Les tensions régionales s’aggravent en raison de la crise en Nouvelle-Calédonie

Alors que le résultat des élections françaises du 7 juillet reste incertain, que les partis du Nouveau Front populaire (NFP) sont engagés dans d’âpres luttes de factions internes et que l’élite dirigeante manœuvre pour former un gouvernement d’extrême droite, la crise qui enveloppe la colonie française de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique ne cesse de s’aggraver.

Les élections anticipées ont été une débâcle pour le président Emmanuel Macron, dont la coalition «Ensemble» est arrivée en deuxième position derrière le NFP de Jean-Luc Mélenchon. Les électeurs se sont mobilisés à la fois contre Macron, le «président des riches», et contre le Rassemblement national (RN) d’extrême droite, témoignant d’un large sentiment de gauche et d’un rejet du néofascisme parmi les travailleurs et les jeunes.

En Nouvelle-Calédonie, l’élection a donné lieu à une vague de soutien aux candidats indépendantistes contre la décision de Macron de faire adopter par le Parlement français une modification des règles d’éligibilité pour les élections locales du territoire qui, selon le mouvement indépendantiste, marginaliserait encore davantage le vote des autochtones.

Emmanuel Tjibaou de l’Union calédonienne a remporté la circonscription du Nord, majoritairement kanak, devenant ainsi le deuxième indépendantiste kanak, et le premier depuis 1986, à entrer à l’Assemblée française. Dans la deuxième circonscription, le député profrançais Nicolas Metzdorf a conservé de justesse son siège face à l’indépendantiste Omayra Naisseline.

Après plus de deux mois de troubles violents dans le cadre d’une opération autoritaire menée par plus de 3.700 membres des forces françaises, la rébellion, qui est en grande partie le fait de jeunes Kanaks appauvris, n’a pas été étouffée. La semaine dernière, un nouveau lot de véhicules blindés et de camions de pompiers a été livré aux forces de sécurité. Entre-temps, cinq dirigeants indépendantistes arrêtés le 22 juin et expulsés vers des prisons de France métropolitaine y sont toujours en attente de leur procès.

Policier antiémeute à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie [AP Photo/Ludovic Marin]

La répression a fait sa dixième victime le 10 juillet lors d’un échange de coups de feu dans le village de Saint-Louis, près de la capitale Nouméa, entre Kanaks et gendarmes français. Les autorités ont immédiatement rejeté la responsabilité sur la victime, un neveu de Roch Wamytan, éminent homme politique indépendantiste et président du Congrès local, en affirmant qu’il avait tiré sur les gendarmes, qui ont ensuite riposté.

Le procureur Yves Dupas a affirmé qu’un groupe de «tireurs d’élite armés», dont faisait partie la victime, était entré dans l’église Saint-Louis, d’où ils avaient ouvert le feu. Des échanges de tirs avaient également été signalés la veille, lorsque les forces de sécurité avaient lancé une opération visant à démanteler des barrages routiers et des barricades dans le bastion indépendantiste.

Nic Maclellan, correspondant d’Islands Business, a déclaré à RNZ Pacific que la région avait une longue histoire coloniale. En 1878, une révolte avait éclaté dans le nord et le centre du pays. Alors que les militaires français attaquaient les villages, la population s’était réfugiée dans les faubourgs de la capitale. Saint-Louis est l’une des zones où s’étaient réfugiés les survivants des conflits passés. «C’est une communauté forte, en grande partie kanake», a déclaré Maclellan.

L’église de Saint-Louis a été incendiée la semaine dernière, ainsi que le presbytère et la résidence de la mission catholique. Dans le village de Vao, sur l’île des Pins, une autre mission catholique emblématique a été détruite par un incendie criminel. Le président indépendantiste de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, a condamné ces actes criminels «irresponsables», estimant qu’ils portaient atteinte aux valeurs de «fraternité et de partage sur lesquelles repose la société calédonienne».

En réalité, les émeutes ont éclaté en dehors du contrôle des dirigeants indépendantistes officiels et reflètent la colère générale face à la pauvreté, aux inégalités et à l’exclusion sociale. La rébellion continue de défier à la fois la répression sécuritaire et les pressions exercées par Macron sur l’establishment politique de la Nouvelle-Calédonie pour la mettre au pas. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), mouvement quadripartite, a admis le mois dernier qu’il n’avait pas réussi à persuader les manifestants de lever les barrages routiers parce que les rebelles n’étaient pas convaincus que Macron abandonnerait la réforme électorale.

Les appels à diviser le territoire en provinces pro- et anti-indépendance sont maintenant poussés par Sonia Backès, la présidente pro-française de l’Assemblée provinciale de la province Sud, qui comprend les banlieues aisées de Nouméa. Selon elle, le projet d’une Nouvelle-Calédonie institutionnellement unie et fondée sur le vivre-ensemble est «révolu». Backès a insisté sur le fait que lorsque deux forces opposées sont convaincues qu’elles défendent légitimement leurs valeurs, elles sont confrontées à un choix: «se battre jusqu’à la mort ou se séparer pour vivre».

Un tel programme ne peut être mis en œuvre que par une répression massive de l’État et des politiques ouvertement racistes à caractère d’apartheid.

La détermination de l’impérialisme français à renforcer son emprise sur la colonie du Pacifique fait monter les tensions dans toute la région. Le Forum des îles du Pacifique (FIP) souhaite envoyer une délégation en Nouvelle-Calédonie pour enquêter sur la crise avant la réunion des dirigeants du FIP qui se tiendra à Tonga en août. Le Président du Forum et Premier ministre des îles Cook, Mark Brown, a déclaré que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, membre du FIP, avait demandé l’envoi d’une telle mission, mais il a souligné qu’il «faudra le soutien du gouvernement français pour que la mission puisse avoir lieu».

Le Groupe Fer de lance mélanésien (GFL), formé en 1986 par la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Fidji, Vanuatu et les Îles Salomon pour soutenir la décolonisation, a carrément accusé la France d'être responsable des émeutes et lui a demandé de renoncer à la réforme électorale. Les dirigeants du GFL, qui se sont réunis en marge de la réunion des dirigeants des îles du Pacifique (PALM10) à Tokyo la semaine dernière, ont demandé à la France d’autoriser une mission du GFL des Nations unies à évaluer la situation politique et à «proposer des solutions».

Les dirigeants du GFL ont exprimé leur vive opposition à la «militarisation apparente» du territoire français et ont déclaré que l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle visant à «dégeler» les listes électorales pour les élections provinciales «a précipité le carnage qui s’en est suivi». Soutenus par Brown, ils ont appelé la France à organiser un nouveau référendum sur l’indépendance en raison de leur «mécontentement» à l’égard du troisième référendum de 2021, qu’ils considèrent comme une «décision forcée et unilatérale de l’État français». Ce référendum, boycotté par les indépendantistes, a été voté à 96 pour cent pour rester dans l’Hexagone.

S’exprimant lors de la réunion du PALM, le ministre néo-zélandais des Affaires étrangères, Winston Peters, a également remis en question la légitimité du troisième référendum, affirmant qu’il était peut-être techniquement conforme à l’accord de Nouméa de 1998, mais qu’il n’en avait «pas l’esprit». Peters a vivement critiqué la France pour avoir fait adopter la loi sur le vote, estimant qu’elle avait aggravé «le sentiment de préjudice démocratique pour les forces indépendantistes». En Nouvelle-Calédonie, a-t-il déclaré, «nous espérons voir plus de diplomatie, plus d’engagement, plus de compromis».

Peters, dont la carrière politique est fondée sur le nationalisme, le chauvinisme anti-immigré et la langue de bois populiste, ne se préoccupe pas des gens ordinaires en Nouvelle-Calédonie ou ailleurs. Sa principale mission est d’intégrer pleinement la Nouvelle-Zélande dans l’alliance militaire en expansion dirigée par les États-Unis dans l’Indo-Pacifique et de préparer la guerre contre la Chine. À cette fin, il a effectué quatre tournées dans le Pacifique depuis décembre afin de mettre au pas les petites nations du Pacifique.

Il existe également des tensions de longue date entre la Nouvelle-Zélande et la France, qui ont des intérêts impérialistes concurrents dans le Pacifique. En 1985, dans un acte de terrorisme d’État, des agents des services secrets français ont bombardé et coulé le Rainbow Warrior, un navire de Greenpeace amarré dans le port d’Auckland, tuant un membre de l’équipage. Le navire s’apprêtait à protester contre un essai nucléaire français sur l’atoll de Mururoa, près de Tahiti.

Peters et sans aucun doute toutes les élites politiques locales craignent avant tout que la gestion provocatrice de la crise par Paris n’exacerbe le mécontentement populaire dans toute la région. Les émeutes de Nouvelle-Calédonie, qui font suite à des explosions meurtrières similaires en Papouasie-Nouvelle-Guinée en janvier et dans les îles Salomon en 2021, ont des racines plus profondes que les frustrations liées à l’indépendance.

L’escalade des tensions économiques et sociales alimente la crise. Avec la chute des cours mondiaux du nickel, l’industrie minière et métallurgique du nickel, cruciale pour le territoire, est dans la tourmente, confrontée à la concurrence de plus en plus agressive de producteurs mondiaux émergents tels que l’Indonésie et la Chine. Des centaines d’emplois ont déjà été supprimés et des milliers d’autres sont menacés. Des affrontements ont déjà éclaté entre les forces de sécurité et les travailleurs opposés à une restructuration profonde de l’industrie imposée par Paris.

Toute la région est en train de devenir une poudrière sociale. La prédécesseure de Peters, la travailliste Nanaia Mahuta, a tiré la sonnette d’alarme dans une interview datant de juillet 2022 au sujet des troubles dans le Pacifique, dans un contexte de tensions géostratégiques. Soulignant le mouvement explosif de la classe ouvrière et des pauvres des zones rurales dans le contexte de l’effondrement social et économique du Sri Lanka, Mahuta a insisté sur la nécessité de tirer les «leçons» des conséquences de la «vulnérabilité» économique, et a parlé de la nécessité de se préparer à de futures interventions militaires.

La Nouvelle-Calédonie est à l’ordre du jour du sommet du FIP qui se tiendra le mois prochain. Les puissances locales, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, joueront probablement un rôle clé dans les délibérations. À Paris, le lobby indépendantiste cherchera à obtenir le soutien du NFP, qui s’oriente vers la droite, pour une «solution» négociée à la crise. Quel que soit le résultat, rien ne sera fait pour atténuer la crise sociale qui alimente la rébellion actuelle.

(Article paru en anglais le 24 juillet 2024)

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