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Après les grandes protestations du 10 mars en France:gouvernement et PS resserrent les rangs autour du oui au référendumPar Richard Dufour Utilisez cette version pour imprimer La colère populaire suscitée par la politique de démolition sociale du gouvernement ultra-conservateur de Jacques Chirac s'est massivement déversée dans les rues de France la semaine dernière - pour la troisième fois depuis le début de l'année, après les grosses journées de protestations du 20 janvier et du 5 février. Après des dizaines de milliers de lycéens, qui ont battu le pavé en début de semaine dans plus de 150 villes pour protester contre la loi Fillon, ils ont été près de un million jeudi le 10 mars, y compris 150.000 à Paris, à manifester dans tout le pays contre l'assaut gouvernemental et patronal sur les conditions de travail, les salaires, les emplois et le niveau de vie. Les cortèges associaient enseignants et lycéens, fonctionnaires, chercheurs, salariés d'Électricité et Gaz de France (EDF-GDF), à de nombreuses délégations du secteur privé marchant sous les banderoles de Lidl ou Alcatel à Marseille, EADS, Latécoère ou Carrefour à Toulouse, Legrand à Limoges, RVI à Lyon, pour ne nommer que celles-là.
Des milliers d'appels à la grève ont également été rapportés, notamment chez Coca-Cola, Exxon, L'Oréal, LU, Michelin, Nestlé, Renault, Rhodia, Rhône-Poulenc, Sanofi-Aventis, Total, Yoplait, sans parler des métallurgistes, également très représentés aux manifestations. Ce sont, en outre, 15 pourcent des agents à La Poste, 24 pourcent à France Telecom et 22 pourcent à EDF-GDF qui auraient débrayé ce jour-là, selon les directions. Le ministère de la fonction publique comptabilisait 36 pourcent d'agents de Bercy en grève. L'éducation nationale comptait jusqu'à 40 pourcent de grévistes selon le ministère. Les transports ont aussi été fortement affectés, tant la SNCF, la RATP et les transports urbains, que les ports et aéroports.
Cette journée de mobilisation générale témoigne, une fois de plus, de la volonté des travailleurs français à engager le combat contre une politique socio-économique menée dans l'intérêt exclusif de l'élite dirigeante. Que le taux de chômage dépasse la barre des 10 pourcent pour la première fois en cinq ans, alors même que les trois premières banques du pays - Crédit agricole, BNP Paribas et la Société générale - engrangent des profits records de presque 10 milliards d'euros, voilà qui en dit long sur les profondes inégalités qui dévorent la société, en France comme partout ailleurs. Mais tout est mis en oeuvre par la direction officielle des travailleurs pour les empêcher d'en tirer les conclusions politiques nécessaires, à savoir : la nécessité de réorganiser la société sur de nouvelles bases, où les besoins de la majorité passent avant l'accumulation de profits par une minorité possédante. C'est ainsi que les revendications du 10 mars ont été limitées par les centrales syndicales à un simple ralentissement de l'assaut brutal que mène la grande entreprise sur la position sociale des travailleurs, sans aucunement remettre en cause la politique pro-patronale du gouvernement en son ensemble, voire le système de profit lui-même. Pour le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, le mouvement de jeudi «confirme le niveau de mécontentement et aussi l'urgence de réponses concrètes aux revendications concernant le temps de travail et le pouvoir d'achat». Selon le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Jean-Claude Mailly, «la mobilisation montre que les revendications salariales, notamment, sont largement partagées et forment une priorité, le gouvernement doit donc l'entendre et le patronat s'exprimer». Quant aux syndicats de fonctionnaires, ils ont fait savoir qu'une hausse salariale supplémentaire de 0,7 pourcent (soit l'équivalent de 550 millions d'euros), s'ajoutant au 1 pourcent déjà accordé pour 2005, permettrait de «sortir d'une situation conflictuelle, réamorcer un dialogue social et montrer aux personnels qu'ils ont été entendus». Comme toujours dans ces occasions, il a été donné à la soi-disant «extrême-gauche» de fournir une couverture politique à cette opération-sabotage, en enjoignant les travailleurs à se borner à faire pression sur leurs dirigeants. «Pour que le 10 mars ne reste pas sans lendemain, mais soit une étape, le point de départ de plus amples mobilisations», écrivait Arlette Laguiller dans le numéro du 11 mars de Lutte Ouvrière, «il faut que les centrales syndicales sentent que les travailleurs n'accepteront plus qu'elles tergiversent et temporisent». Des spéculations dans les médias ont fait état d'un possible recul du gouvernement - à peine perceptible, il faut dire. Selon un article paru en première page de l'influent journal Le Monde un jour après le grand mouvement de protestation, l'Élysée aurait donné l'instruction de «lâcher du lest» sur les fonctionnaires en bonifiant de 1 pourcent la minuscule offre salariale qui était déjà sur la table. Bien que le ministre délégué au Budget, Jean-François Copé, ait ensuite réaffirmé que «la situation des finances publiques exige la plus grande vigilance», il n'est pas exclu que le gouvernement s'écarte de la ligne dure adoptée en 2003 face à un mouvement d'une ampleur au moins similaire contre les mesures sapant le système des retraites, et opte cette fois pour un léger recul tactique. Les raisons justifiant une telle approche ont été formulées dans un éditorial du Monde. Son point de départ est que «le gouvernement a la "chance" d'avoir en face de lui des organisations syndicales responsables», qui «ont parfaitement maîtrisé la grogne sociale à travers une journée d'actions interprofessionnelles sur laquelle elles ont plus de prise que sur des grèves "spontanées" et "sauvages"». Fort d'un tel appui, conclut l'éditorial, «A deux mois et demi d'un référendum important, sur la Constitution européenne, M. Chirac ne peut pas se permettre de rester totalement sourd aux revendications sociales.» Les craintes formulées par ce perspicace porte-voix de la classe dirigeante française sont loin d'être exagérées. Que la grogne sociale manifestée si massivement le 10 mars fasse jonction avec une opposition consciente au projet des sections dominantes du grand capital français et européen pour la création d'une Europe capitaliste plus forte politiquement et militairement, voilà qui poserait effectivement un grand risque à l'élite dirigeante. Car elle comporterait en germe la prise de conscience par les travailleurs français que la défense de leurs intérêts économiques immédiats est incompatible avec tout l'ordre politique européen existant. Et qu'ils doivent par conséquent bâtir leur propre parti politique de masse, en opposition à tous les partis de la grande entreprise, y compris la gauche officielle du Parti socialiste (PS) et de ses partenaires subordonnés que sont le Parti communiste français (PCF) et les Verts. La campagne référendaire est d'ailleurs fort instructive à cet égard. À commencer par la manière dont elle a été officiellement lancée. Craignant de paraître forcer la main à une population déjà fort aliénée envers le traité constitutionnel - correctement vu par plusieurs comme un projet pour et par le grand capital européen - le président Chirac a refusé d'écouter les tenants d'une campagne-éclair, fixant plutôt le référendum pour le 29 mai, soit une campagne de 85 jours, l'une plus longues du genre. Chirac a en outre évité de se présenter à la télévision pour notifier solennellement aux Français qu'il sollicitait leur vote, leur expliquer pourquoi ni leur dire qu'il attend d'eux une réponse positive. Telle que la campagne se dessine jusqu'à présent, le gros de l'effort pour le oui est fourni par l'establishment du PS, son premier secrétaire François Hollande en tête. Les arguments de celui-ci reviennent à une falsification ouverte et éhontée du traité constitutionnel européen qui sera soumis au vote référendaire. «Tous les citoyens auront les mêmes droits sociaux», affirme Hollande sans sourciller. «Pour la première fois, la Constitution reconnaît les services publics», répète-t-il à satiété. Il est pourtant de notoriété commune que le traité a été expressément rédigé de façon à réduire au minimum les contraintes sociales et environnementales pesant sur le grand capital européen. Parlant par exemple de «la promotion de l'emploi, l'amélioration des conditions de vie et de travail», le traité ajoute qu'une telle évolution résultera avant tout «du fonctionnement du marché intérieur qui favorisera l'harmonisation des systèmes sociaux». Le dirigeant du PS, par ailleurs, ne cherche pas le moins du monde à se démarquer de la campagne pour le oui menée par l'UMP, le principal parti politique de la droite, actuellement au pouvoir. «Il était temps que l'UMP proclame son adhésion franche à la Constitution européenne!», s'est récemment exclamé Hollande - laissant percer le consensus qui règne au sein de l'élite dirigeante française autour du projet pour une Europe capitaliste «plus forte» dont elle est, en compagnie de sa partenaire allemande, le fer de lance. Il s'agit là d'une répétition du second tour de l'élection présidentielle de 2002 lorsque le PS - avec la bénédiction des supposés partis de l'«extrême-gauche» que sont Lutte ouvrière (LO) et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) - a préconisé un vote «républicain» pour l'ultra-conservateur et raciste Jacques Chirac, sous le prétexte de «barrer la voie» à Le Pen, chef du Front national (FN) néo-fasciste. Épisode qui vaut la peine d'être noté, les positions de Hollande lui ont valu des huées et quelques boules de neige lors d'une manifestation de plusieurs milliers «pour la défense du service public», tenue samedi dernier à Guéret, dans la Creuse. La manifestation était organisée par la fédération PS de la région, favorable à un courant minoritaire au sein du parti qui prône le non au référendum. Tout le gratin de la gauche s'y était donné rendez-vous, y compris la secrétaire nationale du PCF Marie-George Buffet et le porte-parole de la LCR Olivier Besancenot. La réaction immédiate de l'establishment du PS a été de lancer une campagne de menaces contre «ceux qui ne respectent pas le vote des militants», faisant référence à une consultation interne tenue par le parti le 1er décembre dernier et qui a vu 60 pourcent des adhérents prendre position pour le oui à la constitution européenne. Mais le véritable objectif de cette campagne est d'intimider l'opposition populaire au traité et empêcher qu'elle ne prenne une forme politiquement cohérente et progressiste, basée non pas sur un nationalisme rétrograde, mais sur l'unité consciente avec les travailleurs de tout le continent dans une lutte commune contre le capital européen et mondial. Il faut dire que sur cette question critique, Hollande est rejoint par ses détracteurs au sein du camp officiel pour le non - que ce soit la minorité au sein du PS, le PCF ou même LO et la LCR. Car si le premier nie tout lien entre constitution européenne et offensive néo-libérale via privatisations, délocalisations et coupes massives dans la sécurité sociale, les tenants du non, quant à eux, passent entièrement sous silence le lien profond et indissociable qui existe entre néo-libéralisme et capitalisme. Les deux militent au bout du compte pour prévenir l'émergence d'une opposition progressiste, c'est-à-dire socialiste et internationaliste, à l'Europe capitaliste. La dirigeante du PCF déclare par exemple: «Le référendum sera l'occasion de dire que nous ne voulons plus des politiques libérales du gouvernement». Mais elle évite soigneusement de mentionner le fait indiscutable que l'assaut sur les services publics n'a pas commencé avec la constitution européenne ; que la constitution ne fait que légaliser et institutionnaliser un processus déjà fort avancé, régi par la profonde transformation économique associée à la mondialisation de la production ; et que cette mondialisation recèle un puissant potentiel de progrès social et humain, à condition d'être enlevée du contrôle anarchique des marchés et mise au service du bien commun. Les tenants du non sont également motivés par des considérations électorales plus pragmatiques : la crainte qu'en s'associant ouvertement à la droite au pouvoir dans le cadre de la campagne pour le oui, le PS ne finisse par perdre entièrement le peu de crédit politique qui lui reste aux yeux des masses populaires, et ce, à deux ans à peine des prochaines élections nationales. C'est ce qu'ont ouvertement exprimé les deux dirigeants
les plus en vue du courant minoritaire au sein du PS. En lançant
sa campagne, le député des Landes, Henri Emmanuelli,
expliquait : «S'il gagne, le oui ne fera pas 70%, il fera
cinquante et quelques. Ensuite, il faudra bien que le lien soit
renoué.» Quant au sénateur de l'Essonne,
Jean-Luc Mélenchon, il mettait en garde : «Il ne
faut pas que la campagne référendaire soit le prétexte
pour creuser un fossé infranchissable.» Voir aussi :
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