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Jusqu’à tout récemment, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) était un organisme relativement obscur chargé d’interpréter et de mettre en œuvre les articles du Code canadien du travail s’appliquant aux industries réglementées par le gouvernement fédéral. Mais le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau, soutenu par le Nouveau Parti démocratique (NPD) et appuyé par les syndicats, vient de réinterpréter ses pouvoirs, de façon manifestement arbitraire, afin d’utiliser l’organisme pour réprimer les luttes des travailleurs et rendre illégales les grèves plutôt que de recourir comme auparavant à des méthodes parlementaires plus traditionnelles, telles que les lois de retour au travail.
L’establishment politique et la bureaucratie syndicale prétendent que le CCRI est un arbitre «neutre» entre les syndicats et le patronat, facilitant la conclusion de conventions collectives «justes» et «équilibrées» et aidant à maintenir la «paix sociale» lorsque deux parties s’affrontent. En réalité, le CCRI est une alliance tripartite entre la grande entreprise, la bureaucratie syndicale et le gouvernement. Son objectif est de réglementer et d’étouffer la lutte des classes dans l’intérêt de l’élite capitaliste.
Article 107: Le gouvernement Trudeau s’arroge de nouveaux pouvoirs pour rendre illégales les luttes ouvrières
Depuis le début de l’année, le ministre du Travail s’est servi du CCRI et d’une réinterprétation de l’Article 107 du Code canadien du travail pour s’arroger de nouveaux pouvoirs exécutifs afin de briser toute une série de grèves. La première a eu lieu chez WestJet, lorsque les mécaniciens de la compagnie aérienne ont débrayé en juillet. Le CCRI et l’Article 107 ont ensuite été déployés contre les cheminots des deux principaux réseaux ferroviaires du Canada – le Canadien Pacifique Kansas City et le Canadien National – à la fin du mois d’août. Et enfin, le mois dernier, le ministre du Travail Steve MacKinnon a unilatéralement mis fin aux grèves et aux lock-out dans les plus grandes installations portuaires du pays, en Colombie-Britannique et au Québec, en invoquant une nouvelle fois l’Article 107.
Sans opposition sérieuse de la part du NPD ou de l’appareil syndical, l’Article 107 du Code canadien du travail a été réinterprété par le gouvernement Trudeau afin de conférer au ministre du Travail des pouvoirs effectivement dictatoriaux par l’intermédiaire du CCRI. L’article stipule qu’il:
octroie au ministre du Travail le pouvoir de prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente ou le maintien de celle-ci dans le monde du travail et à «susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent». Il peut, à ces fins, renvoyer toute question au CCRI ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires.
Jamais avant cette année un ministre du Travail n’avait invoqué l’Article 107 pour ordonner au CCRI de mettre fin à une grève légale et imposer un arbitrage exécutoire – mettant ainsi en œuvre une forme de règlement par décret.
Même Lisa Raitt, l’ancienne ministre du Travail sous le premier ministre conservateur Stephen Harper et qui avait évoqué pour la première fois la possibilité d’utiliser l’Article 107 afin de mettre fin au mouvement de grève des agents de bord d’Air Canada en 2011, s’est sentie obligée de mentionner que le gouvernement Trudeau s’était arrogé de façon effrontée et illégale des pouvoirs de brisage de grève, déclarant aux actualités de CBC News en août dernier: «Vous pouvez certes essayer d’amener les parties à accepter l’arbitrage exécutoire. Vous pouvez même peut-être écrire au CCRI et lui demander d’imposer l’arbitrage exécutoire [...], mais jamais un ministre ne peut écrire une lettre pour dire que tout le monde doit retourner au travail et les envoyer en arbitrage exécutoire.
«Si vous me trouvez un avocat qui dit que cela est possible [pour le ministre d’ordonner aux parties de recourir à l’arbitrage], j’aurais bien aimé bénéficier de ses conseils il y a 15 ans de cela. Mais en ce qui me concerne, vous ne pouvez pas faire ça», a-t-elle ajouté.
Or, c’est pourtant ce que font les Libéraux, avec la complicité du NPD et de l’appareil syndical.
Comme fait remarquer David Doorey, professeur agrégé de droit du travail et de relations industrielles à l’Université York, dans un article sur le blogue The Law of Work publié en novembre, la déformation de l’interprétation de l’Article 107 par les Libéraux fait du ministre du Travail, quel qu’il soit, le «Roi des droits du travail, le Seigneur du CCRI et du Code, du moins tant qu’un tribunal n’en aura pas décidé autrement.
«Bien entendu, personne ne croit qu’il [l’Article 107] a été conçu pour donner au ministre du Travail le pouvoir illimité de réécrire le Code comme il le “juge nécessaire”. Ce serait absurde. C’est pourtant ce qui ressort clairement de son [l’Article 107] utilisation sans précédent par les Libéraux au cours des derniers mois, explique Doorey. Peu importe que l’on soit d’accord ou non avec l’opinion du ministre du Travail sur ce qui est perçu comme “nécessaire” pour promouvoir la paix sociale. Le CCRI n’a aucun pouvoir pour refuser de faire ce que le ministre du Travail lui ordonne. Point à la ligne.»
Alors que le débrayage national des 55.000 travailleurs de Postes Canada en est à sa quatrième semaine et que les fêtes de fin d’année approchent à grands pas, le gouvernement Trudeau brandit au-dessus de la tête des postiers cet outil de brisage de grève nouvellement concocté.
Qu’est-ce que le CCRI?
Créé en 1999 pour remplacer le Conseil canadien des relations du travail, le CCRI est actuellement composé de 17 membres siégeant à temps plein ou à temps partiel. Ces derniers sont nommés pour une durée déterminée par le gouverneur en conseil, sur recommandation du cabinet du Premier ministre, du Bureau du Conseil privé, du cabinet du ministre du Travail et d’un haut fonctionnaire du ministère du Travail.
Il va sans dire qu’aucune des personnes nommées au conseil ne représente de quelque façon que ce soit les intérêts des travailleurs. Toutes les personnes siégeant à temps plein au conseil d’administration perçoivent un salaire à six chiffres variant de 157.200 à 184.900 dollars et de 291.600 à 343.000 dollars, ce qui les place confortablement dans la fourchette des salaires les plus élevés. Ils se situent ainsi confortablement dans les 10% des salariés les mieux payés au Canada. Par ailleurs, les membres siégeant à temps partiel reçoivent une généreuse indemnité journalière allant de 925 à 1.295 dollars.
Parmi les 17 membres, on compte quatre «représentants des employeurs», issus des rangs des dirigeants d’entreprise et de leurs avocats, et quatre «représentants des salariés», qui sont exclusivement d’anciens hauts fonctionnaires syndicaux. Huit vice-présidents sont également issus de cabinets d’avocats d’affaires et de la bureaucratie syndicale.
La présidente Ginette Brazeau est une bureaucrate chevronnée de la fonction publique fédérale. Elle est passée par Industrie Canada, le ministère du Travail et le Service fédéral de médiation et de conciliation avant d’entrer au CCRI en 2008 et ensuite en être nommée présidente en 2014.
Les représentants des entreprises au sein du Conseil comprennent un ancien vice-président et directeur général de l’Association des manufacturiers canadiens, un ancien conseiller juridique principal de la Société canadienne des postes et des représentants des employeurs ayant de l’expérience chez Bell Canada, NAV CANADA, Canadien Pacifique et Heenan Blaikie, un ancien cabinet d’avocats très puissant dont les associés comptaient l’ancien Premier ministre libéral Pierre Trudeau et l’ancien chef du Parti conservateur Erin O’Toole.
Outre les membres du Conseil, le CCRI dispose également d’un Comité de consultation des clients, qui compte parmi ses membres syndicaux des représentants du Congrès du travail du Canada, des Teamsters, de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et d’Unifor.
Les représentants de la bureaucratie syndicale siégeant au conseil d’administration sont:
Le vice-président Roland Hackl, qui a été vice-président de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada de 2017 à 2019 jusqu’à sa nomination au conseil. Apprenant la nomination de Hackl, le président de Teamsters Canada, François Laporte, s’est réjoui de sa nomination à un «poste extrêmement important dans le monde des relations de travail».
Lisa Addario, représentante des employés, ex-conseillère juridique puis coordonnatrice à la Direction de la représentation de l’Alliance de la fonction publique du Canada avant de se joindre au Conseil en 2017.
Le représentant des employés Daniel Thimineur, directeur du service juridique du Conseil conjoint 91 des Teamsters de 1993 jusqu’à sa nomination au CCRI en 2018.
Le représentant des employés Paul Moist, président émérite du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). Après 12 ans à la tête du SCFP, Moist a pris sa retraite en 2015 et est devenu membre du CCRI en 2016. Il a été reconduit pour un nouveau mandat de trois ans à temps partiel à la fin de l’an dernier.
La représentante des employés Angela Talic, vice-présidente extraordinaire de l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU) Canada, qui a négocié au nom des débardeurs de la Côte ouest, de 2012 à 2014.
Il n’y a pas la moindre trace que l’un de ces prétendus «représentants des employés» se soit opposé, de quelque manière sérieuse que ce soit, par une protestation publique ou en menaçant de démissionner, à l’utilisation par le gouvernement libéral du CCRI et de l’Article 107 pour lancer un assaut de grande envergure contre le droit de grève – un assaut qui, de plus, implique une prise de pouvoir par le gouvernement, par le biais d’une «réinterprétation» manifestement fausse de la loi, avec des implications effrayantes pour l’ensemble des droits démocratiques.
En 2011, alors qu’il était président du SCFP, Moist s’était opposé à ce que la ministre conservatrice du Travail Raitt fasse appel au CCRI pour retarder une grève des agents de bord d’Air Canada en demandant un «examen des incidences sur la santé et la sécurité», dénonçant sa démarche comme «scandaleuse». Moist avait alors déclaré: «Sa justification est fallacieuse, et l’utilisation du Code canadien du travail et du CCRI de cette manière est indéfendable».
Maintenant député néo-démocrate, Moist n’émet plus de protestations aussi véhémentes alors qu’il siège confortablement au conseil d’administration avec sa pension de président de syndicat et que le gouvernement libéral déploie ses pouvoirs, non seulement pour retarder les déclenchements de grèves, mais aussi pour les briser purement et simplement.
Loin de toute protestation, Talic, qui a été admise au barreau de la Colombie-Britannique en 2022, s’est jointe au groupe de trois membres dirigé par Brazeau qui a appliqué l’ordre de MacKinnon de briser la grève du CPKC et du CN. Le jury a statué à l’unanimité que le CCRI n’avait pas le pouvoir de réviser les ordonnances du ministre, car «il n’a pas le pouvoir discrétionnaire ou la capacité de refuser de mettre en œuvre, en tout ou en partie, les directives du ministre ou d’en modifier les termes».
Tous demandent aux travailleurs de se soumettre aux diktats du CCRI de MacKinnon, tout en annonçant leur intention de «combattre» le gouvernement devant les tribunaux, par des contestations qui seront décidées dans plusieurs années et qui n’auront aucun impact sur les concessions imposées par les procédures d’arbitrage imposées aux travailleurs par le gouvernement.
Les syndicats n’ont pas appelé les «représentants des employés» du CCRI à critiquer et encore moins à quitter le Conseil, car ils veulent à tout prix maintenir le système de «négociation collective».
La raison en est claire. Le système de «négociation collective», dont le CCRI est un mécanisme clé, est inextricablement lié aux privilèges que la bureaucratie syndicale tire de son rôle de police de la lutte des classes. La bureaucratie syndicale sacrifie constamment les intérêts les plus fondamentaux de la classe ouvrière pour appliquer les règles et règlements du système de négociation collective conçu par l’État et favorable aux employeurs. Au début de la pandémie de la COVID-19, le syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce (TUAC) avait publiquement déclaré qu’il ne défendrait pas les travailleurs de l’industrie de la viande, confrontés à une infection par le virus potentiellement mortel, qui cesseraient de travailler afin de dénoncer des conditions de travail dangereuses, parce que cela violerait le «système de négociation collective».
Ces trahisons ne proviennent pas du fait que les gens en place dans les syndicats sont mauvais, mais bien de l’orientation essentiellement nationaliste de la bureaucratie syndicale qui cherche à protéger ses privilèges en défendant la réussite de «sa» classe dirigeante en veillant impitoyablement à ce que les conditions de vie et les moyens de subsistance des travailleurs soient subordonnés aux impératifs de l’accumulation du profit capitaliste.
Ces dernières expériences avec le CCRI montrent clairement que lorsque la classe ouvrière canadienne entre en lutte, elle doit non seulement lutter contre ses employeurs, mais aussi se débattre avec la camisole de force qui leur est imposée par les syndicats et l’alliance conclue entre les libéraux et les néo-démocrates, sous laquelle le CTC vise à subordonner leurs luttes. Quant aux conservateurs, dirigés par le fasciste Pierre Poilievre, ils sont tout aussi rapaces dans leur volonté de forcer la classe ouvrière à se soumettre aux exigences des grandes entreprises pour permettre à celles-ci d’accumuler des profits toujours plus importants.
À chaque fois que les travailleurs tentent de mener une véritable lutte pour leurs intérêts, ils sont invariablement conduits à mener un conflit frontal avec les bureaucraties syndicales. Pour faire de réels progrès, la classe ouvrière doit sortir du carcan syndical en formant des comités de base dans chaque lieu de travail, comme l’ont fait les grévistes de Postes Canada avec leur Comité de base des travailleurs des postes, afin de pouvoir mettre de l’avant un programme répondant véritablement aux besoins des travailleurs plutôt que de se soumettre à ce que la direction et le gouvernement disent être abordable.
En créant des comités de base, les travailleurs pourront unir leurs luttes partout au Canada et, plus important encore, s’unir avec leurs frères et sœurs à l’échelle internationale au sein de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) afin de lutter pour remettre le pouvoir entre les mains des travailleurs sur les lieux de travail.
(Article paru en anglais le 9 décembre 2024)