Sur les traces du gouvernement fédéral canadien:

Le gouvernement du Québec dépose un projet de loi pour éliminer le droit de grève

Le 19 février, Jean Boulet, le ministre du Travail du gouvernement ultradroitier de la Coalition avenir Québec (CAQ), a déposé à l’Assemblée nationale du Québec un projet de loi qui a pour objectif de réduire le droit de grève des travailleurs à néant.

Le projet de loi 89 porte le titre orwellien de Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out. En réalité, les modifications législatives ont pour seul objet de considérer (encore plus qu’ils ne le sont déjà) les besoins de l’oligarchie financière. Celle-ci voit en toute grève non seulement une menace pour ses profits immédiats, mais aussi le déclencheur potentiel d’une offensive de la classe ouvrière qui pourrait remettre en question le système d’exploitation capitaliste.

Le projet de loi 89 propose d’inclure deux nouveaux mécanismes dans le Code du travail pour limiter davantage le droit de grève qui, même s’il est censé être un droit constitutionnel garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, fait l’objet d’attaques depuis plusieurs décennies, principalement sous la forme de lois de retour au travail.

Premièrement, le gouvernement du Québec se verrait octroyer le droit de désigner par décret un employeur et un syndicat qui pourraient, l’un ou l’autre durant le processus de négociation d’une convention collective, demander au Tribunal administratif du travail (TAT) de déterminer si des services assurant le «bien-être de la population» doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out. Les parties auraient 15 jours suivant la détermination du TAT que de tels services sont nécessaires pour en négocier les modalités, à défaut de quoi le TAT pourrait imposer ces modalités et même suspendre la grève le temps que les services soient mis en place.

L’obligation de maintenir des «services essentiels», qui s’appliquait jusqu’ici seulement en matière de santé et sécurité, constituait déjà une limitation importante du droit de grève de nombreux travailleurs, particulièrement dans le réseau de la santé. Son extension à tous les secteurs d’emplois représente une attaque frontale contre le droit de grève de tous les travailleurs.

Les «services assurant le bien-être de la population» sont définis de façon tellement large dans le projet de loi 89 – «services requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population» – qu’il ne fait aucun doute que le gouvernement, les employeurs et le TAT invoqueraient ce mécanisme pour saboter la plupart des grèves avant même qu’elles ne débutent.

Allant encore plus loin, le projet de loi 89 accorde au ministre du Travail un pouvoir dictatorial de mettre fin à n’importe quelle grève par simple avis. Chaque fois qu’il estime, à sa complète discrétion, qu’une grève ou un lock-out «menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population», le ministre pourra déférer le «différend» à un arbitre pour que celui-ci impose les nouvelles conditions de travail. La décision du ministre mettra fin à la grève ou au lock-out à la date qu’il indiquera dans son avis.

Cette mesure draconienne s’inspire directement d’un mécanisme dont s’est servi le gouvernement fédéral-libéral de Justin Trudeau à plusieurs reprises depuis 2024 pour s’arroger de nouveaux pouvoirs et briser une série de grèves sans même avoir à utiliser la méthode parlementaire plus traditionnelle de la loi de retour au travail.

Le gouvernement Trudeau, qui est appuyé par le NPD et les syndicats, a procédé à une réinterprétation inédite d’un point de vue juridique de l’article 107 du Code canadien du travail afin de conférer au ministre du Travail fédéral le pouvoir d’ordonner au Conseil canadien des relations industrielles de mettre fin à une grève légale et imposer un arbitrage exécutoire.

En moins d’une année, les mécaniciens de WestJet, les cheminots du Canadian Pacifique Kansas City et du Canadian National, les débardeurs des ports de la Colombie-Britannique et du Québec, et les travailleurs de Postes Canada ont été les victimes du gouvernement Trudeau et de sa réinterprétation arbitraire de la loi pour criminaliser leurs luttes et imposer les demandes patronales.

Des travailleurs de Postes Canada sur le piquet de grève à Niagara-on-the-Lake, Ontario, le vendredi 15 novembre. Suivant les traces du gouvernement fédéral qui a illégalisé la grève des postiers, le gouvernement du Québec veut s’arroger le droit de mettre fin à n’importe quelle grève par simple avis.

Les déclarations de Boulet et les exemples qu’il a donnés des situations où ses nouveaux pouvoirs auraient pu s’appliquer pour mettre fin à une grève démontrent que la notion de «préjudice grave et irréparable à la population» sera interprétée de façon très libérale et que le projet de loi 89 signifie en pratique la fin du droit de grève au Québec.

De façon provocatrice, Boulet a identifié les grèves qui ont eu lieu dans les dernières années dans les écoles, dans les centres de la petite enfance, au cimetière Notre-Dame à Montréal, dans les abattoirs de porcs et de poulets, ou dans les services de traversiers, comme étant des exemples de grèves ou menaces de grèves dans lesquelles la «population» a été «prise en otage» par les travailleurs.

De cette longue liste, il apparait évident que les intérêts économiques du patronat seront systématiquement assimilés à un «préjudice grave et irréparable» et que chaque fois qu’une entreprise ou un groupe d’entreprises se plaint qu’une grève lui cause des pertes financières importantes, le ministre interviendra pour y mettre fin et imposer les conditions de travail via un arbitre. Les employeurs réclament toujours «un arbitrage exécutoire» parce qu’ils savent que les arbitres supposément neutres sont tous d’accord que les emplois et les salaires des travailleurs doivent être conditionnels à des profits faramineux pour les patrons.

Seuls les secteurs publics et parapublics seront exclus de l’application de ce pouvoir, Boulet ayant déclaré qu’il ne serait pas «acceptable» qu’un «tiers détermine la façon dont on va utiliser les fonds publics».

En réalité, après de multiples contrats imposés aux travailleurs du secteur public avec la complicité des syndicats, apportant des «augmentations» de salaire en deçà de l’inflation et la dégradation continuelle des conditions de travail et des services à la population, le gouvernement craint que même un arbitre propatronal soit enclin à imposer des conditions plus favorables que ce qu’il est prêt à accepter dans un contexte d’intensification marquée de l’austérité capitaliste.

En contrepartie, le projet de loi 89 octroie au gouvernement le pouvoir d’imposer un lock-out aux travailleurs des secteurs publics et parapublics, une pratique qui était jusque-là interdite.

Démontrant que toute la classe dirigeante est derrière cette attaque frontale contre les droits fondamentaux des travailleurs, le Parti libéral du Québec et le Parti québécois, les deux partis traditionnels de gouvernement qui se retrouvent aujourd’hui dans l’opposition, ont exprimé leur appui au projet de loi.

Faisant écho à la déclaration du Conseil du patronat que le projet de loi 89 est une «bonne nouvelle» et une «solution pragmatique», le chef du PLQ Marc Tanguay a déclaré que les modifications législatives permettraient un «juste équilibre». Plus prudent, le PQ a déclaré qu’il était «ouvert à la discussion» et que le projet de loi «mérite une étude très particulière».

Seul Québec solidaire, un parti de la «pseudo-gauche» qui prétend à l’occasion parler pour les travailleurs, a fait mine de s’opposer au projet de loi 89 tout en exprimant sa véritable orientation vers la bureaucratie syndicale procapitaliste et nationaliste et les couches aisées des classes moyennes. Son député Alexandre Leduc a déclaré que le projet de loi risquait de casser «l’outil syndical» et qu’avec «la fin des grèves» ça ne serait «pas beau pour la classe moyenne». QS a pathétiquement demandé au gouvernement Legault de retirer son projet de loi.

Quant aux syndicats, ils ont écarté en partant toute option de mobiliser leurs centaines de milliers de membres devant ce que la présidente de la CSN (Confédération des syndicats nationaux) Caroline Senneville a qualifié de «déclaration de guerre». Ils vont plutôt prier le Premier ministre Legault, connu pour ses positions ultra-droitières et anti-ouvrières, de faire marche arrière. Et si Legault ne bronche pas, ce qui est certain d’arriver, les syndicats vont contester la loi devant les tribunaux – un processus qui prendra des années et qui, peu importe l’issue légale, ne mettra pas fin à la campagne de la classe dirigeante pour éliminer le droit de grève.

En effet, le recours à des méthodes toujours plus autoritaires telles que celles prévues dans le projet de loi 89 pour réprimer la lutte des classes est le reflet d’un processus objectif d’intensification des tensions de classe au Québec et au Canada, alors que les inégalités sociales sont à leur plus haut niveau jamais mesuré par Statistiques Canada.

Tout comme aux États-Unis, où le second mandat de Donald Trump à la présidence exprime un violent réalignement du système politique avec un système économique dominé par une oligarchie hostile à tout semblant de contrôle démocratique de son pouvoir, le patronat canadien a recours à des méthodes de plus en plus dictatoriales pour défendre ses intérêts de classe.

Ces développements soulignent que les travailleurs, au Québec comme ailleurs au Canada, font face à une lutte politique – non pas contre tel ou tel employeur particulièrement vorace, mais contre une classe dirigeante déterminée à utiliser son pouvoir économique et son contrôle des gouvernements pour éliminer les droits démocratiques et réduire considérablement la position sociale des travailleurs.

Mais le principal obstacle à une telle lutte demeure les syndicats qui agissent comme partenaires juniors du patronat et de l’État pour imposer des contrats remplis de reculs et garder les travailleurs enchainés dans le processus légaliste des «relations de travail».

Les travailleurs doivent sortir du cadre étroit dans lequel les syndicats les confinent en bâtissant de nouveaux organes de lutte – des comités de la base indépendants des appareils syndicaux qui pourront mobiliser la force sociale de la classe ouvrière pour défendre les emplois, les salaires et les droits démocratiques des travailleurs.

Cela doit être associé à une lutte politique contre le système de profits, qui est la source de la guerre impérialiste, des inégalités sociales et de la résurgence du fascisme.