Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie installe un président anti-indépendantiste

Après la chute du gouvernement de Nouvelle-Calédonie la veille de Noël, le gouvernement de la colonie française du Pacifique a nommé à la tête du pays un loyaliste anti-indépendantiste. Alcide Ponga, 49 ans, est le premier autochtone kanak à diriger le parti pro-France Le Rassemblement.

Le président néo-calédonien Alcide Ponga [Photo: Facebook/Alcide Ponga]

Ponga a été nommé par le nouveau comité exécutif du Congrès le 8 janvier, en remplacement du président sortant Louis Mapou, du Parti de libération kanak (Palika), un parti indépendantiste. Mapou avait déclaré avec amertume : « C'est un sale coup politique porté au pays. »

Le Rassemblement, affilié au parti de droite Les Républicains (LR) en France, est allié au bloc « Loyaliste » de la colonie qui comprend Les Républicains calédoniens (LRC), Générations NC et le Mouvement populaire calédonien (MPC). Soutenus par les expatriés français les plus riches, notamment les descendants de colons connus sous le nom de Caldoches, et par l'élite des affaires, ils sont en grande majorité de droite et farouchement anti-indépendantistes.

Issu d'une famille kanake de premier plan, Maurice Ponga a étudié les sciences politiques en France et a fait carrière dans l'industrie du nickel avant de se lancer en politique en 2014. Son oncle, Maurice Ponga, a été ministre dans les deux premiers gouvernements formés après l'accord de Nouméa de 1998, au cours duquel les politiciens anti-indépendantistes détenaient la majorité au sein de l'exécutif. Il fut membre du Parlement européen de 2009 à 2019.

En juillet dernier, Alcide Ponga a été battu aux élections législatives anticipées, qui ont vu une forte hausse des voix en faveur des indépendantistes du territoire. Se présentant dans la circonscription du Nord, dont il est originaire, à forte majorité kanake, Ponga a été battu de justesse par Emmanuel Tjibaou, du parti indépendantiste Union calédonienne (UC), avec 57,01 pour cent des voix contre 42,99 pour cent pour Ponga.

Le changement radical qui s'est produit au sein de l'establishment politique de la Nouvelle-Calédonie, après sept mois de troubles violents impliquant la jeunesse kanake pauvre et aliénée, est l'expression de ce que le WSWS a qualifié de « virage violent à droite de la politique bourgeoise dans le monde entier ». Il coïncide avec la démission du Premier ministre canadien Justin Trudeau à la suite de l'effondrement des gouvernements en Allemagne, en France et en Autriche.

Le gouvernement Mapou de la colonie a été renversé après la démission du ministre de l'Environnement et du Développement durable Jérémie Katidjo-Monnier, seul représentant du parti pro-France Calédonie Ensemble, et le refus de son parti de nommer un remplaçant.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, constitué de 11 membres, est composé des partis représentés au Congrès. Il fonctionne ostensiblement selon le principe proportionnel de « collégialité », ce qui implique que l'exécutif multipartite, qui comprend à la fois des partisans et des opposants à l'indépendance, travaille ensemble.

Cette entente est le fruit de l’accord de « partage du pouvoir » de Nouméa, lancé par le gouvernement socialiste français de Lionel Jospin en 1998, qui a mis fin à près d’une décennie de troubles civils. Les dirigeants nationalistes abandonnèrent leur lutte pour l’indépendance en échange d’une place au pouvoir et d’un accès à des opportunités commerciales, notamment une participation dans l’industrie vitale du nickel, tout en permettant à la France de maintenir le contrôle colonial global.

Le Congrès, composé de 54 membres, s’est réuni après Noël pour voter sur le nouveau cabinet. Le bloc des Loyalistes-Rassemblement, dont Ponga, a remporté quatre sièges. Une liste commune de l'ensemble anti-indépendantiste Calédonie (CE) et Eveil Océanien (EO) en a remporté deux ; les indépendantistes UC–Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) trois, et l'Union nationale pour l'indépendance (UNI) deux.

L’ascension de Ponga à la présidence intervint après l'échec de la première tentative de parvenir à une majorité. Le lendemain, lors d'une réunion controversée convoquée par le haut-commissaire français Louis Le Franc, Ponga l’emporta contre le candidat de l'UC Samuel Hnepeune par 6 voix contre 3.

Selon le correspondant d'Islands Business, Nic Maclellan, Hnepeune, un important homme d'affaires kanak et ancien directeur de la compagnie aérienne nationale Air Calédonie, a remporté les trois voix de sa faction UC-FLNKS. Cependant, les deux membres de l'UNI se sont abstenus, ce qui reflète les tensions actuelles entre l'UC et PALIKA, les deux plus grandes factions de la coalition FLNKS aujourd'hui éclatée.

Les mois de troubles ont provoqué une crise de pouvoir au sein de l’élite bourgeoise de la colonie, y compris au sein du mouvement indépendantiste lui-même. Bien qu’un certain « calme superficiel » soit désormais signalé, les émeutes ont fait 14 morts, des centaines d’arrestations, des entreprises fermées et mis l’économie à genoux. Quelque 6000 membres des forces de sécurité françaises restent déployés, faisant respecter ce que le président français Emmanuel Macron a précédemment qualifié d’« ordre républicain ».

Des tensions subsistent au sein du bloc pro-français. Philippe Dunoyer, membre du CE, a démissionné lorsqu'on ne lui a pas proposé le portefeuille des Finances et de l'Economie. Dunoyer et le CE avaient proposé un programme comprenant des réformes du marché, une nouvelle relation avec Paris et des coupes importantes dans les dépenses gouvernementales et la fonction publique, mais ils n'ont pas pu parvenir à un accord avec les Loyalistes et le Rassemblement.

Dans le contexte de troubles civils, le bloc indépendantiste officiel a subi une série de revers. Lors d'un vote surprise en août, le président du Congrès Roch Wamytan du FLNKS a été remplacé par Veylma Falaeo de l'EO. Les trois membres de l'EO avaient auparavant fourni une majorité à la faction indépendantiste, mais Falaeo obtint le soutien des Loyalistes pour faire basculer la faible majorité en leur faveur, lui permettant de prendre la présidence du Congrès.

La base électorale de l'EO est située dans la communauté du territoire français voisin de Wallis et Futuna et elle a cherché à promouvoir une « voie médiane » entre les blocs en lice. Les partis loyalistes ont déclaré leur « joie » à la fin des cinq années de présidence de Wamytan et ont dénoncé ce qu'ils ont décrit comme son « silence coupable face aux violences en cours depuis le 13 mai ».

La Nouvelle-Calédonie est confrontée à une crise économique immédiate, avec des dommages estimés à 2,2 milliards d'euros. Le versement d'urgence de 231 millions d'euros du gouvernement français a été réduit d'un tiers. Le programme d'aide destiné à permettre aux services publics essentiels de continuer à fonctionner a été approuvé lors d'un vote de dernière minute à l'Assemblée nationale, juste avant que le gouvernement français du Premier ministre Michel Barnier ne soit rejeté par une motion de censure. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie n'a pas approuvé la troisième et dernière tranche d'un « programme de réformes » financières qui était une condition préalable à l'octroi de l'aide.

Rien n’a été fait pour résoudre les problèmes fondamentaux à l’origine des troubles, déclenchés par la pauvreté, les inégalités, le chômage et le désespoir social. La rébellion a mis en conflit une partie importante de la jeunesse kanake, non seulement avec l’oppression coloniale française, mais aussi avec l’establishment politique du territoire. Le mouvement indépendantiste officiel a été démasqué par le mouvement qui a surgi d’en bas et en dehors de son contrôle, ainsi que par les efforts ultérieurs de Macron pour le maîtriser.

En novembre, le FLNKS, un parti quadripartite, éclata après le début des négociations multipartites avec le gouvernement d'extrême droite de Michel Barnier sur l'avenir du territoire. À l'issue de congrès séparés, deux des composantes « modérées » du FLNKS, l'Union progressiste mélanésienne (UPM) et le PALIKA, ont déclaré qu'ils ne reconnaissaient pas la manière dont l'UC, de la « ligne dure », avait agi pendant les émeutes.

En réponse, le secrétaire général de l'UC, Dominique Fochi, déclara que le FLNKS était le « mouvement de libération nationale » reconnu comme représentant officiel du peuple kanak. « C'est le message que nous voulons transmettre aux Calédoniens et […] à l'État français », a-t-il déclaré. Il a insisté sur le fait que le FLNKS restait le seul « interlocuteur porteur de la voix du […] mouvement anticolonial sur l'avenir politique [de la Nouvelle-Calédonie] ».

Les négociations entre tous les partis, indépendantistes et anti-indépendantistes, et l'Etat français devaient initialement débuter avant Noël, mais la chute du gouvernement Barnier en décembre a mis un terme à tout cela. L'installation d'un nouveau gouvernement minoritaire dirigé par François Bayrou a renforcé la position de l'extrême droite.

Lors des élections françaises, la coalition de « gauche » du Nouveau Front populaire (NFP) dirigée par Jean-Luc Mélenchon, qui soutient désormais le nouveau gouvernement de l’extérieur, a lancé des appels creux au « dialogue » et au « consensus » sur la crise de la colonie. Pourtant, la cheffe de file de l’opposition, la fasciste Marine Le Pen du Rassemblement national, a déjà prévenu que la Nouvelle-Calédonie était « française » et qu’elle ne connaîtrait pas l’indépendance avant « 30 ou 40 ans ».

(Article paru en anglais le 13 janvier 2025)