1982: Le marxisme, le parti révolutionnaire et la critique des Études dialectiques de Healy

La conférence suivante a été prononcée par Christoph Vandreier, secrétaire national du Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste) d’Allemagne, lors de l’Université d’été internationale du PES (États-Unis), qui s’est tenue du 30 juillet au 4 août 2023.

The opening report by WSWS International Editorial Board Chairman and SEP National Chairman David North, “Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Epoch of Imperialist War and Socialist Revolution,” was published on August 7.

Le rapport d’ouverture de David North, président du comité éditorial international du WSWS et président national du PES, «Léon Trotsky et la lutte pour le socialisme à l’époque de la guerre impérialiste et de la révolution socialiste», a été publié le 7 août.

La deuxième conférence, «Les fondements historiques et politiques de la Quatrième Internationale», a été publiée le 14 août.

La troisième conférence, «Les origines du révisionnisme pabliste, la scission au sein de la IVe Internationale et la création du Comité international», a été publiée le 18 août.

La quatrième conférence, «La révolution cubaine et l’opposition de la SLL à la réunification pabliste sans principes de 1963», a été publiée le 25 août.

La cinquième conférence, «La “grande trahison” à Ceylan, la formation du Comité américain pour la Quatrième Internationale et la fondation de la Ligue des travailleurs», a été publiée le 30 août.

La sixième conférence, «La poursuite de la lutte contre le pablisme, le centrisme de l’OCI et la crise naissante au sein du «CIQI», a été publiée le 6 septembre.

La septième conférence, «Le CIQI démasque le «néocapitalisme» d’Ernest Mandel et analyse la crise économique mondiale: 1967 à 1971», a été publiée le 8 septembre.

La huitième conférence, «Le reniement de Wohlforth, le renouveau de la lutte contre le pablisme au sein de la Workers League et le tournant vers la classe ouvrière», a été publiée le 13 septembre.

La neuvième conférence, «Le rôle de la Sécurité et de la Quatrième Internationale dans la lutte pour la continuité du Comité international de la Quatrième Internationale», a été publiée le 21 septembre.

La WSWS publiera toutes les conférences dans les semaines à venir.

Lorsqu’on lit les études de Healy, elles semblent absconses à première vue, étant donné les formulations éclectiques, la présentation incohérente et les transitions arbitraires. Au milieu de bouleversements politiques massifs, Gerry Healy se concentre sur les processus cognitifs individuels, qu’il mystifie à l’aide de phrases hégéliennes et qu’il détache complètement de l’analyse des développements objectifs.

C’est pourtant là que réside l’essence même de ses écrits et discours sur la dialectique. Dans sa tentative de justifier la pratique opportuniste du WRP (Workers Revolutionary Party), Healy s’appuyait de plus en plus sur toutes les idéologies idéalistes qui circulaient dans les universités. Répondre à ces concepts était essentiel pour défendre le marxisme contre ces positions et ancrer notre mouvement dans les expériences historiques du mouvement trotskiste.

La critique de David North, cependant, était également importante précisément parce que Healy tentait d’abuser d’un grand héritage du mouvement marxiste qui est la défense de la méthode marxiste, le matérialisme dialectique, pour élaborer la ligne indépendante de la classe ouvrière dans le développement historique.

La défense du matérialisme dialectique et la lutte contre l’opportunisme dans le mouvement trotskiste

La question de la philosophie et l’attention que le WRP lui a portée n’étaient pas à l’origine de nature négative. Elle était elle-même basée sur une tradition réellement critique. David North en parle longuement dans Leon Trotsky and the Development of Marxism [1], écrit parallèlement à la critique des Etudes de Healy et qui pose les bases du matérialisme historique et dialectique sous une forme positive. Ces deux documents sont étroitement liés et doivent être lus dans leur contexte commun.

Les changements fondamentaux survenus à l’époque de l’impérialisme dans son ensemble, et en particulier dans la phase qui a suivi la révolution d’Octobre, ont posé de grands défis aux marxistes, qui ont dû comprendre ces changements et orienter le travail révolutionnaire en conséquence. C’est pourquoi, déjà pour Lénine, l’examen de la méthode et de la philosophie marxistes était essentiel. Dans son ouvrage Matérialisme et empiriocriticisme [2] et dans ses Cahiers philosophiques [3], Lénine a examiné en détail les questions du matérialisme dialectique et du matérialisme historique.

Léon Trotsky

Trotski a lui aussi fondé sa lutte contre la bureaucratie stalinienne sur une compréhension dialectique précise de l’évolution du monde et du premier État ouvrier, montrant ainsi le lien étroit entre le rejet de la dialectique et une ligne politique opportuniste. Il s’est intéressé à la dialectique dans toute une série d’essais sur la science dans les années 1920 et a maîtrisé la méthode dialectique dans tous ses écrits. Dans Leon Trotsky and the Development of Marxism (Léon Trotsky et le développement du marxisme), North écrit:

Dans cet exposé objectif du développement historique réel, Trotsky a démontré la faillite du mode de pensée métaphysique qui, procédant d'une logique formelle, opposait rigidement la révolution démocratique à la révolution socialiste....

Partant d'une analyse concrète de la nature de l’époque, du rapport des forces de classe à l’échelle mondiale et des caractéristiques spécifiques de la société chinoise et du développement de sa révolution, Trotsky a démontré comment, conformément aux lois sociales objectives, les «opposés» de la révolution démocratique-nationale et de la révolution sociale sont devenus «identiques» et se sont «transformés l'un en l'autre». [4]

La méthode dialectique de Trotsky peut être étudiée dans tous ses écrits. Dans sa Critique du projet de programme de l'Internationale communiste, Trotsky écrit:

Le programme international doit procéder directement d'une analyse des conditions et des tendances de l'économie mondiale et du système politique mondial pris dans son ensemble, avec toutes ses connexions et ses contradictions, c'est-à-dire avec l'interdépendance mutuellement antagoniste de ses parties séparées. A l'époque actuelle, beaucoup plus que par le passé, l'orientation nationale du prolétariat ne doit et ne peut découler que d'une orientation mondiale et non l'inverse. [5]

En Allemagne: Et après? Trotsky écrit:

L’essentiel de cette philosophie stalinienne est tout à fait clair: de la négation marxiste de la contradiction absolue [entre le fascisme et la social-démocratie], elle déduit la négation générale de la contradiction, même de la contradiction relative. Cette erreur est typique du radicalisme vulgaire. Car s'il n'y a aucune contradiction entre la démocratie et le fascisme - même dans la sphère de la forme du pouvoir de la bourgeoisie - alors ces deux régimes doivent évidemment être équivalents. D'où la conclusion : Social-démocratie égale fascisme. [6]

Voilà le matérialisme dialectique en action!

Dans ses polémiques avec Sydney Hook et Max Eastman, et plus tard avec Burnham et Shachtman, Trotsky s’est délibérément battu pour la défense et le développement de la méthode marxiste contre toute position pragmatique, empirique ou agnostique. Il comprenait très bien le lien étroit entre la répudiation de la politique révolutionnaire et l’abandon du matérialisme dialectique.

Comme Johannes et Clara, ainsi que Joe, l’ont déjà expliqué plus en détail, Burnham et Shachtman soutenaient que l’Union soviétique n’était plus un État ouvrier et que la bureaucratie avait émergé en tant que nouvelle classe dirigeante dans ce qu’ils appelaient le «capitalisme d'État». Trotsky comprit que cette position exprimait le scepticisme des couches petites-bourgeoises à l'égard de la classe ouvrière et, déjà dans L'URSS en guerre, il précisait très clairement la question.

Derrière la dispute sur la détermination sociologique de l’Union soviétique se cachait un axe de classe complètement différent, hostile au marxisme. La position agnostique de Shachtman à l’égard du matérialisme dialectique résultait de son rejet de la classe ouvrière en tant que force révolutionnaire, qui était profondément ancré dans la pensée petite-bourgeoise aux États-Unis. Dans L’opposition petite-bourgeoise au sein du Socialist Workers Party, Trotsky déclarait:

Il était indispensable d'expliquer pourquoi l'intelligentsia 'radicale' des États-Unis accepte le marxisme sans la dialectique (la montre sans le ressort). Il est facile de percer ce secret. Nulle part la lutte de classe n'a été aussi décriée qu'au pays des 'possibilités illimitées'. Le refus d'admettre que les contradictions sociales sont l'élément moteur du développement a conduit, dans le royaume de la pensée théorique, à rejeter la dialectique, comme logique des contradictions. De même qu'en politique on a jugé possible de convaincre tout le monde de la justesse d'un programme donné à l'aide de quelques bons syllogismes et de transformer peu à peu la société par des mesures 'rationnelles', de même, dans le domaine théorique, on a considéré comme prouvé que la logique d'Aristote, abaissée au niveau du bon sens, suffit à résoudre tous les problèmes. [7]

Dans sa lutte contre l’opposition petite-bourgeoise au sein du SWP, Trotsky a donc consacré beaucoup d'attention à la défense de la méthode marxiste comme base théorique de la perspective indépendante de la classe ouvrière. L’ABC de la dialectique matérialiste reste l'une des explications les plus claires du matérialisme dialectique et constitue donc une très bonne base pour discuter du développement ultérieur de ces questions et du recul du WRP par rapport à ces traditions. Trotsky a expliqué:

Nous appelons notre dialectique matérialiste, parce que ses racines ne sont ni dans les cieux (ni dans les profondeurs de notre 'libre esprit'), mais dans la réalité-objective, dans la nature. La conscience est née de l'inconscient, la psychologie de la physiologie, le monde organique de l'inorganique, le système solaire de la nébuleuse. À tous les degrés de cette échelle du développement, les changements quantitatifs sont devenus qualitatifs. Notre pensée, y compris dialectique, n'est qu'une des manifestations de la matière changeante. Il n'y a place, dans cette mécanique ni pour Dieu, ni pour le diable, ni pour l'âme immortelle, ni pour les normes éternelles du droit et de la morale. La dialectique de la pensée, procédant de la dialectique de la nature, a par conséquence un caractère entièrement matérialiste. [8]

Il s'agit bien sûr du fondement même du marxisme, et la plupart des attaques contre le marxisme visent précisément son fondement matérialiste, en introduisant d'une manière ou d'une autre des concepts idéalistes qui donnent la primauté à la pensée sur l'être. Comme dans le cas de Healy, cela passe souvent par la mystification de la dialectique, raison pour laquelle une compréhension claire de la dialectique matérialiste est importante pour notre discussion. Trotsky écrit à ce sujet:

La pensée dialectique est à la pensée vulgaire ce que le cinéma est à la photographie. Le cinéma ne rejette pas la photo, mais en combine une série selon les lois du mouvement. La dialectique ne rejette pas le syllogisme, mais enseigne à combiner les syllogismes de façon à rapprocher notre connaissance de la réalité toujours changeante. Dans sa Logique, Hegel établit une série de lois : le changement de la quantité en qualité, le développement à travers les contradictions, le conflit de la forme et du contenu, l'interruption de la continuité, le passage du possible an nécessaire, etc., qui sont aussi importantes pour la pensée théorique que le simple syllogisme pour des tâches plus élémentaires. [9]

Trotsky développe cela et explique certaines de ces lois sans le moindre mysticisme. La pensée dialectique est nécessaire pour comprendre les choses dans leur développement constant du bas vers le haut. C’est particulièrement vrai pour la société humaine et son développement historique à travers la lutte des classes. C’est précisément la raison pour laquelle le rejet de la classe ouvrière en tant que force révolutionnaire va de pair avec le rejet de la dialectique et du matérialisme historique.

Comme l’explique Tomas, en 1962, les questions de 1939/40 ont resurgi dans le conflit entre le SWP et la SLL sur la caractérisation de Cuba. Une fois de plus, l’opportunisme politique du SWP était lié à l’abandon du matérialisme dialectique au nom des «faits». La SLL a étendu la lutte contre le révisionnisme pabliste au niveau de sa méthodologie idéaliste sous-jacente et, ce faisant, a défendu et développé la méthode marxiste, comme l’explique David North dans L’héritage que nous défendons.

Cliff Slaughter

En fait, la contribution de la SLL à cette lutte a été considérable. Comme pour Trotsky et Lénine, elle était directement liée à la lutte contre l’opportunisme du SWP. Dans Opportunisme et Empirisme, écrit principalement par Slaughter, on peut lire:

Lorsque nous attaquons l’empirisme, nous attaquons cette méthode d’approche qui dit que toutes les déclarations, pour être significatives, doivent se référer à des données observables ou mesurables dans leur forme immédiatement donnée. Cette méthode insiste sur le fait que tout concept «abstrait», reflétant les implications générales et historiques de ces «faits», est dénué de sens. Elle néglige totalement le fait que nos concepts généraux reflètent les lois du développement et de l’interconnexion du processus que ces «faits» contribuent à constituer.

En effet, les prétendus faits concrets de l’expérience concrète sont eux-mêmes des abstractions de ce processus. Ils sont le résultat de la première approximation de notre cerveau des interrelations essentielles, des lois du mouvement, des contradictions du monde éternellement changeant et complexe de la matière… dont ils font partie. Seules des abstractions plus élevées, en théorie avancée, peuvent nous guider vers la signification de ces faits. Ce que Lénine appelait «l’analyse concrète des conditions concrètes» est le contraire d’une descente dans l’empirisme. [10]

Si l’on se limite aux simples faits tels qu’ils se présentent à l’instant donné, on les arrache à leur contexte réel, comme on retire une photo de la vidéo, ainsi que le décrit Trotsky. En fait, dans l’interprétation de ces faits immédiats, les catégories elles-mêmes entrent en jeu, qui ne sont pas conscientes. Mais le développement de catégories correctes fait lui-même partie de la connaissance et du travail scientifique. Et la catégorie centrale du marxisme est la lutte des classes. Slaughter l’a très bien expliqué et a ainsi mis en évidence le lien étroit entre le matérialisme dialectique et le matérialisme historique, c’est-à-dire entre l’épistémologie et la théorie sociale.

Pour être concrète, l’analyse doit commencer par une évaluation de classe de chaque événement, de chaque phénomène. L’empiriste, qui prétend se limiter au seul socle des «faits», impose en fait aux «faits» une série de connexions non énoncées dont les fondements ne sont pas énoncés. Avec Hansen et les pablistes, leur nouvelle réalité est en fait une liste d’abstractions comme «la révolution coloniale», «le processus de déstalinisation», «les tendances irréversibles», «les forces en mouvement à gauche», «la pression de masse», etc. Comme toutes les affirmations sur les phénomènes sociaux, elles sont dénuées de sens si l’on ne démontre pas qu’elles ont un contenu de classe spécifique, car la lutte des classes et l’exploitation sont le contenu de tous les phénomènes sociaux. Cette découverte de Marx est la pierre angulaire théorique que Hansen a perdue, avec tous ses discours sur les «faits». [11]

Un autre ouvrage important de la SLL est l’introduction de Slaughter aux Cahiers philosophiques de Lénine. Les Cahiers ont été publiés pour la première fois en anglais en 1961 et ont suscité de nombreux débats. L’intense préoccupation de Lénine pour Hegel a été interprétée comme un abandon du matérialisme, et le nouveau volume a été mis en contraste avec les écrits antérieurs de Lénine sur l’empiriocriticisme.

Slaughter a répondu à ces insultes et a souligné que Lénine avait toujours fait la distinction entre l’idéalisme de Hegel, que Lénine rejetait furieusement, et les progrès réels réalisés par Hegel dans sa critique de Kant et dans le développement de la logique dialectique. Il a montré que la «démarcation rigide qui est maintenant si souvent faite entre les phases «pré-hégéliennes» et «post-hégéliennes» de sa vie politique» est tout à fait erronée, et qu’«il y a plutôt un développement réellement dialectique dans l'œuvre de Lénine lui-même». Slaughter a également souligné que les carnets de Lénine doivent être étudiés en relation directe avec ses principaux ouvrages de l’époque, tels que L’impérialisme, L’effondrement de la IIe Internationale et Le socialisme et la guerre, dans lesquels il applique la méthode du matérialisme dialectique et historique contre les révisionnistes.

V. I. Lénine

Comme l’a déclaré David North:

L’ouvrage de Slaughter, publié initialement en 1962, a constitué une contribution majeure à la lutte pour le matérialisme dialectique au sein du mouvement trotskiste et reste, à ce jour, peut-être le meilleur exposé des caractéristiques générales de la méthode dialectique. Il n’y a aucune tentative d’obscurcir le rôle de la dialectique par le recours à un langage prétentieux et mystique. Les points essentiels sont clairs: l’homme pense à l’aide de concepts, mais ces concepts ne sont pas fixes, ils reflètent une réalité en constante évolution.

Le développement de nos concepts révolutionnaires est le reflet des changements dans le monde matériel, dont l’essence est pénétrée par le Parti au cours de sa lutte pour préparer et diriger la révolution socialiste. À chaque étape de son activité révolutionnaire dans un monde capitaliste en constante évolution, le parti marxiste cherche à découvrir les lois internes de la crise mondiale. Le mouvement dialectique doit être extrait du monde lui-même et exprimé dans des concepts qui ne sont obtenus qu’à l’issue d’un long travail scientifique. [12]

Slaughter a dirigé ce concept matérialiste directement contre l’empirisme du SWP. Il a écrit:

L’essence de l’histoire du mouvement révolutionnaire prolétarien est l’effort conscient pour développer une théorie scientifique et une stratégie conforme à cette science. Tous les discours sur l’évolution «naturelle» vers le marxisme sont une attaque contre la nécessité de poursuivre ce processus. L’empiriste croit qu’il peut étudier les différentes parties du processus social telles qu’elles se présentent au jour le jour. En les additionnant, il obtiendra une image globale et une perspective internationale «réalistes» ou «objectives».

Supposer que la «méthode dialectique» est un raccourci qui rend inutile tout ce dur travail [d’analyse économique, sociale et politique] est l’erreur de ceux qui parlent avec désinvolture d’«appliquer» la dialectique. [13]

Ces citations peuvent être lues comme une réponse directe aux Studies in Dialectics de Healy. Le texte de Slaughter a en fait constitué une base importante pour le développement de la critique de North, comme il le souligne dans la biographie politique de Slaughter.

Comme nous l’avons vu dans cette école, le Comité américain pour la Quatrième Internationale (ACFI) et la Workers League ont été fondés sur la base de la lutte contre le SWP et se sont fortement inspirés des écrits de la Socialist Labour League (SLL). Après la scission avec Wohlforth, ils ont à nouveau travaillé avec soin sur cet héritage. Lorsque Wohlforth a rejoint les pablistes, il les a également rejoints dans leur attaque contre le matérialisme dialectique.

Comme Evan en a discuté hier, même avec certaines faiblesses, le chapitre sur la philosophie dans La Quatrième Internationale et le renégat Wohlforth expliquait très bien la perspective pragmatiste de Wohlforth et montrait l’importance de la lutte contre le pragmatisme et pour le matérialisme dialectique dans l’édification du mouvement révolutionnaire. Mais en réalité, le document dans son ensemble est une déclaration puissante contre le pragmatisme.

En s’appropriant l’héritage historique du mouvement trotskiste, la Workers League a développé une compréhension claire et unique de la méthode dialectique. Dans le document des perspectives de la WL de 1978, cela est exprimé avec clarté et netteté. Bien qu’il ait déjà été cité par Tom, je vais le citer à nouveau, car il est absolument crucial pour cette discussion:

Il ne peut y avoir de véritable tournant vers la classe ouvrière en dehors de la lutte consciente pour préserver les lignes de continuité historique entre les luttes actuelles de la classe ouvrière et le parti révolutionnaire en tant qu’unité d’opposés et l’ensemble du contenu des expériences historiques objectives de la classe et du développement du bolchevisme. Ce n’est que du point de vue de la lutte pour fonder tout le travail du Parti sur les acquis historiques de la lutte contre le révisionnisme et sur l’immense capital politique et théorique qui est l’héritage laissé par Trotsky à la IVe Internationale que la lutte contre le pragmatisme dans les rangs du Parti et, par conséquent, dans la classe ouvrière elle-même, peut être sérieusement engagée.

Dès que la lutte contre le pragmatisme est détachée de la lutte pour maintenir les liens historiques directs entre la pratique quotidienne des cadres et l’ensemble des expériences historiques par lesquelles le mouvement trotskiste est passé, elle dégénère dans les formes les plus impuissantes de la joute verbale. Ou, pour le dire encore plus exactement, elle devient simplement une autre variété du pragmatisme lui-même. [14]

Cette conception extrêmement puissante de la méthode marxiste et de la construction du parti est dirigée contre l’objectivisme et l’empirisme du SWP, contre la théorie de la reconstruction de l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI) — c’est-à-dire la diminution de l’importance de l’histoire du trotskisme — et, bien sûr, contre la tendance opportuniste croissante au sein du WRP.

La dégénérescence du WRP et le recul de la lutte pour le marxisme

Le WRP a évolué dans la direction opposée. Dans la mesure où il a abandonné la lutte contre le pablisme et développé une pratique de plus en plus opportuniste, dont nous parlerons plus en détail dans d'autres conférences, il a détaché les questions philosophiques précisément de ce contexte historique concret. La question de la dialectique et l’accent mis sur les questions philosophiques ont acquis un caractère complètement différent. L’invocation de la dialectique en soi, sans rapport avec sa vérification dans la clarification du programme et de l’analyse politique, a orienté la question de la dialectique dans une autre direction.

Même dans sa scission avec l’OCI, la SLL a évité les questions politiques centrales et s’est plutôt concentrée sur la méthode marxiste en elle-même. Dans une déclaration du CIQI sur la scission avec l’OCI, que le camarade North a déjà citée au cours de la discussion, Slaughter a déclaré:

La scission n’est pas le résultat de questions organisationnelles ou de malentendus. Il ne s’agit pas non plus d’aspects tactiques sur la manière de construire la Quatrième Internationale. Il s’agit d’une scission politique, qui touche aux fondements de la Quatrième Internationale — la théorie marxiste.

Les délégués de la SLL ont montré, à partir de l’expérience de la construction du parti révolutionnaire en Grande-Bretagne, qu’une lutte approfondie et difficile contre les modes de pensée idéalistes était nécessaire et qu’elle allait bien au-delà des questions d’accord sur le programme et la politique. [15]

Une réponse puissante à cette question se trouve dans Comment le WRP a trahi le trotskisme, qui affirme que «la question du matérialisme dialectique n’a ni épuisé ni supplanté les questions politiques et programmatiques fondamentales qu’il restait à traiter». Peter a déjà présenté la citation complète et l'a discutée.

Ces questions sont devenues encore plus claires lors de la scission avec Alan Thornett. Le WRP a alors très délibérément contourné les questions politiques, car celles-ci auraient inévitablement conduit à une discussion sur sa propre base fragile dans la campagne contre le gouvernement Heath. Au lieu de cela, il se concentra presque exclusivement sur les questions philosophiques, les détachant de plus en plus de l'assimilation de l'histoire du mouvement trotskiste. Dans Whither Thornett?, Michael Banda attaque même Thornett pour avoir fait du programme un fétiche. Le parti ne doit pas partir du programme, mais de la crise économique et sociale actuelle et l’appliquer au programme. La question décisive n'est pas l’accord sur le programme, mais «la nature et les méthodes du parti lui-même», déclare Banda. «Le programme est subordonné au conflit entre la pratique du parti et sa théorie». [16]

«Le caractère du programme du WRP, semblait-il admettre, serait en fin de compte décidé par le résultat du conflit croissant entre la pratique opportuniste du parti et son adhésion formelle à la théorie révolutionnaire». [17] a écrit David North, en réponse à Banda, dans Gerry Healy et sa place dans l'histoire de la Quatrième Internationale.

La mystification de la dialectique et sa séparation de la lutte pour le programme du parti révolutionnaire ont pris des formes de plus en plus manifestes au fur et à mesure que l’axe de classe du WRP se déplaçait et que ses manœuvres devenaient plus opportunistes. Les professeurs d’université Cliff Slaughter, Geoff Pilling, Tom Kemp et Cyril Smith jouèrent un rôle de plus en plus important dans l’orientation du parti. North écrit:

En effet, plus le travail théorique du parti se séparait de la lutte pour le trotskysme et s’y opposait, plus il devenait le domaine privilégié d’un «groupe de réflexion» de la classe moyenne composé des quatre professeurs et de Healy. Le statut de ces hommes dans le parti, basé sur leur formation académique, était sans commune mesure avec leur implication réelle dans le travail politique. [18]

En septembre 1975, le College for Marxist Education est fondé dans le Derbyshire, qui deviendra le centre de l'attaque contre le marxisme. L’«éducation» est de plus en plus orientée vers l’apprentissage de la «dialectique inconsciente», tandis que Trotsky et l’histoire du mouvement trotskiste ne jouent plus aucun rôle. David North résume de manière frappante l’approche de Healy:

La méthode d’enseignement de Healy consistait en de longues remarques introductives, qui traitaient généralement des problèmes qui s’étaient posés dans le travail du WRP. Jusqu’à ce point, le public suivait Healy avec un vif intérêt. Ensuite, il se tournait invariablement vers le tableau noir et commençait à dessiner des diagrammes censés représenter les étapes du processus cognitif tel qu’il se manifeste dans les catégories de la dialectique hégélienne. Il ne fallait pas longtemps pour que l’ensemble de l’auditoire soit complètement désorienté, ne sachant plus où finit le «semblant» et où commence l’«apparence», ni à quel moment le «fini» devient «infini» et le «quelque chose» se transforme en son «autre». Les choses n’étaient pas facilitées par le fait que Healy ne dessinait jamais deux fois le même diagramme et qu’il n’était jamais possible de prédire avec certitude si «l’actualité» apparaissait avant «l’existence» ou l’inverse. De fait, les tentatives des étudiants pour mémoriser la dialectique de Healy à travers toutes ses péripéties échouaient inévitablement, car elle ne suivait jamais le même chemin plusieurs jours de suite. [19]

Gerry Healy

En juin 1980, sous le couvert de l’introduction d’un nouveau programme de branche excentrique, Healy a cherché à établir une base constitutionnelle pour l’impressionnisme pragmatique dans le travail politique quotidien du WRP. Cet objectif a été clairement défini dans une lettre adressée par Healy à tous les secrétaires de section le 14 juin 1980. Le but de cette lettre était, selon Healy, «de former les camarades à ce que l’on peut décrire comme l’utilisation inconsciente de la méthode dialectique, de la même manière que l’on exerce de nombreuses compétences et activités sans nécessairement en être conscient».

'La conscience des abstractions théoriques vient plus tard, lorsque nous commençons à réfléchir et à analyser ce que nous avons fait», écrit-il.

Dans Comment le WRP a trahi le trotskisme, la réponse à cette question est la suivante:

En d’autres termes, Healy avait découvert que l’on pouvait agir en marxiste sans en être conscient — quelque 20 ans après que le grand pragmatiste américain Joseph Hansen eut proclamé cette découverte au monde… Comment cette découverte pourrait-elle aider un membre du Parti obligé d’analyser un développement complexe de la situation politique — comme la déclaration d’autodétermination des Turcs sur l’île de Chypre, l’autorisation ou l’interdiction d’apporter un soutien critique aux nationalistes bourgeois, ou, pour donner un exemple tiré des événements contemporains, la signature de l’accord anglo-irlandais.

Pour de tels développements, avons-nous besoin d’une «conscience des abstractions théoriques» avant ou après avoir terminé notre analyse et décidé de ce que nous devrions faire? La réponse à cette question a été donnée par Engels il y a longtemps, lorsqu’il a écrit que «l’art de travailler avec des concepts n’est pas inné et n’est pas non plus donné avec la conscience quotidienne ordinaire, mais nécessite une véritable pensée, et que cette pensée a également une longue histoire empirique». (Anti-Dühring) [20]

Healy n’écrivait plus sur les développements politiques ou la perspective révolutionnaire. Il se concentrait uniquement sur la «dialectique». Un article, «Hegel — Marx — Lénine» en est un bon exemple. Il a complètement laissé de côté le combat politique de Lénine, son analyse de l’État, de l’impérialisme, et a transformé le matérialisme dialectique en un outil de connaissance individuelle. Il n’a cessé de répéter son mantra selon lequel le plus grand crime serait d’imposer des pensées abstraites au monde extérieur:

On doit prendre grand soin de ne pas imposer d’interprétations de pensées abstraites au monde extérieur. On doit permettre à ses propriétés indépendantes de s’accumuler dans l’esprit et ne pas imposer une pensée abstraite prématurée sur ces propriétés encore cachées et inconnues... Former et utiliser correctement nos sens signifie éviter d'imposer des images de pensée au monde extérieur… [21]

Ces propos étaient totalement dirigés contre le lien entre la pratique du parti et l’héritage du mouvement trotskiste. North a répondu à cette méthode dans sa biographie de Healy:

Ces «interprétations de pensées abstraites» et «images de pensées» contre lesquelles Healy s’insurgeaient étaient en fait les conceptions théoriques et politiques de Léon Trotsky. Lors des conférences données par Healy, les étudiants qui citaient les œuvres de Trotsky et d’autres grands marxistes et cherchaient à relier leurs enseignements aux événements contemporains étaient généralement dénoncés pour avoir utilisé des «formes de mots vides» et imposé des «abstractions mortes» à la «réalité vivante». Les membres du parti qui parlaient d’«appliquer» la méthode dialectique à l’étude de la réalité objective pouvaient s’attendre à être vivement réprimandés. Le marxisme ne peut être «appliqué», insiste Healy; il ne peut être qu’«abstrait» de la nature. [22]

David North décrit très bien la ligne politique de tous ces sophismes:

Toutes les tentatives d’analyse des événements politiques ou, pire encore, de prévision de leurs lignes de développement probables étaient rejetées avec colère comme des «spéculations idéalistes» et des «images propagandistes». C’est, insiste Healy, une erreur impardonnable que de «prédéterminer» le mouvement du «monde extérieur». De telles sorties sont destinées à justifier les alliances florissantes du WRP avec toutes sortes de crapules politiques. Les nouveaux amis du WRP comme Ken Livingstone, Ted Knight, Bill Sirs, Arthur Scargill et d’autres ne devaient plus être présentés comme les représentants de tendances politiques définies qui servaient des intérêts de classe clairement définissables. Au lieu de cela, leurs dérobades politiques et leurs trahisons pures et simples devaient être rationalisées comme des «moments» d’un développement contradictoire ou comme des manifestations du conflit entre l’ancienne forme (la trahison opportuniste) et le contenu émergent («le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière tel qu’il se reflète à l’intérieur des syndicats et de la direction du Parti travailliste»). Aucune conclusion ne devait être tirée quant à la logique objective de leur politique. Ils devaient plutôt être considérés «dialectiquement» comme des individus dont les «propriétés cachées et inconnues» pouvaient évoluer d'une manière qui ne pouvait pas être théoriquement anticipée. La réserve de Healy en sophismes cyniques pour excuser l’opportunisme du WRP était inépuisable. [23]

L’utilisation concrète de ces sophismes pour supprimer toute discussion et attaquer les principes révolutionnaires est illustrée par la célèbre citation de Slaughter tirée d’une lettre adressée à David North en décembre 1983:

Votre propre insistance sur «l’indépendance politique de la classe ouvrière», soutenue par une citation de En défense du marxisme, deviendra une arme dans les mains de tous ceux qui conservent la marque du pragmatisme, parce qu’elle sera chérie par eux comme quelque chose de plus «concret» que la lutte explicite pour développer et comprendre les catégories de la dialectique comme méthode pour cette question de vie et de mort qui consiste à saisir les développements rapides et multidimensionnels provoqués par la crise mondiale. Nous devons être absolument explicites et fermes contre tous les ennemis, sur notre position par rapport à la conclusion de Trotsky sur la lutte et le parti américain. [24]

Comparez cela aux écrits antérieurs de Slaughter! Maintenant, la «méthode marxiste» est mise en opposition avec l’indépendance politique de la classe ouvrière et n’est plus l’outil pour établir réellement l’indépendance de la classe ouvrière! La ligne politique de cette méthode est on ne peut plus claire.

David North à l'imprimerie de la Workers League à Long Island City, NY, 1980

Les Studies in Dialectical Materialism (Études sur le matérialisme dialectique) constituent le point culminant des efforts théoriques de Healy. Après la critique dévastatrice de David North, Healy n’a pratiquement plus rien publié. Mais, bien entendu, les Études et leurs concepts continuèrent à servir d’huile de code lubrifiant pour l’opportunisme du WRP et les luttes secrètes entre factions. Dans Comment le WRP a trahi le trotskisme, les études sont caractérisées comme suit:

En réalité, la méthode de Healy était une distorsion grossière de la dialectique scientifique qui trahissait un manque total de compréhension du travail philosophique de Hegel ou de Marx. Le contenu réel de la «théorie de la connaissance» de Healy - qui prétendait retracer la transition dialectique de la perception individuelle des sens à la pensée abstraite et à la pratique - n’était rien d’autre qu’une glorification du processus individuel par lequel il traduisait sa propre intuition pragmatique en diverses activités du parti. Autodidacte dans le pire sens du terme, Healy en vint à croire que la mémorisation de quelques catégories hégéliennes dans l’ordre approprié constituait la clé principale de la connaissance universelle. Une étude sérieuse du trotskisme, de l’économie politique, de l’histoire du mouvement ouvrier et, last but not least, de l’origine historique et du développement des concepts philosophiques pouvait être remplacée par quelques «phrases jonglées» [25].

La critique de North sur les études de Healy

Ce qui précède a montré combien il était important de répondre aux études de Healy. Elles constituaient un mécanisme central pour écarter les questions politiques et justifier les pratiques opportunistes. En même temps, elles représentaient une distorsion et une souillure complètes du riche héritage théorique du mouvement trotskiste, qui devait être défendu contre cette attaque.

Comme nous l’avons montré, dès Lénine, la lutte contre le révisionnisme était liée à la lutte pour le matérialisme dialectique et historique. Il en va de même pour Trotsky et pour les premiers membres de la SLL. Cette lutte a été poursuivie et développée par la Workers League et David North, et elle devait être dirigée contre les conceptions idéalistes élaborées par Healy.

La critique de North ne portait pas seulement sur Healy, mais sur la défense du marxisme contre toutes les conceptions de l’École de Francfort, de l’existentialisme et du postmodernisme qui dominaient les universités et que Healy utilisait inconsciemment. Comme l’a noté David North:

Si la présentation mystique rendait souvent les conférences de Healy inintelligibles, il serait faux d’affirmer que ses conférences étaient tout simplement absurdes. Les conceptions théoriques de Healy étaient plutôt un mélange éclectique de diverses tendances de la philosophie subjective-idéaliste bourgeoise de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Alors que Healy s’éloignait du marxisme et de son étude du développement de la conscience sociale en tant que processus historique, sa fixation sur l’activité cognitive d’un individu en est venue à ressembler à différentes tendances de la «phénoménologie» bourgeoise contemporaine. Cette ressemblance était caricaturale. Au cours de ses conférences, des éléments non intégrés des conceptions de penseurs bourgeois aussi variés que William James, Edmund Husserl, Alexius Mienong et même Maurice Merleau-Ponty s’annonçaient de manière inattendue. Il va sans dire que Healy n’en était pas du tout conscient. Ceux qui sont en train de sombrer dans le révisionnisme sont rarement conscients des tendances intellectuelles bourgeoises qui sont les agents de leur dégénérescence théorique. [26]

La critique de North était basée sur une compréhension profonde du marxisme développée au sein de la Workers League par l’assimilation des luttes centrales de notre mouvement. Elle était basée sur un travail approfondi de la plupart des textes que nous avons discutés jusqu’à présent, en particulier En Défense du Marxisme de Trotsky et les articles de Slaughter sur les Cahiers philosophiques de Lénine (Volume 38 de ses Œuvres complètes). En même temps, la critique détaillée des études de Healy a constitué la base d’un formidable développement du travail théorique du CIQI.

Au cœur de la critique de North se trouve la tentative de Healy de justifier ses conceptions idéalistes en s’appuyant sur Hegel et en ignorant le développement de la dialectique matérialiste de Marx. David North écrit:

10. Les études du cde. Healy sur le matérialisme dialectique (Studies in Dialectical Materialism) souffrent d’un défaut décisif: elles ignorent essentiellement les réalisations de Marx et de Lénine dans le remaniement matérialiste de la dialectique hégélienne. Ainsi, Hegel est abordé sans critique, essentiellement à la manière des hégéliens de gauche contre lesquels Marx a lutté.

11. En abordant Hegel de cette manière, la distinction entre matérialisme et idéalisme n’est pas seulement effacée; le camarade Healy passe explicitement à l’idéalisme en présentant Hegel en tant qu’hégélien de gauche. [27]

North a entrepris une analyse intensive des Études qui démontre ce point de vue en détail au moyen de douzaines de passages. En voici quelques exemples:

  • Hegel est placé sur la même ligne historique que Marx, Engels et Lénine - en tant que fondateur du marxisme dans l’esprit duquel les cadres révolutionnaires sont formés.
  • Le principe d’objectivité est proclamé comme étant la «différence fondamentale entre le matérialisme et l’idéalisme abstrait», plutôt que la primauté de la matière sur la pensée.
  • Le corps pensant est substitué à l’homme social.
  • La «Notion théorique» est présentée comme «le monde extérieur lui-même».

Dans tous ces exemples, le problème essentiel est que Healy détache la cognition de la pratique sociale et historique des êtres humains et adopte ainsi une position idéaliste. Mais, c’est précisément la grande réussite de Marx et d’Engels et le fondement même du marxisme.

La philosophie de Hegel a incontestablement constitué un énorme progrès. Par rapport à Kant, il a compris que l’homme peut connaître le monde objectif et que cette connaissance s’effectue dans le cadre d’un développement continu de l’inférieur vers le supérieur. Il a fourni une analyse historique monumentale de ce développement et a énoncé les lois dialectiques mêmes par lesquelles il se produit.

Mais Hegel est resté un idéaliste. Pour lui, le monde objectif et le développement historique n’étaient que des manifestations de l’esprit du monde, qui se réalise à nouveau par la connaissance des hommes. La seule pratique qu’il connaissait était celle de la connaissance. Par conséquent, les liens qu’il établissait étaient ceux de la logique abstraite. Comme l’écrit North:

18. Dans sa Critique de la philosophie du droit de Hegel, Marx explique la faiblesse fondamentale de sa dialectique idéaliste: dans chaque domaine d’étude concrète auquel Hegel s’intéresse, nous avons toujours devant nous la logique. Ainsi, le mouvement procède toujours de la pensée et les liens sont donc ceux de la logique abstraite. Comme il l’a expliqué à propos du traitement de l’État par Hegel:

«La transition est donc dérivée, non pas de la nature particulière de la famille, etc., et de la nature particulière de l'État, mais de la relation générale de la nécessité et de la liberté. C'est exactement la même transition que celle qui s'opère en logique de la sphère de l'essence à la sphère du concept. C'est la même transition qui s'opère dans la philosophie de la nature, de la nature inorganique à la vie. Ce sont toujours les mêmes catégories qui fournissent l'âme, tantôt pour telle sphère, tantôt pour telle autre. Il s'agit seulement de repérer pour les attributs concrets distincts les attributs abstraits correspondants'. (Marx-Engels, Vol. 3, p. 10, italiques ajoutées) [28]

Marx et Engels ont surmonté ce mysticisme et ont dégagé le noyau rationnel de la logique de Hegel. Le monde objectif n'était pas une manifestation de l'esprit du monde, mais l'esprit, ou la conscience sociale, était le produit de la pratique sociale de l'homme, qui elle-même se déplaçait du bas vers le haut. Les lois de ce mouvement ne pouvaient être déduites d'une logique abstraite, mais seulement de l'analyse historique de ces processus objectifs eux-mêmes. Avec le développement du matérialisme dialectique, Marx et Engels n'ont pas simplement transformé le signe idéaliste de Hegel en un signe matérialiste, mais ont poursuivi un travail scientifique intensif qui est le plus étroitement lié au développement du matérialisme historique, la théorie sociale du marxisme.

Karl Marx et Friedrich Engels

Healy a systématiquement minimisé cet énorme travail parce que, en revenant à Hegel, il a jeté par-dessus bord le développement historique même de la lutte des classes et l’héritage du mouvement trotskiste.

La façon dont Healy s’est délibérément détourné de la compréhension matérialiste du monde est illustrée par son traitement de l’un des meilleurs résumés de la méthode marxiste, écrit par Lénine. Lénine écrit dans «Matérialisme et Empiriocriticisme»:

L'essentiel, c'est qu'on a découvert … la logique objective de ces modifications, - objective non pas certes en ce sens qu'une société d'êtres conscients, d'êtres humains puisse exister et se développer indépendamment de l'existence des êtres conscients (par sa « théorie », Bogdanov ne fait que souligner ces bagatelles, et pas davantage), mais en ce sens que l'existence sociale est indépendante de la conscience sociale. Le fait que vous vivez, que vous exercez une activité économique, que vous procréez et que vous fabriquez des produits, que vous les échangez, détermine une succession objectivement nécessaire d'événements, de développements, indépendante de votre conscience sociale qui ne l'embrasse jamais dans son intégralité. La tâche la plus noble de l'humanité est d'embrasser cette logique objective de l'évolution économique (évolution de l'existence sociale) dans ses traits généraux et essentiels, afin d'y adapter aussi clairement et nettement que possible, avec esprit critique, sa conscience sociale et la conscience des classes avancées de tous les pays capitalistes. [29]

Il s’agit là d’un excellent résumé de la méthode marxiste et des tâches du parti. Healy, cependant, efface de cette section ce qui est essentiel. Plutôt que la logique objective de l'évolution économique, nous avons la logique objective. Cette logique objective est définie par Healy comme «ses relations en tant que stade de la connaissance par rapport à d’autres catégories». North commente ce point:

Il ressort clairement de ces passages et de la citation sélective que le cde. Healy considère les catégories logiques et leurs relations comme le contenu essentiel dans lequel le mouvement historique est distillé. Une fois que le contenu de la pensée logique de chaque événement ou fait matériel a été découvert, nous pouvons alors révéler leur essence «en tant qu’étape de la connaissance en relation avec d’autres catégories telles que la nécessité, la probabilité, la possibilité».

Nous avons ici toute la mystique logique de Hegel reproduite sans critique, et c’est en fait l’essence même de l’approche dialectique du cde. Healy dans ses articles les plus récents. Tout devient une question de suivre la séquence des catégories de la logique de Hegel. Le contenu matériel doit être développé à partir de la logique, et non, comme Marx l’a souligné, la logique à partir du contenu. [30]

Sur la base de cette analyse concrète de toutes les conceptions idéalistes que Healy développe dans ses «Studies», North présente une compréhension très claire des principales conceptions théoriques de Healy, qui répètent les plus grandes erreurs des Jeunes Hégéliens:

19. C’est ce procédé idéaliste que le cde. Healy emploie pour effectuer la transition de la sensation à la conscience. L'être, le non-être, le devenir, la cause, l’effet et le mouvement intérieur de la négation en général sont utilisés pour expliquer le passage de la sensation à la pensée consciente (ainsi que le mouvement de la forme-valeur). Après que «l’essence absolue (sémantique négative) se soit confrontée à notre «théorie de la connaissance», qui devient une sémantique positive, alors qu'elles se font face dans l’antithèse», le cde. Healy déclare: «Nous avons terminé l’étape sensuelle du processus cognitif. Tout cela a été accompli simplement par référence aux catégories de la logique hégélienne; en d’autres termes, nous avons un processus mystique présenté comme le processus réel. [31]

Ainsi, Healy ne se retourne pas seulement contre Marx, mais se range derrière Hegel. Car l’une des grandes réussites de Hegel a été précisément de souligner le lien entre le développement historique et la connaissance. Seulement, il l’a fait d’une manière détournée, en comprenant le processus historique comme une expression de l’idée, et donc en le mystifiant d’une manière idéaliste. Mais le recours de Healy à Hegel élimine tout ce qu’il y avait de progressiste dans Hegel et va en fait directement à l'idéalisme subjectif.

Dans L’héritage que nous défendons, North résume très bien la position de Healy:

Selon Healy, les catégories logiques sont l’essence distillée de tous les phénomènes matériels, y compris les processus historiques. Par conséquent, dans l’analyse des événements contemporains, on peut gagner beaucoup de temps si, au lieu d’examiner fastidieusement les processus historiques et les forces sociales qui les ont engendrés, on rejette simplement ces événements comme une manifestation secondaire des catégories essentielles. En d’autres termes, plutôt que d’examiner l’importance spécifique d’un développement concret particulier de la lutte des classes, on déclare simplement qu’il s’agit de la manifestation d’un mouvement de la «quantité» vers la «qualité», ou l’on affirme, d’un air entendu, qu’il s’agit de la simple «apparence» d’une «essence», ou de la «forme» extérieure d’un «contenu» plus fondamental. [32]

Le rejet par Healy du matérialisme historique, qui découle de cette approche, est tout à fait explicite. Il écrit:

Le matérialisme historique est une méthode pour la construction du parti révolutionnaire, basée sur la connaissance de son objet, qui est la société composée d’êtres humains conscients ayant la volonté de continuer à changer le monde indépendamment les uns des autres en tant qu'individus. [33]

North montre comment, en une seule phrase, tout le matérialisme historique est jeté par-dessus bord. Il répond:

Le fondement philosophique du matérialisme historique est que l’être social existe indépendamment de la conscience sociale. La référence aux «êtres humains conscients» brouille tout et s’oppose directement aux conceptions avancées par Lénine dans le Volume 14, que le Camarade Healy loue mais ne comprend pas. Lénine a écrit: «Dans toutes les formations sociales de quelque complexité que ce soit — et dans la formation sociale capitaliste en particulier — les gens, dans leurs rapports, ne sont pas conscients des types de relations sociales qui se forment, conformément à quelle loi, ils se développent». (Vol. 14, p. 323)

La référence à la «volonté» est également une rupture totale avec le matérialisme historique; l’histoire ne peut être expliquée à partir de la «volonté» ou des intentions des hommes. La «volonté» historique des hommes sociaux ne peut être comprise que comme découlant de conditions matérielles déterminées.

Quant à «changer le monde indépendamment les uns des autres en tant qu'individus», il semblerait que le Camarade Healy vient d’abolir l’homme social. Au lieu que l’histoire se développe à travers la pratique sociale collective de l’homme indépendant de la conscience, nous avons une histoire qui naît d’êtres humains volontaires et conscients qui changent le monde indépendamment les uns des autres en tant qu'individus! [34]

Voilà qui résume la perspective de Healy. Il attaque le matérialisme historique et dissout la dialectique dans la logique pure afin de détacher la pratique du WRP de l’héritage du mouvement trotskiste et de justifier son opportunisme quotidien. David North, dans Léon Trotsky et le développement du marxisme, oppose à cela la relation réelle entre le matérialisme dialectique et le matérialisme historique:

Cette méthode est à l’opposé du marxisme, qui étudie l’évolution historique de toutes les catégories et de tous les concepts, non pas comme des produits du cerveau ou des émanations d’un «esprit absolu», mais comme les reflets dans l’esprit des hommes sociaux de propriétés et de relations objectives existant au sein de la nature et de la société. Ces réflexions n’apparaissent pas au cours d’une contemplation passive, mais, comme Marx l’a prouvé, en tant que résultat d’une pratique sociale objective, dans l’interaction historiquement déterminée de l’homme et de la nature. En plaçant la pratique sociale au centre de sa théorie de la connaissance, après avoir extrait le noyau rationnel de la dialectique hégélienne de sa forme idéaliste, Marx a pu, pour la première fois dans l’histoire de la philosophie, établir scientifiquement la relation entre la matière et la pensée, l’objet et le sujet, la pratique et la théorie.

L’homme connaît le monde dans le processus social de sa transformation. Les formes de sa pensée sont produites et conditionnées par la croissance des forces productives et les relations sociales qui en découlent. La connaissance par l’homme des lois de la nature et de la société, comprise scientifiquement, en tant que processus social se développant historiquement, ne peut être réduite au reflet unilatéral (de l’objet au sujet), passif et en miroir de la nature dans la pensée humaine. La cognition et la pratique constituent une unité d’opposés, chacun influençant et façonnant l’autre, conformément aux lois dialectiques régissant le processus social de production, qui donne naissance à toute la vaste superstructure de l’idéologie et de la politique. [35]

Cette conception fondamentale du marxisme s’oppose à la fois à l’idéalisme subjectif et au matérialisme mécanique, qui ne prennent pas en compte la pratique sociale dans la connaissance du monde. Ou, comme le dit North, elle montre la «relation essentielle entre la connaissance et la pratique révolutionnaire, sans laquelle la connaissance scientifique du monde objective de la lutte des classes est impossible». Et cette pratique révolutionnaire est l’histoire du mouvement trotskiste, c’est pourquoi il est impossible de séparer la lutte pour le matérialisme dialectique de la lutte pour l’assimilation de toute l’histoire du mouvement trotskiste.

Gerry Healy

Par conséquent, les efforts de Healy pour remplacer le marxisme par des phrases pseudo-hégéliennes afin de justifier sa pratique opportuniste étaient absolument incompatibles avec l’étude des écrits de Trotsky. En 1978 au plus tard, ils avaient complètement disparu des programmes du Collège d’éducation marxiste. Dans ses études, Healy avait déjà délibérément dévalorisé le rôle de Trotsky. Il écrivait ainsi:

En ce qui concerne la méthode matérialiste dialectique et la lecture «matérialiste» de Hegel, Trotsky était un léniniste convaincu. Il marchait dans les pas non seulement de Lénine, mais aussi de Marx et d’Engels. [36]

Comme le souligne North, il s’agit là d’une distorsion de la relation entre Trotsky et Lénine qui diminue Trotsky. Trotski était un matérialiste dialectique avant de devenir membre du parti bolchevique. Il n’a pas marché dans les pas de Lénine, mais a apporté sa propre contribution indépendante au développement du marxisme, en particulier à la théorie de la révolution permanente.

North répond à cette diminution de Trotsky dans Leon Trotsky and the Development of Marxism:

Les discours et les articles préparés par Léon Trotsky au cours des quatre premiers congrès du Kominterm sont des chefs-d’œuvre de la littérature politique du marxisme. En tant qu’exemples de la méthode matérialiste historique en action, ils se classent au même rang que le discours historique de Marx de mai 1871 sur la guerre civile en France. De tels ouvrages sont éternels. Mais il faut souligner que Trotsky est de notre époque et que ses écrits restent irremplaçables et indispensables, non seulement comme fondement théorique et politique d’une stratégie marxiste pour la révolution socialiste mondiale, mais même pour une compréhension intelligente des événements quotidiens de la vie politique moderne. [37]

North termine sa critique par sa signification politique. Il souligne la manière dont les conceptions idéalistes ont été utilisées afin de justifier la pratique de plus en plus opportuniste du WRP. Il précise que les Études ont révélé au grand jour une crise qui se développait depuis des années au sein du CIQI et ont marqué un tournant par rapport à la lutte pour le marxisme.

North a ensuite souligné les différentes manœuvres opportunistes du WRP au Moyen-Orient et dans d'autres régions, que nous examinerons en détail dans les prochaines conférences. Je voudrais conclure la présentation de la critique des Études de Healy en me référant une fois de plus à Leon Trotsky and the Development of Marxism, parce que North y présente avec une clarté unique la perspective qui résulte positivement de la critique:

L’histoire du trotskisme ne peut être comprise comme une série d'épisodes déconnectés les uns des autres. Son développement théorique a été dégagé par ses cadres à partir du déroulement continu de la crise capitaliste mondiale et des luttes du prolétariat international. La continuité ininterrompue des analyses politiques de toutes les expériences fondamentales de la lutte des classes, sur toute une époque historique, constitue l'énorme richesse du trotskisme en tant qu'unique développement du marxisme après la mort de Lénine en 1924.

Une direction qui ne s’efforce pas collectivement d’assimiler l’ensemble de cette histoire ne peut pas remplir de manière adéquate ses responsabilités révolutionnaires envers la classe ouvrière. Sans une connaissance réelle du développement historique du mouvement trotskiste, les références au matérialisme dialectique ne sont pas simplement creuses; ces références vides ouvrent la voie à une véritable distorsion de la méthode dialectique. La source de la théorie ne se trouve pas dans la pensée, mais dans le monde objectif. Ainsi, le développement du trotskysme se fait à partir des nouvelles expériences de la lutte des classes, qui s’appuient sur l’ensemble des connaissances historiques de notre mouvement.

«Ainsi, la connaissance progresse de contenu en contenu… elle élève à chaque étape suivante de la détermination toute la masse de son contenu antérieur et, par son progrès dialectique, non seulement ne perd rien et ne laisse rien derrière elle, mais elle emporte avec elle tout ce qu’elle a acquis, s’enrichissant et se concentrant sur elle-même…»

Citant ce passage de la Science de la logique de Hegel, Lénine, dans ses Cahiers philosophiques, a écrit: «Cet extrait n’est pas du tout mauvais comme une sorte de résumé de la dialectique». (Collected Works, Vol. 38, p.230). Cet extrait n’est pas non plus mauvais «comme une sorte de récapitulatif» de l’évolution dialectique constante de la théorie trotskiste. [38]

C’est un aperçu puissant du concept de base du matérialisme dialectique tel qu'il a été développé dans la Workers League contre la falsification du marxisme par Healy. C’est également la base de notre école.

L'importance de la lutte contre la déformation idéaliste du marxisme

Cette conception fondamentale de la méthode marxiste, développée au sein de la Workers League et soutenue par le riche héritage du mouvement trotskiste, a jeté les bases d’un formidable développement du Comité international dans les années qui ont suivi la scission. Comme le note David North dans Plekhanov et la tragédie de la Seconde Internationale:

La théorie matérialiste dialectique de la connaissance soutient que les concepts à travers lesquels l’homme connaît le monde objectif sont eux-mêmes sujets à des changements, en accord avec le mouvement sous-jacent de la réalité objective. Ainsi, les catégories et les concepts du matérialisme historique ne doivent pas être traités comme des formules achevées, mais doivent être adaptés de manière critique et enrichis par le contenu changeant de la société humaine et le développement des sciences naturelles à mesure qu’elles découvrent de nouvelles propriétés de la matière...

Au cours des dix-huit dernières années, le Comité international a produit un éventail extraordinaire de travaux politiques et théoriques. Nous avons soumis à l’analyse les questions politiques les plus difficiles - parmi lesquelles l’éclatement de l’Union soviétique, la décomposition des syndicats et la signification contemporaine du nationalisme bourgeois. Dans chaque cas, nous n’avons pas simplement réaffirmé des positions «orthodoxes», mais nous avons développé et adapté de manière créative le programme marxiste aux nouvelles conditions historiques. En outre, la vitalité théorique, la clarté programmatique et l’intelligence politique du Comité international sont attestées chaque jour par la publication du World Socialist Web Site. [39]

Nous avons longuement discuté de ces développements lors de l'Université d'été 2019; ils sont eux-mêmes l'expression de l'énorme force théorique du Comité international. Et l’on pourrait ajouter bien d’autres questions: notre défense de la vérité historique contre la falsification post-soviétique de l’histoire, les attaques contre les révolutions américaines, la réhabilitation d’Hitler en Allemagne. Si nous avons pu comprendre l’importance de ces questions et y répondre de manière aussi tranchée, c'est parce que nous comprenons l'importance de la compréhension de l’histoire pour l’émancipation de la classe ouvrière. David North résume cela dans Le vingtième siècle du postmodernisme: démoralisation politique et fuite hors de la vérité historique (Postmodernism’s Twentieth Century: Political Demoralization and the Flight from Historical Truth):

Le poids de décennies de falsification historique n’a pas pu être surmonté à temps pour que la classe ouvrière soviétique puisse s’orienter politiquement, défendre ses intérêts sociaux indépendants et s’opposer à la dissolution de l’Union soviétique et à la restauration du capitalisme.

Il y a une leçon à tirer de cette tragédie historique. Sans une connaissance approfondie des expériences historiques qu’elle a traversées, la classe ouvrière ne peut pas défendre ses intérêts sociaux les plus élémentaires, et encore moins mener une lutte politiquement consciente contre le système capitaliste. [40]

C’est pourquoi le Comité international n’a cessé de défendre et de développer les bases méthodologiques elles-mêmes. Quelques exemples:

  • La discussion sur l’objectivisme, l’empirisme et le rôle du facteur subjectif dans Réforme et révolution à l’époque de l’impérialisme.
  • L’élaboration de la compréhension dialectique de la forme et du contenu social dans Pourquoi les syndicats sont-ils hostiles au socialisme?
  • La discussion de l’unité des contraires de la classe et du parti dans Les origines du bolchevisme et Que faire?
  • Le problème de l’identité abstraite dans Le mythe des «Allemands ordinaires»: Le mythe des «Allemands ordinaires»: une critique des bourreaux volontaires de Daniel Goldhagen.

La polémique de North contre Alex Steiner et Frank Brenner est sans aucun doute particulièrement importante. North, dans son engagement avec Steiner et Brenner, a développé plus avant la conception même dont nous avons discuté au cours de la dernière heure. Le livre est une attaque marxiste contre toutes les écoles d’idéalisme subjectif telles que le postmodernisme, l’école de Francfort et l’existentialisme. Il s’agit d’une puissante défense du matérialisme. Comme l'écrit David North:

Le vrai problème est que vous n’êtes pas d’accord avec l’insistance du Comité international sur le fait que la lutte pour le socialisme exige le développement, au sein de la classe ouvrière, à la fois d’une connaissance approfondie de l’histoire — en particulier celle du mouvement socialiste lui-même — et de la compréhension la plus précise et la plus concrète possible (au moyen d’approximations conceptuelles toujours plus exactes) du mouvement objectif du système capitaliste mondial dans toutes ses formes complexes, contradictoires et interconnectées. Ce que vous appelez faussement «objectivisme», c’est l’effort marxiste pour refléter exactement dans la pensée subjective le mouvement régi par les lois du monde objectif, dont l’homme social fait partie, et pour faire de cette connaissance et de cette compréhension la base de la pratique révolutionnaire. Malgré tous vos discours sur la «dialectique» et la «lutte contre le pragmatisme», tout ce que vous écrivez démontre une indifférence aux exigences du développement d’un mouvement de la classe ouvrière dont la pratique est informée par la théorie marxiste. [41]

Il est remarquable que chez Steiner et Brenner les conceptions de Healy, leur mentor théorique, se confondent avec toutes les théories antimarxistes qui circulent dans les universités. Cela souligne une fois de plus l’importance de la lutte contre les conceptions de Healy et montre à quel point il était important de poursuivre cette lutte.

Leur rejet des Lumières et donc de la raison, leur insistance sur l’utopie et l’éclatement de la famille, etc., sont animés par le même esprit: détacher le marxisme de la science, de l’étude approfondie de la lutte des classes et de son histoire, et le transformer en une belle idée qui s’adapte à la vie de l’existence petite-bourgeoise. Le marxisme n’est pas censé résoudre la crise de la direction révolutionnaire, mais les problèmes sexuels de Frank Brenner.

Le fait qu’il ne s’agisse pas d’individus mais de tendances fondamentales de l’idéologie bourgeoise a également été mis en évidence par David North dans son essai Tout était de la faute d'Engels : Examen de l’ouvrage de Tom Rockmore, Marx après le marxisme. Après l'effondrement de l'Union soviétique, des dizaines, voire des centaines, de professeurs et d'universitaires ont «redécouvert» Hegel, l’ont retourné contre Marx et ont développé des théories politiques basées sur lui - une entreprise que North a correctement diagnostiquée comme un «grand pas en arrière, théoriquement et intellectuellement», qui «ne peut que servir des fins politiques réactionnaires».

En ce qui concerne Rockmore, North a prouvé sans l’ombre d’un doute que son interprétation de Marx en tant qu’idéaliste, qui avait été déformé de manière matérialiste par Engels, n’avait aucune substance scientifique et servait des objectifs politiques clairs:

Ce que Rockmore préconise — un Marx sans matérialisme historique, sans Engels, sans marxisme — s’avère, en fin de compte, être un Marx sans révolution socialiste, un «Marx» qui n’est pas simplement mis sur la tête, mais aussi menotté et bâillonné. [42]

Le Comité international, au contraire, a développé le marxisme comme science de la révolution socialiste. Dans la cinquième phase du développement du mouvement trotskiste, dans laquelle une nouvelle poussée révolutionnaire de la classe ouvrière internationale croise l’activité politique du Comité international, cette base théorique devient absolument cruciale. Elle exige «la lutte consciente pour préserver les lignes de continuité historique entre les luttes actuelles de la classe ouvrière et du parti révolutionnaire en tant qu’unité d’opposés et tout le contenu des expériences historiques objectives de la classe et du développement du bolchevisme». Telle est l’essence de la discussion sur la dialectique et telle est l’essence de cette école, qui ne doit être que le point de départ d’une étude intensive de cette riche histoire.

(Christophe Vandreier a présenté ce texte en anglais à université internationale d'été le 30 juillet et le 4 aout 2023)

[1] David North, “Leon Trotsky and the Development of Marxism,” Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twenty-First Century (Oak Park, MI: Mehring Books, 2023), pp. 1-56.

[2] V.I. Lenin: “Materialism and Empirio-criticism,” Collected Works, Volume 14, (Moscow: Progress Publishers, 1962). V. I. Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1908/09/index.htm

[3] V.I. Lenin: Philosophical Notebooks, Collected Works, Volume 38, 4th Edition, (Moscow: Progress Publishers, 1976). V. I. Lénine, Cahiers philosophiques, https://www.marxists.org/francais/lenin/oeuvres/vol_38.htm

[4] “Leon Trotsky and the Development of Marxism,” p. 14.

[5] Leon Trotsky, Critique of the Draft Program of the Communist International, The Third International After Lenin, (New York: Merit Publishers 1929). Léon Trotsky, L'Internationale Communiste après Lénine, Critique du programme de l’Internationale communiste. https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical212.html

[6] Leon Trotsky, “What Next – Vital Questions for the German Proletariat,” The Militant, Vol. 5 No. 15 (Whole No. 111), April 9, 1932, p. 4. Léon Trotsky, La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne, Problèmes vitaux du prolétariat allemand. https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1932/01/320127.htm

[7] Leon Trotsky, “A Petty-Bourgeois Opposition in the Socialist Workers Party,” In Defence of Marxism (London: New Park Publications, 1966), pp. 56-80. [First published in 1942]
Léon Trotsky, L’opposition petite-bourgeoise dans le Socialist Workers Party, in Défense du marxisme, https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/defmarx/dma5.htm

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] SLL National Committee: “Opportunism and Empiricism,” March 23, 1963, Trotskyism vs. Revisionism Vol. 4, pp. 81-82.

[11] Ibid., p. 82.

[12] David North, Notes on “Lenin on Dialectics,” October 1, 1982 [unpublished typed manuscript]. Published in:Cliff Slaughter: A Political Biography (1928–1963), Pt. 4,” World Socialist Web Site, available: https://www.wsws.org/en/articles/2021/08/09/sla4-a09.html

[13] Cliff Slaughter, “‘The Theoretical Front’, Lenin’s Philosophical Notebooks, Second Article” Labour Review, Summer 1962, Vol. 7, No. 2, pp. 77–78.

[14] Workers League Political Committee (internal document): The World Economic-Political Crisis and the Death Agony of US Imperialism, November 7, 1978, p. 36.

[15] Statement by the International Committee (Majority), written by Cliff Slaughter, Trotskyism vs Revisionism Vol. 6, March 1, 1972 p. 72, p. 83.

[16] Workers Revolutionary Party: Whither Thornett?: A reply by Michael Banda to a document issued by A. Thornett (London: New Park Publications, 1975).

[17] David North: “A Travesty of Marxism,” Gerry Healy and his Place in the History of the Fourth International, available: https://www.wsws.org/en/special/library/healy/08.html

[18] Ibid.

[19] David North, “The ‘Dialectics’ of Opportunism,” Gerry Healy and his Place in the History of the Fourth International, available: https://www.wsws.org/en/special/library/healy/09.html

[20] International Committee of the Fourth International, “The Idealist Distortion of Materialist Dialectics,” How the Workers Revolutionary Party Betrayed Trotskyism, available: https://www.wsws.org/en/special/library/how-the-wrp-betrayed-trotskyism/32.html
Comité International de la Quatrième Internationale, Une déformation idéaliste du matérialisme dialectique, in Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme, https://www.wsws.org/fr/special/library/comment-le-wrp-a-trahi-le-trotskysme/32.html

[21] Gerry Healy, “Hegel – Marx – Lenin,” News Line, June 2, 1981. see North, “The ‘Dialectics’ of Opportunism, available: https://www.wsws.org/en/special/library/healy/09.html

[22] Ibid.

[23] Ibid.

[24] Letter from Cliff Slaughter to David North, December 1983, The ICFI Defends Trotskyism, available: https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/03.html

[25] “The Idealist Distortion of Materialist Dialectics,” available: https://www.wsws.org/en/special/library/how-the-wrp-betrayed-trotskyism/32.html
Voir note 20 pour la traduction française.

[26] “The ‘Dialectics’ of Opportunism,” available: https://www.wsws.org/en/special/library/healy/09.html

[27] David North: “A Contribution to a Critique of G. Healy’s ‘Studies in Dialectical Materialism’” Section 3: “Notes on G. Healy’s ‘Studies,’” The ICFI Defends Trotskyism, available: https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/02.html

[28] Ibid.

[29] Lenin: “Materialism and Empirio-criticism,” p. 325 (emphasis in the original).
V. I. Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1908/09/materialisme.pdf (p. 174-175)

[30] David North, “A Contribution to a Critique of G. Healy’s “Studies in Dialectical Materialism” Section 3: “Notes on G. Healy’s ‘Studies,’” The ICFI Defends Trotskyism, available: https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/02.html

[31] Ibid.

[32] David North, The Heritage We Defend, 2018, available: https://www.wsws.org/en/special/library/heritage/33.html
David North, L’héritage que nous défendons, https://www.wsws.org/fr/special/library/heritage-que-nous-defendons/00.html

[33] “A Contribution to a Critique of G. Healy’s ‘Studies in Dialectical Materialism,’” Section 5: “Notes for a Critique of Comrade G. Healy’s ‘Studies’ (continued),” available: https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/02.html

[34] Ibid.

[35] “Leon Trotsky and the Development of Marxism,” p. 51.

[36] “A Contribution to a Critique of G. Healy’s ‘Studies in Dialectical Materialism,’” Section 1: Preliminary Analysis, available: https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/02.html

[37] “Leon Trotsky and the Development of Marxism,” p. 49f.

[38] Ibid., p. 19.

[39] David North, “Plekhanov and the Tragedy of the Second International,”The Frankfurt School, Postmodernism and the Politics of the Pseudo-Left: A Marxist Critique (Oak Park, MI: Mehring Books, 2015), p. 15, p. 17.

[40] David North, “Postmodernism’s Twentieth Century: Political Demoralization and the Flight from Historical Truth,” The Russian Revolution and the Unfinished Twentieth Century (Oak Park, MI: Mehring Books, 2014), p. 158f.

[41] David North, “Marxism, History & Socialist Consciousness (What is objectivism?),” The Frankfurt School, Postmodernism and the Politics of the Pseudo-Left: A Marxist Critique, p. 39.

[42] David North,It Was All Engels’ Fault: A Review of Tom Rockmore’s Marx After Marxism,” The Russian Revolution and the Unfinished Twentieth Century, p. 360.

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