«Il y a un manque de ressources dans les banques alimentaires: on est parfois forcé de refuser des gens»

L’insécurité alimentaire augmente drastiquement au Canada

Le rapport Bilan-Faim 2024 de Banques alimentaires Canada, publié en octobre dernier, fait état d’une croissance marquée du recours à l’aide alimentaire au pays, qui a atteint un nouveau record cette année. Les récentes données concordent avec une paupérisation générale de la classe ouvrière canadienne dans un contexte de profonde crise capitaliste.

D’entrée de jeu, le rapport souligne que les banques alimentaires canadiennes ont reçu, en moyenne, plus de 2 millions de visites mensuelles au cours de la dernière année, soit 6% de plus que l’année précédente et près de 90% de plus qu’en 2019. Les enfants représentent le tiers des usagers des banques alimentaires; c’est donc 680.000 enfants qui manquent de nourriture dans le pays soi-disant «avancé» qu’est le Canada.

Le rapport constate qu’il a fallu 25 ans avant que le nombre de visites atteigne 1 million par mois, or ce chiffre a doublé au cours des cinq dernières années. Sur une population totale de 40 millions d’habitants, ce serait donc 5% de la population à avoir recours aux banques alimentaires pour subvenir à leurs besoins de base, un chiffre qui ne reflète que partiellement l’état réel de la pauvreté au Canada.

Suivant la tendance des dernières années, le rapport Bilan-Faim a aussi révélé que de plus en plus de travailleurs ont recours aux banques alimentaires. Pour 18,1% des visiteurs, leur source de revenu provient de leur salaire d’emploi. Il s’agit d’un taux record qui dépasse les 16,7% de l’année 2023 et qui représente une hausse drastique comparativement aux 12% de 2019. Sans surprise, les immigrants, les mères célibataires et les personnes âgées sont lourdement représentés parmi les usagers des banques alimentaires.

Selon l’Observatoire québécois des inégalités, la hausse d’insécurité alimentaire est la plus marquée, toutes proportions gardées, chez ceux dont le revenu, après impôt et transferts, se situe entre 29.600$ et 79.000$. Pris avec une série de paiements (hypothèque ou loyer, voiture, essence, etc.), ces travailleurs sont durement touchés par la hausse fulgurante des prix depuis 2020. Ils étaient 240.000 en 2022 à se retrouver en situation d’insécurité alimentaire au Canada, dont 50.000 en situation «grave».

Plusieurs centres communautaires, comme Nouveau Départ à Montréal, offrent un service de dépannage alimentaire.

Le centre communautaire Nouveau Départ, situé dans le quartier montréalais de Rosemont, offre un service de dépannage alimentaire. Michelle, bénévole depuis 3 ans à cet organisme, s’est entretenue avec le World Socialist Web Site. Elle a noté des changements majeurs depuis la pandémie de COVID-19.

Michelle a dit que l’organisme «est passé de 100 à 300 usagers en peu de temps» et qu’«on est forcé de refuser des usagers par moments». Cela confirme les conclusions du rapport Bilan-Faim qu’au moins «30% des banques alimentaires au Canada manquent de nourriture» et que le système a atteint «sa limite absolue» face à un sous-investissement gouvernemental chronique.

«On voit des étudiants, des mères monoparentales, des immigrants», a dit Michelle, ajoutant qu’«on voit beaucoup plus de réfugiés et de personnes âgées maintenant. Les réfugiés viennent surtout de l’Ukraine, mais aussi du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Les personnes âgées sont souvent originaires du Québec, et la hausse du nombre est sans doute liée à la hausse du coût de la vie, des loyers, et aussi des pensions de retraite insuffisantes».

Michelle a aussi expliqué qu’elle voit plus de travailleurs qu’avant. «Avec le coût du loyer, ils n’arrivent pas financièrement. Comme les quantités sont limitées, certains font deux, trois banques alimentaires pour avoir suffisamment de nourriture, surtout ceux qui ont plusieurs enfants».

Elle note également un plus grand nombre de travailleurs immigrants, souvent d’anciens professionnels dans leur pays qui peinent à valider leur équivalence ici en matière de formation et expérience de travail. «Il y a des couples dont le monsieur travaille à temps partiel, car c’est tout ce qu’ils ont trouvé. Par exemple, un Africain ayant une formation d’informaticien me demande régulièrement si on a un emploi à lui offrir».

Michelle, bénévole à Nouveau Départ

Bien que les chiffres notés plus haut soient accablants, ils ne sont en réalité que la pointe d’un iceberg beaucoup plus sombre.

En avril dernier, un rapport de Statistique Canada révélait que 23% de la population, ou 9 millions de Canadiens, avait connu un certain niveau d'insécurité alimentaire en 2022, année record de l’inflation et de la hausse des prix, notamment sur les aliments. Ces chiffres concordent avec une autre étude menée récemment par Banque alimentaire Canada qui établit que 10,25 millions de Canadiens, soit 25% de la population, vivent aujourd’hui dans la pauvreté.

Malgré une baisse relative de l’inflation au cours des deux dernières années, les prix élevés ont été maintenus, y inclus au niveau de l’alimentation, où cinq conglomérats (Loblaw, Sobeys, Metro, Costco et Walmart) contrôlent presque l’entièreté du marché. Ces entreprises, dont les chiffres d’affaires dépassent les milliards, ont profité de la pandémie pour gonfler les prix et amasser des profits monstres. Faisant fi des vaines demandes du gouvernement canadien pour qu’ils diminuent leurs prix, les géants de l’alimentation continuent de les augmenter.

Le Rapport sur les prix alimentaires, fruit d’une collaboration de chercheurs universitaires canadiens, estime que l’inflation alimentaire devrait poursuivre sa hausse en 2025 et que le prix du panier d’épicerie devrait augmenter de 3 à 5%. Cela signifie qu’une famille de quatre devra débourser environ 800$ de plus pour s’alimenter cette année, soit un total moyen de 16.833$.

À ces conditions déjà précaires, viennent s’ajouter les mesures protectionnistes, comme la hausse des tarifs douaniers annoncée par le gouvernement Trump et les contre-tarifs du Canada, qui auront des conséquences dévastatrices pour la classe ouvrière des deux côtés de la frontière.

L’appauvrissement massif de la classe ouvrière est le résultat des politiques délibérées de l’élite dirigeante et de ses gouvernements, qui visent à transférer toujours plus de richesses sociales du bas vers le haut et à faire porter tout le poids de la crise capitaliste aux travailleurs.

Actuellement, le 1% des Canadiens les plus riches monopolisent 26% des richesses sociales du pays. Quatre des cinq Canadiens les plus riches ont vu leurs richesses s’accroître des deux tiers depuis la pandémie. Les 10 Canadiens les plus riches ont un avoir combiné de 261 milliards, une hausse fulgurante depuis 2004 quand ce montant était de 60 milliards.

Les gouvernements capitalistes, tant au niveau provincial que fédéral et peu importe leur étiquette politique, servent les intérêts de cette élite financière. Les nouvelles mesures d’austérité déjà annoncées vont être utilisées pour enrichir les banques et les grandes entreprises, et pour financer les plans militaires de l’impérialisme canadien contre la Russie et la Chine.

Les ressources existent amplement pour répondre aux besoins de tous, mais elles sont monopolisées par la classe dirigeante. La lutte pour assurer un niveau de vie décent à tous est indissociable d’une lutte politique de toute la classe ouvrière, au Canada et internationalement, contre le système d’exploitation capitaliste qui est la source des inégalités sociales et de la guerre.