La publication pseudo de gauche Left Voice couvre le ralliement des bureaucrates syndicaux à Trump

De droite à gauche: la députée républicaine de l’Oregon Lori Chavez-DeRemer, le président élu Donald Trump et le président des Teamsters Sean O'Brien. [Photo: Sean O'Brien]

La tentative de l’administration Trump d’instaurer une dictature n’a pas seulement mis en évidence la déliquescence de la démocratie américaine. Elle a encore mis à nu la politique des groupes de la pseudo-gauche qui fonctionnent depuis des décennies comme des satellites du Parti démocrate et de la bureaucratie syndicale. Leur rôle dans la politique américaine est d’empêcher un mouvement indépendant de la classe ouvrière en promouvant une perspective sans issue : «faire pression» sur le Parti démocrate procapitaliste et sur l’appareil syndical.

La lutte pour défendre les droits démocratiques contre le gouvernement Trump exige que les travailleurs se libèrent du carcan de la bureaucratie syndicale. Comme l’a écrit le Parti de l’égalité socialiste dans sa déclaration du Nouvel An: « Ce n'est que dans la mesure où le pouvoir sera arraché des mains de la bureaucratie et transféré aux travailleurs de la base que les syndicats pourront être ressuscités en tant qu'instruments de la lutte des classes. »

Cela veut dire former des comités de la base pour renverser l’appareil et non le réformer, et construire un mouvement basé sur l’unité internationale de la classe ouvrière.

En opposition à ce programme, la publication moréniste Left Voice a récemment publié deux articles sur son site Internet pour donner une couverture «de gauche» à la bureaucratie et au Parti démocrate.

Le premier, «Le mouvement ouvrier américain est-il prêt pour Trump 2.0 ?», propose un faux mouvement « de base» sous le contrôle de la bureaucratie. L’utilisation même de la formule «mouvement ouvrier», à la fois dans le titre et au long de l’article, vise à effacer les divisions de classe entre les travailleurs et la bureaucratie. «Nous ne pouvons pas attendre que nos dirigeants nous dirigent [souligné par nous]», déclare Left Voice. «Mais nous pouvons construire notre pouvoir à partir de la base, en nous organisant sur nos lieux de travail.»

Il s’agit là d’une reprise des arguments sophistiques utilisés pour justifier le soutien au président des Teamsters [syndicat des chauffeurs routiers] Sean O’Brien et au dirigeant du syndicat de l’automobile United Auto Workers, Shawn Fain. Ces fonctionnaires de carrière pourraient, selon ce raisonnement, être poussés malgré eux à mener une lutte. Pour contribuer à renforcer ces illusions et à mener à bien la prochaine série de trahisons, la bureaucratie a fait entrer dans ses cercles dirigeants des membres des Socialistes démocratiques d’Amérique (DSA), de Labor Notes et d’autres forces pseudo-de gauche ayant promu ce récit faux et intéressé.

Le deuxième article, «Des semaines après avoir traité Trump de briseur de grève, le président de l’UAW est ‘prêt à travailler avec Trump’», est une apologie sans fard de l’adhésion de Fain à Trump dans une tribune du Washington Post du 19 janvier. Dans cet article, Fain déclarait que l’UAW espérait «trouver un terrain d’entente pour réviser nos politiques commerciales dévastatrices et reconstruire l’industrie manufacturière américaine». Il y ajoutait, «nous avons besoin d’un système de tarifs douaniers solide qui serve les intérêts nationaux et de la classe ouvrière».

Dans une déclaration plus récente, Fain a déclaré que l'UAW était «prêt à soutenir l'utilisation des tarifs douaniers par l'administration Trump pour arrêter les fermetures d'usines et limiter le pouvoir des entreprises qui opposent les travailleurs américains [à ceux] d'autres pays», tout en affirmant s'opposer à sa «politique anti-ouvrière aux États-Unis» et aux attaques contre les immigrants.

Avec ces déclarations, Fain réalise un canular politique en présentant les tarifs douaniers comme un avantage pour les travailleurs «américains». En réalité, ceux-ci visent à renforcer les entreprises américaines face à leurs rivales étrangères et à créer la division entre les travailleurs américains et leurs frères et sœurs du Mexique, du Canada, de Chine et d’ailleurs. Le coût énorme des tarifs douaniers, sous forme notamment de prix plus élevés, de rupture des chaînes d’approvisionnement mondiales et de suppressions d’emplois massives, seront imposés aux travailleurs des États-Unis comme à ceux de l’étranger.

En établissant une fausse distinction entre politique étrangère et politique intérieure, ainsi qu’entre guerre commerciale et attaques des immigrants, Fain tente de désarmer la classe ouvrière face à un assaut massif des trusts – et d’empêcher son unité mondiale.

Left Voice, qui couvre Fain, tient également un double discours. Même s’il prétend critiquer l’éditorial de Fain, il qualifie celui-ci de «l’une des figures les plus importantes de la nouvelle bureaucratie ouvrière progressiste».

En essayant de concilier une manière d’être à la fois «progressiste» et prêt à travailler avec les fascistes, Left Voice est obligé de mentir sur son bilan. Fain avait mené «les travailleurs de l’automobile des Trois Grands dans une grève» qui avait «permis aux travailleurs d’obtenir des avancées significatives», affirment-ils. En fait, depuis la grève perlée inoffensive de 2023 qui n’a affecté qu’une fraction de l’industrie automobile et fut coordonnée avec la Maison Blanche de Biden, des milliers de travailleurs de l’automobile ont perdu leur emploi et l’UAW n’a pas levé le petit doigt pour les défendre.

Falsification du marxisme

Left Voice est également obligé de déformer ce que le révolutionnaire russe Léon Trotsky a écrit sur les syndicats. Il cite le passage suivant du manuscrit inachevé de Trotsky de 1940, « Les syndicats à l’époque du déclin impérialiste», où il écrit que dans le capitalisme monopoliste,

les syndicats, dans les branches les plus importantes de l'industrie, se trouvent privés de la possibilité de profiter de la concurrence entre les diverses entreprises. Ils doivent affronter un adversaire capitaliste centralisé, intimement lié au pouvoir de l'Etat. De là découle pour les syndicats, dans la mesure où ils restent sur des positions réformistes – c’est à dire sur des positions basées sur l'adaptation à la propriété privée – la nécessité de s'adapter à l'Etat capitaliste et de tenter de coopérer avec lui.

Left Voice en conclut:

En d’autres termes, les bureaucraties syndicales jouent un double rôle: elles peuvent mobiliser les travailleurs pour lutter pour leurs intérêts économiques immédiats, mais elles vont restreindre ces luttes dans le cadre du capitalisme, muselant le potentiel de la base auto-organisée à déclencher une lutte de classe militante qui pourrait menacer la stabilité capitaliste. Elles «font de leur mieux, en paroles et en actes, pour démontrer à l’État ‘démocratique’ à quel point elles sont fiables et indispensables en temps de paix et surtout en temps de guerre».

Nous voyons ce scénario se dérouler sous nos yeux avec Fain.

Il s’agit là d’une inversion complète du sens de ce qu’écrivait Trotsky et on tente de convertir le grand marxiste révolutionnaire, fondateur de la Quatrième Internationale et adversaire implacable de la bureaucratie stalinienne en Union soviétique et de toutes les bureaucraties ouvrières, en opportuniste sans principes prêt à collaborer avec n’importe qui.

Il est significatif qu’ils aient supprimé la dernière phrase du paragraphe ci-dessus, où Trotsky écrit: « Par la transformation des syndicats en organismes d'Etat, le fascisme n'invente rien de nouveau, il ne fait que pousser à leurs ultimes conséquences toutes les tendances inhérentes au capitalisme. »

C’est d’autant plus significatif que Fain et ses complices ne «démontrent pas leur fiabilité» à un État démocratique bourgeois, mais à une dictature naissante.

Le fait est que pour la bureaucratie syndicale d'aujourd'hui il n’est pas question de « mobiliser les travailleurs pour lutter pour leurs intérêts immédiats». Elle s'efforce depuis deux générations d'imposer les diktats des directions, de bloquer les grèves et d’imposer des licenciements collectifs et des baisses de salaires. Les conditions de travail dans les usines automobiles ressemblent de plus en plus à celles qui existaient avant la fondation du syndicat United Auto Workers.

Bien que cela n’ait pas encore été le cas à l'époque de Trotsky, il l'avait anticipé lorsqu'il observait: « Ce qui définit une organisation ouvrière comme syndicat c'est son rapport avec la répartition du revenu national….Si ces messieurs [les bureaucrates syndicaux] défendaient les bénéfices de la bourgeoisie contre les attaques de la part des travailleurs, c'est-à-dire s'ils luttaient contre les grèves, contre les augmentations de salaires, contre l'aide aux chômeurs, nous aurions alors affaire à une organisation de jaunes et non pas à un syndicat ». 

Mais il y a 85 ans déjà, Trotsky soulignait l’incapacité fondamentale de la bureaucratie à combiner la défense des intérêts immédiats de la classe ouvrière et le soutien à l’impérialisme. C’est pourquoi, dans Le Programme de transition, Trotsky expliquait qu’il était du devoir des socialistes de « créer, dans tous les cas où c'est possible, des organisations de combat autonomes qui répondent mieux aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoise, sans même s'arrêter, si c'est nécessaire, devant une rupture ouverte avec l'appareil conservateur des syndicats ».

Ce programme devait conduire à la création de comités d’usine, qui ouvriraient une période de «double pouvoir». Trotsky poursuivait ainsi: « Par son essence même, cette dualité de pouvoir est quelque chose de transitoire, car elle renferme en elle-même deux régimes inconciliables: le régime capitaliste et le régime prolétarien. L'importance principale des comités d'usine consiste précisément en ce qu'ils ouvrent, sinon une période directement révolutionnaire, du moins une période pré-révolutionnaire, entre le régime bourgeois et le régime prolétarien.»

Cette conception, inspirée par l’expérience réelle de la Révolution russe, est à l’opposé du « double rôle» bureaucratique sans limites que Left Voice attribue à la bureaucratie. En fait, Trotsky avertissait: « Les bureaucrates des syndicats s'opposeront, en règle générale, à la création de comités d'usine, de même qu'ils s'opposeront à tout pas hardi dans la voie de la mobilisation des masses.»

La transformation des syndicats

Left Voice ignore à la fois le contexte historique de l’article de Trotsky et les 85 années d’histoire qui se sont écoulés depuis. Même au moment où l’article de Trotsky a été écrit, le nouveau Congrès des organisations industrielles (CIO), qui avait organisé une série de grèves marquantes quelques années auparavant, était déjà en crise en raison de son orientation vers le Parti démocrate et l’administration Roosevelt. (Trotsky : « Cependant, remarquable et significatif au plus haut degré est le fait que la nouvelle organisation syndicale de gauche, à peine fondée, tombait sous la coupe de l'Etat impérialiste. »)

Avec l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, le CIO s'est arrangé avec l'impérialisme américain et a contribué à faire respecter le tristement célèbre «engagement de ne pas faire grève». Au lendemain de la guerre, des personnalités de premier plan du CIO, comme Walter Reuther, ont mené la campagne visant à purger les rangs du mouvement ouvrier des militants socialistes qui avaient fondé les syndicats industriels.

En 1955, le CIO fusionna avec la Fédération américaine du travail, une organisation conservatrice, sur la base explicite de la défense des intérêts nationaux et internationaux de l’impérialisme américain et de la subordination politique de la classe ouvrière au Parti démocrate capitaliste.

Les conséquences de cette politique ne pouvaient être immédiatement visibles dans la période du boom économique de l’après-guerre, lorsque le capitalisme américain était prêt à faire certaines concessions en échange de la paix sociale. De plus, dans les années 1960 et 1970, les syndicats étaient dirigés par des personnalités qui avaient des liens avec les luttes des générations précédentes, ce qui leur donnait une couverture pour leur adaptation opportuniste.

Mais la fin du boom des années 1970 a aussi sonné le glas de la politique de compromis, et la classe dirigeante a passé cinq décennies à récupérer toutes les concessions qu’elle avait été obligée de céder. Dans le même temps, la mondialisation a objectivement sapé la capacité des syndicats à demander des concessions de l’État national.

Un tournant s’est produit en 1981, lorsque l’AFL-CIO a trahi l’organisation des contrôleurs aériens professionnels (PATCO) en refusant de la défendre après que l’administration Reagan les eut licenciés pour avoir fait grève. À partir de ce moment, la bureaucratie a approfondi ses relations avec le patronat et l’État et a coupé tout lien qu’elle gardait encore avec la lutte des classes.

Au cœur des affirmations de Left Voice sur le «double rôle» de la bureaucratie il y a celle que les intérêts sociaux de celle-ci sont liés d’une certaine manière à l’amélioration du niveau de vie des travailleurs. En fait, c’est l’inverse qui se produit depuis les années 1980. Alors même que le nombre d’adhérents aux syndicats a diminué dû aux suppressions d’emplois massives que les bureaucrates ont contribué à imposer par des accords au rabais, les actifs nets des syndicats, et avec eux les salaires des dirigeants syndicaux, ont gonflé pour atteindre plus de 35 milliards de dollars.

Pour la bureaucratie, chaque grève menace non seulement ses relations lucratives avec les directions à travers des projets «conjoints» sans fin et des pots-de-vin purs et simples, mais représente, à travers les indemnités de grève et autres dépenses, une ponction sur les réserves d’argent liquide d’où elle prélève ses salaires.

Cette transformation, préparée par des décennies d’anticommunisme et de nationalisme, est la raison pour laquelle, comme l’écrivait le WSWS l’année dernière lorsque le président général des Teamsters, Sean O’Brien, a commencé à courtiser Trump : «la bureaucratie syndicale est une base naturelle de soutien au fascisme».

La déformation des écrits de Trotsky par Left Voice n’est pas seulement une erreur théorique. Elle est déterminée par les intérêts des couches de la classe moyenne supérieure qu’ils représentent et qui englobent également une fraction concidérable de la bureaucratie syndicale. Left Voice n’est pas fasciste, mais il est terrifié à l’idée d’un mouvement indépendant venant d’en bas contre le fascisme parce qu’il menace les liens de la bureaucratie avec le patronat et l’État ; des liens qu’ils défendent et dont ils font l’apologie avec des formules telles que «le double rôle de la bureaucratie». Une telle poussée d’en bas couperait également le train de vie des membres de la pseudo-gauche ayant obtenu des postes importants dans la bureaucratie syndicale.

Les comités de la base

En opposition à cela, le Parti de l’égalité socialiste et le Comité international de la Quatrième Internationale appellent les travailleurs à créer des comités de la base, non pas pour réformer la bureaucratie mais pour la détruire et faire passer le pouvoir de l’appareil aux travailleurs des ateliers. Ceci est aux antipodes de l’appel de Left Voice à la création d’organisations « de base» qui incluent à la fois les travailleurs et les bureaucrates – qui ne pourraient que servir de mécanisme permettant à l’appareil d’espionner et de persécuter les travailleurs militants.

Le programme des comités de la base, dans les nouvelles conditions, s’inscrit pleinement dans la perspective défendue par Trotsky. La force de ces comités réside dans le fait qu’ils ne se fondent pas sur des appels à l’État capitaliste pour lui faire comprendre qu’ils sont «fiables et indispensables», mais sur la réalisation de l’indépendance de la classe ouvrière par rapport aux partis politiques capitalistes et à la bureaucratie syndicale, et celle de son unité au-delà des frontières nationales.

Tandis que Left Voice promeut le mythe que la bureaucratie peut être revivifiée et réformée, les comités de la base luttent pour se débarasser de la bureaucratie et utiliser les fonds de grève et autres actifs des syndicats pour la lutte des classes, et non pour remplir les poches de leurs fonctionnaires. Ils visent à démanteler tous les comités patrons-syndicats dans les usines, les hôpitaux et autres lieux de travail, et à les remplacer par des comités de la base, organes démocratiques du pouvoir ouvrier, qui opposent la volonté des travailleurs à la dictature du patronat.

Dans la déclaration annonçant la formation de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base en 2021, le CIQI a déclaré: «De nouvelles voies pour la lutte de masse doivent être créées.» Citant l’appel de Trotsky à construire des organisations indépendantes qui « répondent mieux aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoise », la déclaration expliquait que les comités de la base regrouperaient à la fois les travailleurs syndiqués et non syndiqués, les jeunes travailleurs et les chômeurs, et unifieraient leurs luttes à l’échelle mondiale. Depuis, les comités ont joué un rôle essentiel dans la mobilisation de l’opposition aux trahisons des syndicats et à l’attaque des droits des travailleurs par les gouvernements capitalistes.

Pour lutter contre les tentatives de Trump d’instaurer une dictature, le Socialist Equality Party, SEP (Parti de l’égalité socialiste) appelle à la création de comités de base de quartiers et de lieux de travail. «Partout où ils fonctionnent», explique le SEP dans un communiqué, «les comités s’efforceront de briser tous les efforts déployés par les deux grands partis des trusts et des bureaucraties syndicales pour diviser les travailleurs en fonction de leur statut d’immigrant ou de leur origine nationale.»

La déclaration conclut: «L’Alliance internationale ouvrière des comités de base (IWA-RFC) défendra un programme basé sur la lutte des classes, qui, tout au long de l’histoire américaine, s’est avérée nécessaire pour rassembler les travailleurs de tous horizons afin de vaincre l’arriération politique et la répression d’État. Sur cette base, elle s’efforcera de transformer la défense des immigrés en une lutte offensive de la classe ouvrière internationale contre Trump et sa source – le système capitaliste.»

C’est à empêcher cela que des groupes comme Left Voice consacrent tous leurs efforts.

(Article paru en anglais le 25 février 2025)