Québec: la CAQ défend la pollution massive et mortelle générée par la multinationale Glencore à Rouyn-Noranda

La divulgation de statistiques gouvernementales jusqu’ici cachées à la population et montrant que les citoyens de Rouyn-Noranda sont empoisonnés depuis des années par la grande société transnationale Glencore a provoqué l’indignation populaire dans toute la province.

La Fonderie Horne à Rouyn-Noranda, petite ville industrielle au nord du Québec, produit des anodes de cuivre à partir de métaux extraits d’une mine située sur le site et de vieux composants électroniques chauffés à très haute température. Opérant depuis des décennies, elle a été acquise en 2013 par la multinationale Glencore, l’une des plus grandes et des plus rentables dans le secteur des ressources naturelles au monde. Présente dans 35 pays, la société gère autour de 150 installations dans le domaine des mines, de la métallurgie et de la production pétrolière.

La Fonderie Horne de Rouyn-Noranda (source: wikipedia) [Photo by Clarius29 / CC BY-SA 4.0]

C’est un fait connu de longue date – mais ignoré par les gouvernements successifs au niveau provincial et fédéral – que les processus employés à cette usine émettent dans l’air des tonnes de métaux lourds à des niveaux dépassant largement les normes environnementales, ce qui fait d’elle l’une des usines les plus polluantes du Canada. La première étude sérieuse sur les matières toxiques qu’elle dégage a été réalisée dès 1975, et la communauté de Rouyn-Noranda s’est depuis mobilisée à maintes reprises pour exiger la fin de ces émissions incontrôlées.

Les informations révélées au cours des dernières semaines ont apporté de nouvelles preuves sur les conséquences nocives, et mortelles, de la pollution massive engendrée par la Fonderie Horne. Ces révélations ont également mis en lumière comment le gouvernement de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec) collabore étroitement – dans la foulée de ses prédécesseurs – avec la compagnie pour garantir ses profits au détriment de la santé et des vies des habitants de Rouyn-Noranda.

Radio-Canada a révélé en juin dernier qu’en 2019, celui qui était alors le directeur national de la santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda, a décidé – après une rencontre avec les dirigeants de Glencore – de bloquer la publication de données comparant l’état de santé à Rouyn-Noranda avec le reste de la province.

Les écarts substantiels enregistrés pointaient les émissions d’arsenic et d’autres métaux lourds à la fonderie Horne pour les graves problèmes de santé qui affligent la population de Rouyn-Noranda. Ces statistiques – rendues disponibles seulement en mai 2022 après plus de deux ans et demi de censure – donnent froid dans le dos:

* un nombre beaucoup plus élevé de naissances avec faible poids;

* une espérance de vie nettement moindre que la moyenne québécoise, jusqu’à 5 ans de moins dans les quartiers les plus proches de la fonderie;

* 50% plus de cas de la maladie pulmonaire obstructive chronique;

* un taux de cancer du poumon de 140,3 cas par 100.000 habitants entre 2013 et 2017, comparativement à 107,7 pour l’ensemble de la province (le taux de tabagisme étant par ailleurs sensiblement le même que dans le reste de la province).

Incidence du cancer du poumon à Rouyn-Noranda (ligne du haut) et dans l’ensemble de la province (ligne du bas). Ces données provenant du ministère de la Santé du Québec ont été censurées par Arruda en 2019 et seulement rendues publiques en mai 2022. (Source: comité consultatif de suivi de l’étude de biosurveillance du quartier Notre-Dame)

Ces informations accablantes figuraient dans une annexe – supprimée sous les ordres d’Arruda – à une étude de biosurveillance menée par la Direction de la Santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue (DSPu) et publiée en 2019.

Cette étude faisait état d’un taux élevé d’arsenic, qui était notamment 3,7 fois plus élevé dans les ongles des enfants du quartier Notre-Dame, proche de la fonderie, que dans une autre ville de la région. La DSPu écrivait alors que «la population de ce quartier est […] exposée simultanément à de multiples métaux qui peuvent agir de façon synergique et augmenter leur toxicité dans l’organisme».

Arruda, le principal responsable de cette suppression d’informations, allait superviser quelques mois plus tard la réponse désastreuse du gouvernement caquiste à la pandémie. Comme à Rouyn-Noranda, la CAQ fait passer les profits avant les vies humaines. Elle a exigé que les usines et la plupart des milieux de travail restent ouverts, ainsi que les écoles, afin que les profits puissent continuer d’être extraits du travail de la classe ouvrière. Elle a abandonné tout effort pour combattre la pandémie au nom de la politique meurtrière et anti-sanitaire du «vivre avec le virus». Le résultat est que la province enregistre maintenant près de 16.000 décès, des millions de personnes infectées au moins une fois à la COVID-19 et un système de santé qui est en train de s’écrouler.

Les résultats de l’étude de biosurveillance de 2019 n’ont rien de surprenant. La CAQ et ses prédécesseurs – le Parti québécois et le Parti libéral du Québec – sont au courant depuis des décennies des taux anormalement élevés d’arsenic dans l’air et de cancer du poumon à Rouyn-Noranda, sans parler de l’émission d’autres métaux lourds et d’autres problèmes de santé majeurs reliés.

Défendant impitoyablement les profits gigantesques de Glencore, le gouvernement du Québec permet à la fonderie Horne d’émettre 200 ng/m³ d’arsenic (abaissé à 100 ng/m³ en 2021) alors que la norme pour tout le Québec est de 3 ng/m³ depuis 2011. Des recherches récentes ont démontré les effets neurotoxiques de l’arsenic à des concentrations aussi basses que 15 ng/m³, particulièrement chez les enfants. Quant au gouvernement fédéral libéral de Justin Trudeau, il s’est lavé les mains de toute l’affaire, car la réglementation de cette industrie est sous juridiction provinciale.

La CAQ a autorisé la Fonderie Horne à élaborer son propre «plan d’action», c’est-à-dire à s’«autoréguler». Sans surprise, ce «plan d’action» a été adopté pratiquement tel quel par des responsables du gouvernement, dont Arruda faisait partie. Le plan, fait sur mesure pour protéger les intérêts de Glencore, rejetait les principales demandes des médecins, experts en santé publique et citoyens de Rouyn-Noranda, à savoir: la réduction des émissions d’arsenic à la norme provinciale et l’ajout de nombreuses stations d’échantillonnages afin de mieux mesurer les taux d’arsenic et autres métaux lourds dans la région.

Le comité ARET (Arrêt des Rejets et Émissions toxiques) de Rouyn-Noranda, un groupe composé de résidents et spécialistes, ajoute que les échantillons devraient être récoltés beaucoup plus régulièrement, car les taux d’arsenic peuvent varier beaucoup dans la même journée. Actuellement, le ministère de l’Environnement prend un échantillon tous les trois jours et fait une moyenne.

Les années qui ont suivi l’implantation du «plan d’action» de Glencore ont vu une augmentation significative des émissions d’arsenic. Les taux d’émissions sont passés de 69 ng/m³ en 2020 à 100 ng/m³ en moyenne en 2021. Un pic de 1170 ng/m³ d’arsenic dans l’air a même été enregistré le 22 janvier 2021. Selon l’Inventaire national des rejets de polluants, la fonderie a rejeté 36 tonnes d’arsenic dans l’air en 2021. Il faut remonter à 2004 pour trouver une année où la fonderie avait rejeté plus de polluants, soit 52 tonnes. L’arsenic, une fois retombé, contamine les sols.

Les statistiques accablantes qui ont finalement paru en mai 2022, et la révélation qu’Arruda est intervenu en 2019 pour détourner l’attention de l'impact dévastateur des émissions d’arsenic, ont fait grimper la colère populaire dans toute la province.

Cinquante médecins de la région ont signé une lettre ouverte demandant aux autorités d’agir immédiatement pour que les taux d’émissions de l’arsenic et autres métaux lourds de la fonderie soient rendus conformes à la norme provinciale.

Cette opposition du corps médical a trouvé un écho dans le prestigieux British Medical Journal, ou BMJ, l'une des revues médicales les plus lues dans le monde. L'article du BMJ décrit l'impact des émissions toxiques élevées de la fonderie sur la santé des gens de Rouyn-Noranda tout en montrant que la CAQ était parfaitement au courant. Il examine également d’un point de vue critique les prétextes avancés par Arruda pour justifier la censure de ces informations.

Le gouvernement a répondu à l’indignation populaire sur ce dossier en lançant une nouvelle opération de relations publiques, montrant une fois de plus qu'il est prêt à mentir effrontément pour défendre les profits de la grande entreprise.

Le ministre de l’Environnement s’est rendu à Rouyn-Noranda pour blâmer les gouvernements précédents et dire que du progrès avait été réalisé sous la CAQ, ce que les chiffres récents d’émissions d’arsenic réfutent clairement.

La présidente-directrice générale du Centre intégré de santé et services sociaux de l'Abitibi-Témiscamingue (CISSS-AT), Caroline Roy, a affirmé que c’est «réellement tout récemment où on a constaté qu’il y a des inégalités en santé» à Rouyn-Noranda. En réalité, il a été révélé dès 1998, par exemple, que l’espérance de vie du quartier Notre-Dame (proche de la fonderie) était inférieure à la moyenne provinciale de près de 10 ans.

Le Dr Luc Boileau, le successeur d’Arruda, a martelé que ce serait «une erreur grave» d’associer les graves problèmes de santé observés dans la ville – incidence anormalement élevée du cancer du poumon, espérance de vie significativement moindre, plus grande proportion de bébés de faible poids – à l’émission massive d’arsenic et autres métaux lourds par la fonderie.

La contamination de Rouyn-Noranda par Glencore est un des nombreux exemples de la subordination des besoins sociaux aux profits capitalistes, avec ses conséquences dévastatrices sur l’environnement et la vie de millions de personnes. Pour ne citer que deux exemples parmi les plus notoires:

* En Ontario, la communauté anichinabée de Grassy Narrows a été contaminée au mercure par Dryden Chemical, une compagnie de pâtes et papiers qui a jeté des tonnes de ce produit toxique dans la rivière English-Wabigoon entre 1962 et 1970. Environ 90 pour cent des membres de la communauté ont des symptômes physiques de l’empoisonnement au mercure.

* Au Japon, au moins 75.000 personnes ont développé des symptômes de l’empoisonnement au méthylmercure, après que le fabricant de produits chimiques Chisso ait jeté des milliers de litres d’eau non traitée dans la baie de Minamata entre 1951 et 1968.

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