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France : le référendum sur la constitution européenne est fixé pour le 29 mai - sur fond de grogne socialePar Richard Dufour Utilisez cette version pour imprimer La date du référendum destiné à ratifier le traité constitutionnel européen a fait l'objet dernièrement de nombreuses spéculations dans les médias français. Selon les reportages, deux camps s'affrontaient dans les cercles du pouvoir: les tenants d'une campagne-éclair, qui prendrait le non de vitesse tout en surfant sur le supposé effet entraînant du oui espagnol; et les tenants d'une campagne «pédagogique», plus longue, rendue nécessaire par le fait indéniable qu'il subsiste de nombreuses réticences populaires au traité. Le président français Jacques Chirac a tranché la semaine passée en faveur de la seconde option en fixant la date du référendum au 29 mai - ouvrant ainsi une campagne de 85 jours, l'une des plus longues pour ce type de consultation populaire. Le très conservateur Chirac et son gouvernement de droite pourront compter sur l'appui de la direction et de la majorité du Parti socialiste (PS), reflétant le large consensus qui règne au sein de l'élite dirigeante française autour de son orientation vers l'Europe. Le camp du non, quant à lui, couvre un large éventail politique: du Front national néo-fasciste de Le Pen à la soi-disant extrême-gauche (Ligue communiste révolutionnaire, Lutte ouvrière), en passant par les staliniens du Parti communiste français (PCF) et certains éléments du PS. Le choix de Chirac pour une campagne prolongée montre que la classe dirigeante française - qui pousse avec sa partenaire allemande pour la construction d'une «Europe forte» comme contre-poids à l'hégémonie géo-politique américaine et comme instrument de choix pour saper le niveau de vie des travailleurs de tout le continent - est consciente du fait qu'un oui est loin d'être assuré, en dépit des sondages qui le donnent gagnant. L'assaut du gouvernement Chirac sur les services publics, ses efforts pour «libéraliser» le marché du travail, c'est-à-dire enlever toute restriction à l'accumulation des profits sur le dos des travailleurs, continuent d'alimenter une forte agitation politique à travers le pays : mouvements sociaux contre privatisations et délocalisations, fronde des lycéens, etc. Des masses de gens confrontées à une situation économique de plus en plus précaire doivent mener une lutte de tous les instants pour joindre les deux bouts. Le dilemme auquel fait face l'élite dirigeante française - et européenne - a été résumé par l'influent quotidien Le Monde dans une formule-choc: «Chaque conflit social () porte en germe le refus - voire la haine - de l'Europe. Le chômage qui repart à la hausse? L'Europe. Une usine qui se délocalise? L'Europe. Un bureau de poste qui ferme ? L'Europe. Les salaires qui stagnent ? L'Europe. La vie chère? L'Europe». De telles inquiétudes sont toutefois réelles et fondées. Entre la précarité économique grandissante et les efforts concertés de l'élite européenne pour niveler les conditions sociales vers le bas, il existe un lien étroit que Le Monde cherche à obscurcir en le caricaturant. L'emploi est effectivement dans un état lamentable - non seulement en France mais aussi chez sa partenaire allemande. Le taux de chômage vient de franchir le cap des 10 pourcent dans le premier pays, et des 12,6 pourcent dans le second. Parmi les Français détenant un emploi salarié, 20 pourcent ne sont pas protégés par un contrat à durée indéterminée. Le chômage de longue durée (plus d'un an) a augmenté en France de 5,6 pourcent en douze mois, et celui de très longue durée (plus de trois ans) de 5,3 pourcent. Le taux de chomage des Français de moins de 25 ans est passé de 9,8 pourcent qu'il était en 1975 à 21,8 pourcent aujourd'hui. Au même moment, des bénéfices records sont affichés par les grandes entreprises cotées au CAC 40. Selon le chef économiste de la Caisse des dépôts, Patrick Artus, la «moitié de la hausse des profits provient selon nos études de la déformation du partage des revenus, en faveur du capital et au détriment du travail». Il cite à l'appui le fait qu'en 2004, la productivité ait augmenté de 1,8 pourcent, mais les salaires réels de seulement 0,5 pourcent. «L'autre moitié de la hausse des profits vient de la baisse des coûts engendrée par les délocalisations», poursuit-il. Or, au coeur du projet pour une Europe capitaliste intégrée - objet du référendum du 29 mai - se trouve l'expansion vers l'Est, dans le cadre de la campagne commune des classes dirigeantes pour ramener les conditions sociales sur tout le continent au niveau indécent qui prévaut dans les économies plus arriérées de l'Est. Les conséquences inévitables, et déjà
manifestes, d'une telle expansion, sont justement les éléments
évoqués par Artus pour expliquer la montée
en flèche des profits : une plus grande inégalité
des revenus «en faveur du capital et au détriment
du travail» et un transfert progressif de la production
à l'Est, là où les lois du travail sont
les plus favorables à la grande entreprise et la protection
des salariés quasi inexistante. La France est, par ailleurs, le troisième partenaire commercial de la Pologne, le plus grand des pays de l'Europe de l'Est à adhérer dernièrement à l'Union européenne. Avec 13 milliards d'euros investis en Pologne (dont 90 pourcent par les grands groupes des télécommunications, des industries manufacturières et de l'énergie), elle vient en tête de liste des investisseurs étrangers dans ce pays. C'est à mettre en parallèle avec les propos de l'actuelle commissaire européenne à la politique régionale, la Polonaise Danuta Hübner, qui affirmait vouloir «faciliter les délocalisations au sein de l'Europe» pour décourager les sociétés à partir vers «l'Inde ou la Chine» - où il existe des dizaines de millions prêts à travailler pour un salaire de misère. Les pays de l'Europe de l'Est sont similairement destinés à servir de réservoir de main-d'oeuvre à bon marché. Cette réorganisation est régie par de puissantes forces objectives, associées à la mondialisation de l'économie, laquelle prend place jusqu'à présent sous le contrôle et dans l'intérêt du grand capital, notamment européen. Ce que vise le traité constitutionnel, c'est leur donner force de loi, qui sera utilisée en retour pour faire obstacle à l'inévitable opposition de masse qui va naître face aux effets dévastateurs d'une Europe capitaliste plus intégrée et «libérée» de tout souci de devoir assurer un certain niveau de bien-être social. C'est ce qui explique la polémique suscitée par la directive Bolkestein, du nom du commissaire européen l'ayant parrainée. Elle met de l'avant le principe dit du «pays d'origine», selon lequel une compagnie investissant dans un pays de l'Union européenne se verrait assujettie aux standards sociaux en vigueur dans le pays où elle est établie. Il a été suggéré dans ce contexte que des firmes françaises pourraient déménager leur siège social, mettons en Pologne, et appliquer ensuite la loi polonaise du travail en France. Par son contenu explicite, cette directive est devenue un symbole du caractère foncièrement anti-social, néo-libéral, du projet de l'Union européenne - et un certain embarras pour les promoteurs assidus de ce projet, tels un Jacques Chirac ou certains députés sociaux-démocrates du Parlement européen, qui ont récemment spéculé sur son éventuel retrait, sachant fort bien que les chances d'un tel retrait étaient nulles. Avec le lancement officiel de la campagne référendaire, les travailleurs français devraient garder à l'esprit un fait fondamental : l'intégration économique du continent européen est une tendance objective qui recèle un profond potentiel de progrès social et humain. Mais si cette tâche nécessaire est laissée aux mains du grand capital européen, comme c'est le cas avec la constitution qui sera soumise au vote populaire le 29 mai, elle ne peut qu'entraîner une profonde détérioration du niveau de vie des travailleurs en France et sur tout le continent. L'opposition légitime et nécessaire au projet constitutionnel du grand capital européen ne peut être basée sur la défense rétrograde et réactionnaire d'un capitalisme «à la française» ou d'une mythique «Europe sociale». Elle doit plutôt s'ancrer dans la perspective des États unis socialistes d'Europe, dans le cadre d'une lutte commune avec la classe ouvrière internationale pour rebâtir la société autour de la satisfaction des besoins humains et la promotion de l'égalité sociale, et non l'accumulation des profits individuels. Voir aussi :
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