La répression policière et militaire s’intensifie en Nouvelle-Calédonie à l’approche des élections françaises

Alors que la Nouvelle-Calédonie, colonie du Pacifique, est toujours en proie à des troubles liés à la domination française, une rafle policière a abouti mercredi matin à l’arrestation de onze militants kanaks indépendantistes. L’opération comprenait une perquisition au siège de l’Union Calédonienne (UC), le plus grand parti indépendantiste, à Nouméa.

Policier anti-émeute à Nouméa, Nouvelle-Calédonie [AP Photo/Ludovic Marin]

Selon le bureau du procureur de la République, les membres du groupe ont été détenus et interrogés pendant 96 heures. Ils font face à plusieurs chefs d’accusation potentiels, dont la destruction organisée de biens et de propriétés et l’incitation aux crimes et aux meurtres ou tentatives de meurtre d’agents dépositaires de l’autorité publique.

Parmi les personnes inculpées figure Christian Tein, chef du CCAT (Comité de coordination de l’action sur le terrain), considéré comme le principal groupe organisateur des émeutes du mois dernier. Tein a été arrêté alors qu’il s’apprêtait à tenir une conférence de presse dans les bureaux du CCAT, situés dans le bâtiment abritant le siège de l’UC. Reine Hue, une responsable de l’Union Calédonienne (UC), a déclaré que la police «est entrée dans les bureaux et a pris des photos, notamment de documents».

L'UC a immédiatement appelé «tous les groupes du CCAT ainsi que nos jeunes à rester calmes et à ne pas répondre aux provocations sur le terrain ou sur les médias sociaux». Le CCAT a également publié un communiqué exhortant «tous les militants indépendantistes à ne pas répondre à cette nouvelle provocation, à démontrer notre détermination et à ne pas tomber dans le piège de cette manœuvre coloniale d’un autre temps».

Solidarité Kanaky, un réseau indépendantiste en France, a dénoncé la «criminalisation du CCAT» et les «arrestations abusives, qui répondent une fois de plus aux attentes des loyalistes [pro-français] les plus radicaux». Le collectif a exigé une visite urgente d’une mission des Nations Unies et «une enquête indépendante pour établir la vérité et la justice pour les personnes assassinées et blessées au cours des dernières semaines».

Les arrestations ont la marque d’une nouvelle provocation politique de l’État français. La rafle a eu lieu deux semaines avant le premier tour des élections à l’Assemblée nationale française, le 30 juin. Convoquées par le président Emmanuel Macron, ces élections anticipées se déroulent dans un contexte de net virage à droite des élites dirigeantes françaises, à la suite de la forte progression des partis d’extrême droite lors des récentes élections parlementaires européennes.

Alors que l’establishment politique français prépare une guerre intensifiée contre la classe ouvrière à l’intérieur du pays et une guerre impérialiste à l’étranger, il cherche à resserrer son emprise sur son territoire stratégiquement important du Pacifique. L’adoption par l’Assemblée nationale, le 13 mai, d’un amendement constitutionnel qui vise à élargir le vote électoral du territoire et à permettre aux immigrés récents de voter aux élections locales a provoqué une éruption de colère sociale de la part de milliers de jeunes Kanaks.

Les partis indépendantistes affirment que l’amendement diluera le vote des autochtones kanaks, qui représentent plus de 40 pour cent de la population. Les troubles ont dévasté la capitale Nouméa et la colonie est sous le joug d’une opération policière et militaire répressive. Neuf personnes, dont sept Kanaks, ont été tuées, des centaines, blessées et plus de 1.200, arrêtées. Près de 3.700 membres des forces de sécurité françaises resteront sur place aussi longtemps que nécessaire pour imposer «l'ordre républicain», selon Macron.

Levant l’état d’urgence de 12 jours le 28 mai, Macron a demandé aux dirigeants indépendantistes d’user de leur influence pour obtenir le démantèlement des barrages de manifestants autour de l’île principale. Tein a été l’un de ceux qui ont répondu à l’appel. Sur les réseaux sociaux, le lendemain de l’acceptation d’une invitation à rencontrer Macron lors de sa visite à Nouméa le 23 mai, Tein – précédemment surnommé «l’ennemi public numéro un» – avait demandé l’assouplissement des mesures de sécurité pour lui permettre de parler aux militants.

Malgré l’opération de sécurité massive et la pression exercée par Macron, la rébellion n’a pas été maîtrisée. Le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste, indépendantiste) a admis qu’il n’avait pas réussi à persuader les manifestants de lever les barrages routiers parce que les jeunes militants n’étaient pas convaincus que Macron renoncerait à la réforme électorale. La semaine dernière, Macron a confirmé qu’il avait «suspendu», mais pas retiré, l’amendement litigieux.

Le FLNKS est une alliance de quatre partis et sous-groupes indépendantistes, dont l’UC. Il représente les intérêts d’une couche privilégiée qui a bénéficié des accords dits de «partage du pouvoir» dans le cadre de l’accord de Nouméa (1998) et qui fait désormais partie de l’establishment politique local. Dans une lettre adressée à l’équipe de négociation de Macron le 4 juin, le FLNKS a déclaré que le refus de Macron d’abandonner la réforme «représente une réelle difficulté et empêche nos militants d’entendre l’appel au calme et à l’apaisement».

Au milieu des tensions qui secouent cette colonie de 270.000 habitants, deux sièges de l’Assemblée nationale sont disputés par les factions indépendantistes et anti-indépendantistes officielles. Les élections anticipées exacerbent des divergences de longue date au sein du mouvement indépendantiste et élargissent les fractures entre les partis anti-indépendantistes.

Du côté pro-français, «Calédonie ensemble» (CE) est en compétition avec une alliance électorale de deux partis de droite: les partis les Loyalistes et le Rassemblement-Les Républicains qui se sont partagé les deux circonscriptions – l’une regroupant Nouméa et les îles Loyauté et l’autre couvrant le reste de l’île principale de Grande Terre.

La décision de reporter le congrès du FLNKS le 15 juin a empêché la principale coalition indépendantiste de se mettre d’accord sur des candidats communs. Depuis, l’UC en a désigné deux: Omayra Naisseline pour la première circonscription et Emmanuel Tjibaou, fils de feu Jean-Marie Tjibaou, président fondateur du FLNKS, pour la seconde. Une série de petits groupes ont présenté des candidats dans les deux circonscriptions.

Le report du congrès du FLNKS a mis à nu les tensions croissantes entre sa faction prétendument «dure», essentiellement l’UC, et les partis plus «modérés» menés par le Parti de libération kanak (PALIKA).

Le congrès s’est tenu dans le village de Netchaot, sous la responsabilité du PALIKA. Radio NZ a rapporté qu’après l’arrivée tardive de la délégation de l’UC, les dirigeants des partis se sont réunis à huis clos et ont annoncé que le congrès, y compris un débat prévu sur des «points sensibles», n’aurait pas lieu.

Un groupe important de militants du CCAT avait été gardé à l’extérieur, dans l’intention de participer avec le soutien de l’UC. Mais les hôtes et les organisateurs ont clairement fait savoir que cela était inacceptable et pouvait être considéré comme une tentative de prise de contrôle du FLNKS par le mouvement. Avant le congrès, le CCAT avait organisé sa propre assemblée générale sur deux jours, avec plus de 300 participants.

Les composantes «modérées» du FLNKS et les organisateurs ont déclaré que si le congrès reporté devait reprendre à une autre date, tous les barrages routiers encore en place dans toute la Nouvelle-Calédonie devraient être levés.

Charles Wea, porte-parole du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, a déclaré à RNZ cette semaine que le FLNKS et le mouvement dans son ensemble souhaitaient un «processus solide» menant à l’indépendance. «Toute l’agitation et tous les troubles sont le résultat de l’ignorance du gouvernement français», a-t-il déclaré. «Nous ne pouvons pas avoir la paix sans l’indépendance du pays.»

En fait, toutes les factions du mouvement kanak ont été mises à nu par le soulèvement social qui a éclaté par le bas et hors de leur contrôle. Les émeutes ont des racines bien plus profondes que les frustrations non résolues liées à l'indépendance. La crise survient à un moment où les troubles économiques et le mécontentement social s’intensifient. Le chômage des jeunes atteint 26 pour cent, touchant principalement les jeunes Kanaks.

Tout programme bourgeois d’«indépendance» nationale, dans un contexte d’escalade des antagonismes impérialistes et de mesures d’austérité capitaliste, est une impasse. Aucun des pays fragiles et appauvris des îles du Pacifique n’est totalement indépendant et ne peut l’être. Tous dépendent fortement de l’aide des puissances impérialistes et leurs gouvernements sont soumis à l’ingérence systématique de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis et de la France.

Les travailleurs et la jeunesse démocrates de Nouvelle-Calédonie ne peuvent obtenir des droits démocratiques et un niveau de vie décent qu’en s’armant d’un programme fondé sur l’indépendance politique totale de la classe ouvrière vis-à-vis de tous les partis et représentants des élites dirigeantes. Ce programme doit viser à abolir le système de profit capitaliste et à réorganiser la société selon des principes socialistes.

Un tel programme nécessite un mouvement à la fois socialiste et international – aucun des problèmes de la Nouvelle-Calédonie ne peut être résolu à l’intérieur des frontières de la Nouvelle-Calédonie, mais seulement par une lutte unifiée avec les travailleurs de tout le Pacifique et de la France métropolitaine elle-même.

(Article paru en anglais le 22 juin 2024)

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