Les cours
ralentissent les prétentions de Bush
Les États-Unis à la croisée des chemins
par Patrick Martin
18 novembre 2000
Les événements extraordinaires du 17 novembre
2000 comptent parmi les plus importants de l'histoire politique
récente des États-Unis. Un juge de Floride a rendu
un jugement le matin à 10 heures, qui laissait la voie
ouverte à l'équipe Bush pour qu'il puisse voler
l'élection. Six heures plus tard, la Cour suprême
de Floride cassait la décision qui venait d'être
prise et empêchait la secrétaire d'État Katherine
Harris, une républicaine et coprésidente de la
campagne de Bush en Floride, d'annoncer les résultats
finaux du 7 novembre.
Les sept juges de la plus haute cour de l'État, dans
un jugement unanime, ont déclaré que Harris ne
pouvait aller de l'avant et officialiser la victoire de Bush,
tel qu'elle l'avait prévu, samedi après-midi après
que les 67 comtés floridiens auraient terminés
le décompte des votes d'outremer. Ils ont autorisé
le décompte du vote par correspondance et le recomptage
à la main dans plusieurs comtés, et demandé
une autre séance, lundi après-midi, pour entendre
les arguments de deux partis sur la question de savoir si les
recomptages manuels devraient être inclus dans le résultat
final du vote.
Harris a cherché à assurer la maigre avance
de 300 votes pour Bush en Floride en annonçant qu'elle
n'accepterait aucun résultat basé sur les recomptages
à la main. Sa décision, annoncée unilatéralement
mercredi en soirée, a pour effet d'exclure les votes de
dizaines de milliers de Floridiens qui ont été
rejetés lors des deux dépouillages automatisés,
celui du soir de l'élection et celui du recomptage. Les
représentants électoraux de circonscriptions de
Palm Beach, de Broward et de Miami-Dade ont commencé le
long examen de 1,5 million bulletins de vote, ce qui pourrait
n'être complété qu'au milieu de la semaine
prochaine.
Le camp de Bush a connu d'autres échecs ce vendredi.
Un juge local du comté de Broward a rejeté une
requête pour une injonction pour arrêter le décompte
à la main dans ce comté dans lequel on trouve Fort
Lauderdale. Les représentants électoraux de Miami-Dale,
le comté le plus populeux de Floride, sont revenus sur
leur décision après avoir pris connaissance du
jugement de la Cour suprême et décidé d'entreprendre
le recomptage là aussi. Et en fin de journée, la
11e Cour d'appel fédérale à Atlanta, Georgie,
a rejeté la requête des républicains qui
demandaient de mettre un terme à tout recomptage dans
l'État de Floride.
L'intervention des juges n'est pas simplement une réponse
partisane de la part de juges du Parti démocrate, comme
le camp de Bush et l'extrême droite tenteront de faire
valoir. Les sept juges de la Cour suprême sont des démocrates
conservateurs, et un seul parmi eux peut être considéré
comme libéral. Sur les 12 jugements de Cours d'appel fédéral
qui ont toutes rejeté les requêtes du camp de Bush,
sept ont été émis par des juges républicains,
dont quatre ont été nommés par le père
de Bush.
Ces actions judiciaires révèlent que l'inquiétude
augmente au sein des échelons les plus élevés
du gouvernement et de l'élite dirigeante américaine
au sujet des implications politiques de prise de pouvoir pseudo-légale
menée en Floride. Les forces de droite qui dominent le
camp de Bush sont sur le point d'arriver au pouvoir par des procédés
effrontément antidémocratiques et antipopulaires.
L'intervention de la Cour suprême de l'État revient
à repousser de trois jours le jugement extraordinaire
rendu vendredi matin par le juge Terry Lewis de la Cour du comté
de Leon, approuvant sans discussion la décision de Harris
de supprimer les votes qui sont actuellement recomptés
manuellement. Deux jours auparavant, Lewis avait averti la secrétaire
d'État de Floride de ne pas ignorer les votes recomptés
à la main de façon arbitraire ou pour des raisons
politiques. Ce qui n'a pas empêcher Harris de le faire,
alors qu'elle annonçait mercredi soir dernier qu'elle
n'accepterait aucun recomptage à la main quel qu'il soit.
Bien qu'il soit difficile de déterminer si sa décision
était une expression de lâcheté, de corruption
ou de sympathie politique pour Bush, le juge Lewis a étonné
les observateurs en ignorant son jugement précédent
et en trouvant qu'Harris avait le pouvoir, en tant que représentant
électoral en chef de l'État, de déclarer
que Bush avait gagné l'élection, peu importe les
résultats du recomptage.
Lewis a ignoré les provocations flagrantes de la secrétaire
d'État. Harris a cherché à empêcher
le recomptage, émis des avis juridiques aux représentants
électoraux locaux et cherché à mettre fin
à tout recomptage par des jugements. Ensuite, elle a fait
valoir les retards, en grande partie résultat de son interférence,
comme une raison pour rejeter les résultats du recomptage
à la main, déclarant que le mardi 14 novembre était
l'échéance ultime selon la loi pour que les comtés
donnent les résultats du vote.
La décision du juge Lewis a mis la table pour que soit
compléter le coup d'état politique, avec le gouvernement
de l'État de Floride, dirigé par le gouverneur
Jeb Bush, le frère du candidat présidentiel, remettant
les 25 votes des grands électeurs et la présidence
au camp républicain. L'arrivée de George W. Bush
à la présidence ne sera possible qu'avec la suppression
de milliers de votes qui allaient à son adversaire démocrate,
surtout ceux de Juifs, de noirs et d'immigrants. Cela signifie
la répudiation des normes démocratiques les plus
élémentaires de la part de toute une section de
l'élite dirigeante.
Alors que le conflit politique s'intensifie, les implications
à long terme sur la stabilité, et même la
survie, de toute la structure de la démocratie bourgeoise
sur laquelle la classe dirigeante américaine s'est historiquement
appuyée deviennent plus apparentes. L'impatience devant
le sans-gêne croissant des forces qui appuient Bush commence
à devenir palpable.
L'arrivée au pouvoir d'un président qui n'a
pas réussi à gagner la majorité des voix
au niveau national et qui n'a gagné le Collège
électoral que par la fraude et le truquage des urnes aura
un impact dévastateur sur la légitimité
et l'appui populaire du gouvernement et du système capitaliste
dans son ensemble.
Comme l'a dit le délégué de Gore en Floride,
Warren Christopher, sombre avertissement à sa classe :
« Nous parlons ici de la présidence des États-Unis.
Nous ferions une très grave erreur, à mon sens,
si nous permettions que soient rapidement décidés
les résultats et compromettions nos normes et nos principes
essentiels. »
Le conflit des élections présidentielles montre
bien à quel point une section importante de l'élite
dirigeante a rompu avec les moyens démocratiques. Ils
ne regardent plus les normes traditionnelles de la démocratie
bourgeoise américaine qu'avec mépris.
De plus en plus frustrés de la résistance populaire
à leurs politiques sociales de droite, ces éléments
sentent qu'il n'y a d'autres choix que d'embrasser un régime
autoritaire qui traiterait sans ménagement l'opposition.
Ils cherchent à prendre une voie jamais prise dans l'histoire
des États-Unis, qui ne pourra se conclure que par la guerre
civile.
La lutte qui se développe autour des résultats
de l'élection présidentielle a mené à
l'éclosion de processus qui se développaient depuis
30 années au sein de la société américaine.
La série de crises politiques au cours de cette période
est le signe indéniable du déclin de la structure
de la démocratie bourgeoise :
- En 1973-74, la crise du Watergate fut le résultat
des gestes illégaux et antidémocratiques du président
Richard Nixon en réponse à l'opposition massive
de la population à la guerre du Vietnam.
- En 1985-86, l'affaire Iran-contra a révélé
que derrière la façade de l'administration Reagan,
des officiers militaires et des représentants des agences
de sécurité avaient organisé un gouvernement
parallèle et secret et menaient une guerre illégale
en Amérique centrale.
- En 1995-96, les dirigeants républicains au Congrès
ont délibérément paralysé le gouvernement
fédéral, tentant de prendre contrôle de la
politique fédérale de l'administration Clinton.
- En 1998-99, la campagne pour un procès en destitution
et le procès lui-même furent le produit d'une conspiration
des avocats, des juges et des responsables politiques républicains
qui avaient pour but de renverser les résultats de deux
élections présidentiels.
- Aujourd'hui, la tentative du camp de Bush pour s'imposer
au pouvoir, à l'aide de décisions arbitraires de
représentants gouvernementaux de l'État de la Floride,
et de la complicité ou le laisser-faire des médias.
En dernière analyse, les événements en
Floride révèlent l'abysse qui s'est formé
depuis trente ans dans la société américaine
avec le développement de niveau d'inégalité
sociale sans précédent depuis un siècle.
La distance est maintenant infranchissable entre l'élite
riche, qui règne à la fois sur les partis de la
grande entreprise et détermine leurs politiques, et la
population travailleuse qui forme la vaste majorité de
la population américaine.
Voir aussi:
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