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Abstention record au second tour des élections

Les partis de la droite obtiennent une solide majorité parlementaire en France

par David Walsh
18 juin 2002

Le 16 juin, le rideau est tombé sur les élections françaises de 2002. Le processus électoral en quatre actes (deux tours aux présidentielles, deux tours aux législatives, tout ceci en huit semaines) s'est soldé par la victoire de la droite qui a réussi à conserver la présidence et à obtenir 399 des 577 sièges de l'Assemblée nationale. Établissant une nouvelle marque, le taux d'abstention a atteint les 40 pour cent lors du vote de dimanche dernier.

L'Union pour la majorité présidentielle (UMP), dirigée par le gaulliste Jacques Chirac, a la majorité absolue à l'Assemblée nationale avec les 354 sièges qu'elle a gagnés. L'Union pour la démocratie française (UDF) de François Bayrou, un parti du centre-droit, a obtenu 29 sièges. Le parti d'extrême droite de Jean-Marie Le Pen, le Front national (FN) avait 37 candidats au second tour mais n'a pas réussi à en faire élire un seul. Le maire d'Orange au sud de la France, Jacques Bompard, a obtenu le meilleur résultat pour le FN, soit 42,4 pour cent du vote dans une course à deux dans la quatrième circonscription de Vaucluse.

Le Parti socialiste (PS) a vu le nombre des sièges qu'il détenait passer de 248 à 140. Le Parti communiste français (PCF) a fait un peu mieux qu'attendu en gardant 21 des 35 sièges qu'il avait à l'Assemblée nationale. Toutefois, le président du parti, Robert Hue, a perdu son poste de député d'une circonscription de la Val d'Oise aux mains du candidat de l'UMP par quelques centaines de voix.

La délégation des Verts est tombée à trois députés de sept qu'elle était avant les élections. Un des sièges qu'ils ont perdu appartenait à leur secrétaire national, Dominique Voynet. Le Pôle républicain de Jean-Pierre Chevènement, qui fut ministre dans le précédent gouvernement de la gauche plurielle n'a pas réussi à obtenir de sièges. Les partis de la gauche officielle auront un total de 178 sièges, eux qui en avaient 314 avant le déclenchement des élections.

Plusieurs notables de la «gauche» ont été défaits, y compris Martine Aubry, la ministre du PS connue comme «la dame des 35 heures» pour le rôle qu'elle a joué dans l'introduction de la loi raccourcissant la semaine de travail. Cette politique, qui fut mise en place soi-disant pour améliorer les conditions de travails des salariés, a plutôt permis aux employeurs d'introduire la «flexibilité du travail» et a conduit à la diminution du revenu des travailleurs par la perte d'heures payées en temps supplémentaire. Pierre Moscovici, une figure de proue du PS, proche du précédent premier ministre, Lionel Jospin, a lui aussi été défait, comme l'ont été Vincent Peillon, le porte-parole du PS, et l'ex-ministre Marie-Noëlle Lienemann.

Interpréter les résultats de l'élection de dimanche comme étant un virage à droite de l'électorat français, tel que les médias internationaux aimeraient nous le faire croire, serait une sérieuse erreur. Il ne faut pas oublier qu'au premier tour de l'élection présidentielle, trois petits partis se déclarant trotskystes, disposant de moyens limités, ont eu trois millions de votes, un total qu'il faut comparer aux 5,7 millions qu'a obtenus le président actuel.

On trouve la cause première du triomphe du parti gaulliste dans les problèmes politiques de la classe ouvrière française, tel qu'ils se sont manifestés au cours des deux derniers mois.

Au commencement des élections à la fin avril, le président sortant, Chirac, était de façon générale, un personnage discrédité et même méprisé. Au premier tour des élections présidentielles, il n'avait obtenu que 19,9 pour cent du vote exprimé (14,4 pour cent des électeurs inscrits), le plus faible total qu'un président de la Cinquième République n'ait jamais eu.

Les partis qui contrôlent aujourd'hui la présidence, l'Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil constitutionnel et d'autres institutions de l'État, c'est-à-dire l'UMP, Démocratie libérale et une partie de l'UDF, n'avaient pas obtenu plus de 18 à 20 pour cent des voix au premier tour des présidentielles.

Les principaux responsables pour ces résultats réactionnaires et dangereux sont les partis de «gauche», le PS, le PCF ainsi que les partis soi-disant d' «extrême gauche». La débâcle électorale du 16 juin est leur réalisation.

La coalition gouvernementale menée par le PS de Jospin a mis de l'avant des politiques pro-capitalistes, a présidé à la croissance de la misère sociale et a aliéné de vastes couches de la population. C'est cela qui a créé les conditions de colère et de confusion qui ont donné une prise à la démagogie nationaliste et pseudo-populiste de Le Pen et de son Front national.

Après que Le Pen soit arrivé en deuxième position derrière Chirac lors du premier tour des élections présidentielles, éliminant ainsi Jospin, le PS et le PCF, avec l'aide des groupes d' «extrême gauche», ont ajouté un nouvel acte de trahison à leurs péchés politiques des cinq dernières années: ils ont mené une campagne hystérique pour faire croire au danger immédiat d'une dictature du Front national et ont donné tout leur appui à Chirac.

L'unique contribution de la «gauche» française ce printemps a été de réhabiliter et de blanchir Chirac et de convaincre une plus grande proportion de la population ouvrière française que jamais auparavant de voter pour des candidats bourgeois. Le PS et le PCF, en faisant campagne pour Chirac entre le premier et le deuxième tour des élections présidentielles à la fin avril, début mai, ont en pratique miné leurs bases politiques. Une section de la population, assez logiquement, s'est demandée: avons-nous besoin de ces partis de «gauche» si, comme ils le disent eux-mêmes, nous pouvons compter sur Chirac pour défendre les droits du peuple et les «valeurs de la République»?

Une autre partie des électeurs français, 39,7 pour cent à la dernière élection, a décidé de ne pas se rendre aux urnes. Dans 180 circonscriptions, le taux d'abstention a dépassé la moyenne nationale. Dans 14 circonscriptions, il a dépassé les cinquante pour cent; dans trois de ces circonscriptions, il n'y avait que le choix entre un candidat de droite et de l'extrême droite. Si on peut se fier aux résultats préliminaires sur la composition sociale de ceux qui se sont abstenus, à peu près la moitié des chômeurs, des travailleurs et des jeunes de 18 à 24 n'auront pas été voter dimanche dernier.

Les explications qu'ont données certains médias sur le haut taux d'abstention - la Coupe du monde, la fête des pères, le beau temps - ne peuvent être sérieusement prises en compte. Le système politique français traverse une crise profonde que tous les discours sur un «retour à la normale» ou la création d'un système bipartite ne peuvent cacher.

Le Monde rapporte que 42 pour cent de ceux qui se sont abstenus ont indiqué un manque de confiance dans les représentants élus. Beaucoup de gens ont senti, avec raison, que les programmes de la droite et de la gauche parlementaires étaient pratiquement identiques. On pourrait se demander quel est le pourcentage, parmi les gens ayant voté, de ceux qui ont donné leur suffrage à des candidats et des partis qu'ils détestaient?

La réponse des dirigeants de la coalition gaulliste a été, comme il fallait s'y attendre, un mélange de suffisance et de complaisance. Le premier ministre Jean-Pierre Raffarin, personnage qui s'efforce visiblement de dégager un air de sobriété et de modestie de petite ville, mais qui suggère plutôt la médiocrité et la malice, a eu le commentaire suivant: «C'est un succès pour l'union et pour la confiance: union et confiance pour le gouvernement et le parlement, union et confiance entre les Français et notre action».

Démontrant qu'il n'avait rien appris de la raclée bien méritée subie par son parti aux urnes, François Hollande, dirigeant par intérim des Socialistes, a déclaré: «Ce résultat pourra paraître injuste à la gauche, qui pendant cinq ans, avec Lionel Jospin, a cru de bonne foi avancer le pays dans la voie du redressement économique et du progrès social». En général, les déclarations du PS laissent percer la conviction du parti que la population est ingrate et ne mérite pas d'être dirigée par lui.

Une lutte va maintenant prendre place pour la direction du Parti socialiste. Dominique Strauss-Kahn, l'ancien ministre des finances de Jospin, et Laurent Fabius, l'ancien premier ministre, sont deux candidats de la droite du parti; Aubry était considérée comme un choix possible de «gauche», du moins avant sa défaite de dimanche.

Le Parti communiste français a été jeté en crise par ses récents malheurs électoraux. Le parti stalinien pourra apparemment conserver ses privilèges de groupe parlementaire à l'Assemblée nationale, ce qui demande un minimum de 20 députés. Le PCF a été l'objet ces dernières semaines d'une sorte de mission de sauvetage dans les médias bourgeois de gauche. Certaines sections du PS sont également très inquiètes des implications qu'aurait un effondrement total du Parti communiste. Les staliniens ont été le moyen politique par lequel les Socialistes ont eu accès politiquement à certaines sections de la classe ouvrière depuis la renaissance du PS organisée par François Mitterrand au début des années 1970.

La défaite de Hue à Argenteuil ne fera pas monter sa cote au sein du PCF, où sa position est menacée depuis un certain temps. Des critiques de son leadership, comme Georges Hage dans le nord de la France et Maxime Gremetz à Amiens, ont tous deux été réélus. Hue a mis sa défaite sur le compte des efforts déployés par le Front national dans sa circonscription. Le FN a accordé son soutien au candidat de l'UMP et Jean-Marie Le Pen a publiquement souhaité la défaite de Hue. Quant à savoir comment le parti néo-fasciste pouvait être influent dans une région politiquement dominée par le Parti communiste depuis des décennies, c'est là une question à laquelle Hue n'a pas pris la peine de réfléchir.

Le PCF tient les 26 et 27 juin un congrès national qui doit discuter des leçons des élections et élaborer une nouvelle stratégie politique. Les staliniens essaient également de se servir des partis de l' «extrême-gauche» pour améliorer leur situation lamentable. Le 15 juin, le PCF a convoqué une réunion à laquelle il a invité «tous ceux qui se sentent concernés par l'avenir du communisme», y compris des membres de la Ligue communiste révolutionnaire pabliste.

Après l'échec de son parti à gagner un seul siège à l'Assemblée nationale, Le Pen a condamné l'élection. Il a déclaré: «Cette Assemblée ne représentera pas un Français sur deux». Prétendant représenter quant à lui le seul parti qui lutte pour l' «indépendance» de la France, le chef du Front national a affirmé: «C'est une assemblée croupion ; puisqu'elle ne votera qu'à peine 40 pour cent des lois qui sont appliquées en France, les 60 autres pour cent étant réservées à Bruxelles [l'Union européenne]».

Les médias français présentent avec complaisance la défaite du FN comme étant une preuve du déclin de son influence. Le Front national cependant, peu importe ses hauts et ses bas électoraux, et peu importe la solidité de sa base politique, dont il ne faudrait pas exagérer la force, ne peut que gagner en influence dans le contexte d'une Assemblée nationale monopolisée par des blocs politiquement conservateurs de la droite et de la gauche officielle et en l'absence d'une opposition socialiste largement ancrée dans la population. Alors que la situation économique empire, Le Pen va continuer à poser en critique anti-establishment et porte-parole de la «France d'en bas», oubliée dans le chaos et les traumatismes de l'économie mondiale.

Le gouvernement Chirac-Raffarin n'a pas articulé tous ses plans. Mais ce régime de droite fait face non seulement à des contradictions sociales montantes au pays, mais aussi à la menace croissante d'une récession mondiale, aux tensions et divisions au sein de l'Europe, et à la politique internationale impitoyable et mercenaire de l'administration Bush.

Sous la poigne du nouvel inspecteur Javert, le ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy, le gouvernement va mener une campagne pour rétablir «l'autorité de l'état», en s'en prenant notamment à la classe ouvrière et aux jeunes immigrés. Le nouveau régime (avec une certaine, quoique temporaire, légitimité acquise grâce aux actions des partis de la gauche) va maintenant attaquer, au nom de l'intérêt national, les programmes sociaux, les pensions et le niveau de vie de la classe ouvrière française. Des luttes sociales vont éclater et les problèmes de direction et de perspective de la classe ouvrière vont être de nouveau posés avec acuité.

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