Face à la «progression des nouveaux cas, des hospitalisations et des décès liés à la COVID-19», des experts québécois en santé publique ont publié lundi dernier une lettre préconisant un «arrêt complet, qui ne garderait ouverts que les services essentiels pendant deux semaines», soit durant le congé des Fêtes de fin d’année.
Cet appel à une version limitée du confinement instauré au printemps, qui a permis de sauver des milliers de vies, a été immédiatement rejeté par le gouvernement de François Legault. Ce dernier maintient sa politique de «l’immunité collective», soit le rejet de toutes mesures sanitaires pouvant freiner la pandémie mais jugées nuisibles à l’extraction de profits sur le dos des travailleurs.
Co-signée par plus de 75 universitaires, tous experts en santé publique ou en économie, la lettre ouverte a paru dans La Presse sous le titre: «Agir collectivement pour sauver des vies». Elle cite notamment un rapport de l’INSPQ (Institut national de santé publique du Québec) faisant état d’une «11e semaine de suite présentant une hausse des éclosions et des cas dans les milieux de travail».
Écrite par Roxane Borgès Da Silva (professeure agrégée à l’école de santé publique de l’Université de Montréal) et Pierre-Carl Michaud (professeur titulaire du département d’économie appliquée aux HEC de Montréal), la lettre trace un portrait alarmant de la pandémie au Québec, alors que les cas explosent partout au Canada.
Dimanche, le Québec dénombrait un total de 163.915 infections depuis le début de la pandémie, dont 1.994 dans les 24 dernières heures; et il dépassait le seuil macabre des 7.500 décès, ce qui représente sur une population totale de moins de 9 millions l’un des taux les plus élevés de mortalité due à la COVID-19 dans le monde.
«Notre système de soins est en forte tension», peut-on lire dans la lettre ouverte. Effectivement, plusieurs établissements de santé affichent des taux d’occupation supérieurs à 100 pour cent, les obligeant à ouvrir des unités COVID supplémentaires pour répondre à la demande. La semaine dernière, le gouvernement a invoqué le manque de ressources pour annoncer une réduction de près de 50 pour cent des activités chirurgicales régulières, ce qui va tragiquement augmenter la surmortalité liée à la pandémie.
La lettre ouverte souligne avec raison «une surcharge de travail et un épuisement généralisé des ressources humaines en santé». Il faut ajouter que c’est le résultat de décennies de coupes budgétaires et suppressions d’emplois, qui ont été menées par tous les paliers de gouvernement au Canada au nom de l’austérité capitaliste.
Le personnel soignant est à bout de souffle. Chaque semaine, il y a plus de travailleurs qui doivent quitter qu’il y en a qui reviennent, et ceux qui restent doivent jongler avec l’anxiété et le surmenage, et assumer une charge de travail toujours plus imposante.
Tout en partageant le constat de la lettre ouverte sur l’état précaire et alarmant du système de santé, certains experts ont critiqué les deux semaines préconisées de confinement comme étant insuffisantes «pour avoir un impact important».
C’est le cas de Benoît Mâsse, professeur de médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, et de la Dre Cécile Tremblay, microbiologiste et infectiologue au CHUM (Centre hospitalier universitaire de Montréal). Les deux ont insisté sur un confinement minimal de quatre semaines pour mettre un frein «au gros de la transmission».
Selon Mâsse, «l’option qui donnerait vraiment beaucoup plus d’impact, en réduisant les contacts, c’est le prolongement de l’école à distance». Cette critique de la réouverture non sécuritaire des écoles, qui fait partie de la campagne incessante de retour au travail menée par la classe dirigeante, forme un contraste frappant avec la posture politique des signataires de la lettre ouverte.
Ces derniers ont beau constater que les «éclosions dans les écoles et les milieux de travail ne cessent d’augmenter», ils évitent de réclamer la fermeture permanente des écoles et de la production non essentielle jusqu’à ce que le virus soit contrôlé, avec pleine compensation financière pour les travailleurs.
Loin de remettre en question la politique criminelle de «l’immunité collective», adoptée au Québec comme ailleurs au Canada, aux États-Unis, en Europe et dans le monde, la lettre ouverte accepte le principe que «l’économie» (la production pour le profit) doit avoir préséance sur la vie humaine. Elle avance l’idée qu’un confinement limité aux deux semaines du congé des fêtes est faisable «sans engendrer un impact trop négatif sur notre économie».
Selon les découvertes épidémiologiques et toute l’expérience acquise depuis le début de la pandémie, ce qui est nécessaire c’est un véritable confinement s’étalant sur des semaines, voire des mois, jusqu’à ce que le virus soit contrôlé – avec l’aide des vaccins prometteurs qui doivent être maintenant déployés et rendus accessibles à toute la population mondiale.
L’école à distance doit être instaurée pour tous les élèves et les lieux de travail non essentiels doivent être fermés. Pour réduire l’impact financier sur les travailleurs devant rester chez eux, ces derniers doivent recevoir une aide gouvernementale leur assurant une pleine compensation et un revenu suffisant pour assurer à leur famille un niveau de vie décent. Et les petites entreprises doivent recevoir des subventions pour compenser la perte de leurs revenus.
Le confinement doit être accompagné des mesures sanitaires indispensables pour vaincre la pandémie: dépistage de masse, retraçage des contacts et investissements massifs en santé. Les moyens existent pour mettre en place un tel programme d’urgence, mais ils sont monopolisés par les marchés financiers et la grande entreprise, qui ont bénéficié de plus de 675 milliards en plans de sauvetage d’Ottawa au début de la pandémie.
Cela soulève la nécessité d’une lutte politique indépendante de la classe ouvrière sur la base d’une perspective socialiste: la réorganisation de la société afin de satisfaire les besoins humains, et non les profits d’une minorité.