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Le Wall Street Journal et la crise électorale aux États-Unis

Par Barry Grey
Le 11 novembre 2000

Il n'y a pas de réfutation plus dévastatrice des prétentions légales et constitutionnelles du candidat républicain à la présidence George W. Bush que l'éditorial publié le 10 novembre dernier par son supporter le plus agressif, le Wall Street Journal. Dans un article hardiment intitulé « A Gore Coup d'Etat ? » (Un coup d'État par Gore ?), le quotidien réussit à inverser totalement la réalité en accusant le clan Gore de tenter de voler l'élection. Cet éditorial vient en réponse à l'annonce faite par les porte-paroles démocrates qui ont annoncé leur intention de contester devant les tribunaux les résultats des élections en Floride, dont les 25 votes au collège électoral décideront de l'issue finale.

Le Wall Street Journal soutient que l'élection nationale devrait être décidée par un recomptage rapide des voix en Floride et par le décompte des votes d'outremer, un processus qui devrait se terminer avant le 17 novembre. Pour le Wall Street Journal, nul besoin de prêter attention au fait que suite à un second examen des machines à voter, la marge de victoire de Bush en Floride est passée ­ sur 6 millions de voix ­ de 1 725 à 327, que plusieurs milliers d'électeurs dans le comté traditionnellement démocrate de Palm Beach ont voté par erreur pour Buchanan, un candidat d'extrême-droite, et enfin que 19 000 bulletins de vote ont été éliminés dans ce même comté parce que leur agencement trompeur a fait en sorte que de nombreux électeurs ont voté accidentellement pour deux candidats à la fois. Il ne faudrait pas non plus faire attention aux dires d'électeurs issus des minorités raciales qui affirment ailleurs dans l'État que les autorités policières et électorales ont cherché à les intimider, ou encore aux nombreux incidents où des boîtes remplies de bulletins de votes ont été égarées pendant plusieurs heures (le tout dans un État qui a une longue tradition de fraude électorale et dirigé par nul autre que le frère de Bush).

Le Wall Street Journal dénonce notamment Gore qui selon lui emploie des « escouades d'avocats politiques » pour « entraîner le peuple de ce pays dans une crise politique sans précédents ». Tout cela provient d'un journal qui a participé à une campagne continue et employant les moyens les plus sordides et provocateurs pour déstabiliser l'administration Clinton afin de le chasser de son poste par un coup pseudo-constitutionnel.

Dans sa façon de faire, le Wall Street Journal n'a pas hésité à utiliser les calomnies et la diffamation. Dès les premiers mois de la première administration Clinton il s'en était pris à un ami proche des Clinton qui travaillait au département de la justice. La chasse aux sorcières menée par le Wall Street Journal est l'un des facteurs qui a poussé Foster au suicide, mais cela n'a pas empêché les éditeurs du quotidien de publier plusieurs articles où ils suggéraient que les Clinton avaient quelque chose à voir dans la mort de Foster.

L'accusation portée contre les démocrates par le Wall Street Journal de faire appel aux avocats et aux tribunaux pour entraîner le pays dans une crise politique résume bien leur propre rôle en fait. Ce journal a en effet soutenu toute une petite armée d'avocats de droite lors de nombreuses provocations légales, dont la plus célèbre est sans doute le procès Paula Jones. Ce quotidien a également servi de principal porte-parole et de conseiller en coulisse pour toute une cabale de réactionnaires qui se sont tous unis finalement lors du scandale de l'affaire Monica Lewinsky, de l'enquête menée par Kenneth Starr, puis lors de la procédure de destitution menée par les républicains.

Le Wall Street Journal qui considère sans importance le fait que Bush, son favori, ait perdu le vote populaire mardi dernier, a pendant huit ans justifié ses actions séditieuses en disant que l'administration Clinton était illégitime, puisque les majorités électorales de Clinton n'avaient jamais franchi la barre des 50 p. 100.

Peut-on imaginer comment le Wall Street Journal et la plupart des médias réagiraient aujourd'hui si les républicains avaient remporté le vote populaire mais que Gore prétendrait à la présidence sur la base d'un avantage de 327 votes en Floride ? Nul doute qu'ils exigeraient à hauts cris des réunions au Congrès, la nomination d'enquêteurs spéciaux et la tenue de convocations pour bloquer une tentative illégitime de prise du pouvoir.

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