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Des désaccords aigus avant le sommet de l'Union européennePar Chris Marsden et Julie Hyland Utilisez cette version pour imprimer Après que le premier ministre britannique, Tony Blair, ait rencontré mardi à Paris le président français, Jacques Chirac, il déclara qu'il y avait un « désaccord aigu » sur le budget de l'Union européenne couvrant la période 2007 à 2013, en ajoutant qu'« il est très difficile de voir comment ces différences seront surmontées. » Pour une fois, Blair a dit toute la vérité. La réunion Chirac-Blair fut la dernière d'une série où le premier ministre a défendu la position britannique en préparation du sommet communautaire devant se tenir à Bruxelles les 16 et 17 juin et du sommet du G8 prévu en Ecosse en juillet. L'acrimonie était telle entre les deux que la conférence de presse conjointe ayant lieu traditionnellement à l'issue des discussions n'eut pas lieu. La préparation du sommet fut dominée par des exigences de la France et de l'Allemagne pour que la Grande-Bretagne renonce à sa ristourne de 3 milliards de livres [environ 5,3 milliards d'euros] que Margaret Thatcher avait négocié en 1984 et la riposte de Blair de réformer les subventions agricoles dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC). Les considérations nationales n'expliquent que partiellement l'âpreté de la querelle sur le budget de l'UE. La France et l'Allemagne voient dans les attaques contre la Grande-Bretagne un moyen de restaurer un soutien populaire pour leurs gouvernements en difficulté. La Grande-Bretagne est identifiée comme le foyer du modèle économique « anglo-saxon » de marchés libres sans restriction et qui fut rejeté de façon décisive en France et en Hollande lors des référendums sur la constitution européenne. Quant à Blair, il cherche à jouer pour la galerie des adversaires de l'UE et à contrecarrer le souhait de la France et de l'Allemagne de poursuivre le processus de ratification de la constitution européenne après avoir déjà déclaré que le référendum britannique n'était plus à l'ordre du jour. Mais des questions plus fondamentales sont en jeu dans ce conflit où, du moins en ce qui concerne la question de la ristourne, la Grande-Bretagne semble être complètement isolée. Ce qui se joue ici c'est l'avenir tout entier de l'Union européenne. Le vote « non » à la constitution européenne a exprimé une hostilité sociale largement répandue contre les projets de la bourgeoisie européenne de restructurer la vie économique dans l'intérêt des grands groupes. Ce qui sous-tend ceci est un changement profond dans les relations d classes à travers l'Europe suite à la démolition incessante des acquis sociaux, aux privatisations, à la restructuration de l'industrie et à l'érosion des droits démocratiques. Les résultats du référendum ont jeté l'élite dirigeante européenne dans une crise. Blair considère que l'insistance franco-allemande de poursuivre la ratification dans le restant des pays communautaires va à l'encontre du but recherché. Au lieu de cela, il propose que la constitution soit suspendue en attendant que les gouvernements européens procèdent à la restructuration économique préconisée par le document et déclenchent une lutte politique contre la classe ouvrière dans le but de détruire ce qui subsiste de l'Etat-providence. La Grande-Bretagne voit aussi l'occasion d'appuyer une exigence de longue date pour une Europe fédérale plus souple qui lui permette d'engager des alliances susceptibles de saper la domination franco-allemande traditionnelle de l'UE. Après sa rencontre avec Chirac, Blair déclara à la presse qu'il estimait «que l'axe franco-allemand était certes fondamental en Europe mais qu'il n'était plus le seul car il n'est plus possible de diriger l'Europe comme elle l'a été auparavant ». La réponse de la France et de l'Allemagne n'est pas guidée par une hostilité politique aux réformes économiques. Toutes deux sont soucieuses de les voir se poursuivre si l'Europe doit devenir un bloc commercial viable contre ses principaux rivaux internationaux. La question est de savoir comment concrétiser les réformes face à l'opposition populaire et sous des conditions où il s'est révélé qu'il n'a pas été possible d'intégrer tous les Etats européens dans le projet. Il existe un sentiment fort et grandissant dans les milieux dirigeants à Paris et à Berlin selon lequel, pour faire avancer l'Europe et pour faire passer les réformes, il faudrait créer un noyau dur d'Etats qui serait sous leur direction. De même la question de l'élargissement de l'UE avec l'admission de la Turquie, de la Croatie, de la Roumanie et de la Bulgarie ne serait pas discutée lors du sommet. Des efforts antérieurs, notamment en 2003, pour consolider un noyau dur n'avaient pas trouvé d'appui et il y peu de signe d'un regain d'enthousiasme en dehors de la France, de l'Allemagne et des pays du Benelux. C'est pourquoi, l'attaque contre la ristourne de la Grande-Bretagne a été faite dans des termes reflétant le souci qu'il ne faudrait pas demander aux nouveaux adhérents les plus pauvres de l'UE de verser de l'argent à l'une des nations les plus riches d'Europe. Londres indique qu'il n'y a aucune raison pour que cela se produise et que les subventions agricoles posent, de loin, un problème bien plus important et que la France en est la principale bénéficiaire. Parallèlement à son appel pour une fédération plus souple, Blair a déclaré que la politique agricole devrait être restituée à l'autorité des gouvernements nationaux qui décideront de poursuivre ou non la politique de subvention. Il dit aux journalistes « Je comprends qu'un pays veuille subventionner son agriculture. Mais il y a un problème quand l'Union européenne décide d'engloutir 40 pour cent de son budget dans un secteur qui ne compte que quatre pour cent des actifs. Ca n'a pas de sens. » Son alternative consistait à dépenser de l'argent dans des mesures populistes de droite telles que la sécurité et le contrôle de l'immigration. En France, les gaullistes comptent pour une bonne part de leur soutien politique sur les communes rurales et ne peuvent envisager les proportions de la réforme exigée par Blair. De plus, la France et l'Allemagne escomptent, en défendant les subventions agricoles, gagner l'appui de pays d'Europe de l'Est et réduire l'influence des Etats-Unis dans la région. Blair a insisté qu'il ne cèdera pas sur la ristourne britannique à moins que des concessions ne soient faites sur la PAC, ce qui empêcherait l'adoption du budget communautaire. Des analystes s'attendent à ce qu'une espèce de compromis soit bricolé lors du sommet. Aucun des participants, dont la Grande-Bretagne, n'est prêt à envisager le naufrage de l'Union européenne. Il a été évoqué que la date-limite de ratification de la constitution sera repoussée au-delà de novembre 2006, date à laquelle une bonne part aurait dû entrer en vigueur. Un responsable de l'UE déclara au Financial Times, « Nous trouverons les formules linguistiques pour placer la constitution dans le frigidaire et non à la morgue ». Toutefois, « nous sommes peut-être dans une situation où chacun mène sa propre bataille », dit un autre diplomate de l'UE à un journaliste. Blair est d'avis qu'il lutte en partant d'une position de force après la victoire du « non » à la constitution. A première vue, sa confiance semble complètement déplacée. Après tout, l'opposition à la constitution était dirigée contre l'ordre du jour défendu par le gouvernement britannique. Il y a sans doute un élément de « schadenfreude » [réjouissance méchante] au vu des difficultés rencontrées par Paris et Berlin, mais la raison majeure de la position de confrontation adoptée par Blair est qu'il aime le soutien du gros patronat international et de Washington en particulier. Les médias économiques insistent pour que l'Europe ne se plie pas à l'opinion publique et qu'elle accélère le rythme des réformes économiques. Et lors d'une visite à Bruxelles en début de semaine, le secrétaire américain au Trésor, John Snow, pressa les gouvernements de l'UE de poursuivre la restructuration. Dans une référence ciblée aux attaques françaises contre le capitalisme « anglo-saxon » et à la dénonciation par le président du Parti social-démocrate allemand, Franz Müntefering, des investisseurs privés en capital action traités par lui de « sauterelles », Snow avertit, « Les hommes d'affaires américains investiront leur capital là où ils sont bien accueillis, où le capital est honoré et où il rapporte bien. « Ce qui importe ce n'est pas tant le langage qui est employé mais les politiques qui sont adoptées. Et si les politiques adoptées ne font pas un bon accueil au capital, le capital ne viendra pas. » Les Etats-Unis s'opposent au projet d'intégration européenne qu'ils défendaient autrefois. Le gouvernement Bush agit comme une puissance européenne, cherchant à créer des alliances qui lui garantiront sa domination sur l'Europe et plus largement sur le continent eurasien tout en maintenant ses adversaires divisés et isolés. Qu'il soit ou non possible de bricoler un accord à
Bruxelles, il est certain que l'instabilité persistera
en Europe. Les antagonismes entre l'Europe et l'Amérique,
et entre puissances européennes s'intensifieront alors
que les rapports sociaux sur le continent se détérioreront
à mesure que leurs gouvernements chercheront à
imposer des mesures économiques impopulaires à
une classe ouvrière hostile et de plus en plus combative. Voir aussi :
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