Ceci est le deuxième article d’une série publiée par le Parti de l’égalité socialiste (SEP) du Sri Lanka à l’occasion du 50e anniversaire de sa fondation en juin 1968. Fondée sous le nom de Ligue communiste révolutionnaire (RCL), la section sri lankaise du Comité International de la IVe Internationale (CIQI), il a pris le nom de Parti de l’égalité socialiste (SEP) en 1996. Une déclaration a déjà été publiée pour marquerle congrès fondateur de la RCL du 16 au 17 juin 1968 (en anglais).
Ces articles développeront les fondements et les principes du RCL et tireront les leçons politiques essentielles de la lutte pour ces principes au cours des 50 dernières années. Le RCL a été fondé sur le programme et la perspective de l’internationalisme socialiste que le parti Lanka Sama Samaja, qui prétendait être un parti trotskyste, avait trahi en entrant dans le gouvernement bourgeois de Madame Sirima Bandaranaike en 1964.
La lutte pour la théorie de la révolution permanente de Trotsky, qui a établi que dans les pays à développement capitaliste tardif, seule la classe ouvrière est capable de mener la lutte pour les droits démocratiques et sociaux fondamentaux des ouvriers et des travailleurs agricoles dans le cadre de la lutte pour le socialisme international. Ces leçons sont essentielles pour les luttes émergentes de la classe ouvrière, non seulement au Sri Lanka, mais dans toute l’Asie et le monde.
Au lendemain de la Grande Trahison de juin 1964, lorsque le Parti Lanka Sama Samaja (LSSP) a rejoint le gouvernement bourgeois de Sirima Bandaranaike, le paysage politique du Sri Lanka a été submergé par une vague de confusion politique et de frustration dans toutes les catégories de travailleurs, les pauvres et les jeunes.
Cependant, même si le LSSP avait annulé le puissant mouvement des 21 revendications, l’agitation avait commencé à réapparaître parmi les travailleurs et en particulier parmi les étudiants et les jeunes.
Des grèves du secteur privé ont éclaté, notamment à l’usine de confection Velona, où plus d’un millier de travailleurs, principalement des femmes, ont été victimes de harcèlement de la part de la police. Des milliers d’étudiants de l’Université de Peradeniya ont défilé dans la ville voisine de Kandy pour soutenir la grève.
Le gouvernement de coalition de Bandaranaike, dont le LSSP et les dirigeants staliniens ont promis à tort qu’il apporterait le socialisme, n’a même pas duré jusqu’à la fin de 1964. Il a été renversé lors d’un coup de force parlementaire organisé par le United National Party (UNP).
Une fois l’UNP au pouvoir, la radicalisation politique s’est poursuivie. Plusieurs groupes politiques petits-bourgeois sont apparus parmi les étudiants et les jeunes ruraux, tels que Peradiga Sulanga (Vent de l’Est), Gini Pupura (Spark) et Rathu Tharuwa (Étoile rouge).
Parmi ces groupes se trouvait le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) dirigé par Rohana Wijeweera, qui avait étudié à l’Université Lumumba en Union soviétique. Son idéologie était tirée d’un mélange de maoïsme, de castrisme, de guévarisme et de populisme cinghalais. Tous ces groupes rejetaient le caractère international de la crise politique qui se développait au Sri Lanka et sur le plan international et le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière.
Le principal parti politique prétendant représenter la classe ouvrière était le parti Lanka Sama Samaja (révolutionnaire), ou LSSP (R), fondé par les délégués du LSSP qui avaient voté contre l’entrée dans le gouvernement de Bandaranaike.
La résolution de la faction anti-coalition au congrès du LSSP en juin 1964 qualifiait la collaboration avec le gouvernement bourgeois du SLFP de Bandaranaike de « violation flagrante du programme révolutionnaire du parti ». Cependant, en qualifiant la trahison du LSSP d’ « acceptation de ministères » dans le gouvernement de coalition, il justifiait le recul opportuniste du LSSP, dont ses pactes électoraux de non-opposition mutuelle avec le parti populiste cinghalais SLFP et son entrée au Front de gauche unifié avec le MEP communaliste.
En outre, le LSSP (R) est resté au sein du Secrétariat unifié pabliste, qui était politiquement responsable du retrait du LSSP des principes de l’internationalisme socialiste au cours de la décennie précédente. Le rejet du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière et de la nécessité de créer des partis de type bolchévique pour lutter pour l’indépendance politique de celle-ci contre toutes les agences de la classe dirigeante comme le nationalisme bourgeois, le stalinisme et la social-démocratie, était au centre de l’opportunisme pabliste.
Les membres fondateurs de la Ligue communiste révolutionnaire (RCL) s’étaient initialement tournés vers le LSSP (R), qui prétendait se battre pour le trotskisme contre la trahison du LSSP. C’est seulement sur la base de l’analyse avancée par le Comité international de la IVe Internationale (CIQI) que ceux qui ont formé la RCL en 1968 ont pu comprendre que les racines politiques de la trahison du LSSP résidaient dans sa perspective pabliste.
Les fondations historiques et internationales du Socialist Equality Party expliquent que « Les interventions du CIQI au Sri Lanka par le biais de la SLL (Socialist Labour League) », d’abord par Gerry Healy en juin 1964 et ensuite par Mike Banda, rédacteur en chef de la Newsletter de la SLL en décembre 1964, ont aboutit à la formation d’un groupe pro-CIQI au sein du LSSP (R). Le LSSP (R), cependant, était un environnement politique hostile… Lors de la première conférence du LSSP (R), l’ensemble des dirigeants se sont unis pour bloquer une résolution d’un sympathisant du CIQI pour débattre de la « question internationale » — autrement dit, la lutte menée par le CIQI contre le révisionnisme pabliste.
Gerry Healy, qui s'est rendu au Sri Lanka pour intervenir politiquement au Congrès du LSSP en juin 1964, a déclaré dans son écrit « Ceylan : la Grande Trahison » : «L'aile révolutionnaire du LSSP a maintenant la tâche historique de reconstruire le parti révolutionnaire à Ceylan (Sri Lanka). Ils le feront d'autant mieux quand ils comprendront sa relation avec le passé et romperont complètement avec le Secrétariat Unifié à Paris ».
La personne qui prit ce conseil au sérieux fut Wilfred Pereira, un membre du Comité central du LSSP (R), connu sous le nom de Spike, un trotskyste vétéran qui avait été membre du Parti bolchevique léniniste de l’Inde pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les jeunes qui ont rejoint le LSSP (R) ont dû apprendre, par leurs propres expériences, la clairvoyance de l’analyse du CIQI. Lors de la campagne pour les élections générales de 1965, ils ont constaté qu’ils n’avaient aucune réponse à la question : « Pourquoi les dirigeants du LSSP (R) n’avaient-ils pas mis en garde contre la trahison du LSSP avant qu’elle ne se finisse par se produire ? »
Le piètre résultat des élections du LSSP (R) a exacerbé la crise au sein du parti. V. Karalasingham, membre du LSSP (R), a exploité la situation pour entretenir des relations étroites avec les étudiants de l’université de Peradeniya en particulier. En décembre 1965, il avait fourni une aide juridique aux personnes jugées pour leur rôle dans la conduite d’une grève étudiante.
Karalasingham, dans sa brochure intitulée « Le gauchisme sénile », a critiqué les deux parlementaires du LSSP (R) qui se sont joint à l’UNP pour voter contre le discours du Trône de décembre 1964 renversant ainsi le gouvernement de Bandaranaike, appelant cela un « Himalayan Blunder » [une maladresse himalayenne — du titre d’un livre controversé de John Dalvie critiquant le déroulement de la guerre sino-indienne de 1962]. Il créa une nouvelle fraction centriste au sein du LSSP composé principalement d’étudiants, qui commença à publier un journal appelé Shakthi.
Le groupe Shakthi a poursuivi la politique pabliste visant à faire pression sur le LSSP et le CP, qui faisaient partie de la coalition dirigée par le LSSP, pour les faire aller « à gauche ». Le 1er mai 1966, Karalasingham publia une « Lettre ouverte » dans Shakthi qu’un nouveau gouvernement de coalition SLFP-LSSP-CP serait une alternative progressiste au régime actuel de l’UNP et « serait un pas sur la voie » d’un« véritable gouvernement révolutionnaire ».
Spike a soumis l’article à une critique cinglante. Il soulignait que le « régime intermédiaire » proposé par Karalasingham n’était qu’une séquence de gouvernements bourgeois et représentait « une capitulation devant la conscience existante dominant les couches les plus arriérées des masses anti-UNP ».
Révélant son intention réelle, Karalasingham a organisé une réunion secrète entre les principaux membres du groupe Shakthi et le secrétaire du LSSP, Leslie Gunawardena. Un ensemble de propositions a été élaboré qui prétendait de manière trompeuse être favorable aux membres de Shakthi et à sa ligne politique s’ils rejoignaient le LSSP — ce qui signifiait faire partie de sa coalition réactionnaire avec le SLFP.
Convoquant une réunion du groupe Shakthi, Karalasingham a déclaré que ses membres pourraient obtenir des postes de direction dans les syndicats et les organisations de jeunesse du LSSP. Il a faussement comparé cela à une « tactique d’entrisme », telle que l’avait sanctionnée Leon Trotsky.
Wije Dias, avec l’appui d’un autre membre du Shakhti, a rejeté la proposition, insistant sur le fait que cela reviendrait à annuler la décision prise en juin 1964 de s’opposer à la trahison du LSSP. Il a expliqué que le soutien du LSSP à une manifestation raciste anti-tamoule, organisée par le SLFP en janvier 1966, suffisait à confirmer le rôle totalement réactionnaire de la coalition. La réunion fut interrompue sans prendre de décision finale.
Plusieurs membres du groupe Shakthi ont eu l’occasion de rencontrer Tony Banda, un membre dirigeant de la SLL, qui était à Colombo à l’époque. Banda a expliqué le caractère opportuniste de la politique « d’entrisme » de Karalasingham et a mis les membres de Shakthi en contact avec Spike, qui menait une lutte pour le CIQI et un véritable trotskysme au sein du LSSP (R).
Ceux qui ont été attirés par la perspective du CIQI ont formé un nouveau groupe, baptisé Virodhaya, du nom du journal qu’il publiait. Banda est resté au Sri Lanka pendant plusieurs semaines pour présenter au groupe l’histoire essentielle de la lutte du CIQI contre le pablisme, notamment la scission de la IVe Internationale en 1953 et la lutte politique de la SLL contre la réunification du Socialist Workers Partx américain avec les pablistes en 1963.
Lors de ces discussions, Keerthi Balasuriya, le plus jeune membre du groupe Virodhaya, âgé de seulement 19 ans, s’est montré comme le plus fort défenseur théorique et politique du trotskysme et il fut incontestablement considéré comme le dirigeant du groupe lors de la création de la RCL.
Banda a insisté sur le fait qu’il fallait accorder une attention particulière au « Que faire ?» de Lénine où celui-ci s’attaquait au problème de construire un véritable parti révolutionnaire de la classe ouvrière. Il était nécessaire de contrer la myriade des groupes radicaux petits-bourgeois florissants à l’époque et qui prétendaient tous « adapter le marxisme à l’environnement national ». Leur conception nationaliste était sous-tendue par un mépris de la théorie et l’ insistance que ce qui importait c’était « les succès pratiques, et pas un tas de théorie ».
Répondant à un groupe opportuniste de son époque, Lénine déclarait : « On peut juger du manque de tact que montre le Rabotchéïé Diélo lorsqu'il sort d'un air triomphant cette définition de Marx : ‘Tout pas réel du mouvement pratique importe plus qu'une douzaine de programmes’. Répéter ces mots en cette époque de débandade théorique équivaut à clamer à la vue d'un cortège funèbre : ‘Je vous souhaite d'en avoir toujours à porter !’ ».
Le groupe Virodhaya est intervenu régulièrement pour dénoncer l’opportunisme des pablistes. Ses membres ont défié le dirigeant du Secrétariat unifié (S.U) Ernest Mandel, lors de sa conférence publique à Colombo en 1967. Interrogé sur le plus grand crime politique du 20e siècle, Mandel a ignoré l’assassinat de Léon Trotsky en 1940 et nomma le meurtre du président américain John Kennedy, un représentant politique de l’impérialisme américain.
Spike a utilisé une réunion des membres du LSSP (R) à laquelle participait Mandel, pour affronter le leader du S.U. Il a accusé ce dernier d’être « directement responsable de la dégénérescence et de la débâcle ultime du LSSP ». La réponse de Mandel fut de lancer une chasse aux sorcières contre Spike à propos d’un éditorial qu’il avait écrit six mois auparavant et où il condamnait Castro pour son attaque enragée de la Quatrième Internationale lors d’une Conférence Tri-Continentale.
Spike se défendit avec fermeté, déclarant que le chef du LSSP (R), Bala Tampoe, et le Comité central l’accusaient de « lèse-majesté contre Fidel Castro pour avoir douté de sa bonne foi révolutionnaire ». Il a déclaré qu’il avait critiqué Castro non pas en tant qu’individu ordinaire, mais en tant que « membre fier de la Quatrième Internationale, parti mondial de la révolution socialiste fondé par Léon Trotsky… J’ai osé critiquer Castro pour avoir tenté de tromper et de désorienter la classe ouvrière internationale et à commencer indirectement une chasse aux sorcières contre les trotskystes ».
Lors du congrès du LSSP (R) en avril 1968, Spike a proposé une résolution pour que le parti se sépare de la politique révisionniste du S.U et rejoigne le Comité international. Lorsque la résolution a été rejetée, Spike s’est séparé du LSSP (R) et a participé à la création de la RCL.
C’était pour le capitalisme mondial une période d’aggravation de sa crise politique et économique, qui toucha le Sri Lanka par la dévaluation de la roupie en 1967, la baisse des conditions de vie, l’agitation sociale croissante et une vague de grèves dans le secteur public.
Ces luttes au Sri Lanka ont coïncidé avec de puissantes batailles de classe au niveau international. Commencées par la grève générale des travailleurs français en mai et juin 1968 contre le régime de de Gaulle, les luttes révolutionnaires ont ensuite balayé l’Europe entre 1968 et 1975 ; avec le « Printemps de Prague » de 1968 en Tchécoslovaquie elles touchèrent aussi l’Europe de l’Est stalinienne. Les forces militaires américaines furent chassées du Vietnam. En Inde, en 1975, le gouvernement de Gandhi a eu recours à l’état d’urgence pour réprimer les grèves et les protestations des travailleurs et des ruraux pauvres.
Le congrès fondateur du RCL s’est tenu les 16 et 17 juin 1968. Il a discuté un rapport du troisième congrès du CIQI, tenu en 1966 en Grande-Bretagne. Au troisième congrès, la SLL s’était opposée à une tendance qui déclarait que la Quatrième Internationale avait été liquidée et devait être refondée. La SLL a insisté sur le fait que la continuité de la IVe Internationale avait été préservée grâce à la lutte politique continue contre toutes les formes d’opportunisme. La création de la RCL était la preuve vivante de l’importance capitale de la lutte du CIQI contre le révisionnisme pabliste du LSSP et du LSSP (R).
Lors du congrès fondateur de la RCL, la question clé était la conception selon laquelle la formation de la RCL représentait la fusion d’un courant révolutionnaire national au Sri Lanka – traçant son histoire à travers le LSSP, le LSSP (R) et Shakthi – avec le CIQI.
Keerthi Balasuriya s’est fermement opposé à cette position, soulignant que la continuité du mouvement politique résidait dans la lutte internationale du CIQI contre le pablisme, et non dans une tendance nationale. Il a précisé que la création de la RCL ne fut possible que grâce à l’intervention de la SLL, la principale section du CIQI, qui avait expliqué la trahison du LSSP comme faisant partie de l’impact du pablisme au plan international.
Le Congrès de la RCL a adopté à l’unanimité une résolution déclarant son plein accord avec la résolution de la SLL qui avait été adoptée lors du troisième congrès du CIQI. Il déclarait : « Ce Congrès exprime toute sa confiance dans la compétence du CIQI, acquise dans sa lutte constante pour le programme et la méthode de la Quatrième Internationale, à relever les nouveaux défis de la construction de la Quatrième Internationale en tant que direction prolétarienne centralisée ».
« Ce Congrès se consacre avec fermeté à la tâche de construire le parti de la révolution prolétarienne à Ceylan en tant que section du CIQI dans la lutte intransigeante contre toutes les formes de révisionnisme et déclare que cette tâche est indissociablement liée à l’intervention active dans la lutte de classes, au maximum de ses capacités, partout et en toutes circonstances. »
Le Congrès fondateur a élu à l’unanimité Keerthi Balasuriya premier secrétaire général du RCL.
À suivre
(Article paru d’abord en anglais le 26 septembre 2018)
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