Visitez le site anglais du
WSWS SUR LE SITE :
AUTRES
LANGUES
|
France : les grèves témoignent d'un manque de perspectives pour combattre les mesures d'austéritéPar Antoine Lerougetel Utilisez cette version pour imprimer La semaine dernière, une série de grèves d'un jour contre le programme du gouvernement français de démantèlement de l'état providence et de réduction du coût du travail a démontré l'envergure de l'opposition à la politique du président Jacques Chirac et de l'administration du premier ministre Jean-Pierre Raffarin. [Voir "Mass strikes by French public sector workers" ]. Ces grèves ont aussi révélé la nécessité d'un programme pour lutter contre cette politique. Les sondages indiquent que quelques 65 pour cent de la population soutiennent ces actions de protestation. Cependant la dispersion orchestrée par les syndicats témoigne de la détermination de la bureaucratie à empêcher tout développement d'un mouvement qui représente un réel danger pour le gouvernement. Dans un mouvement de masse généralisé contre les mesures d'austérité du gouvernement, jeudi 20 janvier, entre 50 et 60 pour cent des 800 000 enseignants du secteur public se sont mis en grève dans toute la France. Ils protestaient contre les réductions de postes, la réduction de la qualité de l'enseignement par le biais d'allègement des programmes, l'augmentation de leur charge de travail et l'introduction du contrôle continu au baccalauréat. Ils réclamaient aussi que leur soit restitués les 5 pour cent de perte de pouvoir d'achat résultant de la stagnation de leurs salaires depuis 2000. Ils furent rejoints par quelques contingents d'enseignants d'établissements privés, en majorité catholiques, dont le personnel est rémunéré par l'état. Les salariés des hôpitaux et autres salariés de la fonction publique sont aussi descendus dans la rue : la majorité des employés de la Protection judiciaire de la jeunesse, 35 pour cent de la DDE, et des salariés des services de l'agriculture, de la culture et des Archives. De nombreux musées et monuments publics sont restés fermés pour la journée et les salariés des collectivités territoriales ont aussi arrêté le travail. Le chiffre officiel de grévistes dans la fonction publique, si l'on exclut l'éducation, s'élevait à 20.25 pour cent. L'appel à la grève fut lancé conjointement par les confédérations et fédérations syndicales CGT, CFDT, FO, FSU et UNSA, ayant tous des liens avec les partis de la précédente coalition gouvernementale de la Gauche plurielle du premier ministre du parti socialiste, Lionel Jospin. Entre 210 000 et 330 000 employés de la fonction publique, taux de participation le plus élevé depuis les mouvements de masse du printemps 2003 pour la défense des droits à la retraite et du système d'éducation nationale, ont manifesté dans les rues de plus de 70 villes de France : 30 000 à Paris, 10 000 à Marseille, 8 500 à Rennes. Les actions de jeudi furent le temps fort d'une série de grèves d'un jour. Le mardi, quelques 30 000 postiers se sont mis en grève dans le pays. Les salariés s'opposaient au projet de loi en discussion ce jour-là à l'Assemblée nationale concernant la réglementation des activités de la Poste, c'est-à-dire l'introduction dans la législation française de deux directives européennes de 1997 et 2002, ouvrant le service postal à la concurrence privée. Le mercredi, les gros bataillons des salariés des chemins de fer se sont mis en grève et dans certains cas ont voté la reconduction du mouvement jusqu'à jeudi pour rejoindre les fonctionnaires. En grève aussi ce mercredi, le collectif des chirurgiens qui étaient dans la rue pour dénoncer la situation critique de la chirurgie dans les hôpitaux publics. Les électriciens, qui avaient fait grève et s'étaient prononcés massivement contre la privatisation d'EDF en 2003, étaient en grève mercredi à l'appel de la CGT. La privatisation des industries nationalisées de l'électricité et du gaz, EDF et GDF, sera prochainement soumise à un vote au parlement. Cependant, la CGT a limité son action à réclamer la réouverture des négociations qui avaient cessé le 21 décembre 2004. La CGT réclame une augmentation des salaires de 5.5 pour cent pour compenser la hausse des contributions de retraite et la perte du pouvoir d'achat des salariés et des retraités de la compagnie ainsi que l'amélioration des indemnités maladies et la reconnaissance des diplômes. Les négociations sur des détails contractuels ont pris le pas sur la lutte contre la privatisation. Tous les syndicats, CGT, CFDT et FO compris, appellent à une journée commune de manifestations de masse à travers toute la France le 5 février pour protester notamment contre le démantèlement de la semaine de 35 heures et pour réclamer des négociations salariales. Cette action a été prévue un samedi, jour non travaillé, « afin de permettre au secteur privé, qui ne peut se mettre en grève », de participer au mouvement. Le secteur public, soit 5 millions de salariés, représente 23 pour cent de la main d'oeuvre française. On dit souvent que les fonctionnaires en grève défendent aussi les intérêts des salariés du secteur privé qui eux, du fait de leurs conditions de travail, sentent qu'ils pourraient être victimes de représailles et pénalisés s'ils arrêtaient le travail. Cette situation est la conséquence de trahisons répétées de la part des directions syndicales qui ont isolé les différentes luttes et conclu des arrangements avec les employeurs et les gouvernements ayant pour but de briser la conscience de classe et l'unité des salariés. Les tracts et autres documents publiés par les syndicats pour mobiliser les salariés pour les actions de la semaine dernière se sont bien gardés de faire référence à la question critique des droits à la retraite. Cette question avait mis en grève quelques 4 millions de salariés le 13 mai 2003 et quelques 2 millions de manifestants dans la rue contre les projets d'allongement de l'âge de la retraite et de réduction des pensions de près de 30 pour cent. Allant de pair avec cette question, il y avait aussi le projet de transférer le personnel non enseignant de l'éducation nationale à la région. Ce jour-là fut le point culminant de mois de lutte impliquant des milliers d'enseignants et salariés de l'éducation qui s'engagèrent dans des grèves illimitées qui durèrent bien plus d'un mois dans bien des cas. L'appel à la grève générale, qui devint une revendication centrale après le 13 mai fut explicitement combattu par les principales confédérations syndicales au motif qu'une grève générale minerait la légitimité politique du gouvernement. La droite prétend que sa fermeté à refuser de payer les journées de grève de 2003 (propagande mensongère du gouvernement car les fonctionnaires ont toujours perdu le salaire des jours de grève mais ont parfois bénéficié d'allègements négociés) avait cassé la grève et que cela empêcherait que de tels mouvements de masse se reproduisent. Cependant il est clair que la raison principale de la défaite du mouvement fut la politique des dirigeants syndicaux et des partis de gauche. Ces derniers prennent toujours la défense de l'économie nationale devant la menace de la concurrence mondialisée et cherchent à éviter que le mouvement ne se développe en une remise en question politique du gouvernement et de son programme néo libéral. Les partis de la Gauche plurielle étaient en accord complet avec la « réforme » des retraites. La défaite du mouvement du printemps 2003 ouvrit grand la porte au gouvernement pour qu'il poursuive, sans être inquiété, toute une série d'attaques en règle contre les droits fondamentaux des salariés. Encore une fois, il en fut à peine fait mention dans les publications syndicales pour la semaine d'actions. La législation sur les retraites a été votée et mise en place. Toute une série de droits aux allocations chômage ont été détruits. Le code du travail a été modifié afin d'enlever aux employeurs l'obligation légale d'appliquer un minimum de garanties en matière de conditions de travail et de sécurité d'emploi. De plus, la semaine de 35 heures est en cours de démantèlement, dans un contexte de chantage et de menaces pour les salariés de délocalisation de leur entreprise s'ils n'acceptent pas l'allongement des heures de travail et la baisse des salaires. Le gouvernement et l'organisation patronale MEDEF appellent cela le droit "de travailler plus pour gagner plus". Un programme limitant le libre accès aux soins médicaux est en cours, ainsi que l'augmentation du forfait hospitalier et de la visite chez le médecin. Des modifications apportées au système judiciaire, connues sous le nom de Perben deux, ont considérablement augmenté les pouvoirs arbitraires de la police et réduit les droits des personnes arrêtées et des accusés. Le gouvernement a réagi au mouvement de masse en insistant sur le fait qu'il était incapable d'accéder aux exigences des salariés. Le premier ministre Raffarin déclara que « le dialogue doit toujours rester ouvert et ceux qui, à un moment ou à un autre prennent la responsabilité de la rupture du dialogue doivent s'attendre à trouver en face d'eux naturellement la fermeté nécessaire ». Il dit que le gouvernement était allé au maximum de ce qu'il pouvait faire. Le gouvernement et les employeurs ont aussi été encouragés à réclamer un service minimum obligatoire pour les transports et autres secteurs du service public, devant la mollesse des syndicats. Si le gouvernement réussit à surmonter la vague actuelle de protestations, il ne fait aucun doute qu'il poursuivra ses projets. Des discussions avec les manifestants la semaine dernière ont révélé le fossé existant entre la réalité des vastes attaques du gouvernement contre les droits et le niveau de vie de la classe ouvrière et le niveau général de conscience des salariés. Quasiment personne ne semble conscient que tout cela fait partie d'une tendance à l'échelle du globe au sein du capitalisme mondialisé, comme en témoigne la législation Hartz IV en Allemagne. Tandis que l'opposition et l'hostilité à l'égard du gouvernement sont très répandues et que les partis de l'ancienne gauche plurielle inspirent une méfiance généralisée, les leçons politiques de l'échec du mouvement de masse du printemps 2003, pour la défense des retraites et du service d'éducation nationale, n'ont pas été tirées. Il n'existe aucune perspective pour une solution politique à la crise sociale. Ce qui domine c'est l'espoir que l'action syndicale militante peut forcer le gouvernement actuel à faire au moins quelques concessions. Ce sentiment est encouragé par les diverses tendances d'extrême gauche actives en France qui se targuent d'être des socialistes révolutionnaires mais qui en fait jouent le jeu de la bureaucratie syndicale. Le World Socialist Web Site a interviewé des manifestants à Amiens, jeudi 20 janvier. Marc Becquet, formateur en nouvelles technologies et audio visuel à l'IUFM d'Amiens. Il dit au WSWS qu'il manifestait pour deux raisons : « le plan Fillon [François Fillon, ministre de l'éducation] est une catastrophe, et l'avenir de l'école maternelle est très menacé bien que le ministre a affirmé la qualité de notre école maternelle française. Il y a aussi la réduction des moyens et des personnes et toute la politique et la conception de l'éducation de ce gouvernement. Les salaires aussi bien sûr mais c'est secondaire ». Marc dit qu'il était important de faire valoir le droit de grève qui doit rester imprescriptible. « Donc il est important de descendre dans la rue pour dire qu'on ne veut pas de tout ça. » Cependant il dit ne pas être sûr qu'il soit possible de convaincre le gouvernement de changer de cap. « C'est très difficile car ils sont durs. Ils veulent casser beaucoup de choses et ne proposent pas grand-chose. Ils n'ont pas de projet, ni pour la société ni pour l'éducation. Les acquis sociaux sont remis en cause. On veut faire le minimum avec le minimum de gens ». Quand on lui demanda s'il pensait que l'ex gauche plurielle représentait une alternative, il dit, « Ce n'est pas sûr. Il y a des gens ici qui revendiquent des formes de citoyenneté participative. Il faut rassembler les gens là-dessus. En 2003, dans la lutte contre la réforme des retraites, on a beaucoup perdu mais on est prêt à recommencer. Quelles leçons tirer de cette lutte, je ne sais pas trop. L'avenir ? Il faut casser certaines idées reçues, il faut se réveiller, parler, discuter. Il ne faut pas s'assoupir sur certains petits privilèges. Il faut se constituer une conscience un peu plus large ». Benoît, élève de première S, un drapeau de la CFDT dans les mains manifestait avec trois de ses camarades. Il était dans la rue car « Il est important de faire attention à la politique actuelle car notre avenir est en jeu. Ce qui me fait peur aujourd'hui c'est l'éducation et tout ce qu'ils veulent faire du service public. Ce gouvernement veut modifier. Mais il faut accepter de négocier avec les syndicats au lieu d'imposer une politique de façon anti-démocratique ». Il dit espérer que ces mouvements seraient suffisants. « J'espère que c'est assez, je crois que le gouvernement va faire attention. Sinon on y retournera jusqu'à ce qu'ils y fassent attention. Ils sont obligés de négocier sinon ce n'est plus une démocratie. Si parce qu'ils ont été élus, ils croient qu'on est tout le temps d'accord avec eux, ça ne va pas ». Benoît dit qu'il croyait que la gauche plurielle pouvait représenter une alternative au gouvernement actuel, mais seulement " Sur certains points mais pas sur tout ». Il ajouta « le problème c'est que certains partis et syndicats sont contre les réformes, toutes les réformes. Par exemple pour les retraites il fallait réformer, sinon nous les jeunes on aurait dû payer et nos retraites à nous ça aurait été de la merde. Oui, ils ont diminués les retraites, mais il y avait un minimum à perdre ». Brigitte Leclercq distribuait des tracts du syndicat Force Ouvrière (FO). Elle est secrétaire départementale de FO et travaille à la DDE (direction départementale de l'équipement). Elle dit au WSWS qu'on était en train de décentraliser tout le service. « Dans les deux années à venir on va passer de mille agents à trois cents. Et c'est comme ça dans toute la France. L'ensemble des routes sera géré par les Conseils généraux. Les salaires changeront aussi, par exemple aussi à la DDE on prend sa retraite à 55 ans alors que le Conseil général n'accorde la retraite qu'à 60 ans. Le ministre de la fonction publique n'est pas respectueux de ses fonctionnaires. Il faut augmenter les bas salaires dans la fonction publique ». « Faire reculer le gouvernement, cela va être difficile. On peut essayer de minimiser les incidences de la décentralisation. On veut que chacun retrouve un poste et un salaire. On ne peut pas changer tout le programme du gouvernement car ils ont fait une loi sur la décentralisation mais on peut essayer de minimiser les points négatifs ». Quant à la législation sur les retraites, il ne faisait aucun doute pour Brigitte qu'elle n'était "pas faite pour favoriser les travailleurs". Elle poursuivit : « On ne connaissait pas en 2003 toutes les incidences de la loi. C'est après le vote de la loi qu'on a mieux compris ce que cela voulait dire. Maintenant on diminue même le minimum retraite garanti ». Le WSWS fit remarquer que le 13 mai 2003 il y avait eu 4 millions de grévistes et 2 millions de personnes dans la rue réclamant une grève générale. Marc Blondel, secrétaire général de FO à l'époque, syndicat de Brigitte, s'était clairement opposé à la grève générale et à une lutte politique contre le gouvernement. Brigitte fit remarquer : « Il faut défendre les personnes. Oui peut-être qu'une grève générale aurait été la solution idéale, c'est vrai. Mais je ne suis pas assez politique » Quand on lui demanda s'il fallait que ce gouvernement parte,
elle dit: " Il faut du moins qu'il change ses orientations.
On a l'impression qu'il est dirigé par le MEDEF. »
Elle dit croire que l'ex gauche plurielle pourrait représenter
une alternative. « Peut-être oui. Mais je ne suis
pas convaincue. Des réformes ont été faites
aussi par des gouvernements de gauche et qui n'étaient
pas bénéfiques non plus. Il faudrait tout changer
en fait, c'est la seule solution. Ou du moins changer à
l'échelle Européenne. » Voir aussi : 30 septembre 2004
|