Dans une rare sortie publique depuis qu’il a démissionné de son poste de directeur national de santé publique il y a deux ans, le Dr Horacio Arruda a accordé le 12 février dernier une entrevue au quotidien La Presse pour défendre une gestion désastreuse de la pandémie de COVID-19 et justifier les attaques de la classe dirigeante contre la santé de la population.
Après deux années comme principal visage public de la gestion de la pandémie au Québec, Arruda a donné sa démission le 10 janvier 2022 sous la pression du Premier ministre du Québec, François Legault. Ce dernier cherchait ainsi à détourner l’attention de sa propre responsabilité dans la catastrophe causée par le coronavirus et la politique d’immunité collective appliquée par son gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ).
À cette date, près de 12.000 Québécois étaient morts de la COVID-19. Le bilan officiel s’élève aujourd’hui à plus de 21.000 décès (un chiffre sous-estimé selon une nouvelle méthode de comptabilisation). De façon extraordinaire face à cette réalité accablante, Arruda a déclaré à La Presse n’avoir «aucun regret» quant à sa gestion de la pandémie.
Selon lui, chaque décision visait uniquement à «protéger un système de soins tellement fragilisé». En réalité, la pandémie a révélé à quel point la direction de santé publique n’est pas une institution scientifique indépendante et neutre, mais une extension du gouvernement.
Le rôle véritable d’Arruda, tout comme celui de son successeur, le Dr Luc Boileau, était de donner un vernis pseudoscientifique aux mensonges et aux demi-vérités que le gouvernement Legault a utilisés pour imposer une politique propatronale – appliquée par tous les paliers de gouvernement à travers le Canada – qui consistait à faire passer les profits avant les vies humaines.
Arruda a déclaré à La Presse que la décision la plus difficile qu’il ait eu à prendre a été de fermer les écoles «très longtemps» et qu’il aurait préféré «renvoyer les élèves en classe plus rapidement» afin d’éviter «l’impact chez les jeunes sur leur santé mentale, sur leur développement».
Quel tissu de mensonges! Après avoir gaspillé les premières semaines de la pandémie même s’ils connaissaient les dangers du nouveau coronavirus dès le 30 décembre 2019, Arruda et Legault ont attendu le 12 mars 2020 pour agir en imposant tardivement des mesures sanitaires limitées, avant tout pour éviter une rébellion ouverte des travailleurs.
Ce n’est que le 16 mars 2020 que la fermeture des écoles a été décrétée et dès la fin du mois d’avril Arruda a joué un rôle clé pour justifier leur réouverture graduelle à compter du mois de mai. Le véritable objectif de cette décision était de renvoyer les parents au travail pour permettre la reprise du flot des profits vers la grande entreprise.
Par ailleurs, Arruda a tenté dans l’entrevue de nier que la santé publique, saignée à blanc par des décennies de coupes de la part des gouvernements successifs du Parti québécois, du Parti libéral et de la CAQ, n’était pas prête à affronter une pandémie.
Pourtant, deux rapports officiels, l’un du Protecteur du citoyen et l’autre de la coroner Me Géhane Kamel, ont fait état d’une hécatombe dans les résidences pour aînés dans les premiers mois de la pandémie – 4.000 personnes y sont mortes entre mars et juin 2020, contribuant alors à faire du Québec l’un des endroits au monde avec le plus haut taux de mortalité.
Et ces rapports ont conclu que c’était le résultat du manque de préparation et de l’inaction des autorités. Ils ont identifié les «dysfonctions chroniques» du système de santé, la «capacité hospitalière québécoise réduite» et la «fragilité préalable des CHSLD [Centres d’hébergements et de soins de longue durée]» comme causes directes du drame qui s’est joué dans les résidences pour personnes âgées.
Sans aller jusqu’à utiliser les termes «austérité capitaliste», les deux rapports attribuent le manque de préparation de la santé publique en 2020 à des «décennies de politiques publiques défaillantes» qui étaient «connues depuis plusieurs années» des autorités. Devant des constats aussi accablants, la dénégation d’Arruda sonne particulièrement faux.
Mais plus odieux encore est le fait qu’il prétende maintenant que le système de santé a fait des «gains» depuis 2020 et que le Québec est «mieux préparé» pour «une nouvelle pandémie».
Arruda ne peut pas ignorer que le système est dans un état précaire permanent et serait instantanément submergé par une nouvelle pandémie.
Les importantes lacunes et le sous-financement chronique identifiés par les rapports de la coroner Kamel et du Protecteur du citoyen se sont encore aggravés depuis que le gouvernement Legault a imposé une nouvelle ronde d’austérité capitaliste et confié la gestion du réseau public à l’agence Santé Québec avec le mandat de réduire les dépenses dans le réseau public de 1,5 milliard de dollars.
Santé Québec, dirigée par une femme d’affaires issue de l’entreprise privée, s’est immédiatement mis au travail en forçant les établissements de soins de santé à abolir des postes et diminuer les heures travaillées et en suspendant des projets de rénovation ou d’entretien des infrastructures.
Le 6 février de cette année, un groupe de médecins spécialistes a publié une lettre percutante qui révèle certaines conséquences concrètes des coupures faites pas Santé Québec: de l’équipement spécialisé pour des chirurgies complexes cesse de fonctionner en pleine opération alors que le processus d’appel d’offres pour le remplacer a été suspendu; des radiologistes et des oncologues sont incapables d’ajuster le traitement de patients du cancer par manque de personnel; et le manque de ressource empêche la prise en charge de patients aux soins intensifs.
De plus, comme c’est maintenant le cas plusieurs fois chaque année, les urgences débordent au Québec depuis le début du mois de février, notamment parce que plusieurs virus respiratoires circulent librement dans la population.
Contrairement aux mensonges des politiciens capitalistes et malgré la politique du silence suivie par les médias bourgeois, la pandémie n’est pas terminée et les patients ayant contracté la COVID-19 continuent de remplir les urgences et les hôpitaux.
Depuis la levée des dernières mesures sanitaires en mai 2022 et le démantèlement complet des infrastructures de testage, les citoyens du Québec et de tout le Canada sont exposés, dans l’ignorance la plus totale, à des infections à répétition par un virus débilitant et potentiellement mortel.
Conséquence de cette politique du «vivre avec le virus», des milliers de personnes vivent avec la COVID longue, une maladie qui a la capacité d’attaquer pratiquement tous les organes du corps et qui augmente les risques de maladies dégénératives graves comme Alzheimer, Parkinson et la démence.
La province est aussi aux prises avec sa pire saison de grippe depuis 2014, comptabilisant des milliers d’infections chaque jour. Dans une tragique répétition du refus de la santé publique sous Arruda de protéger la santé de la population, le Dr Boileau a reconnu que le virus circule «beaucoup dans les écoles» mais n’a proposé aucune mesure pour empêcher sa propagation aux enfants et à leur entourage.
Dans ces circonstances, le système québécois serait complètement incapable de faire face à une nouvelle pandémie, et ce, alors que les experts sont particulièrement inquiets au sujet de la grippe «aviaire» H5N1 qui se propage librement depuis plus d'un an parmi les volailles et le bétail laitier aux États-Unis.
Alors que les Américains font aussi face à leur pire saison d’influenza en plusieurs décennies, le danger d’une recombinaison entre les deux virus, qui permettrait à la grippe H5N1 d’acquérir la capacité de se transmettre entre humains, est bien réel.
Mais, peu importe quel virus sera responsable de la prochaine pandémie, après cinq années de répudiation des principes de base de santé publique par la classe dirigeante québécoise et sa promotion de discours anti-scientifiques, la réponse des autorités sera immanquablement une répétition de la politique eugéniste «d’immunité collective».
La réponse à la pandémie de COVID-19 a mis à nu la haine viscérale de la classe dirigeante, au Québec, au Canada et partout ailleurs dans le monde, pour la santé publique et sa détermination à faire diminuer l’espérance de vie au sein de la classe ouvrière.
Aux États-Unis, la santé publique est l’objet d’un assaut fasciste par l’administration Trump et le nouveau secrétaire à la Santé, l’antivaccin notoire et pourvoyeur de désinformation Robert F. Kennedy Jr (RFK) dont le mandat est, dans ses propres mots, de «donner un répit aux maladies infectieuses pour environ 8 ans».
Dans un contexte où les institutions américaines de santé publique influencent lourdement celles des autres pays et où la crise du système capitaliste est mondiale, les tentatives délibérées de Trump et de RFK de normaliser la propagation des maladies trouveront écho au Canada et au Québec où le terrain a été préparé par la réponse criminelle à la pandémie de COVID-19.
La seule façon de stopper cette guerre capitaliste contre la santé publique et la science est une lutte révolutionnaire de la classe ouvrière pour reconstruire la société sur des bases socialistes, c’est-à-dire la priorisation des besoins sociaux, y compris par une vaste expansion des ressources visant à améliorer la santé de la population.