La Révolution cubaine et l'opposition de la SLL à la réunification pabliste sans principes de 1963

Cette conférence a été prononcée par Tomas Castanheira, membre dirigeant du Groupe pour l'égalité socialiste au Brésil (GSI), à l'école d'été internationale du SEP (États-Unis), qui s'est tenue entre le 30 juillet et le 4 août 2023.

Le rapport d'ouverture du président du comité de rédaction international du WSWS et président national du SEP aux États-Unis, David North, «Léon Trotsky et la lutte pour le socialisme à l'époque de la guerre impérialiste et de la révolution socialiste», a été publié le 7 août. La deuxième conférence, «Les fondements historiques et politiques de la Quatrième Internationale», a été «publiée le 14 août. La troisième conférence, «Les origines du pablisme révisioniste, la scission au sein de la Quatrième Internationale, et la fondation du Comité international», a été publiée le 18 août. Le WSWS publiera toutes les conférences dans les semaines à venir.

Introduction

Camarades, le mois de juin dernier a marqué le 60e anniversaire du tristement célèbre congrès de réunification du Parti des travailleurs socialistes (SWP des États-Unis), aux côtés de ses partisans en Amérique latine et en Asie, et du Secrétariat international pabliste.

L'organisme créé grâce à cette fusion, le Secrétariat Unifié, représentait une alliance internationale de la petite bourgeoisie vouée au renversement du programme de la Quatrième Internationale, un programme basé sur le rôle exclusif et non transférable de la classe ouvrière internationale dans l'abolition du capitalisme.

La résolution de ce Congrès des renégats proclamait qu’une «nouvelle époque dans l’histoire de la révolution mondiale» commençait avec l’arrivée au pouvoir d’un mouvement nationaliste petit-bourgeois à Cuba dirigé par Fidel Castro. Il assigna au trotskisme le rôle servile d’aider à «renforcer et enrichir le courant international du castrisme», tant dans les pays coloniaux que dans les centres métropolitains du capitalisme. [1]

Cette tentative de dissoudre une fois pour toutes la Quatrième Internationale a été contrecarrée par la position de principe adoptée par le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) sous la direction de Gerry Healy et de la Socialist Labour League (SLL), soutenue par la section française, l'Organisation communiste internationaliste (OCI).

Gerry Healy

La lutte menée par la SLL entre 1961 et 1963 a assuré la préservation du trotskisme en tant que courant politique international et historique distinct. C’est l’un des grands moments de l’histoire du mouvement marxiste.

La crise du stalinisme après la scission de 1953

Après 1953, des développements majeurs dans la lutte des classes internationale ont confirmé le caractère critique des divergences politiques apparues dans la lutte contre le pablisme. En particulier, des luttes de masse ont éclaté en URSS et dans les pays d’Europe de l’Est contre le régime de la bureaucratie stalinienne.

Ces luttes ont culminé avec la Révolution hongroise, qui fut brutalement réprimée par le gouvernement soviétique en novembre 1956. Cet évènement a puissamment justifié le programme trotskyste de révolution politique, défendu par le CIQI contre les révisions du pablisme.

Le gouvernement soviétique a réprimé brutalement la révolution hongroise en novembre 1956.

Reprenant les leçons critiques de cette expérience, les trotskystes britanniques ont conclu que si «le développement spontané de la révolution politique peut la porter à un niveau élevé… les premiers exemples de révolution politique dans la vie réelle ont également souligné la nécessité absolue d’une direction consciente». [2]

Le massacre à Budapest a prouvé que les illusions entretenues par les pablistes sur les tournants à gauche de la bureaucratie sous la pression des masses ne pouvaient que désarmer la classe ouvrière et préparer de nouvelles défaites sanglantes. Mais le Secrétariat international pabliste est arrivé aux conclusions opposées.

La crise croissante du stalinisme sous l’offensive de la classe ouvrière était passée au premier plan en 1956, avec le 20e Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique. Le «discours secret» prononcé par Nikita Khrouchtchev reconnaissait que Staline était un criminel, alors que la bureaucratie désespérée cherchait à diriger l’opposition massive à laquelle elle faisait face vers un seul individu.

Nikita Khrouchtchev prononce son «Discours secret» en 1956 reconnaissant que Staline était un criminel.

Les pablistes voyaient dans ces développements la réalisation de leurs prophéties sur une auto-réforme pacifique de la bureaucratie et la croissance en son sein de tendances qui représentaient les intérêts de la classe ouvrière.

La signification essentielle de la crise de 1956, comme l’écrivait David North, «était qu’elle annonçait un changement profond dans le rapport de forces mondial entre la Quatrième Internationale et la bureaucratie stalinienne dégénérée». Il poursuivait:

Comme Labour Review l’avait déclaré en janvier 1957, la «grande ère glaciaire» avait pris fin. Les conditions objectives qui favorisaient la résolution de la crise historique de la direction de la classe ouvrière émergeaient maintenant. [3]

Divergences émergentes au sein du CIQI

Dans les réponses à ce changement majeur dans la situation politique, il est devenu clair que des divergences cruciales apparaissaient au sein même du CIQI.

La section britannique du CIQI, sous la direction de Healy, lança une offensive politique majeure dans la classe ouvrière, la jeunesse et parmi les intellectuels pour clarifier l’histoire et la nature de la lutte trotskyste contre le stalinisme qui était en passe d’être justifiée.

Comme North l'a écrit:

La puissance de l'intervention des trotskystes britanniques dans la crise du stalinisme provenait de la clarification obtenue grâce à la lutte contre le révisionnisme pabliste. C’est précisément parce que la section britannique avait rejeté la conciliation et la capitulation devant le stalinisme que Healy a pu réaliser d’importantes avancées dans les rangs staliniens… [4]

L’aboutissement de cette campagne a permis aux trotskystes britanniques d’établir une relation nouvelle et plus élevée avec la classe ouvrière et d’émerger comme une tendance politique puissante en Grande-Bretagne. Ces conquêtes se concrétisèrent par la fondation de la Socialist Labour League (SLL) en 1959.

Une attitude complètement différente fut adoptée par le Socialist Workers Party (SWP) aux États-Unis. Bien que l’analyse de la révolution hongroise et du discours de Khrouchtchev par le SWP ait eu un caractère de principe, découlant de sa récente lutte internationale contre le pablisme, cette ligne entra en conflit direct avec les politiques de plus en plus opportunistes qu’il avait développées depuis 1953.

North a écrit:

La période prolongée d'essor économique, l'engourdissement du mouvement ouvrier, l'emprise de la bureaucratie sur les syndicats et les effets à long terme de l'hystérie anticommuniste exerçaient une énorme pression sur les cadres du SWP. [5]

Contrairement aux trotskystes britanniques, la réponse pratique du SWP à la crise du stalinisme a été l’adoption d’une politique de «regroupement», orientée vers la dissolution du parti dans le milieu empoisonné du radicalisme de la classe moyenne américaine. Au lieu de réaffirmer les principes politiques séparant le mouvement trotskyste du stalinisme en faillite, le SWP a cherché à atténuer ces divergences pour s’adapter aux éléments repentants de la bureaucratie stalinienne.

1957 : La marche du SWP vers la réunification

La signification essentielle des propositions qui émergèrent à ce moment-là pour une «réunification» entre le Comité international et le Secrétariat international a été synthétisée par North:

Au lendemain de 1956, les efforts des pablistes étaient dirigés, pour utiliser une analogie militaire, vers le renforcement des forces assiégées des bureaucraties affaiblies contre le danger d’une offensive des forces revitalisées du trotskisme. Les pablistes ont réagi à la crise de 1956 en cherchant, sous le couvert de la réunification (c’est-à-dire en mettant fin à la scission de 1953), à diviser le Comité international. [6]

Les positions initiales adoptées par le SWP à l'égard de la Hongrie et de l'URSS ne pouvaient en aucun cas justifier une réunification avec les pablistes. Mais son orientation vers cette politique «était l’expression organique de sa capitulation face aux pressions des forces de classe hostiles états-uniennes». [7]

En mars 1957, sans consulter ses camarades du CIQI, le président national du SWP, James Cannon, écrivit une lettre aux centristes sri lankais du Lanka Sama Samaja Party (LSSP) acceptant leurs demandes d’une «unification immédiate des forces trotskystes dans tous les pays». Le fondement sans principes de cette décision a été clairement mis en évidence par les intentions de Cannon de mettre de côté les divergences politiques et de trouver un accord pratique pour une «action politique commune». [8]

James P. Cannon

La réponse de Healy à la manœuvre opportuniste de Cannon a jeté les bases sur lesquelles les discussions allaient se développer entre les Britanniques et le SWP sur la réunification avec les pablistes au cours des années suivantes.

Dans sa lettre de mai 1957 à Cannon, Healy changea l’axe qui jusqu’à là portait sur des questions d'organisation, affirmant que de telles propositions ne pourraient pas surmonter «les divergences politiques très profondes qui existent» avec les pablistes.

Au lieu de cela, Healy a souligné la nécessité de développer la lutte initiée en 1953. Il a écrit: «Le renforcement de nos cadres est décisif dans la période actuelle et cela ne peut se faire que dans le cadre d’une éducation approfondie autour des problèmes du révisionnisme.» Sa lettre se terminait ainsi: «La section britannique n’acceptera jamais quoi que ce soit qui puisse aller à l’encontre d’une clarification essentielle.» [9]

La Conférence de Leeds de 1958

Une conférence du CIQI qui s’est tenue à Leeds, en juin 1958, a analysé les nouveaux développements de la situation mondiale, réaffirmant les principes de la lutte du CIQI contre le pablisme.

Répondant à la crise du stalinisme, la résolution de la conférence déclarait que le CIQI «rejetait toutes les conceptions selon lesquelles la pression des masses pourrait résoudre la question de la direction en effectuant de force la réforme de l'appareil bureaucratique». [10]

Tout en admettant l'unité d'action avec les tendances en rupture avec les bureaucraties, elle exigeait qu'elle soit «couplée à une offensive idéologique contre le stalinisme, la social-démocratie, le centrisme, la bureaucratie syndicale et les directions bourgeoises et petites-bourgeoises des mouvements nationaux dans les pays coloniaux et semi-coloniaux». [11]

La résolution rejetait également la conception développée par les pablistes selon laquelle le centre de la révolution mondiale se déplacerait vers les pays coloniaux. Elle déclarait: «La révolution mondiale ne peut pas faire un bond en avant décisif tant qu’elle n’a pas éclaté dans les pays métropolitains.» Elle ajoutait que la «contre-offensive des travailleurs dans les pays métropolitains», à son tour, «poussera la révolution coloniale vers de nouveaux sommets». [12]

La direction du Socialist Workers Party rejeta les conclusions de la conférence. Révélant leur conception opportuniste de la réunification avec les pablistes, ils ont dénoncé les documents pour avoir relancé «la discussion autour des questions de 1953 qui ont été depuis longtemps dépassées par des événements sur lesquels il y a eu un accord politique essentiel». [13]

L'opposition de Nahuel Moreno aux documents de Leeds

Ces documents ont également été dénoncés par un autre dirigeant politique, Nahuel Moreno, qui a participé à la conférence de Leeds au nom de la section argentine. Les contributions de Moreno anticipaient certaines des questions critiques qui devaient rapidement émerger en relation avec la Révolution cubaine. Elles ont révélé les pressions de classe qui existaient en Amérique latine et ont constitué la base du soutien de ses sections à la politique de réunification avec les pablistes.

Nahuel Moreno. [Photo: Unknown author]

La principale proposition de Moreno lors de la conférence était la dissolution de chaque section nationale en ce qu'il a appelé des «Fronts révolutionnaires unis» basés sur une «toute nouvelle stratégie» pour l'époque. Ce programme pabliste distillé reposait sur les prémisses suivantes :

La crise de l’appareil libère des tendances révolutionnaires inconscientes […] Son émergence a une signification objective profonde: c’est le début d’une nouvelle direction révolutionnaire du mouvement de masse…

C'est une utopie de prétendre que les tendances révolutionnaires inconscientes qui existent et continueront d'exister dans le mouvement ouvrier et dans les masses coloniales du monde entier sont immédiatement ou automatiquement incorporées dans la Quatrième Internationale. [14]

Ces «tendances révolutionnaires inconscientes», et non le parti, seraient chargées de répondre «aux besoins révolutionnaires les plus urgents du pays, de la zone ou du syndicat, de l’université ou du groupe intellectuel où nous agissons».

À son retour en Argentine, Moreno fit part de ses désaccords avec les perspectives de la conférence de Leeds dans un rapport adressé aux autres sections latino-américaines en janvier 1959. Intitulé «Révolution permanente dans l'après-guerre», le rapport déclarait «l'opposition totale» au paragraphe suivant de la résolution de Leeds:

Dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, notre tâche centrale est de construire des partis prolétariens révolutionnaires. Armés de la théorie de la révolution permanente, ceux-ci participeront à des fronts anti-impérialistes unis dans le but d’établir une direction prolétarienne des masses. Nous rejetons toute conception subordonnant le programme de la révolution sociale aux objectifs limités de la bourgeoisie ou de la petite-bourgeoisie. [15]

Le désaccord de Moreno avec cette formulation provenait de son opposition totale à la théorie de la révolution permanente. Sous couvert de l’actualiser, il a présenté une conception diamétralement opposée du développement historique:

La révolution démocratique bourgeoise et la révolution socialiste n’étaient autrefois combinées, étroitement liées, que dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. Mais nous constatons aujourd'hui qu'au sein même de la révolution ouvrière dans les pays métropolitains, la révolution démocratique joue un rôle de première ampleur, elle est intimement liée à la révolution ouvrière. Le problème des nègres en Amérique du Nord et celui des Algériens en France en sont le meilleur exemple. […] L'Angleterre ne fera pas exception et, d'ici deux ou trois ans, suivra les traces de la France et de l'Amérique du Nord; en Angleterre, nous aurons un problème racial posé directement ou indirectement par l’impérialisme et sa crise économique. [16]

La révolution cubaine et le rejet du marxisme par le SWP

La Révolution cubaine a été le canal trouvé par le Parti des travailleurs socialistes (SWP) pour réviser complètement son programme afin de l'adapter à ses pratiques opportunistes et à sa volonté de réunification avec les pablistes.

Le déroulement de ce processus a permis à Joseph Hansen de devenir le principal théoricien du SWP. Comme le CIQI l’a découvert plus tard, Hansen a agi en tant qu’agent du GPU et plus tard du FBI. Il était une manifestation physique de l’infiltration du mouvement trotskyste par des agents conscients de forces de classe hostiles.

Mais la montée de l'autorité politique de Hansen exprimait plus profondément la capitulation du SWP face aux pressions idéologiques de la petite bourgeoisie au cœur de l'impérialisme. Une fois que le parti eût abandonné la perspective de mener une révolution socialiste aux États-Unis et ressenti le besoin de se libérer des chaînes du marxisme pour suivre sa voie opportuniste, Hansen devient l’homme de la situation.

Le renversement de la dictature de Batista en 1959 par le Mouvement du 26 Juillet, dirigé par Fidel Castro, faisait partie de toute une série de luttes et de révolutions anti-impérialistes qui émergèrent au lendemain de la guerre. Alors que le SWP l'avait initialement caractérisé comme un régime nationaliste bourgeois, au cours de l’année 1960, il changea complètement de ligne.

Alors que le régime de Castro, pressé par les exigences intransigeantes de l'impérialisme américain, procédait à une série de nationalisations et cimentait ses liens avec l'Union soviétique, Hansen affirma qu'il avait établi un «État ouvrier» et qu'il menait une révolution socialiste à Cuba.

Castro s'adressant à la Conférence tricontinentale en 1966, où il dénonça le trotskisme

Le SWP soutenait que sous l’influence de la force puissante des nouvelles conditions objectives, «la direction petite-bourgeoise, au début munie d’un programme bourgeois-démocratique, a suivi la logique dialectique de la révolution au lieu de la logique formelle de leur propre programme, et a fini par créer le premier État ouvrier de l’hémisphère occidental et en le proclamant l’exemple à suivre pour toute l’Amérique latine». [17]

Comme Moreno, Hansen prétendait simplement mettre à jour la théorie de la révolution permanente. Il soutenait que le développement automatique d'éléments petits-bourgeois inconscients jusqu'à la conclusion de la nécessité de la révolution socialiste était une justification de la théorie de Trotsky.

L'objectif d'une telle révision était de nier la conclusion – établie par la révolution russe et confirmée négativement par les expériences catastrophiques de la théorie des deux étapes sous la direction des staliniens – selon laquelle la petite bourgeoisie et la paysannerie ne pouvaient pas jouer un rôle politique indépendant à l'époque de l'impérialisme. Adressée d'abord aux pays coloniaux, sa conclusion naturelle était que, dans les pays avancés également, la petite bourgeoisie pouvait jouer un rôle de premier plan.

Traitant Castro, Guevara et leurs collègues comme des vierges politiques qui murissaient encore pour devenir des marxistes conscients, Hansen en vint à déclarer que Cuba était le seul «régime ouvrier non corrompu» au monde!

En faisant l’éloge de ces hommes d’action, qui auraient initié une révolution sans plan préconçu et en réagissant intuitivement aux événements, qui ont vaincu le capitalisme et amorcé la transformation socialiste de la société, le SWP a déclaré que le parti léniniste et la Quatrième Internationale étaient des instruments inutiles.

Les implications politiques de la qualification de Cuba comme «État ouvrier»

La caractérisation du régime cubain par le SWP comme un État ouvrier avait de vastes implications pour la théorie marxiste. Ceux-ci sont soigneusement examinés dans L’Héritage que nous défendons. North écrit que:

En 1939-1940, au cours de la bataille sur la nature de classe de l’État soviétique, Trotsky mit la minorité de Burnham-Shachtman au défi de dire haut et clair quelles conclusions stratégiques et programmatiques ils tiraient de leur soi-disant découverte que l’Union Soviétique n’était plus un État ouvrier. De cette façon, il montra clairement que la lutte n’était pas simplement une dispute sur la terminologie. Le refus de la minorité de définir, comme le faisait la Quatrième Internationale, l’URSS comme un État ouvrier, était indissolublement lié à des divergences profondes avec le trotskysme sur toutes les questions fondamentales.

De façon similaire, la question de Cuba n’était pas une simple dispute terminologique. Hansen cherchait à éviter de formuler une explication de principe des implications qu’avaient pour la théorie marxiste et le programme de la Quatrième Internationale la définition de Cuba comme un État ouvrier. Il tentait d’éviter une explication précise des conclusions que le mouvement trotskyste devait tirer de la formation supposée d’un État ouvrier sous la direction petite-bourgeoise et non-marxiste de Castro. [18]

Quelles ont été ces implications ?

Si des États ouvriers pouvaient être établis par les actions des dirigeants petits-bourgeois d’un mouvement de guérilla s’appuyant principalement sur la paysannerie, sans liens historiques, organisationnels ou politiques particuliers avec la classe ouvrière et alors qu’on ne pouvait identifier aucun organe de pouvoir de classe par l’intermédiaire duquel le prolétariat exerçait sa dictature, il s’en suivait toute une nouvelle conception de la voie historique menant au socialisme, complètement étrangère à celle envisagée par le marxisme…

Les écrits de Marx sur la Commune et les jugements portés par Lénine sur la signification universelle du pouvoir soviétique comme la nouvelle forme de pouvoir d’État «découverte» par le prolétariat, le premier État de type non bourgeois, devenaient alors des anachronismes...

On jetait le doute sur l’importance des efforts accomplis par des générations entières de marxistes pour organiser le prolétariat indépendamment de toutes les autres classes, y compris la paysannerie opprimée, et d’imprégner le mouvement ouvrier de conscience socialiste scientifique. [19]

Le liquidationisme en Amérique latine

Les conceptions liquidationnistes développées par le SWP dans sa campagne de réunification avec les pablistes ont eu des conséquences immédiates et désastreuses sur le développement du mouvement trotskyste en Amérique latine.

Elles exigeaient que les trotskystes de Cuba se soumettent complètement au «parti révolutionnaire unifié qui sera bientôt formé, où ils pourront travailler loyalement, patiemment et avec confiance pour la mise en œuvre du programme socialiste pleinement révolutionnaire qu’ils représentent». [20]

En peu de temps, le régime de Castro s'est emparé de l'imprimerie des trotskystes cubains, a détruit la mise en page d’imprimerie de l’édition cubaine de la Révolution permanente de Trotsky et a emprisonné leurs principaux membres.

En étendant cette orientation politique criminelle aux révolutionnaires de la région, la résolution du SWP de 1962 déclarait:

Les trotskystes de toute l’Amérique latine devraient essayer de rassembler toutes ces forces, quelles que soient leurs origines spécifiques, prêtes à prendre l’expérience cubaine comme point de départ des luttes révolutionnaires dans leur propre pays. [21]

Ces conseils ont été suivis dans une série de pays avec des résultats catastrophiques. Préparant la dissolution du Parti révolutionnaire des travailleurs (POR) du Chili dans le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), un amalgame de tendances de classe moyenne, le POR a adopté une résolution publiée par le SWP dans son International Socialist Review en 1961. Elle affirmait que:

Ces courants militants en développement ont tendance à former des mouvements qui sortent des moules des anciennes formations centristes, favorisant en fin de compte des courants révolutionnaires qui veulent faire avancer les choses une fois pour toutes, “à la cubana”.

Les nouvelles forces libérées par l'impact de la Révolution cubaine ouvrent la voie au regroupement de divers groupes révolutionnaires, de secteurs militants indépendants et de tendances de gauche, tandis que des scissions se produisent entre les formations centristes mentionnées ci-dessus. La tâche des trotskystes est donc d’encourager et de développer tous ces courants militants et intuitivement révolutionnaires, en soutenant en même temps toute mobilisation anti-impérialiste. [22]

Cette démarche liquidationniste a laissé la classe ouvrière chilienne sans direction marxiste dans la situation révolutionnaire critique qui a émergé dans les années suivantes, provoquant sa défaite et la prise du pouvoir par la brutale dictature de Pinochet en 1973.

Commentant les perspectives opportunistes du SWP pour l'Amérique latine, Jim Cannon, complètement démoralisé, écrivit à Hansen en 1961:

Curieusement, ces propositions précises peuvent entrer en conflit avec certaines tendances sectaires non seulement de nos propres co-penseurs latino-américains, mais aussi des pablistes latino-américains. Mais une déclaration claire et explicite de notre position, dans la lignée des propositions ci-dessus, de la part du SWP, qui a toujours défendu la révolution cubaine dans les circonstances les plus difficiles, devrait avoir une autorité considérable.

Cela pourrait ouvrir la voie à une meilleure consultation et collaboration avec les trotskystes latino-américains des deux camps. [23]

Comme il l’avait lui-même reconnu à l’époque, Cannon et son parti avaient complètement adhéré aux perspectives du pablisme. Dans certains cas, plus fortement que les pablistes eux-mêmes.

Les trotskystes passent à l'offensive

Au début de 1961, la SLL franchit une étape décisive dans la lutte contre le révisionnisme qui propulsa les trotskystes orthodoxes une nouvelle fois à l’offensive.

Dans une lettre adressée à la direction du SWP en janvier 1961, le SLL réfuta de manière décisive la tentative des Américains de réduire l'importance de la scission de 1953 à des problèmes d'organisation. Les trotskystes britanniques déclarèrent leur attachement aux principes de la «Lettre ouverte» de Cannon et demandèrent directement aux dirigeants américains s'ils les soutenaient toujours.

Considérant la signification du pablisme du point de vue des tâches révolutionnaires auxquelles était confronté le mouvement trotskyste, la SLL déclarait:

C’est en raison de l’ampleur des opportunités qui s’ouvrent au trotskisme, et donc de la nécessité d’une clarté politique et théorique, que nous avons besoin de toute urgence de tracer des lignes contre le révisionnisme sous toutes ses formes. Il est temps de mettre fin à la période pendant laquelle le révisionnisme pabliste était considéré comme une tendance au sein du trotskisme. [24]

Dans une lettre suivante, datée du 8 mai 1961, la SLL s'opposa à la ligne révisionniste qui se développait à l'égard du régime de Castro. Elle déclarait que «même si la révolution bourgeoise à Cuba a été contrainte par la politique américaine à dépasser les limites normales des mesures sociales d'une révolution bourgeoise […] ce résultat exceptionnel d'une situation particulière» ne justifiait aucune révision de la définition du mouvement d’un État ouvrier.

La lettre continuait:

Même si Castro et ses cadres étaient «convertis», cela ferait-il de la révolution une révolution prolétarienne? […] Si les bolcheviks ne pouvaient pas mener la révolution sans le soutien conscient de la classe ouvrière, Castro peut-il y parvenir? Indépendamment de cela, nous devons évaluer les tendances politiques sur une base de classe, sur la manière dont elles se développent dans la lutte en relation avec le mouvement des classes sur de longues périodes. Un parti prolétarien, et encore moins une révolution prolétarienne, ne naîtra dans aucun pays arriéré par la conversion de nationalistes petits-bourgeois découvrant «naturellement» ou «accidentellement» l'importance des ouvriers et des paysans.

Les décideurs politiques impérialistes dominants, tant aux États-Unis qu'en Grande-Bretagne, reconnaissent très bien que ce n'est qu'en cédant «l'indépendance» politique à des dirigeants de ce type, ou en acceptant leur victoire sur des éléments féodaux comme Farouk et Nuries-Said, que les enjeux du capital international et les alliances stratégiques seront préservées en Asie, en Afrique et en Amérique latine. [25]

La SLL concluait: «Ce n’est pas le travail des trotskystes de renforcer le rôle de tels dirigeants nationalistes.»

Puisque la direction du SWP s'était déjà embarquée avec un aller simple vers la liquidation, ces conditions lui étaient évidemment inacceptables. Mais les trotskystes britanniques étaient déterminés à mener une lutte patiente pour clarifier le mouvement international sur la nature de la nouvelle division politique qui était clairement apparue.

Dans la bataille des idées au cours des deux années suivantes, la SLL disposait d’un avantage important. Alors que le SWP considérait ses arguments comme un moyen d'intimider ses opposants et d'atteindre ses objectifs factionnels immédiats, et que Hansen braillait que «pas un seul trotskyste dans toute l'Amérique latine n’adopterait pour tout l’or du monde la position de la SLL sur Cuba», Healy et ses camarades ont compris cette lutte théorique comme un élément essentiel de la réalisation de leurs objectifs historiques révolutionnaires.

Comme l'a déclaré Cliff Slaughter lors de la discussion:

Dans une période de développement révolutionnaire du mouvement ouvrier, la ligne politique la plus claire et la plus incisive est de la plus haute nécessité. Cette ligne n’est obtenue qu’en s’opposant à des conceptions incorrectes pour arriver à un reflet précis de la situation réelle; cela nécessite une lutte contre le révisionnisme, qui reflète toujours la pression de la classe dirigeante. Cela signifie une étude scientifique de l’histoire du mouvement lui-même. C'est précisément pour doter les éléments révolutionnaires de la classe ouvrière d'une stratégie marxiste internationale qu'il est nécessaire de combattre jusqu'au bout tout révisionnisme, de comprendre notre propre position actuelle comme le produit de tels conflits, consciemment résolus. [26]

Cliff Slaughter

Dans cet esprit, les trotskystes britanniques se sont félicités lorsque le Socialist Workers Party «a reconnu explicitement les questions de principe qui divisent actuellement le SWP et la SLL» [27] dans le document «Problèmes de la Quatrième Internationale et les prochaines étapes», adopté par les Américains en juin 1962.

Le trotskisme trahi

La réponse de la SLL, présentée dans «Le trotskisme trahi», déclarait que ses divergences fondamentales de méthode avec le SWP «étaient centrées sur les questions fondamentales du léninisme, comment procéder à la construction d'un parti révolutionnaire international». Elle poursuivait ainsi:

Le fait qu'une nouvelle étape ait été franchie dans cette discussion fait en soi partie d'une nouvelle étape dans la construction de ces partis révolutionnaires de la Quatrième Internationale, pour laquelle la défaite du révisionnisme est nécessaire. [28]

Le document déclarait que:

Les travailleurs des pays avancés s’engagent dans de grandes luttes. Celles-ci entraîneront des défaites durables à moins qu’elles ne se transforment en luttes pour le pouvoir d’État, pour lesquelles une direction marxiste est nécessaire…

Des excuses pour les directions non marxistes, des affirmations selon lesquelles les dirigeants petits-bourgeois peuvent devenir marxistes «naturellement» grâce à la force des «forces objectives» – tout cela menace de désarmer la classe ouvrière en désorientant la direction marxiste.

Si la capitulation devant les centristes a lieu maintenant, empêchant la classe ouvrière de rompre avec la bureaucratie sociale-démocrate, stalinienne et syndicale, alors les révisionnistes porteront la responsabilité des énormes défaites de la classe ouvrière. [29]

Dénonçant le renoncement du SWP à la thèse de la crise de la direction révolutionnaire et son adhésion à la vision objectiviste du pablisme, le SLL a écrit:

Parler des «lois de l’histoire» accomplissant cela comme un processus distinct du développement du parti est un abandon de la position marxiste sur les relations entre «objectif» et «subjectif». ...

Il doit y avoir une construction consciente de ce parti si la classe ouvrière veut prendre le pouvoir et construire le socialisme. [30]

En expliquant que les divergences par rapport à Cuba n'étaient «qu'une partie de ces désaccords généraux et fondamentaux», la SLL a révélé la fraude totale des affirmations du SWP selon lesquelles sa caractérisation de Cuba comme un État ouvrier était une continuation de l'analyse de Trotsky sur l'Union soviétique:

Trotsky a insisté sur le fait que sa discussion et sa définition de l’URSS devaient être considérées dans un contexte historique et en relation avec la lutte mondiale entre la classe ouvrière et la classe capitaliste. … La méthode du SWP est à l’opposé, elle prend certains «critères» de la discussion d’une manifestation particulière de la lutte révolutionnaire dans une partie du monde comme une étape unique dans le développement de la révolution mondiale. Ils appliquent ces critères à une autre partie du monde une génération plus tard, à un secteur particulier à un stade particulier de la lutte. Ainsi, la nationalisation et l'existence de milices ouvrières suffisent pour faire de Cuba un «État ouvrier» et pour faire de la révolution cubaine une révolution socialiste. Cette méthode «normative» est la couverture théorique de la pratique consistant à se prosterner devant la phase actuelle, instable et transitoire de la lutte – la victoire des nationalistes révolutionnaires petits-bourgeois – au lieu de partir de la perspective et des tâches de la classe ouvrière. [31]

La SLL a demandé:

Que signifie concrètement un «État ouvrier» ? Cela signifie la «dictature du prolétariat» sous une forme ou une autre. La dictature du prolétariat existe-t-elle à Cuba? Nous répondons catégoriquement non!

Le régime de Castro n’a pas créé un type d’État qualitativement nouveau et différent du régime de Batista. Les nationalisations menées par Castro ne changent en rien le caractère capitaliste de l’État. [32]

Et, répondant aux affirmations de Hansen et des pablistes selon lesquelles le développement de Cuba «confirmait la théorie de la révolution permanente», Elle déclarait:

Cuba constitue en fait une confirmation négative de la révolution permanente. Là où la classe ouvrière est incapable de diriger les masses paysannes et de briser le pouvoir d’État capitaliste, la bourgeoisie intervient et résout les problèmes de la «révolution démocratique» à sa manière et à sa propre satisfaction. [33]

Même à ce stade de la discussion, la SLL a continué à maintenir sa proposition de réaliser des discussions de principe au sein de toutes les sections internationales:

Notre intention, en faisant ces propositions, n'est pas de parvenir à un accord au sommet entre les comités dirigeants du CI et du SI, mais de mener une lutte acharnée contre le révisionnisme dans les rangs de toutes les sections des deux organisations. [34]

Opportunisme et empirisme

Tentant d'isoler la SLL, Hansen a répondu aux attaques de principe des trotskystes britanniques avec «Cuba – l’épreuve de vérité: une réponse aux sectaires d'ultragauche» en novembre 1962. Le document de Hansen était une tentative malveillante de calomnier la SLL, décrivant ses positions comme un déni idéaliste et dogmatique de la réalité objective.

Hansen a affirmé:

Le mouvement trotskyste mondial a attendu maintenant deux années longues et chargées pour que la SLL reconnaisse les faits concernant la révolution cubaine. […] Pourquoi ce refus obstiné d’admettre des événements palpables? Le plus étrange est que les dirigeants de la SLL en sont venus à reconnaître qu’ils refusaient de reconnaître les faits; ils en ont fait une vertu et même l'ont élevé en philosophie. [35]

Joseph Hansen

Hansen parlait ici de la différenciation entre marxisme et empirisme faite par Slaughter dans son Lénine sur la dialectique, dans lequel il soutenait que «certains ‘marxistes’ supposent que la méthode marxiste a le même point de départ que l'empirisme: c'est-à-dire qu'elle commence par 'les faits'».

Cela vaut la peine de citer longuement Slaughter. Il poursuit:

Bien sûr, toute science est basée sur des faits. Cependant, la définition et l’établissement des «faits» sont cruciaux pour toute science. Une partie de la création d’une science est précisément sa délimitation et sa définition en tant que domaine d’étude avec ses propres lois: à travers l’expérience, on montre que les «faits» sont interconnectés objectivement et dans le respect de ces lois de telle manière qu’une science de ces faits offre une base significative et utile pour la pratique. Nos marxistes «empiristes» dans le domaine de la société et de la politique sont loin de cet état de fait. Leur procédure consiste à dire: nous avions un programme, basé sur les faits tels qu’ils étaient en 1848, ou en 1921, ou en 1938; maintenant les faits sont évidemment différents, donc nous avons besoin d’un programme différent…

C’est une vision fausse et non marxiste des «faits» qui conduit à ces idées révisionnistes. Ce que disent nos «objectivistes», avec leur message «l’histoire est de notre côté», c’est ceci: regardez les grandes luttes qui ont lieu; additionnez-les sans les analyser, fiez-vous à vos impressions sur leur signification; et additionnez tout cela: et vous avez «les faits». Les révolutions coloniales sont réussies ici, et réussies là, et dans un autre endroit; alors le succès de la révolution coloniale est un fait. Des dirigeants nationalistes comme Nkrumah, Mboya et Nasser font des discours «anti-impérialistes» et procèdent même à des nationalisations; cela suggère que l’histoire tend irréversiblement et inexorablement à forcer les politiciens non prolétaires dans une direction socialiste. Mais l’«objectivisme» de ce genre est une collection d’impressions et non une riche analyse dialectique de l’ensemble du tableau, où les parties sont liées les unes aux autres. Une analyse véritablement objective part des relations économiques entre les classes à l’échelle mondiale et au sein des nations. Elle procède à une analyse des relations entre les besoins de ces classes et leur conscience et organisation. C’est sur cette base qu’elle fonde son programme pour la classe ouvrière à l’échelle internationale et dans chaque secteur national. Une liste des «forces progressistes» n’est pas une analyse objective! C’est le contraire, c’est-à-dire une simple collection d’impressions de surface, une acceptation de la conscience non scientifique existante de la lutte de classe contemporaine qui est exprimée par les participants, principalement des politiciens petits-bourgeois qui dirigent les mouvements nationaux et les mouvements ouvriers bureaucratisés. Ensuite, de recouvrir cette erreur théorique en suggérant que Castro et d’autres sont des marxistes «naturels» [comme le prétendaient Hansen et le SWP] ne sert qu’à confirmer que les «théoriciens» concernés sont peu conscients de l’ampleur de leur erreur. Ils semblent suggérer que les périodes de tension révolutionnaire maximale sont celles où les participants à la lutte de masse arrivent facilement et spontanément à des concepts révolutionnaires. Au contraire, c’est précisément à ces moments-là qu’il faut privilégier la conscience scientifique, la théorie et la stratégie développées dans la lutte sur une longue période. [36]

La SLL a utilisé la défense de la méthode empiriste de Hansen – identifiant à tort «l'empirisme systématiquement mis en œuvre» avec le marxisme – pour démasquer davantage le caractère sans principes de la politique opportuniste du SWP. Cela révéla les fondements historiques et de classe de la méthode philosophique antimarxiste sur laquelle elle se fondait.

En mars 1963, la SLL publie Opportunisme et empirisme, également signé par Slaughter, qui déclarait que:

Hansen mène la tendance qui appelle à «l’unification» avec une tendance révisionniste sur la base d’un accord politique purement pratique sur des tâches immédiates. De ce point de vue, il refuse un examen de l’histoire de la scission et des divergences entre les tendances…

Quelle est ici la base méthodique de l’approche de Hansen ? Pour lui, la question dominante est toujours «qu’est-ce qui fonctionnera le mieux?» – toujours posée dans la perspective bornée des apparitions politiques immédiates. [37]

La SLL a présenté les divergences fondamentales séparant le marxisme de la méthode objectiviste qui unissait le SWP et les pablistes:

Tout cet argument selon lequel «les faits» sont la réalité objective et qu’il faut «partir de là» est une préparation pour justifier des politiques d’adaptation aux directions non ouvrières.

L’empirisme, puisqu’il «part des fait », ne peut jamais les dépasser et doit accepter le monde tel qu’il est. Cette méthode de pensée bourgeoise envisage le monde du point de vue de «l’individu isolé dans la société civile».

Au lieu de prendre la situation objective comme un problème à résoudre à la lumière de l’expérience historique de la classe ouvrière, généralisée dans la théorie et la pratique du marxisme, elle doit prendre «les faits» tels qu’ils se présentent. Ils sont produits par des circonstances indépendantes de notre volonté.

Le marxisme arme l'avant-garde de la classe ouvrière dans sa lutte pour l'action indépendante du mouvement travailliste; l'empirisme l'adapte au système existant, au capitalisme et à ses agents dans les organisations de la classe ouvrière. [38]

Les trotskystes britanniques avaient établi l'essence de la conception de la « nouvelle réalité » qui a servi de base à la réunification du SWP avec les pablistes. C'était la justification et l'adaptation à la réalité bourgeoise et la poursuite de la domination du monde par l'impérialisme.

Conclusion

Alors que la réunification était consommée, Healy écrivit une dernière lettre au Comité national du SWP. Comme North l’a observé, il a fourni un «examen cinglant de la fraude et de la tromperie qui ont accompagné la convocation du congrès de réunification SWP- Pabliste. Mais c'est dans les derniers paragraphes de la lettre que le mépris de Healy pour la trahison politique du SWP a trouvé son expression la plus acerbe.» [39]

Healy écrit que:

Bien sûr, vous n’avez pas de temps pour la «SLL sectaire». Nos camarades dans les rangs et dans la direction luttent jour après jour contre le réformisme et le stalinisme dans les meilleures traditions du mouvement trotskyste. Mais ils ne parlent pas encore à des dizaines de milliers de personnes lors de réunions publiques, comme celles de Ben Bella, de Castro et de ce qu'on appelle la réunion du 1er mai à Ceylan. À vos yeux, nous ne sommes que du «menu fretin d’ultra-gauche»…

Cela vous a pris du temps. (Comme le dit le proverbe « Ceux qui viennent tard au Christ viennent le plus durement.») Cela fait environ 12 ans que George Clarke s'est associé à Pablo et a publié le message du tristement célèbre Troisième Congrès dans le Militant et ce qui était à l'époque le magazine Quatrième Internationale. Vous n’avez pas compris Pablo à cette époque, et puis nous avons eu la scission de 1953. Cannon a salué cette scission en déclarant que nous «ne reviendrons jamais au pablisme». Jusqu’à récemment, il était un converti très obstiné au pablisme. Mais enfin vous y êtes parvenu. Vous avez désormais des alliés partout, de Fidel Castro à Philip Gunawardene et Pablo.

Nous voulons dire une seule chose et sur ce point notre congrès a été unanime. Nous sommes fiers de la position adoptée par notre organisation contre une capitulation aussi honteuse devant les forces les plus réactionnaires que celle à laquelle a complètement succombé la direction majoritaire de votre parti. [40]

Que reste-t-il des «forces nouvelles» et des «instruments émoussés», ces «faits» qui, selon le SWP et les pablistes, avaient vaincu les piliers fondamentaux de la Quatrième Internationale?

Ils se sont révélés totalement incapables de libérer leur propre pays ou toute autre partie du monde du capitalisme. Obéissant aux lois fondamentales de la Révolution permanente déjà vérifiées par Trotsky, ces directions bourgeoises et petites-bourgeoises ont trahi et désarmé la classe ouvrière, ouvrant la voie aux dictatures militaires fascistes et au rétablissement de l'équilibre au sein de l'impérialisme.

Le prix politique de l’opportunisme pabliste a été payé dans le sang de centaines de milliers de jeunes, d’ouvriers et de paysans qui ont suivi leur orientation vers des luttes de guérilla désastreuses ou ont été victimes des défaites qu’elles ont provoquées.

(Article paru en anglais le 25 août 2023)

NOTES:

[1] Dynamique de la révolution mondiale aujourd'hui , juin 1963.

[2] W. Sinclair, «Sous un drapeau volé», 22 mai 1957 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3 .

[3] David North, Cliff Slaughter: Une biographie politique 3 août 2021.

[4] David North, Gerry Healy et sa place dans l'histoire de la Quatrième Internationale, 1989.

[5]David North, L'héritage que nous défendons, 1988.

[6] Nord, Cliff Slaughter, Partie 3 .

[7] North, l’Héritage que nous défendons .

[8] Lettre de James P. Cannon à L. Goonewardene, 12 mars 1957 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3 .

[9] Lettre de G. Healy à James P. Cannon, 10 mai 1957 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3 .

[10] «Déclaration politique adoptée par la Conférence internationale» – L'éducation pour les socialistes: la lutte pour la réunification de la Quatrième Internationale (1954-1963), Vol. IV.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] North, L’Héritage que nous défendons .

[14] Nahuel Moreno, «Tesis de Leeds ( Tesis sobre el Frente Unique Revolucionario )», Centre d'études humaines et sociales, Buenos Aires, 2016.

[15] Nahuel Moreno, «La révolution permanente en la posguerra», Centro de Estudios Humanos y Sociales, Buenos Aires, 2018.

[16] Ibid.

[17] Résolution du Socialist Workers Party sur la situation mondiale, 1961 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3 .

[18] North, L’Héritage que nous défendons

[19] Ibid.

[20] Projet de résolution du Comité politique du SWP 1er mai 1962 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3.

[21] Ibid.

[22] Revue Socialiste Internationale , Vol.22 No.3, Été 1961.

[23] Correspondance de James P. Cannon, mai 1961 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3.

[24] Lettre du Comité national du SLL au Comité national du SWP, 2 janvier 1961 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3.

[25] Lettre du comité national de la SLL au Comité national du SWP, 8 mai 1961 – Trotskisme contre révisionnisme, tome 3.

[26] Une réponse à Joseph Hansen, par C. Slaughter – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3.

[27] «Trotskysme trahi: Le SWP accepte la méthode politique du révisionnisme pabliste» par le Comité national de la SLL, 21 juillet 1962 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 3 .

[28] Ibid.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Ibid.

[35] «Cuba – L'épreuve de vérité : Une réponse aux sectaires d'ultragauche», par Joseph Hansen, 20 novembre 1962 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 4 .

[36] «'Le Front Théorique', Cahiers philosophiques de Lénine, deuxième article », Revue Travailliste , été 1962, vol. 7, n° 2 .

[37] Opportunisme et empirisme Comité national SLL, 23 mars 1963 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 4 .

[38] Ibid.

[39] North, Gerry Healy et sa place, 1989.

[40] Lettre de G. Healy (pour le SLL) au Comité national du SWP, 12 juin 1963 – Trotskysme contre révisionnisme, Volume 4 .

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