Les deux chambres du Parlement allemand ont adopté la semaine dernière une loi autorisant le nouveau gouvernement à contracter plus de mille milliards d'euros de nouveaux emprunts. La classe dirigeante lance ainsi un programme de réarmement comparable à celui mené par l’Allemagne dans les années qui ont précédant la Première et la Seconde Guerre mondiale.
L'amendement constitutionnel adopté exempte désormais toutes les dépenses militaires supérieures à 1 pour cent du PIB du «frein à l'endettement», qui fixe des limites strictes aux nouveaux emprunts. Cela signifie que ces dépenses peuvent être augmentées sans aucune limite. Pour l’immédiat, elles doivent atteindre 500 milliards d'euros. Malgré la propagande officielle, le «fonds spécial d'infrastructure national, régional et local», élaboré par les partis de la nouvelle ‘grande coalition’ des chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et sociaux-démocrates (SPD), et soutenu par les Verts, sert lui aussi à préparer la guerre.
Ce plan de réarmement historique illustre le retour ouvert et agressif de la classe dirigeante allemande à ses anciennes traditions militaristes. Quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, celle-ci cherche à nouveau à militariser l'ensemble de la société afin de rendre l'Allemagne «bonne à la guerre» (selon le mot du ministre de la Défense sortant du SPD, Boris Pistorius) et d'organiser l'Europe sous sa direction. Par là, elle poursuit l'objectif de s'affirmer dans un conflit qui s'intensifie avec les autres grandes puissances, en particulier les États-Unis de Trump, et de faire de l'Allemagne une puissance militaire indépendante, tout en intensifiant l'offensive militaire contre la Russie.
Cette évolution révèle surtout le caractère de classe et l'orientation politique des partis dits «de gauche». Si le SPD et les Verts sont en quelque sorte les architectes du plan de réarmement, Die Linke a également voté en faveur des dépenses militaires massives au Bundesrat (le Conseil fédéral faisant office de chambre haute du Parlement). Bien que leurs voix n’aient pas même été nécessaires, les deux Länder où le Parti de gauche gouverne en coalition avec le SPD et les Verts (Brême), et avec le SPD (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale), ont voté en faveur de ces gigantesques dépenses d’armement.
Le Parti de gauche ne pouvait pas affirmer plus clairement son rôle de parti du capitalisme et de l'impérialisme allemand. Le soir des élections, son chef, Jan van Aken, avait déjà souligné que son parti était «prêt à dialoguer» afin de collaborer avec le futur chancelier de droite Friedrich Merz (CDU) et son projet de grande coalition avec le SPD sur leurs projets de lois. D'autres représentants du parti ont exprimé des points de vue similaires, affirmant d'emblée leur soutien aux plans de réarmement nonobstant certaines critiques.
Heidi Reichinnek, tête de liste du Parti de gauche aux élections législatives de février, l'a clairement indiqué dans une interview à la radio Deutschlandfunk quelques jours avant le vote au Bundesrat. Elle a clairement indiqué que le Parti de gauche soutenait lui aussi la levée partielle du frein à l'endettement, principalement parce qu'elle permettait de réarmer la Bundeswehr (forces armées). «Si nous réformons le frein à l'endettement, il y aura bien sûr une marge de manœuvre pour tous les postes budgétaires. Et bien sûr, nous affirmons aussi clairement que la Bundeswehr doit être équipée en conséquence en tant que force de défense.»
Parallèlement, elle a souligné que le Parti de gauche refusait simplement de donner un « chèque en blanc » au réarmement (qu'il a pourtant ensuite donné au Bundesrat). Cela masquait son objectif initial d'être directement impliqué dans les plans concrets lors d'un vote au Bundestag nouvellement constitué, non pas pour arrêter le réarmement, mais pour l'organiser le plus efficacement possible.
«Pourquoi ne pas discuter sereinement des besoins de la Bundeswehr afin de prendre ensuite les décisions budgétaires correspondantes?» a demandé Reichinnek, soulignant que: «C'est notre proposition.» «Ce fut toujours un argument fallacieux que de prétendre que nous ne sommes pas prêts à soutenir la Bundeswehr. C'est tout simplement faux», a-t-elle déploré.
Interrogée par Deutschlandfunk pour savoir si elle « serait réellement de la partie » dans « l'amélioration des capacités de défense de l'Allemagne », Reichinnek a répondu : « Nous n'avons jamais rejeté l'idée d’établir la Bundeswehr comme force de défense. » Elle a encore précisé qu'elle « ne savait toujours pas exactement d'où venait cette idée. Mais ce que nous disons clairement, c'est que nous ne voulons pas de réarmement excessif. Et si nous réformions le frein à l'endettement, je le répète, il y aurait une marge de manœuvre budgétaire dans tous les domaines. Nous y sommes prêts».
Concernant le «fonds spécial» de 100 milliards d’euros pour la Bundeswehr déjà convenu en 2022, elle a demandé :
Que lui est-il donc arrivé? Et comment se fait-il qu'après avoir investi tant d'argent, nous n'ayons toujours pas pris une longueur d'avance? Alors, que dire des contrats de conseil qui conduisent à l'achat d'équipements radio inadaptés aux chars, à l'achat de fusils tirant à gauche ou à droite, gaspillant ainsi des milliards?
Il était nécessaire d'aborder ces points dès maintenant, puis de «déterminer où se situent les besoins pour une organisation judicieuse de la Bundeswehr». On pouvait ici «prendre exemple sur la Finlande». Celle-ci faisait «quelque chose de similaire» et on savait « bien sûr, que des investissements sont nécessaires ».
La référence de Reichinnek à la Finlande en dit long. Depuis que ce pays a rejoint l'OTAN en 2023 et est devenu un État de première ligne dans l'offensive de l'OTAN contre la Russie, le budget militaire finlandais a plus que doublé, passant de 3,83 milliards de dollars (2021) à 7,35 milliards de dollars (2023). Il devrait dépasser les 11,5 milliards de dollars dans les années à venir. Avec une population de 5,5 millions d'habitants, la Finlande est 15 fois plus petite que l'Allemagne.
Pour parler franchement : le Parti de gauche approuve en réalité le « réarmement excessif » et c’est précisément pourquoi il l’a soutenu au Bundesrat. Il en va de même pour tous les autres « domaines » au centre de la politique de guerre allemande. Le 1er mars, par exemple, le comité exécutif du parti a exigé « une réduction de la dette de l’Ukraine » et « une levée du frein à l’endettement » afin de « libérer » suffisamment de fonds pour soutenir Kiev.
Le Parti de gauche soutient également explicitement le génocide israélien à Gaza, qui a déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes et vise à la recolonisation impérialiste de tout le Moyen-Orient. Reichinnek a elle-même déclaré lors d'un discours au Bundestag le 21 mars 2024 que le Hamas «n'est pas composé de combattants de la liberté, mais de terroristes qui doivent être désarmés. Nous devons tous être d'accord là-dessus.» Israël avait «naturellement le droit de se défendre».
Qu’y a-t-il derrière le militarisme du Parti de gauche, qui prend aujourd’hui des formes de plus en plus ouvertes et répugnantes?
« La raison réside non seulement dans ses dirigeants de droite, mais dans l’orientation politique et sociale et dans l’histoire du parti dans son ensemble», explique une analyse du WSWS sur le rôle réactionnaire du Parti de gauche.
Malgré son nom, le Parti de gauche n'a jamais été un parti socialiste, ni même de gauche. Il a toujours été une organisation bourgeoise qui représente les intérêts de l'appareil d'État et d'une classe moyenne supérieure aisée, défend le capitalisme et l'impérialisme allemand, et reçoit pour cela des postes ministériels et des subventions publiques se chiffrant en millions.
Toute la phraséologie du Parti de gauche ne peut occulter le fait que 1) ses prédécesseurs staliniens, SED et PDS, ont soutenu l'introduction du capitalisme en Allemagne de l'Est, condition préalable au retour du militarisme allemand. Et que 2) partout où il a gouverné ou gouverne au niveau régional avec le SPD et les Verts, il impose également avec agressivité les attaques menées contre la position sociale des travailleurs.
À Brême par exemple, la ministre régionale de la Santé du Parti de gauche Claudia Bernhard, qui a justifié son approbation du plan de réarmement par sa «responsabilité envers le Land de Brême», joue un rôle clé dans la mise en œuvre de la «réforme hospitalière» du ministre allemand de la Santé Karl Lauterbach (SPD), c'est-à-dire dans la fermeture d’hopitaux (article en anglais). Il est clair qu'au terme de l'orgie de réarmement désormais décidée, il ne restera plus rien des droits sociaux et démocratiques restants.
Les jeunes, en particulier ceux qui ont voté pour le Parti de gauche aux élections législatives de février afin d'envoyer un signal contre le militarisme et le fascisme, doivent regarder la réalité en face. Non seulement Die Linke n'est pas un parti qui lutte contre ces fléaux, mais c'est un parti qui promeut activement le réarmement, la guerre et les coupes sociales qui en découlent, et les impose face à une résistance croissante. C'est la leçon qu’il faut tirer de son vote du 21 mars 2025 approuvant les crédits de guerre.
(Article paru en anglais le 24 mars 2025)