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De la tentative de destitution aux élections suspectes : les atteintes contre les droits démocratiques se poursuivent aux États-Unis

Par le comité de rédaction
Le 10 novembre 2000

La tentative éhontée des organisateurs de la campagne Bush de clamer victoire aux élections présidentielles en dépit de l'avalanche de preuves que de nombreuses irrégularités sont survenues aux urnes en Floride, État sur lequel dépend le résultat final des élections, constitue un mépris total des droits démocratiques du peuple américain. En 1998-1999, le Parti républicain contrôlé par l'extrême-droite avait déjà tenté de renverser le résultat de deux élections en menaçant le président Clinton de destitution et de procès. Ce parti tente maintenant de détourner les élections présidentielles par des moyens crûment antidémocratiques en utilisant le contrôle qu'il exerce sur le gouvernement de l'État de Floride dirigé par le frère du candidat républicain à la présidence.

L'enjeu va au-delà du fait que Gore ait obtenu plus de votes populaires car, selon la procédure archaïque et antidémocratique du collège électoral enchâssée dans la constitution des États-Unis, il peut toujours perdre la présidence. En fait, son rival traîne actuellement de l'arrière tant pour ce qui est du nombre de votes populaires obtenus que du nombre de voix au collège électoral. Les chances que Bush l'emporte au collège électoral ­ avec 271 voix contre 267 pour Gore ­ dépendent entièrement des résultats suspects du vote en Floride.

Plusieurs faits démontrent clairement et sans ambiguïté que des milliers d'électeurs soutenant Gore n'ont pas pu exercer leurs droits démocratiques. C'est ainsi qu'environ 19 000 votes ont été rejetés dans le comté de Palm Beach à cause d'un bulletin de vote mal conçu qui a entraîné de nombreux électeurs à poinçonner accidentellement deux lignes au lieu d'une. Ce faisant, ils ont voté pour deux candidats à la présidence. Des milliers d'autres voix dans le même comté ont également été attribuées accidentellement au candidat d'extrême-droite Patrick Buchanan, toujours à cause du même bulletin de vote ambigu. Par ailleurs, dans le comté de Volusia, des « erreurs de fonctionnement » des ordinateurs ont entraîné une chute soudaine du nombre total de voix pour Gore. Enfin, de nombreux électeurs noirs ont été intimidés et privés de leurs droit de vote dans plusieurs bureaux de scrutin de Miami et dans les régions rurales du nord de l'État.

Deux jours seulement après l'élection, le dégoût suscité par ces fraudes électorales entraînait déjà des protestations politiques. Des centaines d'étudiants, en majorité Noirs, de l'université Florida A&M ont manifesté à Tallahassee, la capitale de l'État. Pareillement, des centaines d'électeurs âgés juifs ont manifesté dans le comté de Palm Beach pour dénoncer ce simulacre d'élection. Beaucoup d'entre eux exprimaient leur colère de voir leur vote accordé à l'antisémite Buchanan et ont réclamé que l'on leur permette de revoter.

Les résultats de Palm Beach apparaissent tellement inéquitables qu'un juge local a ordonné que les votes du comté soient recomptés manuellement plutôt que de procéder à un simple réexamen superficiel des ordinateurs et des machines à voter des 67 comtés de l'État comme le suggérait le gouverneur l'État. Avant que le secrétaire d'État républicain de la Floride n'y mette fin jeudi soir, un bref examen avait déjà réduit l'avantage de Bush à seulement 225 votes sur un total de 6 millions de voix en Floride.

Le nombre croissant d'irrégularités évidentes et de manifestations publiques a obligé le clan de Gore à revenir sur sa position de retenue de mercredi et à annoncer une pleine remise en question légale du vote en Floride. Nommé par Gore pour représenter ses intérêts lors du recomptage du vote en Floride, l'ancien secrétaire d'État Warren Christopher, a qualifié « d'illégal » le bulletin de vote utilisé à Palm Beach. William Daley, directeur de la campagne Gore qui avait refusé d'annoncer une victoire démocrate dans l'État, a annoncé en conférence de presse jeudi que Gore avait gagné le vote populaire tant en Floride qu'au niveau national. « Si la volonté du peuple est respectée, Al Gore doit se voir accorder la victoire en Floride et être notre prochain président », a-t-il déclaré, ajoutant ensuite que « l'invalidation de milliers de vote en Floride » représentait « une injustice sans précédents dans notre histoire ».

La réaction initiale des organisateurs de la campagne Bush et du Parti républicain a été de crier victoire sans même chercher à présenter de preuves. Les aides de camp de Bush s'apprêtaient même à célébrer la victoire jeudi soir à Austin, camp de base de la campagne républicaine, immédiatement après publication des résultats de l'élection en Floride. Ils ont également annoncé que le gouverneur du Texas s'affairait déjà à mettre sur pied une équipe de transition et à décider qui se verrait attribuer certains postes gouvernementaux.

Plusieurs officiels de la campagne Bush, notamment Don Evans, Karl Rove et Karen Hughes, ont clairement démontré leur mépris des droits démocratiques de la façon dont ils ont répondu aux questions qui leur étaient adressées à propos des rapports d'irrégularités électorales relevées dans le comté de Palm Beach. Enfin, ce n'est que tard jeudi soir, alors que l'avantage de Bush en Floride était presque réduit à zéro lors d'un recomptage à la grandeur de l'État, qu'une retraite partielle fut annoncée et que les célébrations ont été annulées. L'ancien secrétaire d'État James Baker, représentant désigné par George Bush pour surveiller le nouveau calcul des votes en Floride, a déclaré que le résultat des élections ne serait pas connu avant le 17 novembre, date limite pour l'arrivée des votes d'outremer à Tallahassee, capitale de la Floride. « L'élection présidentielle est suspendue », a-t-il avoué.

Une question de droits démocratiques

Le Parti de l'égalité socialiste n'a pas soutenu la campagne d'Al Gore car nous avons en effet des positions politiques irréconciliables avec celles du Parti démocrate. Toutefois, les résultats des élections 2000 touchent à des enjeux fondamentaux relatifs aux droits démocratiques. La classe ouvrière ne doit pas rester passive et permettre aux éléments d'extrême-droite du camp Bush de voler ces élections. Ces enjeux sont essentiellement les mêmes que ceux qui furent menacés par la crise de destitution de Clinton. Nous assistons à une tentative, par des méthodes conspiratrices, de renverser une décision démocratique du peuple américain.

Lors de la crise de destitution, l'extrême-droite a monter de pseudo-procès et fait appel à des conseillers indépendants nommés par des membres extrémistes du Parti républicain siégeant au Congrès pour enquêter et porter des accusations factices contre un président élu. Contrôlée par les républicains, la Chambre des représentants avait voté pour la destitution du président peu après les élections au Congrès de 1998. Ces élections avaient révélé l'hostilité populaire profonde à la campagne contre Clinton. Mais cela n'a pas empêché l'extrême-droite de faire fi de l'opinion publique en poursuivant son assaut politique contre la Maison-Blanche.

Bush et ses alliés républicains au Congrès représentent une couche de l'élite dirigeante qui ne prête plus aucune importance aux droits démocratiques. Ils veulent contrôler toutes les formes de pouvoir étatique pour écraser ces droits et imposer des politiques sociales des plus réactionnaires : l'abolition de tout impôt sur la richesse et les revenus, l'élimination de tout pouvoir régulateur du gouvernement vis-à-vis des affaires commerciales, la destruction des programmes de sécurité sociale et d'assurance-maladie, et de tout ce qui reste de programmes sociaux aux États-Unis.

La destitution de Clinton a échoué à cause de l'opposition populaire. Mais une importante confusion sur l'importance politique de cette campagne d'extrême-droite règne toujours du fait de la couardise des démocrates et du torrent sensationnaliste des médias qui se sont bornés à ne parler que d'un « scandale sexuel » à la Maison-Blanche. Dans la lutte actuelle pour s'emparer des élections présidentielles, l'alignement politique apparaît de façon plus nette et évidente à l'opinion publique.

Les réponses hargneuses données par les organisateurs de la campagne républicaine aux questions qui leur sont adressées sur les irrégularités électorales en Floride prouvent l'hypocrisie des prétentions du clan Bush de « mettre fin aux petites querelles à Washington ». Loin de mettre fin aux luttes partisanes, Bush en fait plutôt une escalade en annonçant une victoire qui ne serait due qu'à la privation du droit de vote de dizaines de milliers d'électeurs démocrates. L'entrée de Bush à la Maison-Blanch après un tel vote frauduleux équivaudrait à imposer un gouvernement au peuple américain contre sa volonté. La seule façon de résoudre de façon démocratique toute cette parodie d'élection en Floride est d'exiger la tenue d'un nouveau suffrage dans toutes les comtés contestés.

Quant aux démocrates, personne ne devrait se fier à Gore et compagnie pour défendre les droits démocratiques. Les démocrates ont en effet à peine combattu la destitution de Clinton, en plus d'oublier sciemment toute l'affaire pendant la campagne présidentielle. Ils ont ainsi contribué directement à cette extraordinaire faiblesse des marges de victoire aux élections et donné une nouvelle occasion à l'extrême-droite de saisir le pouvoir. Enfin, les aspirations les plus profondes des Clinton, Gore, et autres leaders démocrates sont d'en arriver à un compromis répugnant avec les républicains dans le dos du peuple.

Même si les résultats électoraux se concluent par l'intronisation de Gore à la présidence, il est à peu près certain que ce compromis aura été obtenu au prix de conditions qui nuiront gravement aux droits démocratiques et aux intérêts sociaux de la classe ouvrière. Mais avant tout, il faut comprendre que la crise actuelle exprime en dernière analyse l'état fragile de la démocratie américaine.

L'effondrement des normes démocratiques traditionnelles ­ exprimées d'abord lors de la crise de destitution et maintenant avec ces élections contestées ­ reflète les divisions et les tensions énormes que vit la société américaine. S'il est capital pour les travailleurs de s'opposer aux efforts actuels des républicains qui tentent de voler l'élection, les travailleurs doivent également comprendre que les menaces contre leurs droits démocratiques proviennent de la crise que vit la société capitaliste. Dans un pays où la structure sociale est définie par un niveau d'inégalités sociales colossal et sans précédent et où la moitié de la richesse est concentrée entre les mains des 2 p. 100 les plus riches de la population, les formes démocratiques de gouvernement ne peuvent survivre. Ces événements soulignent le besoin urgent de développer un mouvement vraiment indépendant de la classe ouvrière, basé sur un programme démocratique et socialiste.

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