considérable. Avant 1921, plus de 300 000 métayers avaient acheté plus de 4,5 des 8 millions d’hectares du pays. [9]La Commission a poursuivi ses travaux sous le nouvel État libre d’Irlande à partir de 1922, avec pour résultat qu’en 1929, plus de 97 pour cent des agriculteurs étaient propriétaires de leur ferme, contre moins de 3 pour cent en 1870. [10]

La ferme de Michael Healy à Ballybane et son étrange disparition

Ce processus a servi de base aux premiers pas de Michael Healy dans la création de sa propre ferme et de sa famille. Il a quitté Killererin en 1912, à l'âge de 27 ans, pour acheter le bail d'une ferme de 44,5 hectares à Ballybane, ou Ballybaanmore, alors un petit hameau entouré de terres agricoles juste à l'est de la ville de Galway. Le bail a été acheté à Charles Kaine, un agriculteur local respecté, peu avant sa mort, pour le prix convenu de 1410 £. Le terrain était la propriété des gouverneurs du conseil d'administration des écoles Erasmus Smith, une fiducie datant de l'invasion de l'Irlande par Cromwell qui possédait des étendues de terre à travers le pays. Ses archives contiennent le document donnant les détails ci-dessus.

Un autre document des archives d’Erasmus Smith, le procès-verbal du conseil d’administration, indique qu’ils ont convenu à la fin de 1913 de vendre la totalité du terrain à Michael en échange de 975 £ avancés par la Commission foncière. Cela est confirmé à la fois par les livres d’évaluation conservés au bureau d’évaluation – qui indiquent en outre que le terrain était évalué à 52 £ en termes de loyer annuel qu’il rapporterait – et par des registres distincts détenus par le registre des actes et le cadastre de Dublin. Selon le folio du cadastre, Michael a réglé ce qu’il devait à la Commission au début ou au milieu des années 1920.

Cet achat aurait placé Michael dans la catégorie des «fermiers forts» du comté, même si ses terres étaient minuscules par rapport à la classe des propriétaires fonciers qui possédaient des centaines, voire des milliers d’hectares de terres. Il ne le plaçait certainement pas dans les rangs de la bourgeoisie, qui contrôle les moyens de production de la société, comme le prétend Beatty.

Cette recherche soulève des questions. La somme versée par Michael à Charles Kaine était substantielle. En même temps, les registres fonciers indiquent que la ferme de Killererin, dans laquelle le patrimoine de la famille Healy était immobilisé, appartenait à son frère James. Plutôt que de supposer que les Healy vivaient une vie «confortable» à Ballybane, il est plus probable que non que Michael ait contracté une dette importante pour payer Kaine, qu’il aurait ensuite dû rembourser en même temps que la rente de la Commission foncière – un remboursement qui devait intervenir pendant une crise des prix agricoles dans les années 1920.

L'acte de naissance de Gerry Healy

Au cours de leurs années à Ballybane, Michael et sa femme Margaret Mary Healy (née Rabbitte) ont eu quatre enfants: Thomas Gerard «Gerry» Healy en 1913, Mary Helena Angela (Sœur Carmel) Healy en 1916, Michael Gabriel Healy en 1919 et Patrick Brendan Healy en 1923. À partir de ce moment, cependant, les archives historiques sur la vie de Michael s'amenuisent rapidement, et aucun candidat probable n'apparaît dans les listes d'enterrements, les inscriptions sur les pierres tombales ou les testaments que nous avons pu localiser. Beatty aborde cette question en écrivant vaguement:

La famille semble avoir traversé une crise financière dans la seconde moitié des années 1920, peut-être liée à des problèmes de santé mentale du père de Healy, Michael. Dans les années 1930, la mère de Healy, Margaret Mary, vivait à Tipperary Town, à environ 160 kilomètres au sud de Galway… La propriété familiale à Tipperary était enregistrée au nom de la mère uniquement et on ne sait pas exactement ce qu'il était advenu de son père; il est peut-être décédé dans un hôpital psychiatrique…

Il n’y a pas de notes de bas de page dans cette section, il s’agit de pures spéculations. D’après nos propres recherches, nous avons établi que la ferme Healy est passée à un certain John Crowe en 1927, peu de temps après que Michael en soit devenu le propriétaire et ait payé sa rente à la Commission foncière. Fait significatif, cela correspond à l’année où Gerry Healy aurait quitté le pays.

Tout cela suggère une crise grave touchant toute la famille. Il faut souligner que Gerry Healy n’avait que 13 ans lorsqu’il partit seul en Grande-Bretagne pour tenter de se faire une vie. Rien ne laisse penser qu’il avait de la famille ou d’autres relations qui l’attendaient. La disparition de son père devrait susciter la curiosité d’un historien en toutes circonstances, et particulièrement lorsqu’elle survient juste après la guerre d’indépendance irlandaise (1919-1921) et la guerre civile (1922-1923). Michael Healy aurait-il pu être victime de ces événements d’une manière ou d’une autre ? Un historien sérieux se pencherait sur ces questions.

Travail historique contre travail d’écrivaillon: l'histoire des Black and Tans

Non seulement Beatty n’a pas enquêté sur les liens potentiels entre les Healy de Ballybane et les événements tumultueux qui se déroulaient autour d’eux, mais il comble ce manquement par la «révélation» d’un mensonge pour lequel il n’existe aucune preuve crédible que Healy l’ait jamais dit. Comme Mackaman l’a déjà expliqué:

Des recherches révèlent que sept auteurs, dans huit sources différentes, ont répété comme un fait avéré ce que Healy aurait dit à propos de sa jeunesse: que son père avait été tué par les Black and Tans. Toutes ces sources ont été publiées après la mort de Healy et ne peuvent donc pas être vérifiées ou contredites par lui. Aucun de ces auteurs ne fournit de documentation prouvant que Healy ait jamais fait cette affirmation. Aucun écrit ou discours de Healy n'est jamais référencé.

Ni David North, qui a travaillé en étroite collaboration avec Healy pendant une décennie, ni Barbara Slaughter, qui est, comme l’écrit Mackaman, «à 96 ans, la plus vieille trotskyste britannique vivante, et dont l’ancien mari, feu Cliff Slaughter, a été pendant des décennies l’un des plus proches collaborateurs de Healy», ne se souviennent d’une telle histoire racontée par Gerry Healy. Alex Mitchell, qui a également travaillé en étroite collaboration avec Gerry Healy de 1971 à 1986 et a été rédacteur en chef du News Line, n’a pas non plus fait référence à cette histoire dans son propre récit détaillé de ses années en tant que membre dirigeant du Workers Revolutionary Party. La fille de Healy, Mary, a écrit à David North le 9 octobre 2024: «Malheureusement, Gerry ne m’a jamais parlé de son enfance ou de ses parents.»

Gerry Healy entretenait une relation affectueuse avec sa fille. Après la mort de Healy en décembre 1989, Mary Healy a écrit une réponse cinglante à une nécrologie calomnieuse rédigée par un ennemi politique et publiée dans le Guardian.

Il n’est tout simplement pas croyable que Gerry Healy n'ait pas raconté à sa fille les circonstances de la mort de son grand-père Michael ou quoi que ce soit d'autre à propos de ses parents, tout en faisant ce que Beatty décrit comme une «déclaration répétée maintes fois» à tout le monde qu’il avait été témoin du meurtre de son père.

Le récit de Mary sur le silence de Gerry à propos du sort de son père est corroboré par une interview que j'ai réalisée en Irlande du Nord. J'ai parlé à deux anciens membres de la Socialist Labour League (précurseur du Workers Revolutionary Party) dans les années 1960, George et Manda Craig, aujourd'hui octogénaires. Tous deux étaient alors basés à Belfast et avaient rencontré Healy. Aucun d'eux ne l'a entendu mentionner son père, même lorsqu'il a brièvement évoqué son enfance à la campagne. Décrivant le moment où Gerry est venu leur rendre visite pour discuter, George a raconté:

Je n’ai aucun souvenir d’avoir entendu Gerry Healy parler de l'Irlande, de ses expériences, de son père ou de quoi que ce soit d'autre en rapport avec l'Irlande. Et j'aurais pensé que s'il devait parler de son expérience en Irlande, où mieux le faire qu’en Irlande même. Mais il ne l'a pas fait. [11]

Manda se souvient d'une brève occasion où il l'a fait, alors qu'ils étaient tous deux dans la voiture revenant d'une conférence avec d'autres camarades et retournant à la maison de Healy à Londres, où ils étaient hébergés pour la nuit:

Il a parlé des troubles qui ont éclaté après la guerre et avec la séparation [Partition] et l’installation des Black and Tans dans la région où il vivait, et il a raconté qu’il avait été caché dans un tonneau d’eau à un moment donné. On l’avait mis dedans, le couvercle avait été mis, quand ils venaient faire des raids autour des maisons […] Après cela, j’ai entendu dire qu’il y avait eu des rumeurs selon lesquelles son père avait été abattu; il n’en a jamais parlé pendant le voyage […] Il n’y a pas eu d’autres discussions au sujet de sa famille. [12]

Les souvenirs de Manda sont, à la connaissance de l’auteur de ces lignes, le compte rendu le plus substantiel et le plus fiable de tous les commentaires faits par Healy sur son enfance. Ils contredisent à la fois les affirmations de Beatty selon lesquelles Healy mentait compulsivement sur son passé et sa tentative de dépeindre son enfance comme non touchée par les événements révolutionnaires du début du XXe siècle en Irlande.

En fait, les dix premières années de la vie de Healy ont coïncidé avec la décennie la plus importante de l'histoire irlandaise. Il est né pendant le lock-out de Dublin, l'un des moments décisifs de l'histoire du mouvement ouvrier irlandais, et n'avait même pas un an lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté. Il avait 2 ans et demi au moment de l'insurrection de Pâques 1916 contre l'impérialisme britannique, 5 ans lorsque le Sinn Féin a pris le pouvoir de manière spectaculaire en Irlande en 1918 et lorsque la guerre d'indépendance a commencé, et 8 ans et demi lorsque la guerre civile a éclaté entre le nouvel État libre d'Irlande et ceux qui s'opposaient au traité qu'il avait signé avec l'impérialisme britannique.

En nous appuyant sur cette compréhension et sur les commentaires de Manda Craig, Mackaman et moi avons commencé à enquêter sur les sources pour trouver des signes de l’implication directe de Michael Healy dans ces luttes. Nous avons également été motivés par le fait que le père du quatrième enfant de Margaret Mary, né en 1923, est mentionné comme « Martin» Healy dans le registre des naissances. Étant donné l’existence d’un oncle Martin Healy, qui devait avoir environ 60 ans à cette époque et qui, selon les registres fonciers, avait résidé dans la ferme voisine de Thomas pendant un certain temps, n’était-il pas possible que Michael ait eu pour une raison quelconque des liens avec la politique loin de chez lui à cette époque et que la famille ait été prise en charge par son frère?

Le nom de Michael Healy est courant en Irlande, mais un document a retenu notre attention. Le rapport de la 2e brigade, 1re division occidentale (sud-ouest de Galway), conservé aux archives militaires, contient des listes de participants à diverses opérations de l'IRA, compilées quelques années plus tard par ses officiers. La liste de l'Embuscade d'octobre à Castledaly comprend le nom de Michael Healy, ajouté au crayon, sans adresse de domicile ni aucune autre information.

La liste de l'Embuscade de Castledaly du 30 octobre 1920 comprend le nom de Michael Healy, ajouté au crayon

Cette embuscade, qui a eu lieu à une trentaine de kilomètres au sud de Ballybane, a coûté la vie au gendarme Timothy Horan du RIC. Les représailles britanniques ont été parmi les plus féroces observées à Galway. Le RIC et les Black and Tans ont incendié les maisons des combattants présumés et de leurs associés dans les villages de la région, ont battu les membres de leurs familles et ont ouvert le feu sans discrimination dans les villages. Eileen Quinn, jeune mère de trois enfants et enceinte, a été abattue par les auxiliaires alors qu'elle était assise sur le mur devant sa maison et berçait un autre enfant. [13]

Des recherches aux archives militaires ont révélé que le nom figurant sur le document est associé à une demande de pension militaire non encore numérisée – accordée par l’État libre à ceux qui avaient combattu pendant la guerre d’indépendance – soumise par un certain Michael Healy de Tubber, près de Gort, à l’extrême sud du comté de Galway. Il existe une correspondance proche avec lui dans le recensement de 1911 pour la région, ce qui permet de conclure à ce stade que le nom inscrit au crayon n’était peut-être pas celui du père de Gerry. Il faudrait effectuer davantage de recherches de ce type avec les sources historiques – en identifiant et en recoupant les mentions de Michael Healy – pour dresser le tableau complet qu’elles fournissent.

Quoi qu’il en soit, l’affaire de Castledaly montre que les forces britanniques n’ont guère fait preuve de discrimination dans leurs violences contre la population – le fait de porter un nom commun comme Healy, partagé avec plusieurs combattants de l’IRA, aurait pu poser des problèmes – et que de nombreuses personnes ont été touchées alors que leurs noms n’ont jamais été enregistrés. En effet, notre brève enquête sur les liens directs entre Michael Healy et la guerre contre les Britanniques a révélé de nombreux éléments démontrant l’effet profond que les luttes révolutionnaires en Irlande ont pu avoir sur sa famille à Ballybane.

L'enfance de Gerry Healy dans la décennie révolutionnaire de l'Irlande

Les ouvrages comme War and Revolution in the West of Ireland de Conor McNamara, Blood for Blood de William Henry et Land and Revolution de Fergus Campbell montrent déjà que l'affirmation de Beatty selon laquelle Galway, son comté natal, a été relativement peu touché par la guerre d'indépendance, est un mensonge. Une simple visite de l'exposition permanente du musée de la ville de Galway permet de le constater.

Mais il est possible d’étayer ce point encore plus fortement. En limitant l'étude à un rayon de quelques kilomètres autour de la ferme de Ballybane, on obtient de nombreuses preuves de l'impact très local non seulement de la guerre d'indépendance, mais aussi de l'insurrection de Pâques et de la guerre civile. En visitant la région, on est frappé par la proximité des distances entre la ferme des Healy et de nombreux incidents mentionnés dans les sources et la littérature historique sur cette période.

Gerry Healy a grandi dans une zone de guerre. Il n'y a aucune raison de ne pas croire son histoire, celle de quelqu’un caché dans un tonneau, racontée à sa camarade irlandaise Manda Craig.

Carte de Galway : La vie de Healy à Ballybane, Galway, s’est déroulée à proximité de nombreux événements turbulents de la guerre d'indépendance irlandaise et de la guerre civile. [Photo : WSWS/Google Maps] [Photo: WSWS/Google Maps]

L'Insurrection de Pâques 1916 a vu 1200 membres des Irish Volunteers dirigés par Patrick Pearse et de la Irish Citizen Army dirigée par James Connolly s'emparer de bâtiments clés de Dublin et s'engager dans des combats acharnés avec les forces britanniques pendant plusieurs jours. Bien que le soulèvement national prévu contre l'impérialisme britannique n'ait pas eu lieu, une activité importante a eu lieu à Galway, avec environ 600 Volunteers mobilisés sous la direction de Liam Mellows.

Des attaques furent lancées par une centaine de volontaires contre la caserne de la police du Royal Irish Constabulary (RIC) à Oranmore, à cinq kilomètres à l'est de Ballybane, et par une centaine d'autres contre la caserne de Clarenbridge, plus au sud-est. Une fusillade eut lieu le lendemain à Carnmore Crossroads, juste au nord d'Oranmore.[14] Pour dissuader les rebelles de tenter d'entrer dans la ville de Galway, des navires de la marine britannique, le HMS Guillemot, le HMS Laburnum , le HMS Gloucester et le HMS Snowdrop, étaient ancrés dans la baie de Galway à ce moment-là et bombardèrent la campagne entre Oranmore et Castlegar, au milieu de laquelle se trouvait la ferme de Michael Healy, pendant la majeure partie d'une semaine. [15]

Mellows s'enfuit aux États-Unis mais y fut emprisonné jusqu'en 1918, accusé d'avoir aidé l'effort de guerre allemand. Il devint ainsi l'un des plus de 400 habitants de Galway arrêtés et internés après le soulèvement.[16] Un changement politique était cependant en cours en Irlande et il fut l'un des quatre représentants du Sinn Féin qui remportèrent tous les sièges disponibles pour le comté de Galway aux élections générales britanniques de 1918. La décision du Sinn Féin de ne pas prendre leurs sièges au Parlement de Londres mais d'établir un parlement irlandais indépendant, le Dáil Éireann, déclencha la guerre d'indépendance irlandaise.

Monument au républicain irlandais Liam Mellows, Eyre Square, ville de Galway, Irlande [Photo by Wikimedia / DazW-Dub / CC BY-SA 4.0]

Contrairement à l’assertion ignorante de Beatty que la région était «calme», Galway a été fortement touchée. Le Bureau irlandais d’histoire militaire détient les témoignages de 80 participants à la lutte pour l’indépendance relatant les événements survenus dans le comté. Parmi les près de 200 opérations de l’Armée républicaine irlandaise répertoriées à Galway par les Archives militaires irlandaises figurent une fusillade en septembre 1920 à l’extérieur de la gare de Galway et une embuscade en août 1920 près de Merlin Park. L’engagement sur la voie ferrée a eu lieu à quelques kilomètres à l’ouest de Ballybane, et l’embuscade de Merlin Park à peine un kilomètre au sud.

La Compagnie de Castlegar, réputée pour son radicalisme, a joué un rôle important dans les deux cas et aurait été la formation de l'IRA la plus proche de l'adresse des Healy. L'un de ses membres les plus éminents, le forgeron Michael Newell, vétéran de 1916 et commandant de la brigade Mid-Galway de l'IRA, vivait à Briarhill, à environ un kilomètre de Ballybane. Un autre membre, John Fahy, a indiqué qu'il habitait à Ballybane même – ces détails sont contenus dans les rapports de la brigade Mid Galway, 1re division occidentale et de la 2e brigade, 1re division occidentale (sud-ouest de Galway). Il est presque certain que les Black and Tans ont fouillé Ballybane à la recherche de tels combattants de la liberté.

Les forces britanniques ont réagi aux attaques de la gare de Galway et de Merlin Park par des représailles brutales. Elles se sont déchaînées dans la ville voisine de Galway et dans le village d'Oranmore, traînant les gens dans la rue et incendiant maisons et bureaux.[17] Une autre nuit de violence contre-révolutionnaire tristement célèbre a eu lieu en juillet 1920 à Tuam, près de l'endroit où James Healy devait encore vivre, le RIC incendiant et pillant maisons et commerces et rasant l'hôtel de ville.[18] Des maisons ont également été incendiées à Castlegar en février 1921.[19] La campagne de terreur britannique a dû planer sur toute la région comme une ombre sinistre.

Outre les dégâts matériels (Galway étant le comté le plus touché en dehors de la province du Munster, fortement ciblée), il y avait le danger d’assassinat.[20] Le plus tristement célèbre fut celui du père Griffin, sympathisant républicain, enlevé et tué par les auxiliaires britanniques en novembre 1920. Ses funérailles rassemblèrent quelque 12 000 personnes dans les rues de la ville de Galway. [21]

Les militants connus ou suspectés étaient souvent contraints de se cacher et de compter sur la communauté locale. Là encore, la guerre s’est abattue sur la ville même où vivait Gerry Healy, Ballybane, alors qu’il n’avait pas encore 7 ans. William Henry note à ce propos: « C’étaient des jours de famine pour les hommes en fuite, et certains propriétaires de maisons à Ballybane laissaient leur porte déverrouillée la nuit et de la nourriture sur la table.» [22]

Lorsque la guerre civile éclata, Galway fut à nouveau au centre des affrontements. L'étude d’Úna Newell sur le comté de 1922 à 1932, The West Must Wait, décrivait le conflit comme une «guerre intime… une guerre amère… une guerre publique. Le commerce fut perturbé, les approvisionnements alimentaires furent parfois limités et certaines zones se virent de plus en plus isolées».[23] Lors d'un événement dramatique survenu en mars 1922, les Irlandais opposés au traité, opposés à l'accord signé par le nouvel État libre d'Irlande avec l'impérialisme britannique, forcèrent les forces de l'État à quitter la caserne de Renmore dans la ville de Galway, une fois de plus à un kilomètre de Ballybane. [24] Il y eut une fusillade juste au nord de Castlegar en juillet de cette année-là, au cours de laquelle le lieutenant de l'IRA anti-traité John «Jack» Lohan fut abattu. [25]

Les hommes de Claregalway, 1922 [Photo by NC-ND/Claregalway Historical Society / CC BY-ND 1.0]

John Fahy, de Ballybane, et Michael Newell, de la localité voisine de Briarhill, sont cités dans le rapport de la brigade de Mid-Galway conservé par les Archives militaires irlandaises comme ayant été capturés par les forces nationales après une nouvelle fusillade près de la ville de Galway le même mois. L'entrée du 8 juillet 1922 dans le registre de la prison de Galway des hommes accusés d'attaques contre les forces de l'État, qui mentionne le nom de Newell, inclut également ceux de Thomas Conroy et d'Edward Coyne, également de Briarhill.

Pour aider le lecteur à comprendre l'importance de cela, il n'y a que sept ménages répertoriés à Ballybaanmore en 1911; le hameau situé à un kilomètre et demi sur la route où habitait Newell, Conroy et Coyne, Breanloughaun, comptait neuf ménages. Michael et eux, ainsi que tous les habitants de la région, devaient certainement se connaître. Dans une société rurale aussi petite, très peu de familles auraient été à plus de quelques connaissances de quelqu'un ayant un lien direct avec la lutte contre la Grande-Bretagne ou le nouvel État libre. Leurs activités et leurs idées politiques devaient être discutés, à la maison et en public.

Cela ne s'est pas non plus arrêté à la fin de la guerre civile, dont la société irlandaise a gardé un souvenir douloureux pendant des années. Il a souvent été noté que l'État libre d'Irlande avait procédé à 81 exécutions officielles d'Irlandais hostiles au traité, alors que les Britanniques avaient perpétré 24 meurtres de Volontaires irlandais. Parmi les premiers, six combattants anti-traités ont été tués lors d'une exécution collective à Tuam le 11 avril 1923, suivie de deux autres le mois suivant. Gerry Healy, qui n'avait alors pas tout à fait dix ans, aurait été au courant de ces cruels événements.

Il est intéressant de noter que c'est également au cours de la période qui suit ce conflit traumatisant que Michael Healy disparaît et que Gerry, jeune adolescent, part pour une nouvelle vie en Grande-Bretagne. Des problèmes personnels ont pu bouleverser la famille: nous avons évoqué la possibilité que Michael se soit endetté dans le contexte de la chute brutale des prix agricoles dans les années 1920. Mais il n'y a aucune raison d'écarter l'idée qu'un événement survenu au cours de la décennie précédente, marquée par des bouleversements sociaux et politiques, ait joué un rôle.

La biographie d’un révolutionnaire

La reconstitution de la vie d'un individu, en particulier de son enfance, est une tâche complexe pour l'historien, qui doit prêter une attention particulière aux développements sociaux et politiques contemporains et réfléchir à la manière dont ils ont pu se croiser avec la vie du sujet et de sa famille.

Il est évident que même une brève description de la vie de Gerry Healy en Irlande doit tenir compte de l'atmosphère politique explosive de l'époque, des traditions d'activisme qui s'étendaient à la campagne et remontaient à des générations de fermiers, et d’une longue et sanglante histoire de violence. Pour le biographe d'un homme qui a ensuite joué un rôle de premier plan dans la politique révolutionnaire, ne pas avoir examiné dans les moindres détails l'impact que ce contexte a eu sur son sujet relève de la négligence professionnelle; le nier catégoriquement relève de la malveillance.

Gerry Healy prenant la parole en 1942

Nos premières recherches, qui vont bien au-delà de celles de l'historien irlandais autoproclamé Aidan Beatty, ne répondent pas à toutes les questions. Le sort de Michael et les détails des premières années de Gerry ne sont toujours pas clairs. D'autres faits finiront par être découverts, et un jour, espérons-le, un historien objectif s'efforcera d'établir en détail l’histoire familiale d'une figure aussi importante du mouvement marxiste international.

Mais deux choses sont déjà certaines à ce stade. Premièrement, les expériences de la famille en tant que métayers pendant les années d'agitation agraire et de transfert massif de terres depuis la classe des propriétaires terriens, la guerre révolutionnaire et la contre-insurrection brutale menée tout autour de la maison où habitait Gerry, cette histoire n'a pu manquer de laisser une profonde impression sur lui. Deuxièmement, Beatty ne s'est pas livré à la recherche et à la contextualisation des preuves qui caractérisent une histoire sérieuse.

Dans sa biographie Gerry Healy and his Place in the History of the Fourth International , North rappelle que Healy était «sans aucun doute un “homme dur”» et un «communiste de la classe ouvrière de la “vieille école”», dont «le marxisme était ancré dans une haine brûlante du système capitaliste, dont il connaissait personnellement la brutalité»[27]. «Cela est sans aucun doute vrai pour quelqu'un qui est arrivé en Grande-Bretagne en tant qu'enfant au lendemain de la grève générale et à la veille de la Grande dépression, qui a atteint l'âge adulte dans les ‘Années trente de la faim’ au milieu de la montée du fascisme, et qui était un jeune homme au moment où débutait la Seconde Guerre mondiale.

Healy a été obligé de grandir rapidement. Le récit présenté dans cet essai montre que ce processus a dû commencer plus tôt, en Irlande.

North note encore:

L'expérience des privations personnelles n'était pas le seul, ni même le principal fondement de sa «dureté». Healy appartenait à une génération dont les conceptions de la lutte révolutionnaire et du sacrifice étaient inspirées par les réalisations du Parti bolchevique, qui avaient bouleversé le monde. Pour des travailleurs comme Healy, les événements de 1917 démontraient que la révolution socialiste n'était pas un événement destiné à se produire dans un avenir lointain. C’était bien plutôt une tâche pratique. Ainsi, jusqu'à ses dernières années tragiques, Healy a vécu pour la révolution et la révolution a vécu en Healy. Cette passion le distinguait nettement de tous les autres membres du mouvement ouvrier. À côté de lui, les dirigeants des organisations opportunistes n'étaient guère plus que des amateurs ou des charlatans[28].

La biographie de Gerry Healy écrite par David North, Gerry Healy and His Place in the History of the Fourth International.[Gerry Healy et sa place dans l’histoire de la Quatrième Internationale], publiée par Mehring Books.

Outre l'intention malveillante évidente, ce qui caractérise le traitement de Healy par Beatty, c'est l'incapacité de cet universitaire – qui déforme l'histoire au service de l'idéologie réactionnaire du sionisme – à comprendre un homme politique de la trempe de Gerry. Ayant grandi dans l'aisance dans une Irlande censée avoir dépassé les «troubles» de son passé colonial et au milieu du triomphalisme capitaliste qui a suivi la dissolution de l'Union soviétique, Beatty a écrit une biographie qui exsude l’autosatisfaction et l'incapacité congénitale d'imaginer que le Galway d’il y a cent ans était très différent de celui de son époque. Il n'est pas surprenant qu’un tel personnage se retrouve dans la direction petite-bourgeoise cynique des Socialistes Démocrates d'Amérique, pour qui la révolution est une horreur et les principes politiques un fardeau. Ce préjugé le rend également aveugle au type d'expériences et de décisions qui ont façonné la vie d'un véritable leader révolutionnaire comme Gerry Healy.

La première tâche d'un historien est de se débarrasser, dans la mesure du possible, des préjugés et des présomptions qu'il a inévitablement accumulés au cours de sa vie dans un contexte particulier. Mais Beatty n'a pas abordé ce travail en tant qu'historien; il a passé un contrat avec un adversaire politique. Dès les premières pages de son livre, il indique clairement que son intention est de présenter des affirmations qui correspondent à ses conclusions prédéterminées sur Healy, un menteur, un monstre et un hypocrite qui se glorifie lui-même, en excluant toute recherche qui aurait pu véritablement mettre en lumière les expériences formatrices de la jeunesse de Gerry.

Le traitement de ces questions par Beatty discrédite non seulement son livre, mais aussi sa carrière universitaire. Les fondations sionistes et pro-israéliennes auprès desquelles Beatty a sollicité un soutien financier pour ce projet lui ont fourni de l'argent en sachant qu'il produirait une diatribe remplie de mensonges contre un défenseur marxiste-trotskyste de la lutte des opprimés contre l'impérialisme. Et le peu scrupuleux Aidan Beatty leur en a donné pour leur argent.

Bibliographie

Sources primaires

Archives

Registres testamentaires et documents sur les successions foncières, The National Archives of Ireland, Dublin.

Western Estate Papers et Minute Books, Archives de la Erasmus Smith School, Dublin.

Livres d'évaluation foncière annulés, Bureau d'évaluation foncière, Dublin.

Archives Folio, Registre foncier, Dublin.

Mémoriaux, Registre des actes, Dublin.

Archives en ligne

Déclarations de témoins et rapports d'activité des brigades, Bureau of Military History (1913-1921), The Military Archives, accessible sur https://bmh.militaryarchives.ie/ and https://brigade-activities.militaryarchives.ie/county/galway/.

Recensement de l'Irlande 1901, 1911, accessible sur https://www.census.nationalarchives.ie/search/.

Richard Griffith, Évaluation générale de la propriété imposable en Irlande, accessible sur https://www.askaboutireland.ie/griffith-valuation/.

Archives des journaux irlandais, accessible sur: https://www.irishnewsarchive.com/

Prison de Galway, Registre général 1913-1923, Irish Prison Registers 1790–1924, accessible sur https://www.findmypast.co.uk/home.

Irlande, Index des naissances de l’état civil, 1864–1958, accessible sur: https://civilrecords.irishgenealogy.ie/churchrecords/civil-search.jsp.

Interviews

Interview conduite par l’auteur avec George and Manda Craig, Irlande du Nord, 3 novembre 2024.

Sources secondaires

Conor McNamara, War and Revolution in the West of Ireland: Galway, 1913–1922 (Newbridge: Irish Academic Press, 2018)

William Henry, Blood for Blood: The Black and Tan War in Galway (Cork: Mercier Press, 2012)

Fergus Campbell, Land and Revolution: Nationalist Politics in the West of Ireland 1891–1921 (Oxford: Oxford University Press, 2005)

Úna Newell, The West must wait: County Galway and the Irish Free State, 1922–32 (Manchester: Manchester University Press, 2016)

The Cambridge Social History of Modern Ireland, eds. Eugenio F. Biagini, Mary E. Daly (Cambridge: Cambridge University Press, 2017)


[1]

“Eyewitness Accounts of the Famine”, Ireland Program at The Evergreen State College, 2006-2007, Accessed November 27, 2024, https://archives.evergreen.edu/webpages/curricular/2006-2007/ireland0607/ireland/eyewitness-accounts-of-the-famine/index.html.

[2]

Eugenio F. Biagini, Mary E. Daly, The Cambridge Social History of Modern Ireland (Cambridge: Cambridge University Press, 2017), 202.

[3]

“Obituaries of Mr. Thomas Healy and Mrs. Healy, Killererin”, Western People, November 12, 1904. https://www.irishnewsarchive.com/.

[4]

“Irishtown Tenants’ Defence Meeting: Grand Demonstration”, Connaught Telegraph, April 26, 1879. https://www.irishnewsarchive.com/.

[5]

Fergus Campbell, Land and Revolution: Nationalist Politics in the West of Ireland 1891-1921 (Oxford: Oxford University Press, 2005).

[6]

“Meeting in Cummer”, Tuam Herald, March 3, 1906. https://www.irishnewsarchive.com/.

[7]

“Tuam Gaelic League Notes”, Tuam Herald, June 20, 1903. https://www.irishnewsarchive.com/.

[8]

“Tuam Branch National Council: Appeal to the Workmen of the County Galway”, Tuam Herald, March 16, 1907. https://www.irishnewsarchive.com/.

[9]

Diarmaid Ferriter, The Transformation of Ireland, 1900–2000, (London: Profile Books, 2010), 63.

[10]

Paul Bew, Ireland: The Politics of Enmity 1789-2006, (Oxford: Oxford University Press, 2007), 568.

[11]

Interview with George and Manda Craig, November 3, 2024.

[12]

Ibid.

[13]

Conor McNamara, “The Castledaly Ambush and Reprisals, 30 October 1920”, Galway Decade of Commemoration, Accessed November 27, 2024, https://www.galwaydecadeofcommemoration.org/content/new-contributions/the-castledaly-ambush-and-reprisals-30-october-1920.

[14]

Mark McCarthy, Shirley Wrynn, “County Galway’s 1916 Rising: A Short History”, in 1916–2016 Centenary Programme: County Galway (Galway: County Galway Council, 2015), 9-14.

[15]

Conor McNamara, War and Revolution in the West of Ireland: Galway, 1913–1922 (Newbridge: Irish Academic Press, 2018), 71.

[16]

Ibid., 77.

[17]

“Midnight Scenes: Police Run Amok in Oranmore”, Freeman’s Journal, August 23, 1920. https://www.irishnewsarchive.com/.

[18]

Riona Egan, “Galway Nights of Terror”, Galway City Museum, Accesses November 27, 2024, https://galwaycitymuseum.ie/blog/galway-nights-of-terror/; “Tale of Terror: Part of Tuam in Ruins”, Tuam Herald, June 24, 1920. https://www.irishnewsarchive.com/.

[19]

“Burnings at Castlegar”, Connacht Tribune, February 12, 1921. https://www.irishnewsarchive.com/.

[20]

Andy Bielenberg, “The British Reprisal Strategy in Ireland in 1920 and its Impact”, The Irish Revolution Project, Accessed November 28, 2024, https://www.ucc.ie/en/theirishrevolution/feature-articles/the-british-reprisal-strategy-in-ireland-in-1920-and-its-impact.html.

[21]

William Henry, Blood for Blood: The Black and Tan War in Galway (Cork: Mercier Press, 2012), 137.

[22]

Ibid., 187.

[23]

Úna Newell, The West must wait: County Galway and the Irish Free State, 1922–32 (Manchester: Manchester University Press, 2016) 34.

[24]

Riona Egan, “IRA split in Galway, 29 March 1922”, Galway City Museum, Accessed November 27, 2024, https://galwaycitymuseum.ie/blog/ira-split-in-galway-29-march-1922/.

[25]

“Fatal Dash: Young Galway Engineering Student Shot a Few Miles from the City During Irregular Round Up”, Connacht Tribune, September 30, 1922. https://www.irishnewsarchive.com/.

[26]

Breen Timothy Murphy, “The Government’s Executions Policy During the Irish Civil War 1922 – 1923”, PhD diss., (National University of Ireland, Maynooth, 2010).

[27]

David North, Gerry Healy and his Place in the History of the Fourth International, (Detroit: Labor Publications Inc., 1991), 115.

[28]

Ibid., 116.

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