Visitez le site anglais du
WSWS SUR LE SITE :
AUTRES
LANGUES
|
France: La Ligue communiste révolutionnaire défend son opportunismepar David Walsh à Paris Plusieurs personnes et organisations qui se prétendent «révolutionnaires» ne sont rien de tel en fait. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en France est une organisation qui se spécialise dans un type de démagogie de «gauche» vide de tout contenu. En réalité, c'est une organisation profondément opportuniste qui se positionne sur le flanc gauche de l'establishment politique français. La réponse de la LCR au premier tour des élections présidentielles du 21 avril représente un point tournant dans l'histoire de cette organisation. Le candidat de ce parti, Olivier Besancenot, a recueilli 1,2 millions de votes, soit 4,25 pour cent du vote exprimé, dans un vote écartelé où celui qui a obtenu le plus de voix, le président sortant Jacques Chirac, n'a reçu que 5,7 millions. Jamais auparavant la LCR n'avait obtenu un tel résultat aux urnes. À la grande surprise des «experts» politiques, le premier tour a mené à un affrontement entre le gaulliste Chirac de la droite et le candidat d'extrême droite, Jean-Marie Le Pen du Front national. Le candidat de la gauche parlementaire, qui était alors premier ministre, Lionel Jospin du Parti socialiste a fini au troisième rang et a été exclu du deuxième tour. La réponse de l'appareil politique de la bourgeoisie française, tout autant son aile droite que son aile gauche qui comprend le Parti socialiste et le Parti communiste, fut de lancer une campagne concertée en faveur de Chirac. Faisant la preuve qu'elle ne se considérait pas sérieusement, pas plus que le million et plus d'électeurs ayant voté pour elle, la LCR s'est ralliée à la campagne officielle pour le président sortant. Le parti, dirigé par Alain Krivine, s'est abstenu d'appeler ouvertement à un vote pour Chirac. Plutôt, il a appelé ses partisans à «voter contre Le Pen» dans une course à deux. On se demande qui ce subterfuge était supposé tromper. En tout cas, ce ne fut certainement pas le candidat présidentiel de la LCR, Besancenot, qui a publiquement déclaré avant le second tour qu'il voterait pour Chirac. Cette organisation «révolutionnaire» et «communiste» a effectivement demandé aux travailleurs et aux jeunes d'accorder un appui politique au représentant choisi du grand patronat français. En conséquence, la LCR a assumé la responsabilité politique, qu'elle l'admette ou non, des mesures que le gouvernement mettra en place: non seulement ses attaques contre les programmes sociaux et le niveau de vie des travailleurs français mais aussi ses actes visant à défendre l'impérialisme français à travers le monde. Du point de vue de Krivine et du reste de la direction de la LCR, il n'y avait plus de choix après le 21 avril. Pour s'opposer à la campagne pro-Chirac, il aurait fallu entrer en conflit avec les mouvements de protestation de la classe moyenne et les représentants syndicaux staliniens vers lesquels ils orientent leur parti. Cela aurait aussi signifié une crise interne risquant de provoquer une scission. C'est là la conséquence du long déclin politique qu'a connu cette organisation. La LCR est peut-être l'exemple le plus parfait du parti de type pabliste. Le pablisme est une tendance qui a émergé du mouvement trotskyste au début des années 1950. Il signifiait la répudiation de la lutte pour construire un parti international de la révolution sociale, ce que les pablistes avaient fini par considérer comme étant une tâche futile. Plutôt, le pablisme a cherché à limiter le rôle de la Quatrième Internationale, fondée par Trotsky en 1938, à celui d'un conseiller et d'un critique de «gauche» des bureaucraties staliniennes ou sociales-démocrates et des mouvements nationalistes bourgeois dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux. La LCR française, sous la direction de Michel Pablo, d'Ernest Mandel, de Pierre Frank, de Krivine et d'autres a continué sur cette voie liquidatrice pendant cinquante années. Il a fallu moins de temps à l'opportunisme pour déformer et dévoyer des partis au point de les rendre méconnaissables. Dans la campagne pour les élections législatives, dont le premier tour a eu lieu le 9 juin, la LCR a présenté des candidats dans 412 circonscriptions avec le slogan «LCR - 100 pour cent à gauche». Dans des dizaines de régions, elle appuie des campagnes chapeautées par diverses coalitions de «gauche». En tout, elle présente ou appuie des candidats dans 450 des 577 circonscriptions touchant à environ 80 pour cent de l'électorat français. C'est une campagne beaucoup plus importante que celle de 1997, lorsque la LCR avait présenté 130 candidats. Le fondement de la campagne de la LCR est qu'il y a aujourd'hui deux «gauches» en France: la gauche parlementaire, officielle, du Parti socialiste et de ses partenaires de sa coalition (le Parti communiste, les Verts, les Radicaux de gauche) et la gauche «d'en bas», la gauche «radicale», la gauche qui est «clairement contre la droite et l'extrême droite». La LCR s'inclut dans ce dernier camp. Le programme en dix points de la LCR préconise une loi qui interdise les licenciements; la défense des services publics; l'augmentation du salaire minimum et des bénéfices sociaux; la légalisation de la marijuana; des droits égaux pour les femmes; la fin de la discrimination contre les homosexuels; une pleine pension de retraite à 60 ans; l'introduction de politiques écologistes; et le rejet de toutes les «mesures antisociales» introduites par l'Union européenne. Il est difficile de faire la distinction entre les programmes de la LCR, de Lutte ouvrière, du Parti communiste et même de certaines sections du Parti socialiste. Ils se lisent tous comme des listes de souhaits réformistes. Le programme de la LCR ne fait montre d'aucune considération sérieuse sur l'état de la société française, sur la polarisation sociale croissante et l'aliénation politique de vastes sections de la population, sur les trahisons criminelles du Parti socialiste et du Parti communiste, sur la crise de perspective et de direction de la classe ouvrière ou sur la nécessité de la transformation socialiste de la société. La LCR se présente comme le parti des «mobilisations», c'est-à-dire des marches et des manifestations. Sa conception de la lutte politique se réduit à celle de «manifestations permanentes», comme l'a dit Besancenot. La notion qu'un parti marxiste doive s'opposer peu importe les circonstances aux idées dominantes réformistes des masses laborieuses en faveur d'un programme socialiste est une notion entièrement étrangère aux opportunistes invétérés de la LCR. Certaines de ces questions ont pris une forme très concrète lors d'un rassemblement électoral de la LCR tenu le 5 juin dans la circonscription de Paris où la LCR présente Besancenot comme candidat. La réunion a été ouverte par Béatrice Bonneau, également candidate de la LCR, qui a fait quelques remarques générales sur un programme qui «va vraiment changer les choses». Sandra Demarq, qui se présente comme suppléante de Besancenot, a ensuite lu le programme de la LCR. On donna ensuite la parole à Besancenot, qui a parlé des «deux gauches possibles». Les socialistes, le PC et les Verts pensent que le capitalisme est «indépassable». La lutte contre le Front national «ne fait que commencer». Il a noté que la gauche gouvernementale n'a rien compris des élections présidentielles ni pourquoi elle s'est coupée des travailleurs et des jeunes. Il a décrit les conditions locales et a insisté que les travailleurs n'ont «rien obtenu» de la gauche ni de la droite. Lorsqu'on discute avec lui [voir «Une entrevue avec Olivier Besancenot, candidat de la Ligue communiste révolutionnaire»], Besancenot, âgé de 27 ans, est une personne tout à fait aimable et sans prétention. Toutefois, comme ses remarques lors du rassemblement du 5 juin l'indiquent, il a une compréhension très limitée des questions politiques. Il est devenu, volontairement ou contre son gré, un des moyens par lequel l'opportunisme de la direction pabliste endurcie de la LCR est transmis à la classe ouvrière. Au rassemblement du 5 juin, la discussion qui a suivi les discours d'ouverture fut délibérément limitée par les cadres de la LCR aux questions les plus immédiates : les questions touchant les services publics, le sort de tel ou tel centre postal, etc. Et ceci dans des conditions, selon leur propre propagande, de crise politique, d'émergence d'une menace fasciste et du besoin pour des mesures sociales désespérées. Il faut rappeler lorsque l'on parle de la LCR que cette organisation ne prend rien au sérieux : ni son nom, ni son programme, ni sa rhétorique essoufflée, bref rien de ce qui la définit. Aussi il n'est pas surprenant que l'échange insipide des questions et réponses ait produit un sentiment général de somnolence dans la salle. C'est à ce moment que Ulrich Rippert du World Socialist Web Site et du Parti de l'égalité socialiste [Partei fur Soziale Gleichheit] d'Allemagne est intervenu dans la discussion. Il a noté que les élections françaises avaient une signification internationale et qu'elles avaient soulevées des questions politiques fondamentales. Considérant les raisons qui ont mené aux gains importants de la droite et comment il était possible d'y remédier, Rippert a souligné les leçons de l'histoire : on ne peut stopper le fascisme par des élections ou des alliances avec telle ou telle section de la bourgeoisie. «La lutte contre les organisations fascistes, Rippert a déclaré, exige la mobilisation politique de la classe ouvrière en tant que force sociale indépendante sur la base d'un programme socialiste.» Il a cité en exemple la sociale-démocratie allemande qui, en 1932, «avait appelé à voter pour le général Hindenburg. Quelques mois seulement après son élection comme président, grâce aux votes de nombreux travailleurs, Hindenburg nommait Hitler au poste de Chancelier». Rippert est revenu sur la position de la LCR lors des élections présidentielles françaises du mois précédent, un appui de facto à Chirac, et a commenté «Ceci a affaibli les travailleurs et créé des conditions défavorables pour une lutte contre Chirac et contre un gouvernement de droite potentiel. Ma question est la suivante : Pourquoi la LCR n'a-t-elle pas appelé à un boycott des élections présidentielles? Pourquoi la LCR n'a-t-elle pas dit qu'il n'y avait pour choix que deux politiciens bourgeois de droite et que la classe ouvrière ne devrait pas donner son appui à l'un ou à l'autre?» Répondant à Rippert, Besancenot a défendu la politique de la LCR premièrement sur la base qu'elle s'était organisée indépendamment du principal regroupement bourgeois. «On faisait partie de ceux qui étaient les premiers à appeler à descendre dans la rue, c'est à dire à mener un combat d'action», a déclaré Besancenot. Deuxièmement, il a indiqué que le but de la LCR était de «faire barrage à l'extrême droite dans la rue comme dans les élections [aux urnes]». Il a admis que cela avait «fait un débat chez nous, et cela on ne s'en est jamais caché. Dans notre organisation, il y en avait qui pensaient qu'il fallait clairement appeler à voter Chirac. À l'opposé, il y avait ceux qui disaient qu'il ne fallait pas appeler à voter contre Le Pen. La position majoritaire a été celle que j'ai dite. Très sincèrement, c'est une question importante, je suis d'accord avec toi. Mais attention, ce n'est pas la question du siècle.» Il continua ainsi : «Mais nous, sur ta position de boycott actif, je pense que dans notre organisation personne n'aurait eu cette position-là. Parce que, pour nous, on ne met pas Chirac et Le Pen dans le même panier. Parce qu'il y a une différence, quand même, entre quelqu'un qui faisait les louanges du national socialisme dans un hebdo grec la semaine dernière [Le Pen] et un mec de droite qui est raciste et qui n'a jamais pu piffrer les immigrés [Chirac], mais quelqu'un qui, quand il arrivera au pouvoir, n'attaquera pas nécessairement tout le mouvement ouvrier, tout le mouvement social. Le problème c'est que le moment où Le Pen sera au pouvoir, on ne pourra pas avoir la même discussion qu'on a en ce moment dans cette école alors qu'on peut l'avoir aujourd'hui sous Jacques Chirac.» Ces commentaires sont très révélateurs. Premièrement, Besancenot ne voit pas que si les partis de droite ne se sont pas mobilisés «dans la rue» pour Chirac et contre Le Pen, c'est en grande partie parce qu'ils n'avaient pas besoin de le faire. La soi-disant gauche, y compris des sections de l'«extrême gauche», le faisait à leur place. Le camp Chirac a pu mettre la pédale douce, éviter une confrontation politique avec le Front national et ses partisans et se préparer à une collaboration future avec la droite néo-fasciste. Admettre qu'il y avait des personnes au sein de la LCR qui préconisaient ouvertement un vote pour Chirac est aussi révélateur, même si ce n'est pas vraiment une surprise, Besancenot étant l'un de ceux-là. Quant au commentaire de Besancenot que cette question n'est pas vraiment importante, l'on ne peut que répondre : si la manière de défendre les droits démocratiques de la classe ouvrière et de lutter contre la menace fasciste n'est pas «la question du siècle», qu'est-ce qui peut bien l'être? Les remarques du candidat de la LCR sur la physionomie politiques et les relations de Le Pen et Chirac sont aussi très révélatrices. Le point de départ du comité de rédaction du World Socialist World Site dans son appel adressé à la LCR, à Lutte ouvrière et au Parti des travailleurs pour qu'ils organisent un boycott du deuxième tour des élections présidentielles [voir Non à Chirac et Le Pen! Pour un boycott des élections présidentielles en France par la classe ouvrière] n'était pas qu'il n'y avait pas de différence entre Chirac et Le Pen. Ce serait du radicalisme vulgaire. Il y a des différences entre Chirac et Le Pen, entre Chirac et François Bayrou de l'UDF, entre Bayrou et Alain Madelin de Démocratie libérale et même entre Le Pen et Bruno Mégret du MNR (un autre parti d'extrême droite). Dans certains cas, ces différences sont importantes et la classe ouvrière se doit de les comprendre. Mais à la fin, les différences sont relatives puisque tous ces partis et tous ces candidats défendent le capitalisme français, et si le système capitaliste devait être directement menacé par la classe ouvrière, ils appuieraient les politiques que le capital français jugera nécessaires pour défendre son règne, y compris la dictature fasciste. Le point de départ des socialistes n'est pas les différences, petites ou grandes, qui existent entre les factions rivales de l'élite dirigeante ou de ses agents petits-bourgeois, mais la nécessité d'établir l'indépendance politique de la classe ouvrière envers tout le système politique bourgeois. Comme l'histoire l'a montré fois après fois, le plus souvent sous la forme de défaites tragiques de la classe ouvrière, c'est l'unique moyen viable de défendre les droits démocratiques de la classe ouvrière des dangers de la dictature et du fascisme. Dans tous les cas où la classe ouvrière s'est subordonnée à l'aile libérale ou «démocratique» de la bourgeoisie au nom de la lutte contre le fascisme, comme en Allemagne en 1931-33 et le Front populaire en France dans la deuxième moitié des années 1930, le résultat a été la défaite de la classe ouvrière et le triomphe de la réaction fasciste. Contredisant les déclarations insistantes de la LCR que Chirac n'est pas un «rempart» contre le fascisme, les réponses de Besancenot lors du rassemblement ont montré une confiance touchante et complaisante dans le président français. Il a aussi montré le fatalisme politique qui se cache derrière l'agitation incessante de la LCR pour des manifestations et des actions «dans la rue». Malgré toutes les assurances de la LCR qu'elle s'est organisée indépendamment de la droite et de la gauche officielle, elle est inévitablement obligée de se rabattre sur les mêmes arguments que le Parti socialiste et le Parti communiste, même si la tournure est un peu plus obscure et hypocritement «de gauche» : il s'avère après tout que Chirac est un défenseur des «valeurs républicaines», sur qui l'on peut compter pour ne pas attaquer les droits des mouvements de gauche et «pas nécessairement tout le mouvement ouvrier, tout le mouvement social». Besancenot a exposé, dans ses propres mots, le fait politique que la LCR se prosterne devant l'élite dirigeante française et l'opinion publique bourgeoise. Après que Rippert ait parlé au rassemblement,
on a pu entendre un membre de la LCR dire à son voisin
: «Je suis contente d'être arrivé à
temps pour ne pas manquer la partie intéressante».
Elle avait parlé trop tôt. Aussitôt la réponse
de Besancenot terminée, les membres dirigeants de la LCR
sont intervenus pour ramener la discussion à ses précédents
sujets : l'état des services publics français,
considéré de façon entièrement séparée
des moyens politiques qu'il faudra prendre pour les défendre.
Il fallait à tous prix épargner les membres et
les partisans de cette organisation d'une discussion politique
sérieuse. Voir aussi :
|