Les élections législatives anticipées de jeudi au Royaume-Uni ont été rendues nécessaires par l'incapacité des factions rivales de la classe dirigeante de résoudre leur désaccord sur l'adhésion à l'Union européenne (UE). Mais le Socialist Equality Party (SEP, Parti de l'égalité socialiste) avait raison de prédire: «Pour les travailleurs et les jeunes, malgré les divisions insidieuses entretenues au sujet du Brexit, les questions décisives sont sociales: baisse des salaires, exploitation brutale, augmentation du chômage et destruction des services sociaux vitaux.»
Le SEP a affirmé que cette élection serait «la plus polarisée socialement et politiquement de l'histoire d'après-guerre du Royaume-Uni». De nombreux commentateurs reconnaissent maintenant qu'elle a été la plus sale de toutes les campagnes électorales. Les tensions politiques ont atteint un tel niveau que le cadre essentiel de la démocratie est en danger de s'effondrer. Le quotidien The Sun du milliardaire Rupert Murdoch peste contre la menace d'une «révolution marxiste» et le proconservateur Daily Telegraph déclare que: «Le vrai enjeu de cette élection est de sauver le capitalisme.»
Derrière l'intensité des conflits politiques, il y a une polarisation sociale sans précédent entre les classes qui commence maintenant à trouver son expression dans une éruption mondiale de la lutte des classes.
Cette année, des millions de personnes se sont mobilisées dans les rues lors de grèves et de manifestations de masse: en Tunisie, en Algérie, au Soudan, à Hong Kong, à Porto Rico, en Haïti, en Égypte, en Équateur, en Irak, au Liban, en Catalogne et au Chili. Nous assistons aujourd'hui aux événements explosifs outre-Manche, à une grève du secteur public et à des manifestations de masse en France, au cœur même de l'Europe.
Partout la montée des inégalités sociales est le moteur d'une nouvelle période de lutte révolutionnaire. La classe dirigeante comprend que la situation ne va pas tarder avant que la Grande-Bretagne soit elle aussi plongée dans un conflit de classe et se prépare à affronter la classe ouvrière.
Cela seul peut expliquer la férocité de la campagne des médias pour s'opposer à une victoire des travaillistes. En outre des terribles avertissements de catastrophe économique, la campagne a été marquée par la représentation de Corbyn et de la «gauche» comme étant antisémite et une menace pour la sécurité nationale par une cabale allant du grand rabbin à l'archevêque de Canterbury, en passant par les anciens chefs des forces armées, les services secrets MI5 et MI6 et dirigée politiquement par l'aile droite blairiste du propre parti de Corbyn.
Le SEP (Parti de l’égalité socialiste) a présenté ses propres candidats aux élections générales. Notre combat a consisté à faire en sorte que les travailleurs se fondent sur une perspective socialiste et internationaliste, basée sur une profonde compréhension de l'histoire et éclairée par ses enseignements.
Nous n'appelons pas à un vote Labour (Parti travailliste). Cela ne ferait que renforcer des illusions à l’égard de Corbyn et Labour qui doivent être démasquées et dissipées. Si Corbyn arrive au pouvoir, il attaquera lui-même la classe ouvrière, comme Syriza en Grèce, ou livrera la classe ouvrière sans défense aux mains de la réaction politique comme l’avait fait Salvador Allende au Chili.
Depuis qu'il a été élu chef du Labour en 2015, Corbyn a fait tout son possible pour démobiliser les centaines de milliers de personnes qui ont rejoint le parti pour mettre fin à l'austérité, au militarisme et à la guerre. Il a cherché à bloquer toute décision politique visant à chasser les députés blairistes dont les politiques d’appui ouvert pour le patronat et le bellicisme sont le vrai visage du Parti travailliste.
Pour sa part, la bureaucratie syndicale s'est appuyée sur les illusions générées par un éventuel gouvernement Corbyn pour réprimer les luttes des travailleurs, y compris une grève planifiée de 110.000 postiers et un débrayage de 40.000 membres du personnel universitaire pendant l'élection elle-même – grèves qui, avec la mobilisation des cheminots sur deux franchises ferroviaires desservant Londres, auraient fait la jonction avec le mouvement social en France.
Le SEP s'oppose aux affirmations de groupes de pseudo-gauche, tels que le Socialist Workers Party et le Socialist Party, selon lesquelles la direction de Corbyn offre la perspective d'un renouvellement du Parti travailliste et la possibilité de mettre en œuvre une politique réformiste nationale. En même temps, nous nous opposons aux illusions sur une voie nationale pour la classe ouvrière s’appuyant sur le Brexit. Les mêmes tendances de la pseudo-gauche qui louent Corbyn affirment que le Brexit fournira le cadre pour un gouvernement travailliste «de gauche».
Labour est un parti procapitaliste et impérialiste vieux de plus d'un siècle. Il ne sera pas transformé par l'élection d'un chef de «gauche» ou même un afflux de nouveaux membres à la recherche d'une alternative socialiste.
Notre critique de Corbyn et de ses partisans est basée sur les réalités du capitalisme contemporain. Les progrès de la science et de la technologie ont permis le développement d'une production mondialisée, coupant l’herbe sous les pieds des organisations nationales dépassées et leur programme de régulation économique pour supprimer les antagonismes de classe. C'est ceci, et non les mérites ou non de tel ou tel dirigeant, qui a conduit à la transformation des partis sociaux-démocrates et des syndicats en instruments directs de leurs propres classes dirigeantes en imposant une exploitation brutale à la classe ouvrière pour assurer la compétitivité mondiale.
En ce qui concerne le Brexit, le SEP a insisté sur le fait que le référendum de 2016 proposait un faux «choix» binaire entre deux factions capitalistes de droite: divergeant sur l'opportunité de s'allier aux États-Unis ou à l'Europe dans une guerre commerciale qui s'approfondissait, mais toutes deux hostiles à la classe ouvrière et soucieuses d’approfondir ce qu'elles appelaient avec admiration la «révolution Thatcher». Nous avons dit que la voie à suivre n'était ni le Brexit, ni le soutien à l'Union européenne et à ses politiques d'austérité, de mesures anti-migrantes, de régime autoritaire et de son terreau fourni à l'extrême droite [...] mais une lutte unifiée des travailleurs à travers le continent pour les États socialistes unis d'Europe.
Nous sommes orientés vers les éléments les plus avancés de la classe ouvrière et de la jeune génération, dans le but de résoudre ce que Léon Trotsky a identifié comme la question fondamentale de l'époque - la crise de la direction révolutionnaire. La lutte pour cette perspective est la préparation vitale des luttes politiques et sociales qui suivront les élections générales.
Si Corbyn ne parvient pas à obtenir une majorité, ou s'il y a un autre parlement sans majorité, alors les conservateurs mèneront une offensive contre la classe ouvrière d’une férocité débridée. Une indication de ce à quoi on peut s’attendre a été fournie par les tribunaux qui ont statué à deux reprises sur le projet de grève des postiers de Royal Mail, un vote de grève soutenu par plus de 95 pour cent des membres du syndicat. Cela a été suivi par la menace de Johnson d'interdire toutes les grèves dans les transports en commun en réponse aux actions menées par les cheminots contre la société ferroviaire South Western Railway.
La signification de telles interdictions de grèves est visible en France, où le gouvernement Macron a mobilisé à plusieurs reprises la police antiémeute contre les grévistes et les manifestants Gilets jaunes. L'ampleur de ce qui est en train d'être préparé au Royaume-Uni a été définie dans le cadre de l'opération Yellowhammer, avec le déploiement de 50.000 soldats réguliers et de réserve en alerte, appuyés par 10.000 policiers antiémeutes en cas de troubles civils post-Brexit.
Une défaite des travaillistes entraînera le remplacement de Corbyn et des mesures pour assurer l'ascendant des blairistes dans le parti. Mais si Corbyn gagne, seule la forme de cette offensive changera. Les blairistes décideront de faire scission du parti et créer la base d'un réalignement multipartite vers la droite – comme ils s’y préparent depuis des mois sous le nez de Corbyn.
La réponse de Corbyn sera d'essayer d'apaiser ses adversaires, en obéissant aux commandements des grandes sociétés et de la City de Londres pour attaquer la classe ouvrière. Si des preuves supplémentaires étaient nécessaires de sa malléabilité infinie et de son manque de principe, le refus de Corbyn de prendre position pour défendre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange et contre son extradition vers les États-Unis pour des accusations d'espionnage, le fournit. Toute illusion selon laquelle Corbyn représente une alternative au régime conservateur, une austérité sans fin et la violence militaire mondiale sera cruellement dissipée dans les semaines et les mois à venir.
De plus, la classe dirigeante ne se limitera pas aux agissements parlementaires. Elle se prépare à une violence contre-révolutionnaire contre la classe ouvrière. Dès sa prise des fonctions en 2015, Corbyn fut menacé de «la perspective très réelle d'un événement qui serait en fait une mutinerie» impliquant des «généraux de haut rang» par un «général britannique en service» sous l’anonymat.
Quel que soit le parti ayant obtenu la majorité parlementaire le 13 décembre, l'élection s'avérera être un tremplin dans une intensification de la lutte des classes. Seule la force sociale la plus puissante, un mouvement unifié de la classe ouvrière britannique, européenne et internationale, offre les moyens nécessaires pour vaincre les complots de l'élite dirigeante. Nous appelons tous les travailleurs et les jeunes à voter pour nos candidats aujourd'hui et à rejoindre et à construire le Parti de l'égalité socialiste, le seul parti qui a dit la vérité et qui a le programme nécessaire pour mener une contre-offensive contre les grandes entreprises et ses partis et pour le socialisme.
(Article paru en anglais le 12 décembre 2019)