Le World Socialist Web Site a publié le 17 septembre une critique de l'ouvrage d'Aidan Beatty, The Party Is Always Right (Le parti a toujours raison). En violation des préceptes les plus élémentaires du savoir, le travail de plumitif de Beatty recourt à des allégations sans source de références et sans fondement factuel, ainsi qu'à des mensonges éhontés pour diaboliser la vie d'une figure majeure de l'histoire de la Quatrième Internationale trotskyste, Gerry Healy (1913-1989).
La critique de David North, publiée sur le World Socialist Web Site, identifie Beatty comme membre des Democratic Socialists of America (DSA), fait caché par l'auteur. Beatty a choisi de ne pas informer les lecteurs de sa biographie qu'il est membre actif d'une organisation antimarxiste, alignée sur le Parti démocrate et dirigée politiquement par celui-ci, qui est farouchement hostile au mouvement trotskyste. La dissimulation par Beatty de son affiliation politique était une décision stratégique, destinée à faire passer une attaque factionnelle, truffée de mensonges, pour le travail de recherche d'un universitaire professionnel.
Si Beatty est resté silencieux sur sa motivation politique, les DSA eux, ont fait l'éloge de son ouvrage. L'historien Paul Le Blanc, l'accordéon intellectuel sans principes des DSA, a fait sa promotion sur la jaquette du livre, saluant de manière trompeuse l’ouvrage comme une «démolition méticuleusement documentée». Beatty a été interviewé dans le magazine Jacobin des DSA peu après la publication de son travail.
Mais l’appartenance de Beatty aux DSA n’est pas la seule information pertinente concernant le contenu et le but du livre que l’auteur n’a pas clarifiée.
Dans ses remerciements pour The Party Is Always Right, Beatty écrit :
Mes recherches en Grande-Bretagne ont été financées par le Programme d’études juives et le World History Center de l’Université de Pittsburgh, qui ont eu la générosité de reconnaître les liens juifs, israélo-palestiniens et mondiaux de ce projet. [italiques ajoutés]
C’est une révélation remarquable. Il n’y a aucune raison évidente pour que la biographie d’un trotskyste né en Irlande et ayant vécu toute sa carrière politique en Grande-Bretagne, ait des «connexions juives, israélo-palestiniennes et internationales» qui justifieraient son financement par un centre universitaire consacré à l’étude de la culture juive. Beatty admet que ces liens sont d’un caractère si obscur que l’accord de financement de sa biographie était un acte de générosité, plutôt qu’un jugement professionnel objectif, de la part du Programme d’études juives et du World History Center.
Ajoutant au mystère, Beatty écrit sur la première page de ses remerciements: «Je ne me souviens pas quand j'ai entendu parler de Gerry Healy pour la première fois, mais au tout début de 2020, j'avais commencé à rassembler des informations sur lui .»
En règle générale, les historiens n’entreprennent pas la tâche ardue d’écrire une biographie sur quelqu’un dont ils ont à peine entendu parler. Les circonstances étranges dans lesquelles Beatty «a commencé à rassembler des informations» sur Healy ressemblent davantage à l’ouverture d’un dossier de police sur un nouveau suspect criminel qu’au lancement d’un projet de recherche.
Le caractère douteux de la fascination soudaine de Beatty pour Healy est renforcé par le fait que l'auteur n'a aucune formation en histoire ouvrière ou histoire politique britannique, les deux domaines qui coïncident le plus clairement avec une biographie de Gerry Healy. Avant de commencer ses travaux sur Healy, il n'avait jamais publié d'ouvrage traitant de ces deux domaines. Le Programme d'études juives de Pitt [Université de Pittsburgh] n'a pas non plus l'habitude de financer de tels projets.
La question qui reste sans réponse est pourquoi cette institution a accordé un financement à ce projet de recherche, qui n’a aucun lien apparent avec son domaine d’intérêt, et cela à un historien qui n’a aucune expérience établie concernant la matière du projet.
North a mis Beatty au défi de répondre à cette question en rendant publique sa demande de financement. Beatty n’a pas répondu à cette question. Néanmoins, il n’y a qu’une seule «connexion» entre Healy et la question israélo-palestinienne que Beatty aura porté à l’attention du Programme et du [World History] Center auprès desquels il cherchait à obtenir un financement. Il leur aura dit que Healy était hostile au sionisme et que le World Socialist Web Site, la publication du Comité international de la Quatrième Internationale, est un opposant de l’État israélien très lu et influent dans la gauche socialiste.
Cela aura suffi à stimuler la générosité des deux institutions, surtout si leurs directeurs étaient convaincus, en se fondant sur leur connaissance des travaux antérieurs de l’auteur, que Beatty produirait un livre dont le but explicite était de discréditer l’antisionisme.
Dans une interview en podcast publiée en avril, avant que la controverse entourant ses recherches falsifiées n'émerge, Beatty a révélé que c'était la véritable origine de son intérêt pour Healy, déclarant :
Je viens de terminer un manuscrit de livre qui sortira en septembre. Il s’agissait essentiellement d’une sorte de projet que j’ai lancé pendant la pandémie sur un petit parti politique britannique appelé le Workers Revolutionary Party, dirigé par un homme appelé Gerry Healy […] C’était un groupe qui était très, très pro-palestinien […] J’ai donc eu cette trajectoire étrange en tant qu’historien où j’ai commencé à penser que je ferais uniquement de l’histoire israélienne, puis je me suis simplement lancé sur d’autres digressions. Mais je pense qu’une partie de ces aspects de mes intérêts sont toujours là en arrière-plan en termes d’histoire de l’antisémitisme et de l’histoire du sionisme. [1]
Comme c’était là la seule façon dont la vie politique de Healy se croisait avec les questions liées à l'histoire juive, on peut légitimement supposer que l'opportunité de discréditer un adversaire de gauche du sionisme est ce qui a motivé la décision du Programme d'études juives de l'Université de Pittsburgh de financer la diatribe anti-Healy de Beatty. Et comme le Comité international a continué à défendre les Palestiniens dans la lignée de Healy, Beatty l’a également pris pour cible. Cet objectif est explicité dans le dernier chapitre de la biographie de Beatty, qui est entièrement consacré à une attaque contre le Comité international, le Socialist Equality Party (Parti de l'égalité socialiste) et David North.
Une carrière justifiant le sionisme et Israël
Le Programme d’études juives de l’université de Pittsburgh n’est pas un organisme universitaire politiquement neutre qui se consacre uniquement à la recherche et à l’enseignement. Comme beaucoup de programmes de ce type, il est soutenu par de riches donateurs sionistes. La famille David Shapira, propriétaire de la chaîne de supermarchés Giant Eagle, est l’un des principaux bailleurs de fonds. Selon une description de la Fondation Shapira publiée sur le site Internet de Mosaic, celle-ci «favorise la formation d’identités juives fortes et l’attachement à Israël pour un grand nombre de jeunes juifs». (L’ouvrage de Beatty a été mis en évidence sur Mosaic en 2018.)
Le programme propose des colloques sur les défis de l’enseignement du «conflit israélo-palestinien», mais pas sur l’oppression sur des décennies des masses arabes par Tel-Aviv. Les seuls événements qui ont eu lieu cette année sur fond d’anniversaire du 7 octobre ont été un sur Franz Kafka et un autre intitulé «Une histoire surchargée de l’épicerie fine juive».
Pour Beatty, un financement provenant de telles sources n’a rien de nouveau. Il bénéficie depuis longtemps du soutien universitaire d’organisations liées au sionisme et à l’État israélien, où il a passé un an à étudier en tant qu’étudiant de premier cycle. Ce qui suit est un échantillon incomplet de ces relations:
En 2010, 2013 et 2014, Beatty a reçu une aide financière du Joyce Z. et Jacob Greenberg Center for Jewish Studies de l'Université de Chicago pour financer ses déplacements. Le Greenberg Center organise actuellement une série en boucle d'expositions, « L'attaque du Hamas et la guerre actuelle d'Israël à Gaza», qui, comme le titre l'indique, met l'accent sur la «culpabilité» palestinienne pour le génocide israélien à Gaza.
En 2013, Beatty a participé à la Max and Hilde Kochmann Summer School de l’Université du Sussex. L’école était financée par le magnat de l’édition Lord George Weidenfeld, qualifié par le Jewish Chronicle de «plus grand sioniste de sa génération » à sa mort en 2016. Le journal a déclaré que Lord Weidenfeld avait «sans vergogne» utilisé «ses liens avec tous ceux qui comptaient en politique, dans le monde culturel, en Europe et en Israël […] pour faire avancer les projets auxquels il se consacrait», notamment «les bourses pour les étudiants internationaux».
En 2014, Beatty a présidé un panel et présenté un exposé lors d’une conférence sioniste sur «Israël: leadership et décisions critiques», organisé par l’Institut de recherche Ben-Gurion de l’Université du Néguev, en Israël.
En 2014, il a obtenu une bourse de doctorat de l’Institut d’Israël, fondé par Itamar Rabinovich, ex-ambassadeur de Tel-Aviv aux États-Unis et président de l’Université de Tel-Aviv. Sa mission est de promouvoir le sionisme dans les salles de classe américaines, selon les termes de son site Internet, «pour améliorer les connaissances sur l’Israël moderne en veillant à ce que les étudiants des universités des États-Unis et du monde entier aient accès à des cours approfondis sur Israël pendant leur séjour sur le campus».
De 2014 à 2016, Beatty a reçu une bourse de voyage, suivie d’une bourse postdoctorale d’un an, de l’Institut Azrieli d’études israéliennes de l’Université Concordia de Montréal. Un examen du site Web de l’institution et du compte X, rempli de commentaires pro-israéliens et de dénonciations du «terrorisme du Hamas», montre qu’il s’agit d’une organisation résolument pro-sioniste. Elle collabore avec l’Institut de recherche pour l’étude d’Israël et du sionisme de l’Université Ben-Gourion et travaille avec l’Université hébraïque pour soutenir un programme d’études d’été à l’étranger à Jérusalem.
En 2015, Beatty a prononcé une conférence à l’UCLA, parrainée par la Fédération juive du Grand Los Angeles (JFGL). Aucun article critique à l’égard d’Israël n’était inclus. Le 2 mai 2024, la JFGL a publié une déclaration saluant la répression violente à l’UCLA contre les étudiants qui protestaient contre le génocide de Gaza, qui, selon elle, se livraient à «l’antisémitisme sur le campus».
En 2018, Beatty a donné une conférence intitulée «Entre la culture irlandaise et la judéité» lors d’une conférence intitulée «Limmud Michigan». Limmud est une organisation sioniste religieuse qui a dénoncé la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) comme étant «haineuse» et la politique d’identité comme étant prétendument anti-israélienne.
De 2021 à 2022, alors qu’il travaillait sur son attaque contre Gerry Healy, Beatty était titulaire de la bourse Loewenstein-Wiener aux Archives juives américaines, qui sont associées à l’Hebrew Union College-Jewish Institute of Religion (HUC-JIR). Le HUC-JIR est explicitement pro-israélien et adhère ouvertement aux affirmations selon lesquelles Israël est la patrie légitime du peuple juif. Sur son flux X, le HUC-JIR déplore à maintes reprises les événements du 7 octobre et les otages israéliens restants, mais ne dit pas un mot sur le massacre incessant des Palestiniens par Israël.
En 2021, Beatty a publié trois articles sur un site Internet britannique obscur qui porte le nom de «JewThink». Cette publication faisait la promotion de la chasse aux sorcières qui dure depuis des années contre le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn, décrié comme antisémite en raison de ses critiques d’Israël et expulsé de son parti en 2024. Le 20 octobre 2023, JewThink a publié un commentaire qui, tout en versant quelques larmes de crocodile sur l’humanité des Palestiniens, justifiait le massacre de Gaza en reprenant l’affirmation d’Israël que le Hamas utilisait les civils comme «boucliers humains».
De telles institutions n’ont pas pour habitude d’ouvrir leurs portes aux critiques authentiques d’Israël et du sionisme. Pourquoi ont-elles financé Aidan Beatty et lui ont-elles fourni une tribune?
«Les sionistes ressemblent beaucoup aux nationalistes irlandais»: l’assimilation fausse d’Aidan Beatty entre sionisme et républicanisme irlandais
Avant son intérêt soudain pour Gerry Healy, le «projet intellectuel» central de Beatty consistait à comparer le sionisme et le républicanisme irlandais comme deux exemples de luttes anticoloniales en quête d’un État-nation. Il s’agit d’une comparaison fausse et réactionnaire sous tous les points de vue, mais bien accueillie par les institutions sionistes et israéliennes.
Le sionisme n’était pas le véhicule de la «souveraineté nationale» au sein d’un peuple opprimé, comme Beatty le prétend maintes fois dans un certain nombre de livres, d’articles universitaires, d’essais de journaux, de blogs et de podcasts sous des titres tels que « Questions irlandaises et questions juives: croisements culturels», «Fantasmes sexuels et antisémitisme», «Le sionisme et le nationalisme irlandais: idéologie et identité aux frontières de l’Europe», «'Belfast n’est pas ici': la presse israélienne et l’accord du Vendredi Saint», et «Une histoire longue et entrecroisée: le nationalisme irlandais et le sionisme».
Le sionisme est le mouvement colonisateur par excellence. La création d'une «patrie pour les Juifs» s'est appuyée sur l'expulsion massive et l'extermination des habitants autochtones du Levant. Les sionistes se virent confier le territoire qu'ils contrôlent aujourd'hui par les États impériaux les plus puissants de la planète. Israël, dépendant de l'argent et des armes de Washington, devint une tête de pont de la puissance américaine au Moyen-Orient.
Le sionisme n’est pas né en contradiction avec le colonialisme, mais en accord avec lui. Il ne s’agissait pas d’un nationalisme «postcolonial», comme le prétend Beatty, mais d’un nationalisme colonial.
L’amalgame de Beatty est également une calomnie contre la longue lutte pour l’indépendance de l’Irlande, l’un des mouvements démocratiques les plus héroïques et tragiques de l’histoire moderne. Cela concorde avec l’école d’historiographie irlandaise de droite, révisionniste, qui minimise ou relativise les crimes de l’impérialisme britannique en Irlande – et avec le traitement que Beatty fait de la jeunesse de Healy à Galway pendant les années de l’insurrection de Pâques, de la guerre des Black and Tans [force spéciale de répression britannique] et de la guerre civile. Beatty, contredisant de nombreuses preuves documentaires, présente Galway, déchirée par les conflits, comme une ville «tranquille» en cette période de bouleversements révolutionnaires.
La comparaison qu’il faut faire n’est pas celle entre le sionisme et le mouvement d'indépendance irlandais, mais entre l'oppression britannique des Irlandais et l'oppression sioniste des Palestiniens. L'Irlande fut la première colonie de l'époque du capitalisme et la victime de crimes impérialistes de caractère historique, notamment la Grande Famine, qui a tué 1 million de personnes et en a forcé au moins 2 millions à fuir à l’étranger. Au moins un quart de la population irlandaise a disparu dans les années 1840. De tels crimes expliquent la sympathie pour les Palestiniens parmi les travailleurs irlandais et sa diaspora ouvrière.
Aidan Beatty veut renverser ce «récit» liant les Palestiniens et les Irlandais. Comme il l’a déclaré devant un auditoire lors d’une conférence à l’Institut sioniste Azrieli en 2013:
... Il existe une sorte de littérature abondante sur ce sujet, qui peut être très sélective, selon laquelle Israël est comme l'Irlande du Nord. Les Israéliens sont comme les protestants d'Irlande du Nord, mais ils sont en quelque sorte assiégés. Ils ont le sentiment d'être assiégés, entourés par un monde hostile, plus vaste, qu'il s'agisse des catholiques irlandais ou des Arabes. Et je suis très intéressé par l'idée de renverser la situation et de dire que, en fait, les sionistes sont très semblables aux nationalistes irlandais. [Italiques ajoutés] [2]
Pour ce faire, Beatty utilise pêle-mêle dans ses écrits toute une série de concepts universitaires à la mode issus de l’École de Francfort et du postmodernisme: sexualité, masculinité, racisme culturel, postcolonialisme, «blancheur», «espace», etc. Dans un article de 2017, par exemple, il soutient que le nationalisme irlandais était également un mouvement colonial parce que les Irlandais recherchaient la «blancheur» et participaient donc à l’oppression émanant de la « métropole» européenne. Dans un autre passage, il écrit que «l’utopisme nationaliste irlandais, un exemple possible de colonialisme interne, cherchait également à prouver l’appropriation nationaliste d’un espace défini ».
Rien de tout cela n’est particulièrement compréhensible. Et ce n’est pas non plus l’intention recherchée. Le jargon pseudo-intellectuel masque une idée plus simple. Beatty souhaite présenter le sionisme comme une lutte anticoloniale, quoiqu’ayant certaines «limites», qui ne diffère pas du républicanisme irlandais.
Beatty note par exemple que les sections du mouvement sioniste qui cherchaient à arracher le contrôle de la Palestine aux Britanniques copièrent les méthodes terroristes utilisées par l’Armée républicaine irlandaise (IRA). Il omet de souligner que les gangs terroristes sionistes qui, dans les années 1930, assassinèrent des responsables britanniques se livraient simultanément au massacre des Palestiniens, nettoyant le territoire dans une campagne de « sang et de feu», selon les termes du sioniste Vladimir Jabotinsky. Jabotinsky, qui était un fasciste, est présenté dans son ouvrage comme étant simplement «d’extrême droite».
L’existence des Palestiniens menace de faire voler en éclats l’argument de Beatty sur les sionistes «postcoloniaux». Il résout ce problème en ne disant pratiquement rien à leur sujet. Dans un article résumant son travail universitaire, les mots «palestinien» et «arabe» n’apparaissent même pas. Il partage avec ses lecteurs les visions idylliques des sionistes d’un État juif, insistant pour dire qu’elles sont similaires à ce qu’espéraient réaliser les nationalistes irlandais.
En effet, la terre, l’agriculture et le travail physique productif étaient des préoccupations communes au sionisme et au nationalisme irlandais. Le Sabra [«nouveau» Juif] devait être le modèle de la nouvelle société israélienne et, peut-être plus important encore, il devait être une figure spécifiquement agraire, travailleuse, enracinée dans la terre, aimant la nature et n’ayant jamais peur de défendre son patrimoine.» [3]
Beatty omet de dire que, quand ils étaient mis en pratique, «l’amour de la nature» des sionistes et leur courageuse défense de «leur patrimoine» consistaient à incendier des villages, à massacrer des gens et à les forcer à l’exil. De tels crimes étaient loin d’être inconnus aux Irlandais. Ils n’en étaient cependant pas les auteurs mais, comme les Palestiniens, les victimes. L’agitation agraire des paysans irlandais contre les usurpateurs britanniques a été un facteur révolutionnaire dans l’histoire irlandaise, comparable à la revendication du « droit au retour» des palestiniens sur les terres qui leur ont été volées.
Beatty fait tout ce qu’il peut pour affirmer qu’il fut un temps où le sionisme était supposément considéré comme « progressiste». Comme il l’a dit à un podcasteur :
Dans les années 1950 et même au début des années 1960, beaucoup des personnes les plus progressistes du monde regardaient le sionisme d'un œil très favorable. Jean-Paul Sartre, Bertrand Russell, et même Léon Trotsky à certains moments. Ils étaient assez favorables au sionisme. Et puis, après la guerre des Six Jours, la gauche mondiale a commencé à être beaucoup moins favorable au sionisme. [4]
Cette affirmation est fausse. Trotsky n’a jamais exprimé autre chose que de l’hostilité pour le sionisme – et il a été assassiné par des agents staliniens en 1940, bien avant les années 1950 et 1960. De plus, quelles que soient les confusions et les erreurs d’appréciation de tel ou tel individu «progressiste», la véritable «gauche mondiale» s’est opposée au sionisme non seulement à cause de l’attaque d’Israël contre ses voisins dans la guerre de Suez en 1956 et celle des Six Jours en 1967, mais encore à cause du caractère essentiellement impérialiste du projet sioniste.
L'opposition de Healy à l'assaut impérialiste contre l'Égypte en 1956
Beatty attaque Healy pour sa défense des Palestiniens et des nationalistes arabes contre l’impérialisme et ses clients israéliens. Il ridiculise Healy pour avoir écrit une brochure défendant l’Égypte pendant la crise de Suez, lorsque le gouvernement nationaliste de Nasser faisait face à une invasion combinée d’Israël, de la France et de la Grande-Bretagne. Beatty estime que l’opposition publique de Healy à cette attaque «reproduit la propagande du monde arabe […] déguisée en anti-impérialisme» (15-16) .
Si la force combinée de deux des plus grandes puissances capitalistes du monde – possesseurs de vastes territoires coloniaux – pour s’emparer du canal de Suez et écraser le gouvernement de Nasser n’est pas de l’impérialisme, alors qu’est-ce que c’est?
En 1956, Healy écrivait:
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des millions de personnes arabes parmi les plus pauvres, depuis l’océan Atlantique jusqu’au golfe Persique, ont commencé à penser en termes de plus de liberté et d’une vie meilleure. Il est vrai que leurs dirigeants ne sont en aucun cas socialistes, mais reflètent bien plutôt les sentiments nationaux profonds qui, en ce moment, ne sont qu’un miroir reflétant l’aube naissante de la conscience socialiste. C’est pourquoi le peuple arabe est profondément haï par la vieille bande des brigands impérialistes…
Il est tragiquement ironique que le peuple juif, qui a peut-être souffert plus que tout autre peuple dans l’histoire aux mains de l’impérialisme, soit maintenant utilisé comme fer de lance de cette offensive réactionnaire contre la population coloniale […] Les travailleurs juifs du monde entier doivent dénoncer le coup de poignard dans le dos du peuple arabe donné par Israël. L’avenir du judaïsme réside dans une solution socialiste et non dans un Israël capitaliste.[…] Les impérialistes ont réussi à créer en Israël un État qui peut conduire à un holocauste sanglant auprès duquel les crimes d’Hitler sembleront une ‘tea party’.
La brochure de Healy exprimait son indignation face au sort des jeunes britanniques envoyés mourir dans le désert au service de l'impérialisme et soulignait en outre la valeur de la culture arabe et les réalisations des Égyptiens, un peuple que les impérialistes considéraient comme totalement inférieur. C'est là une puissante déclaration fondée sur des principes.
Dans The Party Is Always Right, Beatty dénigre cyniquement le respect exprimé à l’égard de Healy après sa mort, de la part des personnalités de premier plan au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). «Le WRP était clairement fier de ses liens avec Abu Jihad (Khalil al-Wazir), un militant de premier plan de l’OLP», déclare Beatty. « L’épouse d’Abu Jihad, Intissar al-Wazir, elle-même membre du Comité central du Fatah et qui deviendra plus tard ministre des Affaires sociales de l’Autorité palestinienne, a prononcé un éloge funèbre pour Gerry Healy.» Dans cette déclaration, Intissar al-Wazir, dont le mari avait été assassiné par des commandos israéliens dans sa maison en Tunisie en 1988, a qualifié Healy d’«ami indéfectible et allié de la révolution palestinienne, et de véritable ami et frère de tous les mouvements de libération à travers le monde ». (120).
Il s’agissait là, effectivement, d’un hommage significatif rendu à Healy par l’un des principaux dirigeants du mouvement national palestinien. La Socialist Labour League et le Workers Revolutionary Party (WRP), dirigés par Healy, s’opposaient à l’État d’Israël, à sa persécution des masses arabes et à ses prétentions à défendre les intérêts de la classe ouvrière juive et à parler à son nom. Healy n’a jamais accepté le sionisme sous quelque forme que ce soit, même ses variantes ouvrières soi-disant «de gauche», comme une sorte de solution progressiste aux crimes historiques perpétrés contre les Juifs. Il le considérait comme une entreprise coloniale, une création de l’impérialisme britannique et américain, et qui était, comme Trotsky l’avait prédit, un «piège pour les Juifs» et une monstruosité pour les masses arabes.
Dans les années 1970 et 1980, la défense des luttes anticoloniales, y compris celle des Palestiniens, par Healy, autrefois fondée sur des principes, a pris un caractère ouvertement opportuniste. Healy et le Workers Revolutionary Party se sont adaptés au nationalisme bourgeois arabe. Ils ont apporté un soutien sans réserve à des personnalités telles que Yasser Arafat et Mouammar Kadhafi, ont noué des relations politiquement dénuées de tout principe et ont compromis l’indépendance politique de la classe ouvrière. Ces politiques ont rencontré une opposition déterminée au sein du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et ont été un facteur majeur de sa lutte contre Healy et le WRP et de sa scission d’avec eux en 1985-1986.
Cependant, le Comité international n'a jamais répudié tout ce qui était politiquement correct et fondé sur des principes dans la défense de la lutte du peuple palestinien contre l'impérialisme et ses clients sionistes. Il convient de noter que la biographie de Beatty a complètement ignoré toutes les questions politiques qui sous-tendaient la lutte de 1982 à 1986 au sein du CIQI.
Conclusion
Tout comme Beatty s’efforce de cacher la raison de son intérêt pour Healy et le trotskysme britannique, il ne donne pas non plus d’explication sérieuse sur les raisons qui l’ont poussé à étudier Israël et l’histoire juive. En réponse à une question lors d’un podcast du New Books Network en avril, sur ce qui l’a attiré vers ce sujet, Beatty, qui a commencé l’université à l’âge de 24 ans, a déclaré: «Juste avant l’université, pour une raison quelconque, je me suis beaucoup intéressé à l’histoire du Moyen-Orient, et à l’époque, je pensais que c’était simplement parce que j’en avais vraiment marre de l’histoire irlandaise. […] Je trouve que c’est une partie du monde vraiment fascinante ».
Tous les historiens savent pourquoi ils ont choisi telle ou telle spécialité. Leurs explications sont longues et détaillées. Si Beatty n’en parle parle, c’est parce qu’il ne le veut pas. Certains pourraient soupçonner que sa réticence à fournir une explication détaillée, sinon crédible, des origines de sa promotion obsessionnelle d’une équivalence frauduleuse entre histoires irlandaise et israélo-sioniste suggère l’existence d’une relation cachée d’un caractère résolument non scientifique. Mais c’est une question sur laquelle nous n’avons aucune information précise et, par conséquent, sur laquelle nous ne pouvons pas nous prononcer.
Mais ce que nous pouvons affirmer, sans équivoque, c'est que l'attaque de Beatty contre Healy et le mouvement trotskyste est le travail politiquement réactionnaire d'un charlatan universitaire, malhonnête et sans scrupules.
(Article paru en anglais le 19 novembre 2024)
Notes :
[1]
Apple Podcasts. “Aidan Beatty and Dan O’Brien, ‘Irish Questions and Jewish Questions: Crossovers in Culture’ (Syracuse UP, 2018).” Accessed November 18, 2024. https://podcasts.apple.com/us/podcast/aidan-beatty-and-dan-obrien-irish-questions-and/id425369034?i=1000652230654.
“Aidan Beatty -'Belfast in Not Here': Israel’s Perspective on the Northern Irish Peace Process - YouTube.” Accessed November 18, 2024. https://www.youtube.com/watch?v=nsT1EoXv48M.
“Body and Soul of the Nation – Early 20th Century Irish Nationalism and Zionism – The Irish Story.” Accessed November 18, 2024. https://www.theirishstory.com/2013/02/05/body-and-soul-of-the-nation-early-20th-century-irish-nationalism-and-zionism-as-ideologies/.
Apple Podcasts. “Aidan Beatty and Dan O’Brien, ‘Irish Questions and Jewish Questions: Crossovers in Culture’ (Syracuse UP, 2018).” Accessed November 18, 2024. https://podcasts.apple.com/us/podcast/aidan-beatty-and-dan-obrien-irish-questions-and/id425369034?i=1000652230654.