Conférence de l’école d’été 2023 du SEP

Les origines du révisionnisme pabliste, la scission au sein de la Quatrième Internationale et la fondation du Comité international

La conférence suivante a été prononcée par Joseph Kishore, secrétaire national du Socialist Equality Party des États-Unis (Parti de l’égalité socialiste), à l’école d’été internationale du SEP (États-Unis), qui s’est tenue entre le 30 juillet et le 4 août 2023.

Le rapport d’ouverture du président du comité de rédaction international du WSWS et président national du SEP, David North, « Léon Trotsky et la lutte pour le socialisme à l’époque de la guerre impérialiste et de la révolution socialiste », a été publié le 7 août. La deuxième conférence, « Les fondements historiques et politiques de la Quatrième Internationale », a été publiée le 14 août. Le WSWS publiera toutes les conférences dans les semaines à venir.

Conférence de Joseph Kishore : Les origines du révisionnisme pabliste, la scission au sein de la Quatrième Internationale et la fondation du Comité international

Introduction

Le mois de novembre prochain marquera les 70 ans de la fondation du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), créé le 23 novembre 1953 sur la base politique et une semaine après la publication de la « Lettre ouverte de James P. Cannon au mouvement trotskiste mondial ». Nous célébrons également les 100 ans de la fondation de l’Opposition de gauche et les 25 ans de la création du World Socialist Web Site. Autrement dit, un quart de l’histoire du mouvement trotskiste s’est déroulé depuis le lancement du WSWS et près des trois quarts sous la direction du Comité international.

Le CIQI a été créé pour défendre le mouvement trotskiste contre une forme de révisionnisme et d’opportunisme connue sous le nom de pablisme, du nom de son principal leader et partisan, Michel Pablo. « L’enjeu, écrivons-nous dans Les fondements historiques et internationaux du Socialist Equality Party, était la défense des principes politiques essentiels sur la base desquels la Quatrième Internationale avait été fondée, et sa survie en tant qu’organisation révolutionnaire indépendante. » [1]

Le pablisme a pris différentes formes selon les pays. Un élément central était une adaptation au stalinisme et au nationalisme bourgeois, même si aux États-Unis les partisans de Pablo utilisaient ses conceptions pour justifier leur subordination à l’appareil syndical anticommuniste. Essentiellement, comme l’explique David North dans The Heritage We Defend, « le pablisme était (et est) la liquidation sur toute la ligne : c’est-à-dire le rejet de l’hégémonie du prolétariat dans la révolution socialiste et l’existence véritablement indépendante de la Quatrième Internationale comme l’expression consciente du rôle historique de la classe ouvrière… » [2]

Comme l’indique la citation, nous ne traitons pas uniquement de tendances politiques du passé. Les tendances pablistes et leurs descendants, souvent assortis aux organisations de « capitalisme d’État » dont les origines remontent à la scission au sein du SWP américain en 1939-1940, fonctionnent aujourd’hui comme les plus ardents partisans de la guerre des États-Unis et l’OTAN contre la Russie et des instruments essentiels du régime capitaliste, ou dans certains cas soutiennent le nationalisme réactionnaire de Poutine.

Je passerai en revue dans cette conférence les origines et le développement du pablisme, culminant avec la fondation du CIQI. Dans la catégorisation des étapes de l’histoire de la Quatrième Internationale esquissée lors de l’Université d’été du SEP (États-Unis) en 2019, cela marque la conclusion de ce que nous appelons la deuxième phase, qui a commencé avec la fondation de la Quatrième Internationale en 1938, et le début de la troisième phase, qui a commencé avec la publication de la lettre ouverte et la création du CIQI.

Avant de revenir sur cette histoire, je voudrais cependant faire un point sur la source principale sur laquelle je vais m’appuyer, The Heritage We Defend (L’Héritage que nous défendons), qui est l’analyse la plus complète du pablisme produite par notre mouvement ou ailleurs. L’Héritage a été rédigé par le camarade North sous la forme de 35 articles parus dans le Bulletin, la publication de la Workers League (Ligue des travailleurs), prédécesseur du Socialist Equality Party, entre avril 1986 et février 1987.

L’Héritage que nous défendons

L’Héritage été publié au lendemain de la scission avec les opportunistes nationaux du Workers Revolutionary Party, WRP (Parti révolutionnaire des travailleurs) et en réponse au document produit par l’un des dirigeants du WRP, Michael Banda : « 27 raisons pour lesquelles le Comité international devrait être enterré immédiatement, et la Quatrième Internationale construite ». Le document de Banda, publié pour la première fois le 7 février 1986, fut approuvé par le « Huitième Congrès » du WRP tenu le lendemain, dont tous les partisans du CIQI au sein du WRP furent exclus par Banda et Slaughter, avec l’aide de la police de Londres.

Une partie importante de L’Héritage est consacrée à l’examen de la lutte contre le pablisme. Cela comprend les sept chapitres de « La Quatrième Internationale et la Révolution yougoslave » jusqu’à la « Lettre ouverte de James P. Cannon », suivis des 11 chapitres de « Après la scission » jusqu’à « La trahison historique à Ceylan », qui se concentrent sur la dégénérescence politique du Socialist Workers Party des États-Unis (SWP), culminant avec le congrès de réunification du SWP avec les pablistes en 1963 et l’entrée du LSSP dans un gouvernement bourgeois au Ceylan (Sri Lanka). Ensemble, ces chapitres représentent plus de la moitié de L’Héritage.

Cette forte focalisation sur le pablisme dans l’Héritage peut s’expliquer par le fait que l’enjeu du conflit avec le WRP était la défense de l’ensemble de l’héritage théorique et politique du mouvement marxiste-trotskiste. Cela remontait en effet, à la critique du camarade North de la « pratique de la cognition » de Healy, aux origines mêmes du marxisme lui-même. Cependant, la défense de l’autorité politique du Comité international en tant que direction du mouvement trotskiste mondial, et de ses fondements politiques essentiels était particulièrement importante.

La première a été exprimée dans la résolution du 25 octobre 1985, qui appelait à la « réadhésion des membres du WRP sur la base d’une reconnaissance explicite de l’autorité politique du CIQI ». Le refus de la direction du WRP d’accepter l’autorité du mouvement international était inextricablement lié à sa politique opportuniste nationale et à son retour, comme l’écrivait le camarade North dans sa lettre à Mike Banda du 23 janvier 1984, « vers des positions tout à fait similaires – à la fois tant de ses conclusions que de sa méthodologie – à celles que nous avons historiquement associées au pablisme ». [3]

Ainsi, en répondant à Banda et en réaffirmant les fondements politiques du CIQI, il était nécessaire de revoir en détail l’histoire de la lutte contre le pablisme. Un élément significatif dans l’évolution du conflit au sein du Comité international, qui s’est développé entre 1982 et 1986, a été le fait que les dirigeants de la Workers League avaient été formés à la lutte contre le pablisme. Les camarades qui devaient diriger le parti après la désertion de Wohlforth en 1974 avaient été gagnés au parti sur la base de la lutte contre le pablisme et d’une étude approfondie des documents de cette lutte. En effet, cela explique pourquoi Wohlforth n’a pas réussi à rallier du soutien pour son virulent subjectivisme et sa fuite dans les bras du chef du SWP, Joseph Hansen.

Il existe un autre élément important de la focalisation de L’Héritage sur les origines du pablisme, lié à l’intensification de la crise des régimes staliniens en Europe de l’Est et en Union soviétique au cours des années 1980. Comme le camarade North l’a noté dans la conférence d’introduction, la scission de novembre 1953 a été précipitée par la mort de Staline huit mois plus tôt et par la crise au sein du stalinisme que la mort de Staline a engendrée. La rupture avec le WRP trois décennies plus tard s’est produite à la veille de la phase terminale de la dégénérescence de l’appareil stalinien et seulement cinq ans avant la dissolution définitive de l’URSS.

La position du pablisme tel qu’il s’est développé dans les années 1950 était que le stalinisme pouvait jouer un rôle progressiste. Banda a déclaré peu avant la rupture avec le CIQI que l’existence de l’Union soviétique était une « question réglée ». Moins d’un an après avoir écrit ses « 27 Raisons », dans lesquelles il prétendait défendre l’héritage de la Quatrième Internationale contre le Comité international (CI), Banda avait répudié le trotskisme et adopté ouvertement le stalinisme. Comme l’expliquent les trois derniers chapitres de LHeritage, Banda a insisté sur le fait que toute liquidation des relations de propriété d’État était impossible, car elle violerait la loi dialectique du « développement de l’inférieur vers le supérieur ». [4]

L’analyse détaillée de LHéritage des positions pablistes sur les États d’Europe de l’Est et sur le stalinisme a préparé les cadres du CIQI à comprendre et à répondre aux événements politiques convulsifs qui ont suivi la scission avec le WRP. Les fantasmes néostaliniens du pablisme se sont heurtés à la réalité politique et ont été résolument réfutés par les événements. Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, la victoire du CI sur les opportunistes nationaux du WRP était théoriquement et politiquement alignée sur de profonds processus objectifs, créant les conditions d’une renaissance du trotskisme après la scission avec le WRP.

Les précurseurs du pablisme : les conflits au sein de la Quatrième Internationale pendant la Seconde Guerre mondiale

Il ne s’agit pas ici d’une conférence sur les conflits politiques qui ont émergé dans les années qui ont suivi la formation de la Quatrième Internationale en 1938. Je voudrais cependant faire quelques références aux questions politiques qui ont surgi dans le conflit avec l’opposition petite-bourgeoise au sein du Socialist Workers Party en 1939-1940, avant l’assassinat de Trotsky, et la lutte contre les rétrogressionnistes et la faction Morrow-Goldman du SWP dans les années qui ont suivi la mort de Trotsky, en particulier en ce qui concerne le conflit ultérieur avec le pablisme.

Léon Trotsky, fondateur de la Quatrième Internationale

Dans son essai « L’URSS en guerre », publié en septembre 1939, au milieu du conflit avec la faction Burnham-Shachtman-Abern du SWP, Trotsky a analysé la position de ceux qui insistaient sur le fait que le pacte Staline-Hitler, adopté le mois précédent, exigeait une réévaluation fondamentale du caractère de classe de l’Union soviétique. On ne pouvait plus le qualifier d’« État ouvrier », soutenaient-ils. Un nouveau terme était nécessaire : « capitalisme d’État », comme le préconisait le « communiste de gauche » allemand Hugo Urbahns, ou « collectivisme bureaucratique », comme le proposaient le « communiste de gauche » italien Bruno Rizzi et James Burnham. Derrière ces différences terminologiques, expliquait Trotsky, se trouvait une réévaluation fondamentale de la nature de l’époque et du rôle de la classe ouvrière. Il a écrit :

Sur le plan scientifique et politique – et non pas purement terminologique – la question se pose ainsi : la bureaucratie constitue-t-elle une excroissance temporaire sur l’organisme social ou bien cette excroissance s’est-elle déjà transformée en un organe historiquement nécessaire ? Une monstruosité sociale peut être le résultat d’une combinaison accidentelle (c’est-à-dire temporaire et exceptionnelle) de circonstances historiques. Un organe social (et c’est ainsi que se présente chaque classe, y compris une classe exploiteuse) ne peut se constituer que comme produit des exigences internes profondes de la production elle-même. Si nous n’apportons pas de réponse à cette question, alors toute la discussion se transforme en jeu stérile sur les mots. [5]

Autrement dit, la question de la définition de l’URSS était liée à la question plus fondamentale à savoir si la bureaucratie stalinienne était une « croissance temporaire », une « excroissance » qui soit ouvrirait la voie à la réintroduction des rapports de propriété capitalistes, soit serait renversée lors d’une révolution politique menée par la classe ouvrière, ou si elle était enracinée dans les « besoins internes de la production » et avait donc un rôle historique progressiste. Cette question était liée à une évaluation de la nature de l’époque, du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière et du rôle de la Quatrième Internationale en tant que direction de cette force objective.

« La question de l’URSS », soulignait Trotsky dans une lettre à Cannon du 12 septembre 1939, « ne peut être traitée comme un cas unique, isolé du processus historique global de notre époque. Ou bien l’État stalinien est une formation transitoire, la déformation de l’État ouvrier dans un pays arriéré et isolé, ou bien le «collectivisme bureaucratique» (Bruno R., La Bureaucratisation du monde, Paris 1939) est une formation sociale nouvelle, qui est en train de remplacer le capitalisme partout dans le monde (stalinisme, fascisme, New Deal, etc.). Les essais terminologiques (État ouvrier, État non ouvrier ; classe, pas classe ; etc.) ne trouvent un sens que dans cet historique. Quiconque choisit le second terme de l’alternative admet, ouvertement ou tacitement, que tout le potentiel révolutionnaire du prolétariat mondial est épuisé, que le mouvement socialiste a fait faillite et que le vieux capitalisme est en train de se transformer en «collectivisme bureaucratique» avec une nouvelle classe exploiteuse. » [6] [C’est nous qui soulignons.]

Les diverses formes de « capitalisme d’État », bien qu’enracinées dans une adaptation à l’impérialisme dans le rejet de la définition de l’Union soviétique comme État ouvrier, partageaient avec le pablisme tel qu’il émergera dans les années 1950 la position fondamentale que la bureaucratie elle-même avait un rôle indépendant à jouer. Derrière les innovations terminologiques de Shachtman, Burnham, Abern et d’autres se trouvait un pessimisme qui reflétait la démoralisation des couches de l’intelligentsia de la classe moyenne en réponse aux défaites politiques des années 1930.

Au cours du conflit avec la faction Shachtman-Burnham-Abern, il a également fallu évaluer les nationalisations réalisées par l’appareil stalinien dans les territoires passés sous son contrôle au début de la Seconde Guerre mondiale. L’analyse de ces mesures par Trotsky plaçait les actions bureaucratiques du régime stalinien dans le contexte du rôle contre-révolutionnaire international du stalinisme dans son ensemble. Il écrit dans « L’URSS en guerre » :

Mesure révolutionnaire par sa nature [nationalisations en Pologne] « l’expropriation des expropriateurs » s’effectue dans ce cas de manière militaro-bureaucratique. Tout appel à une action indépendante des masses – mais sans un tel appel, fût-il très prudent, il est impossible d’établir un nouveau régime – sera sans nul doute étouffé le lendemain même par d’impitoyables mesures policières, afin d’assurer la prépondérance de la bureaucratie sur les masses révolutionnaires en éveil. C’est là un aspect de la question. Mais il y en a un autre. Pour avoir la possibilité d’occuper la Pologne au moyen d’une alliance militaire avec Hitler, le Kremlin a depuis longtemps trompé et continue de tromper les masses en URSS et dans le monde entier et a, de ce fait, provoqué la décomposition complète des rangs de sa propre Internationale communiste. Le critère politique essentiel pour nous n’est pas la transformation des rapports de propriété dans cette région ou une autre, si importants qu’ils puissent être par eux-mêmes, mais le changement à opérer dans la conscience et l’organisation du prolétariat mondial, l’accroissement de sa capacité à défendre les conquêtes antérieures et à en réaliser de nouvelles. De ce seul point de vue décisif, la politique de Moscou, considérée globalement, conserve entièrement son caractère réactionnaire et demeure le principal obstacle sur la voie de la révolution internationale. [7]

L’évolution de Shachtman et Burnham a confirmé l’analyse de Trotsky et la position de la majorité du SWP, dirigée par James P. Cannon. Shachtman et Burnham ont collaboré à la formation du « Workers Party » après leur scission d’avec le SWP en avril 1940. En un mois, Burnham démissionna du Workers Party, déclarant qu’il ne se considérait plus comme un marxiste et qu’il « était inutile de dire que «le socialisme est inévitable» et il est faux de croire que le socialisme «est la seule alternative au capitalisme» ». Dans les années 1950, Burnham est devenu l’un des principaux idéologues du mouvement conservateur et a reçu la Médaille de la liberté des mains du président Ronald Reagan en 1983.

Max Shachtman (1904-1971) [Photo: Marxists.org]

Shachtman a formé la « Ligue socialiste indépendante » (ISL) en 1949. Au cours des années 1950, l’ISL s’est nettement orientée vers la droite, soutenant les opérations de l’impérialisme américain et s’intégrant dans la bureaucratie syndicale. En 1958, elle s’est dissoute et est devenu la direction du Parti socialiste, qui a fonctionné comme un contrefort de l’aile réactionnaire de la guerre froide du Parti démocrate.

Au lendemain de l’assassinat de Trotsky en août 1940 par un agent du GPU, plusieurs tendances d’opposition ont émergé au sein du SWP et de la Quatrième Internationale qui ont adopté, sous différentes formes, la perspective essentielle de l’opposition petite-bourgeoise. Cela comprenait le groupe des « Trois Thèses » (les « rétrogressionnistes »), dirigé par Joseph Weber de l’Internationale Kommunisten Deutschlands (IKD) et la faction Morrow-Goldman au sein du SWP entre 1944 et 1946. La source essentielle pour examiner la politique de ces tendances est encore une fois L’Héritage que nous défendons, en particulier les chapitres 8 (« Les trois thèses des rétrogressionnistes ») et 9. (« La faction Morrow-Goldman »), ainsi que la préface de l’édition du 30e anniversaire, dans laquelle les positions des deux tendances sont examinées dans le contexte d’une polémique contre Daniel Gaido et Velia Luparello.

Partant de la position selon laquelle le fascisme avait triomphé en Europe, les rétrogressionnistes concluaient au début des années 1940 que la révolution socialiste avait été reportée à un avenir très lointain. « Quelle que soit la manière dont on l’envisage, écrivent-ils, la transition du fascisme au socialisme reste une utopie sans étape intermédiaire, qui équivaut fondamentalement à une révolution démocratique. » [8] Cette position a été développée dans « La barbarie capitaliste ou le socialisme », publié en 1943 : « Le problème politique le plus urgent est le problème centenaire du printemps du capitalisme industriel et du socialisme scientifique – conquête de la liberté politique, établissement de la démocratie (également pour la Russie) comme condition préalable indispensable à la libération nationale et à la fondation du mouvement ouvrier. » [9] En d’autres termes, l’époque ne pouvait plus être considérée comme une époque de révolution socialiste internationale, mais plutôt comme un retour (régression) vers une période de révolution nationale démocratique bourgeoise.

La faction Morrow-Goldman s’est emparée de ces positions à partir du milieu des années 1940, concluant que « l’absence d’un parti révolutionnaire » rendait la révolution socialiste impossible. « Au lieu de dire : «Seul le parti révolutionnaire fait défaut», » écrivait Morrow en 1946, « nous devons plutôt dire, au moins pour nous-mêmes : «L’absence du parti révolutionnaire transforme les conditions qui autrement seraient révolutionnaires en conditions dans lesquelles il faut lutter, en matière d’agitation, pour les revendications les plus élémentaires.» » [10]

Bien que variées dans leurs justifications et orientations politiques, les premières formes de révisionnisme (Burnham- Shachtman, les Trois thèses et Morrow-Goldman) partageaient beaucoup de points communs avec le pablisme tel qu’il s’est développé au début des années 1950. Comme l’écrit le camarade North dans la préface de l’édition du 30e anniversaire de L’Héritage que nous défendons, le lien politique essentiel qui les liait toutes était « le rejet du potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière ».

Les révisions de Pablo et Mandel, apparues à la fin des années 1940, ont masqué leur abandon du trotskisme dans une rhétorique superficiellement gauchiste. Mais selon eux, la force dirigeante dans l’instauration du socialisme était la bureaucratie stalinienne, et non la classe ouvrière. La théorie pabliste était une inversion particulière de la théorie shachtmanienne. Tandis que les shachtmanistes dénonçaient le régime stalinien comme l’ancêtre d’une nouvelle forme de société « collectiviste bureaucratique » exploiteuse, la tendance pabliste proclamait que les régimes bureaucratiques staliniens établis en Europe de l’Est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale étaient la forme nécessaire de la transition historique du capitalisme au socialisme. Toutes ces tendances, chacune à leur manière, ont fondé leur perspective politique sur le rôle non révolutionnaire de la classe ouvrière. Elle cessait d’être une force active, et décisive, dans le processus historique. [11] [C’est nous qui soulignons.]

La Quatrième Internationale après la guerre et les origines du pablisme

L’émergence du pablisme au sein de la Quatrième Internationale doit être considérée en relation avec l’environnement politique contradictoire qui a prévalu dans la période d’après-guerre. Cela s’est caractérisé, d’une part, par une nouvelle stabilisation économique rendue possible par les trahisons et les crimes du stalinisme, et, d’autre part, par une recrudescence du mouvement de masse anticolonial.

La structure du système « d’après-guerre » a commencé à émerger dans les dernières années de la guerre elle-même, notamment avec les Accords de Bretton Woods de juillet 1944, qui ont créé le Fonds monétaire international et établi un régime monétaire international basé sur le dollar américain et rattaché à l’or. Puis, lors de la conférence de Yalta en février 1945, avant la défaite finale du régime nazi et sa capitulation inconditionnelle en mai, et à la conférence de Potsdam en juillet-août 1945, Staline parvint à un accord avec les principales puissances impérialistes sur le partage de l’Europe et la répression des soulèvements révolutionnaires qui suivirent la fin de la guerre.

Churchill, Roosevelt et Staline à Yalta

Le régime stalinien craignait la révolution socialiste en Europe, notamment parce qu’elle encouragerait la classe ouvrière soviétique et mettrait en danger le régime stalinien en Union soviétique. Les conférences de Yalta et de Potsdam ont créé le cadre permettant au Kremlin d’établir son contrôle sur une série d’« États tampons » en Europe de l’Est. En échange, les partis staliniens ont apporté leur soutien à la défense du régime capitaliste en Europe occidentale et en Grèce. Agissant comme agents de contre-révolution, les staliniens ont travaillé pour désarmer les mouvements de masse qui se sont développés en Italie et en France et ont rejoint les gouvernements bourgeois, dans des conditions où les gouvernements capitalistes avaient été brisés au lendemain de la défaite du fascisme. Au Japon, le Parti communiste a affirmé, après le largage de deux bombes atomiques et la capitulation de l’Empire japonais, que les forces d’occupation américaines dirigées par le général Douglas MacArthur menaient la « révolution démocratique », qui devait être soutenue comme une première étape nécessaire d’une révolution en deux étapes.

Les trahisons des staliniens ont créé les conditions d’une stabilisation de l’Europe occidentale menée par les États-Unis, dans le cadre du Plan Marshall adopté en 1948, en vertu duquel le capitalisme américain a transféré 13,3 milliards de dollars pour reconstruire les économies européennes ravagées par la guerre.

Sur fond de nouvelle stabilisation générale, la période d’après-guerre a vu une immense recrudescence de la classe ouvrière internationale et des masses opprimées des anciens pays colonisés, que les staliniens s’efforçaient de faire dérailler. En 1947, l’Inde coloniale fut divisée en une Inde à prédominance hindoue et un Pakistan à prédominance musulmane, une trahison monstrueuse perpétrée par le Parti du Congrès bourgeois de Gandhi et Nehru contre la lutte anti-impérialiste, avec le soutien du Parti communiste et sa théorie de « deux étapes ».

En octobre 1949, le Parti communiste chinois accède au pouvoir dans un contexte de montée révolutionnaire des masses, qui a moins à voir avec la politique stalinienne de Mao qu’avec les conditions créées dans le pays par l’effondrement de l’empire japonais. Moins d’un an plus tard, les bouleversements postcoloniaux trouvèrent leur expression la plus explosive avec le déclenchement de la guerre de Corée, en juin 1950. En Europe de l’Est, il y eut l’arrivée au pouvoir de Tito et du Parti communiste en Yougoslavie et la scission Tito-Staline de 1948, analysée au chapitre 12 de L’Héritage.

Dans le même temps, la nouvelle stabilisation générale du capitalisme mondial, comme nous l’écrivons dans Fondements historiques et internationaux du Parti de l’égalité socialiste, « a considérablement élargi le champ d’action des mouvements nationalistes bourgeois, des staliniens, des bureaucrates syndicaux et des diverses tendances petites-bourgeoises qui prirent la tête de ces luttes. La fonction objective de ces mouvements et organisations était, sous une forme ou une autre, de fournir une base de soutien au sein de sections plus larges de la classe ouvrière et des masses opprimées pour le maintien du système capitaliste mondial. » [12]

Je ne peux pas passer en revue en détail chacune de ces expériences complexes. Cependant, le cadre général de l’après-guerre a largement confirmé l’évaluation de Trotsky du rôle contre-révolutionnaire du stalinisme, et en particulier l’évaluation faite dans « L’URSS en guerre », à savoir que, quels que soient les changements dans les relations de propriété survenus dans un ou plusieurs pays tombés sous le contrôle de l’appareil, il restait « le principal obstacle sur le chemin de la révolution mondiale ».

La réponse initiale de la Quatrième Internationale était basée sur cette perspective. Une déclaration publiée dans la Quatrième Internationale en novembre 1946 expliquait à propos des développements en Europe de l’Est :

Au nom d’un butin dérisoire, au nom de la petite monnaie des réparations – totalement insignifiantes pour répondre aux besoins économiques de l’URSS – le Kremlin a dressé contre lui un mur de haine dans toute l’Europe de l’Est et dans le monde. Dans l’intérêt du contrôle militaire sur les Balkans pauvres et en faillite, le Kremlin a aidé les impérialistes anglo-américains à écraser la révolution et à soutenir un capitalisme en décomposition. [13]

En avril 1949, le Septième Plénum du Comité exécutif international (CEI) de la Quatrième Internationale insistait sur le fait qu’« une évaluation du stalinisme ne peut se faire sur la base de résultats locaux de sa politique, mais doit prendre comme point de départ l’ensemble de ses actions sur le plan mondial. Quand on considère l’état de décadence que présente encore aujourd’hui le capitalisme, quatre ans après la fin de la guerre, et quand on considère la situation concrète de 1943-45, il ne fait aucun doute que le stalinisme, à l’échelle mondiale, est apparu comme le facteur décisif pour empêcher un effondrement soudain et simultané de l’ordre capitaliste en Europe et en Asie. » [14]

Cependant, à partir de l’automne 1949, Pablo et ses partisans commencèrent à proposer une interprétation très différente des développements en Europe de l’Est et, en lien avec cela, du rôle du stalinisme au niveau international.

Michel Pablo (à droite) avec Ernest Mandel

En septembre 1949, Pablo a avancé pour la première fois la théorie selon laquelle les États ouvriers « déformés » domineraient pendant des décennies, voire des siècles, dans la transition du capitalisme au socialisme. Dans « Sur la nature de classe de la Yougoslavie », Pablo écrit :

Le socialisme, en tant que mouvement idéologique et politique du prolétariat ainsi que système social, est par nature international et indivisible […] Mais tout en gardant cela à l’esprit, il n’en reste pas moins vrai que dans toute la période historique de la transition du capitalisme au socialisme, une période qui peut s’étendre sur des siècles, nous rencontrerons un développement de la révolution beaucoup plus tortueux et compliqué que ce que prévoyaient nos professeurs – et des États ouvriers qui ne sont pas normaux, mais nécessairement tout à fait déformés. [15]

Quelles sont les implications de ces positions ? Le stalinisme ne devient pas une « excroissance » historique ou une « excroissance temporaire », comme Trotsky l’avait analysé dans La Révolution trahie et dans la lutte contre l’opposition petite-bourgeoise, mais une formation sociale indépendante et même « nécessaire ». Si la vaste « période de transition », s’étendant sur des siècles, était caractérisée par des « États ouvriers » « nécessairement très déformés », c’est-à-dire dirigés par des partis staliniens, cela ne pourrait que signifier que, dans un sens historique profond, le stalinisme avait un rôle progressiste à jouer. En réponse à la question de Trotsky : « La bureaucratie représente-t-elle une excroissance temporaire sur un organisme social, ou cette croissance est-elle déjà transformée en un organe historiquement indispensable ? » Pablo répondait : « C’est un organe historiquement indispensable ».

Dans le même article, Pablo commençait à proposer des formulations qui révisaient le rôle de la Quatrième Internationale elle-même. « À notre époque, écrivait-il, le pouvoir prolétarien établi dans un seul pays se bureaucratisera inévitablement et rapidement [] Pour combattre ce danger, il n’y a pas d’autre remède que de faire peser le poids de l’organisation mondiale, l’Internationale. Elle seule est capable de contrebalancer l’influence corruptrice de l’isolement national sur le parti au pouvoir. » [16] Autrement dit, le rôle de la Quatrième Internationale était de servir de « contrepoids » à la tendance « inévitable et rapide » du « parti au pouvoir », c’est-à-dire un parti autre que la Quatrième Internationale, de se bureaucratiser dans un quelconque pays. Ce n’est qu’« à long terme » que « l’importance et l’efficacité » de la Quatrième Internationale « deviendraient manifestes » à travers « la conquête du pouvoir dans d’autres pays ».

La question à savoir comment désigner correctement la Yougoslavie et les États tampons d’Europe de l’Est a fait l’objet d’intenses discussions au sein de la Quatrième Internationale, au cours desquelles les implications pour la perspective de la Quatrième Internationale, ainsi que les questions méthodologiques critiques, ont été analysées. Les positions essentielles avancées par différents dirigeants au sein de la Quatrième Internationale et au sein du Socialist Workers Party sont passées en revue dans le chapitre 13 de L’Héritage que nous défendons, « Les origines du pablisme », et le chapitre 14, « La métaphysique de la propriété nationalisée ».

Cannon, Morris Stein et John G. Wright du SWP, et initialement Ernest Mandel du Secrétariat international, se sont opposés à une conclusion simpliste selon laquelle la nationalisation des relations de propriété équivalait automatiquement à l’existence d’un État ouvrier, tandis que Joseph Hansen et Bert Cochran dans le SWP se sont rangés du côté de Pablo.

Mandel, qui devint plus tard un proche collaborateur de Pablo, affirma en octobre 1949 que ceux qui insistaient sur une désignation immédiate de la Yougoslavie et des États tampons comme « États ouvriers » (Pablo n’était pas nommé, mais clairement pointé du doigt) faisaient « une abstraction des facteurs décisifs dans l’évolution de la situation pour estimer le caractère de ces nationalisations : qui les a instituées, quand, au profit de qui et dans quelles conditions. Ils isolent un facteur historique de son contexte et réduisent ce qui devrait être une analyse historique approfondie à un simple syllogisme, voire à une tautologie et à un argument circulaire ». [17]

En février 1950, lors d’une séance plénière du Comité national du SWP, Stein s’opposa à la position de Hansen, qui soutenait déjà à ce stade que la nationalisation de la production équivalait à un État ouvrier. Stein a mis l’accent particulier sur l’origine historique d’un État donné pour déterminer son caractère de classe. « Les critères purement économiques pour établir l’existence ou la non-existence de l’État ouvrier n’ont figuré dans notre mouvement que dans les discussions sur la dégénérescence d’un État ouvrier précédemment établi par une révolution prolétarienne », a-t-il soutenu.

Stein a souligné que « l’élément le plus important de la révolution sociale est la conscience et l’action autonome de la classe ouvrière telles qu’exprimées dans la politique de son parti d’avant-garde.

« L’approche simpliste qui se réduit essentiellement à la proposition : nationalisation égale État ouvrier, ne peut que désorienter notre mouvement. C’est une caricature du marxisme. Il substitue les décrets bureaucratiques de nationalisation à une véritable analyse des forces actives de classe et de leur position relative au sein de la société. Une telle approche ne peut en aucun cas nous servir de guide pour comprendre les événements qui se produisent dans les pays tampons ni comme une aide pour façonner notre politique à leur égard. » [18]

La Quatrième Internationale a pris la décision, lors du huitième plénum du CEI en avril 1950, de désigner la Yougoslavie comme un « État ouvrier déformé », ce qui a ensuite été appliqué également aux États tampons d’Europe de l’Est.

LHéritage que nous défendons résume de manière concise les questions soulevées dans le débat, et il vaut la peine de citer abondamment le chapitre extrêmement important sur « La métaphysique de la propriété nationalisée ».

L’importance des arguments de Mandel et Stein réside dans le fait qu’ils ont correctement mis l’accent sur la perspective historique de la révolution prolétarienne contre un courant croissant d’adaptation opportuniste à la bureaucratie soviétique et à ses « succès » éphémères. Cela ne signifie pas pour autant que la décision ultime de reconnaître l’existence d’États ouvriers « déformés » en Yougoslavie et dans le reste de l’Europe de l’Est était une erreur. Bien comprise et correctement utilisée, cette nouvelle définition remplissait une fonction théorique et politique nécessaire. Mais comme tous les concepts dialectiques, celui d’un « État ouvrier déformé » est acceptable et ne conserve sa validité que dans le cadre d’une « tolérance » historique et politique donnée.

Autrement dit, pour définir les États « hybrides » qui ont vu le jour dans les conditions spécifiques et particulières de la période d’après-guerre et pour souligner le caractère déformé et anormal de leurs origines, le concept d’État ouvrier déformé établit la base de principe sur laquelle le mouvement trotskiste affirme la nécessité de défendre ces États contre l’intervention impérialiste, tout en indiquant clairement les tâches politiques auxquelles est confrontée la classe ouvrière dans ces pays.

L’utilisation du terme déformé attire l’attention sur la différence historique cruciale entre le renversement de l’État capitaliste en octobre 1917 et les renversements survenus à la fin des années 1940 en Europe de l’Est : c’est-à-dire l’absence des organes de masse du pouvoir prolétariens – conseils ouvriers – dirigés par un parti de type bolchevique. De plus, le terme lui-même implique l’existence simplement transitoire de régimes étatiques à la viabilité historique douteuse, dont les actions dans tous les domaines – politiques et économiques – portent la marque du caractère déformé et anormal de leur naissance.

Ainsi, loin d’associer de tels régimes à de nouvelles perspectives historiques, cette désignation déformée souligne la faillite historique du stalinisme et souligne impérieusement la nécessité de la construction d’une véritable direction marxiste, de la mobilisation de la classe ouvrière contre la bureaucratie dirigeante dans une révolution politique, la création de véritables organes du pouvoir ouvrier et la destruction des innombrables vestiges des anciennes relations capitalistes au sein de la structure étatique et de l’économie. [19]

Cependant, les partisans de Pablo se sont emparés de la définition d’« États ouvriers déformés » d’une manière qui, note le camarade North, a traité le terme « déformé » comme s’il ne s’agissait que d’« une sorte d’adjectif après coup ». Comme Pablo l’avait déjà indiqué dans son essai précédent sur la Yougoslavie, il promouvait l’idée selon laquelle les moyens nécessaires pour réaliser le socialisme passeraient par de tels États « déformés ». Cela s’est accompagné d’un déferlement de mépris à l’égard de ceux au sein de la Quatrième Internationale qui s’opposaient à ces conceptions parce qu’ils étaient supposément épris de la « forme pure » plutôt que d’accepter la réalité.

Le pablisme liquidateur et l’objectivisme

Même si le débat sur la caractérisation de la Yougoslavie et des États tampons était important, il reposait sur des questions de perspective plus fondamentales. Quelle était la nature de l’époque ? Par quels moyens le socialisme serait-il réalisé ? Quel était le rôle de la Quatrième Internationale ?

Au cours des deux années suivantes, la caractéristique essentielle du pablisme émergea clairement, comme je l’ai cité plus haut :

Le pablisme était (et est) la liquidation sur toute la ligne : c’est-à-dire le rejet de l’hégémonie du prolétariat dans la révolution socialiste et l’existence véritablement indépendante de la Quatrième Internationale en tant qu’articulation consciente du rôle historique de la classe ouvrière. [20]

Le chapitre 15 de L’Héritage (« La nature de l’opportunisme pabliste ») décrit l’évolution du pablisme au cours de l’année 1951, année du Troisième Congrès mondial, tenu en août-septembre. Encore une fois, je ne peux que référer à quelques-uns des points les plus importants examinés dans le livre.

En janvier 1951, Pablo écrivit son essai « Où allons-nous ? », préparé à la suite du neuvième plénum du CEI et avant le troisième Congrès mondial, dans lequel il réitérait et élargissait la position avancée dans l’essai sur la Yougoslavie. Ceux qui « désespèrent du sort de l’humanité parce que le stalinisme perdure et remporte même des victoires », écrit Pablo, sont motivés par le désir subjectif que le socialisme « s’accomplisse au cours de leur brève vie ». Au lieu de cela, a-t-il insisté, « cette transformation prendra probablement toute une période historique de plusieurs siècles et sera entre-temps remplie de formes et de régimes de transition entre le capitalisme et le socialisme et s’écartant nécessairement des formes et des normes «pures». [21] [C’est nous qui soulignons.]

Sous couvert de considérer les «nouveaux développements de la réalité objective», Pablo a commencé à introduire des révisions fondamentales dans la compréhension du mouvement trotskiste de la nature de l’époque et de son propre rôle au sein de celle-ci. Il était nécessaire, écrivait Pablo, de reconnaître que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale «nous sommes entrés dans une période essentiellement différente de tout ce que nous avons connu dans le passé», exigeant que le mouvement dépasse «tout doctrinarisme et toute sorte de pensée qui est incapable d’englober, d’analyser et de comprendre le contenu infiniment riche d’une nouvelle réalité en pleine floraison». [22]

Quelle était cette «nouvelle réalité», dans son «contenu infiniment riche» ? Pablo l’a résumé ainsi :

Pour notre mouvement, la réalité sociale objective consiste essentiellement en l’existence du régime capitaliste et du monde stalinien. En outre, que cela nous plaise ou non, ces deux éléments constituent dans l’ensemble une réalité sociale objective, car l’écrasante majorité des forces opposées au capitalisme se trouvent actuellement sous la direction ou l’influence de la bureaucratie soviétique.

«La réalité sociale objective», déclarait Pablo, «consiste essentiellement en le régime capitaliste et le monde stalinien». Il a tellement insisté sur ce point qu’il l’a répété à deux reprises. «De plus, que cela nous plaise ou non, ces deux éléments constituent dans l’ensemble une réalité sociale objective.» Il n’y a pas vraiment de «plus» ici, puisque Pablo ne faisait que répéter ce qui venait d’être dit, le seul ajout étant «que cela nous plaise ou non». Autrement dit, quoi que veuille ou fasse la Quatrième Internationale, quoi que ses cadres puissent désirer subjectivement, la «réalité sociale objective» est constituée du monde stalinien et du régime capitaliste. Pourquoi ? Parce que «les forces qui s’opposent au capitalisme se trouvent actuellement sous la direction ou l’influence de la bureaucratie soviétique». [C’est nous qui soulignons.]

En supposant que cette dernière affirmation soit vraie, selon laquelle les efforts anticapitalistes de la classe ouvrière étaient «en ce moment» sous la direction ou l’influence de la bureaucratie soviétique, cela, pour le mouvement trotskiste, ne ferait que souligner le problème essentiel de la direction révolutionnaire, à savoir : comment briser l’influence politique du stalinisme sur la classe ouvrière. De plus, l’affirmation selon laquelle la «réalité sociale objective» consistait en «le régime stalinien» et le «monde capitaliste» attribuait la constellation existante de forces politiques à quelque chose de fondamental dans la structure même de la société, conférant là encore au «régime stalinien» une fonction historique sociale nécessaire, plutôt que de la considérer comme une «excroissance» politique temporaire. Dire que le «régime stalinien» était enraciné dans la «réalité sociale objective» revenait, dans un sens, à adopter la position des capitalistes d’État, selon laquelle le stalinisme était une nouvelle classe sociale, mais lui attribuant un rôle inverse.

À cette ligne liquidatrice était liée la théorie de la «guerre-révolution» de Pablo, qui remplaçait le développement de la lutte des classes dans le cadre de laquelle la Quatrième Internationale lutterait pour conquérir la direction politique par une guerre mondiale cataclysmique comme mécanisme de réalisation du socialisme. «Une telle guerre, écrivait Pablo, prendrait dès le début le caractère d’une guerre civile internationale, notamment en Europe et en Asie. Ces continents passeraient rapidement sous le contrôle de la bureaucratie soviétique, des partis communistes ou des masses révolutionnaires…»

Ces deux conceptions de la Révolution et de la Guerre, loin de s’opposer ou de se différencier comme deux étapes de développement significativement différentes, se rapprochent de plus en plus et deviennent si liées qu’elles deviennent presque indiscernables dans certaines circonstances et à certains moments. À leur place, c’est la conception de Révolution-Guerre, de Guerre-Révolution qui émerge et sur laquelle devraient reposer les perspectives et l’orientation des marxistes révolutionnaires de notre époque. [23]

La théorie de Pablo sur la «guerre-révolution», développée plus tard encore plus par le partisan de Pablo en Amérique latine, Juan Posadas, a bouleversé la conception marxiste traditionnelle de la guerre. Plutôt que le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière soit la base objective pour renverser le capitalisme et mettre fin à la guerre impérialiste, la guerre impérialiste est devenue la sage-femme de la révolution. Dans les fantasmes «révolutionnaires» de Pablo, une telle guerre conduirait «rapidement» les partis staliniens à prendre le contrôle de l’ensemble de l’Europe et de l’Asie, conférant à la bureaucratie un rôle progressiste dans le renversement des relations de propriété capitalistes dans une grande partie du monde et ignorant le rôle du stalinisme, moins d’une décennie plus tôt, qui avait étouffé la révolution en Europe et en Asie à la demande de l’impérialisme pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale.

Je reviendrai sur la question de la guerre-révolution, mais je voudrais d’abord citer à nouveau un long passage de L’Héritage sur les questions méthodologiques impliquées dans la révision du trotskisme par Pablo, qui ont une pertinence durable pour la compréhension de notre propre activité politique. Et c’est la question de l’objectivisme.

«Alors qu’ils s’adaptaient à l’impérialisme et à ses agents staliniens», écrit le camarade North, «et cessaient de croire en la capacité des trotskistes à conquérir la direction de la classe ouvrière, Pablo et ses alliés ont adopté une méthode objectiviste parfaitement adaptée à l’impérialisme et à ses agents staliniens, une perspective politique qui cédait toute initiative historique à des forces extérieures à la classe ouvrière et à des tendances politiques autres que la Quatrième Internationale ».

Le point de vue de l’objectivisme, c’est la contemplation au lieu de l’activité révolutionnaire pratique. L’objectivisme observe plutôt que de lutter, justifie ce qui se produit plutôt que d’expliquer ce qui doit être fait. Cette méthode fournit la base théorique d’une perspective dans laquelle le trotskisme n’est plus conçu comme la doctrine guidant l’activité pratique du parti déterminé à conquérir le pouvoir et à changer le cours de l’histoire, mais plutôt comme une interprétation générale du processus historique au cours duquel le socialisme est finalement réalisé sous la direction de forces non prolétariennes, hostiles à la Quatrième Internationale. Et si l’on admettait que le trotskisme avait un rôle direct quelconque à jouer dans le cours des événements, ce rôle était une sorte de processus mental subconscient, guidant l’activité des staliniens, néostaliniens, demi-staliniens et bien sûr des nationalistes petits-bourgeois de l’une ou de l’autre espèce.

Le pablisme était dans ce sens bien plus qu’une suite de fausses appréciations, de mauvais pronostics et de révisions programmatiques. Il s’attaquait au fondement tout entier du socialisme scientifique et répudiait les principales leçons tirées par les marxistes du développement de la lutte des classes au cours de tout un siècle. La plus grande conquête de la théorie marxiste au vingtième siècle, la conception léniniste du parti, se trouvait privée de ses fondements, Pablo remettant en question la nécessité du facteur conscient dans la lutte du prolétariat et dans la réalisation historique de sa dictature. Pour Pablo et ses partisans, il n’était pas nécessaire d’éduquer théoriquement la classe ouvrière et de lui faire prendre conscience de ses tâches historiques. Il n’était pas nécessaire de mener une lutte pour le marxisme contre la domination par l’idéologie bourgeoise du mouvement spontané de la classe ouvrière.

Le marxisme cessait d’être une arme politique et théorique active grâce à laquelle l’avant-garde de la classe ouvrière établissait son autorité parmi les masses, les entraînait et les organisait pour la révolution socialiste. Son rôle se trouvait être « confirmé » par une abstraction du nom de « processus historique » qui agissait d’une façon quasi automatique par l’intermédiaire de n’importe quelle tendance politique, sans tenir compte des forces de classes sur lesquelles elle s’appuyait objectivement, pas plus que de son passé si louche fût-il, ni de son programme si réactionnaire fût-il. [24]

La lutte contre l’objectivisme a une longue histoire dans le mouvement marxiste. L’Héritage cite le premier essai de Lénine, « Le contenu économique du populisme », dans lequel il aborde cette question. L’un des derniers essais de Trotsky, « La classe, le parti et la direction », est consacré à la mise à nu de ceux qui rejettent sur la classe ouvrière et les « causes objectives » la responsabilité des défaites causées par la trahison des dirigeants de la classe ouvrière. « Dans les moments cruciaux de tournants historiques, la direction politique peut devenir un facteur aussi décisif que l’est celui du commandant en chef aux moments critiques de la guerre », a écrit Trotsky. « L’histoire n’est pas un processus automatique. Autrement, pourquoi des dirigeants ? Pourquoi des partis ? Pourquoi des programmes ? Pourquoi des luttes théoriques ? » La Socialist Labour League, dans son opposition à la réunification, a critiqué l’objectivisme de Hansen et du SWP au début des années 1960, comme nous le verrons dans la prochaine conférence.

L’école de Francfort, le postmodernisme et la politique de la pseudo-gauche

Cependant, je voudrais attirer l’attention des camarades en particulier sur « Marxisme, histoire et conscience socialiste », contenu dans L’école de Francfort, le postmodernisme et la politique de la pseudo-gauche, où une compréhension correcte de l’objectivisme est élaborée en opposition à la fausse présentation de la question par Steiner et Brenner (notamment les chapitres 6 et 15). L’objectivisme ne signifie pas comprendre que l’histoire est un processus régi par des lois, sur lequel nous insistons et que Steiner et Brenner ont rejeté. C’est plutôt la position selon laquelle le développement objectif des contradictions du capitalisme résoudra le problème fondamental de la direction révolutionnaire, le « facteur subjectif ».

Pour les marxistes, la lutte pour la conscience socialiste ne consiste pas à convaincre la large masse des travailleurs de mener une lutte contre le capitalisme. Au contraire, partant de la reconnaissance du caractère inévitable de telles luttes, qui découlent du processus objectivement exploiteur d’extraction de plus-value, intensifié par l’aggravation de la crise économique et sociale du système capitaliste, le mouvement marxiste s’efforce de développer, au sein des couches de la classe ouvrière les plus avancées, une compréhension scientifique de l’histoire en tant que processus régi par des lois, une connaissance du mode de production capitaliste et des relations sociales auxquelles il donne naissance, et un aperçu de la nature réelle de la crise actuelle et de ses conséquences historiques mondiales. Il s’agit de transformer un processus historique inconscient en un mouvement politique conscient, d’anticiper et de se préparer aux conséquences de l’intensification de la crise capitaliste mondiale, de mettre à nu la logique des événements et de formuler, stratégiquement et tactiquement, la réponse politique appropriée. [25]

Ou comme Lénine l’a exprimé dans une phrase déformée et falsifiée plus tard par Healy : « La tâche la plus noble de l’humanité est d’adopter cette logique objective de l’évolution économique (évolution de l’existence sociale) dans ses traits généraux et essentiels, afin d’y adapter aussi clairement et nettement que possible, avec esprit critique, sa conscience sociale et la conscience des classes avancées de tous les pays capitalistes. » [26]

Pour en revenir au pablisme, la théorie de la « guerre-révolution » a en fait adopté la position que Trotsky avait explicitement critiquée dans les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, et qui est pertinente pour notre propre analyse de la guerre entre les États-Unis et l’OTAN contre la Russie et que le camarade North a citée dans son introduction. Dans son témoignage devant la Commission Dewey en 1937, Trotsky faisait référence à la « théorie fantastique mise en circulation par les amis du GPU » selon laquelle, puisque « la guerre produit souvent la révolution », le mouvement trotskiste est favorable à ce que la guerre éclate plus rapidement.

Léon Trotsky consulte son avocat Albert Goldman lors des audiences de la Commission Dewey à Coyoacan, au Mexique. Son épouse Natalia est à sa gauche.

« En fait, la guerre a souvent accéléré la révolution », a expliqué Trotsky.

Mais c’est précisément pour cette raison qu’elle a souvent conduit à des résultats avortés. La guerre aggrave les contradictions sociales et le mécontentement des masses. Mais cela est insuffisant pour le triomphe de la révolution prolétarienne. Sans parti révolutionnaire enraciné dans les masses, la situation révolutionnaire conduit aux défaites les plus cruelles. La tâche n’est pas « d’accélérer » le déclenchement de la guerre – pour cela, malheureusement, les impérialistes de tous les pays travaillent, non sans succès. La tâche est d’utiliser le temps que les impérialistes laisseront aux masses laborieuses pour la construction d’un parti révolutionnaire et de syndicats révolutionnaires.

La guerre et la révolution sont les phénomènes les plus graves et les plus tragiques de l’histoire humaine. Vous ne pouvez pas plaisanter avec eux. Ils ne tolèrent pas le dilettantisme. Nous devons comprendre non moins clairement l’interrelation entre les facteurs révolutionnaires objectifs, qui ne peuvent être induits à volonté, et le facteur subjectif de la révolution, l’avant-garde consciente du prolétariat, son parti. Il faut préparer ce parti avec la plus grande énergie. [27]

Pablo inversa cette compréhension. Plutôt que la nécessité de résoudre le « facteur subjectif de la révolution » afin d’augmenter « les chances que la révolution se produise avant la guerre et peut-être rendre la guerre elle-même impossible », pour Pablo, la guerre est devenue le mécanisme permettant de réaliser la révolution sans résoudre le problème du facteur subjectif. Avec l’aide de la guerre, le renversement des relations de propriété capitalistes se produirait « rapidement » et sous la direction de la bureaucratie contre-révolutionnaire stalinienne.

Dans ce contexte, le rôle de la Quatrième Internationale fut pratiquement réduit à zéro. « Il est néanmoins nécessaire », écrivait Pablo dans « Où allons-nous ? », « pour une orientation correcte des marxistes révolutionnaires, non seulement de garder à l’esprit que le processus objectif est en dernière analyse le seul facteur déterminant, surmontant tous les obstacles d’ordre subjectif, mais aussi que le stalinisme lui-même est d’un côté un phénomène de contradictions et de l’autre un phénomène autocontradictoire ». [C’est nous qui soulignons.]

Mais si le « processus objectif » est « le seul facteur déterminant », quel est le rôle du parti ? Cette déclaration allait à l’encontre de tout ce que Trotsky a écrit sur la dynamique de la révolution et le rôle décisif du parti, de la direction. Ce facteur devient plus important, et non moins important, en période de révolution. « Mais, quand les prémices sont mûres, alors la clef de tout le processus historique passe au facteur subjectif, c’est-à-dire au parti », écrivait Trotsky en 1928. « L’opportunisme, qui vit consciemment ou inconsciemment sous le joug de l’époque passée [c’est-à-dire la période précédant la Première Guerre mondiale], est toujours enclin à sous-estimer le rôle du facteur subjectif, c’est-à-dire l’importance du parti et de la direction révolutionnaires ». [28]

Les résolutions préparées pour le Troisième Congrès mondial et le rapport de Pablo au Congrès (« Le chemin vers les masses ») développèrent, sur la base des conceptions liquidatrices qui se répandaient, la perspective d’une « intégration réelle » dans les mouvements de masse partout où ils se manifestaient et quelle que soit la forme qu’elles prenaient.

« Pour la première fois dans l’histoire de notre mouvement, particulièrement depuis le Deuxième congrès mondial, la maturité de nos cadres est prouvée par l’exploration tenace et systématique de la voie prise par le vrai mouvement des masses dans chaque pays et les formes et organisations qui l’expriment le mieux, et par les pas concrets et pratiques que nous avons pris dans cette voie… »

Le « chemin vers les masses » de Pablo était basé sur des considérations nationales dans chaque pays, plutôt que sur une perspective mondiale de révolution socialiste. « Comprendre le mouvement réel des masses signifie avant tout être capable d’analyser correctement la situation politique de chaque pays, ses particularités, son dynamisme, et de définir les tactiques les plus appropriées pour atteindre les masses. »

Pablo a élevé ce qui, dans le mouvement marxiste, était traditionnellement considéré comme des questions tactiques – comment défaire les travailleurs de l’emprise des directions existantes et les convaincre de notre cause – en une question suprême de perspective politique, dont le caractère central était seulement maintenant compris. « Ce que nous avons compris pour la première fois dans l’histoire de notre mouvement et du mouvement ouvrier en général – pour la première fois d’une façon aussi profonde et à une si grande échelle – c’est que nous devons être capables de trouver notre place dans le mouvement des masses comme il est, partout où il s’exprime, et de l’aider à s’élever par sa propre expérience à des niveaux plus élevés. »

Il n’existe pas à présent une seule organisation trotskiste qui, en tout ou en partie, n’a pas sérieusement, profondément et concrètement compris la nécessité de subordonner toutes considérations organisationnelles, d’indépendance formelle ou autres, à la véritable intégration dans le mouvement de masse, où qu’il s’exprime dans chaque pays, ou à l’intégration dans un courant important de ce mouvement qu’il serait possible d’influencer. [29]

Le Congrès a adopté une résolution sur la situation politique en Amérique latine, incluant un appel au mouvement trotskiste en Bolivie à s’orienter vers le MNR petit-bourgeois, le début d’une politique liquidationniste sur le continent qui allait avoir des conséquences catastrophiques pour la classe ouvrière, qui sera examiné dans la prochaine conférence.

Cannon se lance dans la lutte contre le pablisme et publie la Lettre ouverte

À partir de 1952, Cannon entreprit une lutte contre le pablisme, qui aboutit à la publication de la Lettre ouverte en novembre 1953. Au cours de la revue de cette histoire dans les chapitres 16 et 17 de L’Héritage que nous défendons, le camarade North dénonce et en même temps contredit le mensonge avancé par Banda dans ses « 27 raisons » selon lequel Cannon (ainsi que Healy, selon Banda), en s’opposant au pablisme et en fondant le Comité international, étaient engagés dans une sorte de manœuvre pragmatique ou pire. Selon Banda, la scission de 1953 était un conflit entre « ceux qui en Grande-Bretagne et aux États-Unis (par exemple Cannon et Healy) s’orientaient rapidement vers les bureaucraties travaillistes et réformistes et l’État et ceux d’Europe occidentale qui s’adaptaient à la pression des bureaucraties staliniennes dominantes en Italie et en France ». [30]

Comme le note le camarade North, si cette interprétation de 1953 était vraie, alors les véritables trotskistes de l’époque auraient été obligés de soutenir Pablo de manière critique, puisque la fondation du CI aurait été basée sur une adaptation à l’impérialisme américain et européen. Comme le démontre de manière exhaustive l’Héritage, « l’analyse » de Banda était une fiction complète.

James P. Cannon, au centre, avec Max Eastman, à gauche, et Bill Haywood à Moscou, 1922.

Le dénigrement du rôle de Cannon en 1953 (étendu par Banda à Healy également) avait ses racines dans des positions antérieures du WRP, qui, au cours de sa dégénérescence nationaliste, commença à promouvoir l’idée selon laquelle la rupture de Cannon avec Pablo n’était qu’une manœuvre sans principes. L’avant-propos de Trotskisme contre révisionnisme, volume 1, publié en 1974, affirmait que « de nombreuses personnes nouvelles dans le mouvement pourraient être tentées de tirer la conclusion que le SWP représentait un point de vue antirévisionniste et marxiste dans la discussion et que leur position présente renégate [dans les années 1970], est une sorte d’aberration sans rapport avec “l’orthodoxie” des années cinquante ». Au contraire, affirme-t-il, le CIQI a élaboré sa perspective à la fois contre le pablisme et contre « le pragmatisme et le déterminisme mécanique de la tendance Cannon-Dobbs-Hansen ». Il ajoute en outre que « Cannon et la majorité des dirigeants du SWP ont été incapables de combattre politiquement Pablo parce qu’ils partageaient la même méthode positiviste ». [31]

Dans sa nécrologie de Healy, le camarade North souligne que cette diminution du rôle de Cannon, qui a en fait commencé à la fin des années 1960, a été avancée « afin de minimiser… l’importance du mouvement international et son rôle décisif dans le développement du mouvement trotskiste en Grande-Bretagne ».

Il est certainement possible, avec le recul, de souligner les défauts de Cannon dans les premières années de l’émergence du pablisme, notamment le fait qu’il n’ait pas compris les enjeux politiques impliqués dans les démarches bureaucratiques de Pablo contre la majorité de la section française, et pas compris les enjeux politiques considérables des positions avancées dans les résolutions du Troisième Congrès mondial. Cannon lui-même a reconnu ces fautes une fois que la bataille contre le pablisme fut pleinement engagée. Mais en conclure que le combat de Cannon contre Pablo n’était qu’une manœuvre, et que Cannon était « incapable de combattre Pablo politiquement », c’était déformer les vérités historiques. Cela a falsifié la propre position de Cannon dans l’histoire du mouvement trotskiste, malgré sa dégénérescence politique ultérieure, et, que Healy le veuille ou non à l’époque, a miné les fondements politiques du CIQI lui-même, qui était basé sur la Lettre ouverte de Cannon.

La défense que Cannon a menée, d’abord dans la lutte contre la tendance Cochran-Clarke au sein du SWP, puis contre le pablisme dans son ensemble, est particulièrement importante pour l’histoire du parti.

Aux États-Unis, les partisans de Pablo, dirigés par Bert Cochran, se sont engagés dans un rejet total des traditions historiques du mouvement, sous la revendication de « se débarrasser du vieux trotskisme ». Arguant que le SWP devrait cesser de se qualifier de « trotskiste », Cochran déclara en avril 1951 : « J’ai le sentiment que cette appellation donne l’impression à l’américain moyen non politisé, le type de personne même qui nous intéresse le plus, que nous sommes un mouvement sectaire, les disciples d’un quelconque individu, Russe de surcroît. » [32]

Cochran exprimait un état d’esprit, caractéristique de toutes les tendances révisionnistes, d’hostilité effrénée à l’égard de l’histoire du parti. Il déclara en juillet-août 1951 que « nous ne pouvons pas nous permettre de vivre dans le passé ou dans un monde imaginaire de notre propre création ».

Nous ne pouvons permettre aucun donquichottisme. Bien que notre programme s’appuie sur les expériences internationales de la classe ouvrière et qu’il continuera de le faire, et que Trotsky eut été, au sens le plus direct et le plus immédiat, l’éducateur et le dirigeant de notre mouvement, il ne découle pas nécessairement de ces deux propositions que nous gagnerons des travailleurs à notre cause en essayant de leur faire entrer dans la tête qui eut tort ou qui eut raison dans la lutte, qui est maintenant de l’histoire ancienne, entre Staline et Trotsky – ou bien que c’est notre devoir révolutionnaire d’essayer d’agir de la sorte. [33]

C’est une déclaration extraordinaire. La lutte « Staline-Trotsky » – comme s’il s’agissait d’un conflit entre individus, et non d’une question de vie ou de mort pour le mouvement socialiste mondial – était « de l’histoire ancienne ». Cela est dit en 1951, seulement 11 ans après l’assassinat de Trotsky par un agent du GPU, l’équivalent de la période entre 2012 et aujourd’hui. C’était moins de 15 ans après les Grandes Purges et le massacre des trotskistes et des travailleurs socialistes en Union soviétique. Mais la question de celui « qui eut tort ou qui eut raison » dans ce conflit était de l’histoire ancienne, dans des conditions dans lesquelles Staline dirigeait toujours l’appareil bureaucratique de l’Union soviétique.

Cannon a compris que la lutte contre Cochran, puis contre le pablisme en tant que tendance internationale, devait être portée devant les membres et devenir la propriété de ceux-ci.

J’aimerais diffuser un extrait d’un discours prononcé par Cannon le 24 mai 1953, devant une réunion des membres de la section de New York, une base principale de l’opposition. Cela donne une idée de ce que Cannon représentait et de l’approche qu’il a adoptée à l’égard de l’histoire du mouvement, dans laquelle les camarades reconnaîtront sans aucun doute nos propres motivations pour cette école.

James P. Cannon, extraits d’une réunion de cellule

Dans ce discours et dans d’autres de l’époque, Cannon a lié les positions de l’opposition aux changements de la situation objective et des relations de classe dans les années qui ont suivi la guerre. S’adressant à la tendance majoritaire du parti le 11 mai 1953, il expliqua que le parti ne pouvait plus ignorer la stratification qui s’opérait au sein des syndicats et l’émergence d’une couche conservatrice, dont les humeurs et les conceptions trouvaient leur expression au sein du parti lui-même.

Au cours de l’année 1953, Cannon et ses partisans en vinrent à comprendre que les conceptions politiques auxquelles le SWP était confronté dans la tendance dirigée par Cochran et Clark [34] étaient une expression nationale particulière de la ligne liquidationniste promue par Pablo. Elle ne pouvait donc être confrontée qu’au niveau international. Comme Dobbs l’expliquait dans cette lettre à Healy du 25 octobre 1953 : « Nous croyons que le meilleur service que nous puissions rendre au mouvement international est de trancher le nœud des intrigues pablistes en défiant ouvertement leur politique révisionniste et liquidatrice. Nous pensons que le temps est venu de lancer un appel ouvert aux trotskistes orthodoxes à travers le monde pour qu’ils se rallient et sauvent la Quatrième Internationale et pour chasser cette clique révisionniste usurpatrice. »

« La lutte que nous entreprenons maintenant n’est pas moins vitale et décisive pour l’avenir que les grandes batailles d’il y a 25 ans, où les premiers cadres trotskistes furent rassemblés. Face à ces impératifs politiques, les petits scandales et les manœuvres organisationnelles ne peuvent que perdre leur importance. Par un défi politique intransigeant, tu pourras rapidement souder tes forces en une fraction qui deviendra le mouvement en Angleterre. » [35]

Début novembre, suite à l’expulsion de Cochran, Clarke et d’autres qui avaient participé au boycottage d’un événement du parti marquant le 25e anniversaire de la fondation du mouvement trotskiste aux États-Unis, Cannon a prononcé un discours devant un plénum du comité national dans lequel il a exposé l’enjeu central de la lutte contre le pablisme : la question de la direction révolutionnaire et liée à celle-ci, la compréhension de la nature de l’époque :

« Et si notre rupture d’avec le pablisme – comme on peut le voir clairement maintenant — se résume à une chose et se concentre sur une question, c’est bien celle du parti. Cela nous semble clair maintenant après avoir vu le pablisme se développer en pratique. L’essence du révisionnisme pabliste est la destruction de l’aspect du trotskisme qui est aujourd’hui son aspect le plus important : la conception de la crise de l’humanité comme la crise de direction du mouvement ouvrier, concentrée dans la question du parti. » [36]

La Lettre ouverte de novembre 1953 résumait les enjeux politiques et organisationnels de principe impliqués dans la lutte contre le pablisme. Ses premières sections décrivaient, sous « Le programme du trotskisme », la base essentielle sur laquelle le mouvement trotskiste a été construit, sections qui furent entièrement incorporées dans la résolution fondant le CIQI.

À savoir :

L’agonie du système capitaliste menace la civilisation de destruction par des crises de plus en plus graves, des guerres mondiales et des manifestations de barbarie comme le fascisme. Le développement des armes atomiques souligne aujourd’hui le danger de la façon la plus sérieuse.

La chute dans l’abîme ne peut être évitée qu’en remplaçant le capitalisme par l’économie socialiste planifiée à l’échelle mondiale et en entrant ainsi dans la voie du progrès dans laquelle était engagé le capitalisme à ses débuts.

Cette œuvre ne peut être accomplie que sous la direction de la classe ouvrière, seule classe réellement révolutionnaire de la société. Mais la classe ouvrière elle-même fait face à une crise de direction bien que le rapport des forces sociales dans le monde n’ait jamais été aussi propice à la marche des travailleurs vers le pouvoir.

Pour s’organiser afin de mener à bien cette tâche historique, la classe ouvrière de chaque pays doit construire un parti révolutionnaire sur le modèle qu’a développé Lénine : c’est-à-dire un parti de combat apte à combiner dialectiquement la démocratie et le centralisme, la démocratie dans l’élaboration des décisions, le centralisme dans leur exécution ; une direction contrôlée par la base, une base apte à avancer sous les tirs avec discipline.

Le principal obstacle dans cette voie est constitué par le stalinisme qui, exploitant le prestige de la révolution d’octobre 1917 en Russie, n’attire les travailleurs à lui que pour les rejeter ensuite, une fois qu’il a trahi leur confiance, dans les rangs de la social-démocratie, dans l’apathie ou dans les illusions à l’égard du capitalisme. Le prix de ces trahisons, ce sont les travailleurs qui le paient, sous la forme de l’affermissement de forces monarchistes ou fascistes, et l’explosion de nouvelles guerres fomentées par le capitalisme. Dès le début, la Quatrième Internationale a défini comme l’une de ses tâches principales le renversement révolutionnaire du stalinisme, à l’intérieur et à l’extérieur de l’URSS.

La nécessité, pour beaucoup de sections de la Quatrième Internationale, et de partis ou de groupes qui sympathisent avec son programme, d’adopter une tactique souple, rend d’autant plus indispensable pour eux qu’ils sachent comment combattre l’impérialisme et ses agences petites-bourgeoises (comme les formations nationalistes ou les bureaucraties syndicales) sans capituler devant le stalinisme : et inversement qu’ils sachent comment combattre le stalinisme (qui est en dernière analyse une agence petite-bourgeoise de l’impérialisme) sans capituler devant l’impérialisme. [37]

Le chapitre 18 de L’Héritage détaille la manière dont la Lettre ouverte révèle en détail le rejet par Pablo de ces conceptions fondamentales telles qu’exprimées dans les développements politiques critiques. Il s’agit notamment de la réponse à la mort de Staline en mars 1953, la faction pabliste décrivant les concessions de la bureaucratie non pas comme une manœuvre, mais comme une avancée vers le « partage du pouvoir » avec la classe ouvrière. En réponse au soulèvement des travailleurs en Allemagne de l’Est en juin 1953, les pablistes ont présenté la répression violente des travailleurs par les troupes staliniennes comme faisant partie de « la voie vers des concessions plus vastes et plus authentiques ». En réponse à la grève générale massive en France en août, les pablistes ont dissimulé les trahisons des staliniens en affirmant que le Parti communiste n’avait pas de programme, plutôt que de dénoncer sa politique de soutien au capitalisme français.

La lettre se termine par un appel à une offensive internationale contre le pablisme sous toutes ses formes :

« L’abîme qui sépare le révisionnisme pabliste du trotskisme est si profond qu’aucun compromis n’est possible politiquement ni sur le plan organisationnel. Pablo et ses agents ont démontré leur volonté de ne pas permettre que des décisions démocratiques reflétant réellement l’opinion de la majorité soient prises. Ils exigent une soumission complète à leur politique criminelle. Ils sont déterminés à expulser tous les trotskistes de la Quatrième Internationale ou à les museler et les ligoter… mais le point de transformation qualitative a été atteint. Les questions politiques en jeu ont fait irruption à travers les manœuvres, et la lutte est maintenant une épreuve de force ».

Conclusion

Je voudrais conclure sur trois points.

Premièrement, en créant le Comité international, Cannon et ses partisans, dont Healy, défendaient le mouvement trotskiste contre la liquidation. Sans cette lutte, la Quatrième Internationale aurait cessé d’exister en tant que tendance révolutionnaire. Malgré sa dégénérescence ultérieure, Cannon comprit à quel point cette tâche était urgente et nécessaire. « Les cadres des “vieux trotskistes” », écrivait-il dans une lettre à Leslie Goonewardene le 23 février 1954, « représentent le capital accumulé de la longue lutte ».

« Ils sont les porteurs de la doctrine ; les seuls instruments humains dont nous disposions afin de faire parvenir notre doctrine – l’élément de la conscience socialiste – dans le mouvement de masse. La camarilla de Pablo s’est délibérément donné pour tâche de détruire ces cadres, un par un, pays par pays. Et nous nous sommes – après une trop longue attente – non moins délibérément donné pour tâche de défendre les cadres contre cette attaque perfide. Notre responsabilité vis-à-vis du mouvement international ne nous laissait pas d’autre choix. Des cadres révolutionnaires ne sont pas indestructibles. C’est ce que nous a enseigné l’expérience tragique de la Comintern » [38]

La scission avec le WRP avait un caractère similaire. C’était une défense de toute l’histoire du mouvement contre une tendance liquidationniste et opportuniste qui menaçait de détruire la Quatrième Internationale elle-même. Dans des conditions différentes, nous intégrons ces concepts dans le travail du parti. Nous ne sommes pas actuellement engagés dans une bataille contre une tendance opportuniste au sein du parti. Mais, sur la base d’une compréhension des tâches posées par la situation objective, nous cherchons à éduquer le parti tout entier dans « le capital accumulé de la longue lutte ». C’est seulement sur cette base que nous pourrons orienter le parti dans une situation politique extrêmement complexe et, à travers le parti, orienter et diriger la classe ouvrière dans la révolution socialiste.

Deuxièmement, s’il y a une conclusion que les camarades devraient tirer de cette revue, c’est que vous devriez lire attentivement et en détail les documents de la scission avec le WRP, y compris L’Héritage que nous défendons. Dans le cadre de cette conférence, je n’ai pu passer en revue que les points principaux des origines et de l’évolution du pablisme et de sa signification. Comme toutes les conférences de cette semaine, elle se veut un point de départ pour l’étude au sein du parti et par les membres individuels.

Troisièmement, la lutte qui a conduit à la fondation du Comité international de la Quatrième Internationale il y a 70 ans a lancé une période de 30 ans de ce que nous avons décrit comme une « guerre civile » au sein du mouvement trotskiste, y compris la lutte contre une réunification sans principes, menée par Healy et le SLL, et culminant avec la scission avec le WRP. C’est ce que nous avons appelé la troisième phase de l’histoire du mouvement trotskiste, sujet principal des conférences de cette semaine.

Quant aux organisations qui se sont ralliées à Pablo en 1953, puis ont participé à la réunification de 1963, elles appartiennent aujourd’hui, si elles existent, à la « pseudo-gauche » qui soutient l’impérialisme et défend l’appareil syndical. Certains de ceux qui sont passés par l’école du pablisme ont même accédé au rang de premiers ministres et de présidents. Seul le CIQI, au cours de ses 70 ans d’histoire et dans sa pratique actuelle, défend et soutient la perspective du trotskisme. C’est le parti mondial de la révolution socialiste.

(Article paru en anglais le 18 août 2023)

Notes :

[La traduction française de The Heritage We Defend: A Contribution to the History of the Fourth de David North est disponible ici : https://www.wsws.org/fr/special/library/heritage-que-nous-defendons/00.html]

[1] « The ‘Open Letter’ and the Formation of the International Committee, » Historical and International Foundations of the Socialist Equality Party (US), 2008. URL : https://www.wsws.org/en/special/library/foundations-us/17.html

[2] David North, The Heritage We Defend: A Contribution to the History of the Fourth International (Oak Park, MI: Mehring Books, 2018), p. 189.

[3] « Letter from David North to Mike Banda, January 23, 1984, » The ICFI Defends Trotskyism. URL : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/05.html

[4] North, The Heritage We Defend, p. 486.

[5] Leon Trotsky, « The USSR in War, » In Defense of Marxism (London : New Park Publications, 1971), p. 7.

[6] « A Letter to James P. Cannon, Sept 12, 1939, » ibid., p. 1.

[7] « The USSR in War, » ibid., pp, 22-23.

[8] Cité dans The Heritage We Defend, p. 99.

[9] Cité dans ibid., p. 101.

[10] Cité dans ibid., p. 109.

[11] Ibid., p. xxxvi.

[12] Historical and International Foundations of the Socialist Equality Party, pp. 69-70.

[13] Cité dans ibid, p. 71.

[14] Cité dans ibid., pp. 71-72.

[15] Michel Pablo, « On the Class Nature of Yugoslavia, » Socialist Workers Party International Information Bulletin, December 1949.

[16] Ibid.

[17] Cité dans The Heritage We Defend, pp. 170-71.

[18] Cité dans ibid., p. 176.

[19] David North, ibid., pp. 176-77.

[20] David North, ibid., p. 189.

[21] Michel Pablo, « Where are we Going?, » (January 1951), SWP International Information Bulletin, March 1951.

[22] Ibid.

[23] Cité dans The Heritage We Defend, p. 185.

[24] Ibid., p. 187.

[25] David North, « Marxism, History and Socialist Consciousness, » The Frankfurt School, Postmodernism and the Politics of the Pseudo-Left (Oak Park, MI: Mehring Books, 2015), p. 91.

[26] V.I. Lenin, «How Bogdanov Corrects and ‘Develops’ Marx,» Materialism and Empirio-Criticism, Chapter 6.2, URL: https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1908/mec/six2.htm

[27] Leon Trotsky, « Our position on war as nurturing revolution » Fourth International, No. 11, URL : https://www.marxists.org/history/etol/newspape/fi-is/no11/trotsky.htm

[28] Leon Trotsky, «The Draft Program of the Communist International: A Criticism of Fundamentals,» The Third International After Lenin (New York: Pathfinder Press, 1996), p. 101.

[29] Cité dans The Heritage We Defend, pp. 191-192.

[30] Cité dans The Heritage We Defend, p. 197.

[31] Trotskyism vs. Revisionism, Volume One: The Fight Against Pabloism in the Fourth International (London : New Park Publications, 1974), pp. xii ; xvi.

[32] Cité dans The Heritage We Defend, p. 200.

[33] Cité dans The Heritage We Defend, p. 203.

[34] Bert Cochran et son principal partisan, George Clarke, fondèrent ensuite la Socialist Union of America, basée, comme l'écrivit Cochran en mai 1954, sur la conviction que « les partis révolutionnaires de demain ne seront pas trotskistes, dans le sens où ils accepteront nécessairement la tradition de notre mouvement, notre estimation de la place de Trotsky dans la hiérarchie révolutionnaire, ou toutes les évaluations et tous les slogans particuliers de Trotsky ». (« Notre orientation »). La publication de l'organisation (The American Socialist) anticipe les positions qui seront développées par le mouvement pour une « Nouvelle Gauche » dans les années 1960. « Si les années soixante doivent introduire une nouvelle décennie de tensions et de conflits sociaux - et de nombreux signes vont dans ce sens - il est vain d'imaginer que les groupes radicaux survivants peuvent reprendre là où ils se sont arrêtés il y a vingt ans... Ce jeu est terminé. Le leadership viendra inévitablement en premier lieu des sources qui se trouvent actuellement à cheval sur les mouvements ouvrier, libéral et noir, et qui commandent l'attention, sinon l'allégeance, de segments importants de la nation ». (« La prochaine génération de radicaux », The American Socialist, juin 1959).

[35] Cité dans The Heritage We Defend, p. 224.

[36] Ibid., p. 225.

[37] Ibid., pp. 229-30. La lettre au complet est disponible an anglais ici : https://www.wsws.org/en/articles/2008/10/open-o21.html

[38] Ibid., p. 243.

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