Le 23 mai, le Wall Street Journal a publié un article intitulé «Les renseignements sur le personnel malade du laboratoire de Wuhan alimentent le débat sur l’origine du Covid-19». Citant des «responsables actuels et anciens» anonymes, l’article affirmait que des chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan «se sont rendus à l’hôpital en novembre 2019, peu avant la confirmation de l’épidémie» de COVID-19.
Deux jours plus tard, le 25 mai, devant l’Assemblée mondiale de la santé des Nations unies, le secrétaire à la Santé et aux Services sociaux Xavier Becerra a exigé une enquête «transparente» sur les origines du COVID-19.
Le lendemain, le 26 mai, le président américain Joe Biden a demandé à la «Communauté du renseignement» d’enquêter pour savoir si le COVID-19 provenait «d’un accident de laboratoire» et de «me faire un rapport dans les 90 jours».
Des reportages de NBC, CNN et du New York Times ont suivi. Tous ont affirmé que de «nouvelles preuves» présentées dans l’article du Wall Street Journal ont déclenché les actions du gouvernement Biden. Dans les 24 heures suivant la publication du reportage du Journal, toutes ces publications ont déclaré que la théorie du complot du laboratoire de Wuhan était «crédible».
Mais l’article publié par le Wall Street Journal – en plus d’être totalement infondé et de ne rien présenter de fondamentalement nouveau en termes de «renseignements» – est présenté par un auteur principal qui se trouve avoir contribué à la fabrication du mensonge le plus meurtrier du 21e siècle.
L’auteur principal de l’article du Journal, Michael R. Gordon, est le même homme qui, avec Judith Miller, a écrit l’article du 8 septembre 2002 affirmant faussement que le président irakien Saddam Hussein cherchait à fabriquer une arme nucléaire.
L’article, intitulé «Les États-Unis disent que Hussein intensifie sa quête de pièces de bombe atomique» (U.S. says Hussein intensifies quest for a-bomb parts), affirmait qu’«Au cours des 14 derniers mois, l’Irak a cherché à acheter des milliers de tubes d’aluminium spécialement conçus. Les responsables américains pensent qu’ils étaient destinés à servir de composants de centrifugeuses pour enrichir de l’uranium».
Cette affirmation était un mensonge, acheminé au Times par le bureau du vice-président américain, Dick Cheney.
Le 26 mai 2004, le Times a publié une lettre de ses rédacteurs en chef intitulée «FROM THE EDITORS: The Times and Iraq», reconnaissant que le Times s’était à plusieurs reprises «laissé prendre à la désinformation». La lettre note:
Mais nous avons trouvé un certain nombre de cas de couverture qui n’étaient pas aussi rigoureux qu’ils auraient dû l’être…
Le 8 septembre 2002, l’article principal du journal était intitulé «Les États-Unis disent que Hussein a intensifié sa quête de pièces de bombe atomique» (U.S. Says Hussein Intensified Quest for A-Bomb Parts). Ce reportage concernait les tubes d’aluminium que l’administration présentait avec insistance comme des composants pour la fabrication de combustible pour armes nucléaires… il aurait dû être présenté avec plus de prudence… On a autorisé les responsables du gouvernement à expliquer longuement pourquoi cette preuve des intentions nucléaires de l’Irak exigeait qu’on déloge Saddam Hussein du pouvoir: «Le premier signe d’une “preuve tangible”, ont-ils affirmé, pourrait provenir d’un champignon atomique».
Dans un article de 2005 de son rédacteur en chef public, le New York Times a reconnu, en ce qui concerne la couverture de Miller, y compris l’article coécrit par Gordon, ce qui suit:
Miller est peut-être encore plus connue pour son rôle dans une série d’articles du Times en 2002 et 2003 qui suggérait fortement que Saddam Hussein possédait déjà ou était en train d’acquérir un arsenal d’armes de destruction massive. Howell Raines était alors le rédacteur en chef du Times, et plusieurs articles sur les armes de destruction massive figuraient en bonne place dans le journal. Un grand nombre de ces articles se sont révélés inexacts.
Le journaliste Robert Parry, lauréat du prix Polk, a ensuite commenté le rôle de Gordon dans cette histoire:
La fameuse histoire des tubes d’aluminium du 8 septembre 2002, que Gordon a coécrite avec Judith Miller, s’appuyait sur des sources de renseignement américain et des transfuges irakiens et visait à effrayer les Américains avec des images de «champignons atomiques» s’ils ne soutenaient pas l’invasion de l’Irak du président George W. Bush. Le moment choisi s’inscrivait parfaitement dans le cadre du «déploiement» publicitaire du gouvernement pour la guerre en Irak.
Bien sûr, l’histoire s’est révélée fausse et a injustement ignoré les sceptiques du scénario de la centrifugeuse nucléaire. Les tubes d’aluminium étaient en fait destinés à l’artillerie, et non aux centrifugeuses. Mais l’article a donné un grand élan à la guerre d’Irak, qui a fini par tuer près de 4.500 soldats américains et des centaines de milliers d’Irakiens.
Coauteure avec Gordon, Judith Miller est devenue la seule journaliste américaine connue à avoir perdu son emploi en raison de ses reportages imprudents et bâclés qui ont contribué au désastre irakien. Pour sa part, Gordon a continué à être un correspondant respecté au Pentagone.
Au cours des quinze années qui ont suivi, Gordon a continué à servir d’intermédiaire pour les «renseignements» fabriqués émanant de la Maison-Blanche, du Pentagone et de la CIA.
Le 20 avril 2014, Gordon a coécrit un article intitulé «Des photos relient des hommes masqués de l’est de l’Ukraine à la Russie» (Photos Link Masked Men in East Ukraine to Russia), qui prétendait identifier des hommes masqués opérant dans l’est de l’Ukraine en opposition au régime du coup d’État soutenu par les États-Unis comme des soldats russes en service actif.
Gordon a écrit:
Aujourd’hui, les photographies et les descriptions de l’est de l’Ukraine approuvées par le gouvernement Obama dimanche suggèrent que bon nombre des hommes en vert sont effectivement des forces militaires et de renseignement russes – équipées de la même manière que les troupes d’opérations spéciales russes impliquées dans l’annexion de la région de Crimée en février.
Quatre jours plus tard, le rédacteur en chef du Times s’est trouvé contraint de retirer les affirmations du reportage de Gordon, les qualifiant de «discréditées».
Le Times avait en première page de son édition imprimée de lundi un article basé en partie sur des photographies qui, selon le département d’État, étaient des preuves de la présence militaire russe dans les soulèvements populaires en Ukraine. Le titre était le suivant: «Des photos relient des hommes masqués à la Russie dans l’est de l’Ukraine».
Plus récemment, certaines de ces photos granuleuses ont été discréditées. Le Times a publié un deuxième article qui revient sur l’original et pose des questions sur ce que les photos sont censées représenter, mais n’aborde guère la manière dont le journal a pu être induit en erreur.
Tout cela semble plutôt familier — la publication précipitée de quelque chose d’excitant, souvent basée sur une fuite de l’exécutif. Et puis, avec une sorte de sentiment de «lendemain de veille», voici un article de suivi plus sobre, mis moins en évidence, pour répondre aux objections tout en ne clarifiant pas grand-chose…
Et le journaliste Robert Parry (anciennement de Newsweek et de l’Associated Press) sur Consortiumnews.com voit un modèle dans les articles du Times, souvent basés sur des fuites du gouvernement, qui «tirent des conclusions difficiles à partir de preuves très obscures tout en ignorant ou en écartant les autres explications possibles».
Résumant le rôle joué par les médias dans la préparation de la guerre en Irak, le président du comité éditorial du WSWS, David North, a écrit dans «War, oligarchy and the political lie» (Guerre, oligarchie et mensonge politique):
On doit souligner que le gouvernement Bush n’a pas dupé les médias de masse, au contraire, ils ont été ses complices dans la tromperie délibérée du peuple américain. Il n’y avait rien de particulièrement sophistiqué dans la campagne de propagande du gouvernement. Une grande partie de ce qu’il disait était contredite à la fois par les faits établis et par la logique élémentaire. Même lorsqu’on a établi que l’affirmation du gouvernement selon laquelle l’Irak avait cherché à obtenir du matériel nucléaire était fondée sur des documents grossièrement falsifiés, les médias ont choisi de ne pas faire de cette révélation dévastatrice un sujet majeur.
Aujourd’hui, la guerre est terminée, au prix d’innombrables milliers de vies irakiennes. Le pays est en ruines. Une grande partie de son infrastructure industrielle, sociale et culturelle a été détruite. Au cours des trois dernières semaines, les forces militaires américaines ont ratissé l’Irak à la recherche d’armes de destruction massive dont le gouvernement et les médias pourraient s’emparer pour justifier la guerre. Et qu’a-t-on trouvé? Rien.
La «tromperie délibérée» de la part des médias concernant les «armes de destruction massive» a été utilisée pour préparer la guerre en Irak. Aujourd’hui, le même type de «tromperie délibérée» est repris dans la campagne actuelle du gouvernement Biden et des médias pour promouvoir l’affirmation selon laquelle le COVID-19 est issu de l’Institut de virologie de Wuhan. Tout comme les mensonges de 2002 ont conduit à la destruction de l’Irak et à la mort de plus d’un million de personnes, l’actuelle campagne de propagande américaine contre la Chine risque de provoquer un conflit militaire d’une ampleur bien plus dévastatrice.
(Article paru en anglais le 2 juin 2021)