Les élections américaines de 2024 ont révélé un effondrement généralisé du soutien au Parti démocrate, des millions de personnes ayant privé la campagne de la vice-présidente Kamala Harris de leur voix.
L’effondrement électoral démontre ce que David North, président du comité de rédaction du World Socialist Web Site, a cité comme étant « le résultat désastreux de la répudiation […] de toute orientation programmatique vers la classe ouvrière » incarné par « l’escroquerie de la politique d’identité ».
Au lendemain de la défaite, les partisans de la politique d’identité, piqués au vif par le coup porté à leur projet politique, ont attaqué la population pour son supposé racisme en refusant de voter pour Harris.
La plus malveillante dans ses propos virulents sur les réseaux sociaux a été Nikole Hannah- Jones, la créatrice du Projet 1619, une falsification raciale de l'histoire publiée par le New York Times.
L’objectif politique des attaques de Jones et compagnie est double. D’une part, ils visent à vilipender la population pour avoir rejeté Harris. D’autre part, ils souhaitent éradiquer toute idée selon laquelle les questions de classe sociale auraient quelque chose à voir avec la défaite. Ce faisant, ils s’efforcent de saper une véritable lutte contre l’administration Trump et le tournant de la classe dirigeante vers le fascisme et la dictature.
« Nous ne devons pas nous faire d’illusions en ce moment », a écrit Jones sur Twitter/X le 6 novembre. Depuis la création de cette nation, de larges pans d’Américains blancs – y compris des femmes blanches – ont affirmé croire en la démocratie tout en appliquant en réalité une ethnocratie blanche. »
Elle poursuit plus loin : « Face à l’évolution démographique où les Américains blancs perdront leur majorité numérique, nous assistons à un recours croissant à l’autocratie pour maintenir au pouvoir les dirigeants “légitimes” de ce pays. »
Quelles calomnies infâmes! La plus forte baisse du soutien à Harris est venue des couches de la population gagnant moins de 100.000 dollars, la classe ouvrière. Harris, en tant que numéro deux de la Maison-Blanche de Biden, est entièrement responsable de l'indifférence et de l'hostilité de l'administration Biden aux besoins sociaux de millions de travailleurs, ouvrant la voie à Trump pour exploiter la colère sociale.
Ceci, combiné au soutien sans faille de l’administration Biden à l’armement du gouvernement génocidaire israélien et à l’expansion de la guerre avec la Russie en Ukraine, menaçant d’annihiler la planète par des armes nucléaires, a conduit à une désertion massive des électeurs, en particulier parmi les pauvres et la classe ouvrière.
En fait, la seule tranche démographique qui témoigne de renforcement de soutien à Harris est celle des couches les plus privilégiées de la société, celles qui gagnent 200.000 dollars et plus. Jones, qui ignore totalement l’existence sociale de ceux qui vivent sous ses pieds, est devenue multimillionnaire grâce à ses interprétations raciales de l’histoire. Sa richesse la place confortablement dans les couches les plus complaisantes et les plus déconnectées qui ont bénéficié des politiques favorables à Wall Street de l’administration Biden.
Refusant de voir autre chose que la race, Hannah-Jones avoue à contrecœur la nature de classe du Parti démocrate. « Bien que les Noirs américains soient parmi les personnes les plus vulnérables économiquement du pays, et malgré le fait qu’ils soient confrontés à des conditions qui, selon certains indicateurs, se sont aggravées [sous le gouvernement démocrate], 90 pour cent d’entre eux n’ont pas voté pour Trump. »
En fait, Harris a remporté 80 pour cent des voix noires en 2024, ce qui représente une baisse historique du soutien à un candidat démocrate à la présidentielle. Harris a remporté 10 points de pourcentage de moins du vote noir que Biden en 2020 et 16 points de pourcentage de moins que Barack Obama en 2008.
L'administration Obama a été un exemple concret du caractère réactionnaire de la politique d’identité. En 2008, des dizaines de millions de personnes de toutes origines ethniques ont voté pour Obama, le premier président noir, par dégoût des guerres criminelles menées par l'administration républicaine précédente au Moyen-Orient et de la criminalité de Wall Street, qui avait provoqué l'effondrement financier cette année-là.
L'élection d'Obama a cependant rapidement donné lieu à une offensive de la classe dirigeante contre la classe ouvrière. Obama n'a rien fait pour sauver les propriétaires en difficulté pendant la récession économique de 2008. Au lieu de cela, son administration a orchestré l'un des plus grands transferts de richesses de la base vers le sommet de la société de l'histoire, renflouant les banques de Wall Street qui avaient provoqué l'effondrement.
Son administration a profité de la crise de l’industrie automobile américaine pour réduire les salaires de tous les nouveaux embauchés, créant un système à deux vitesses qui est devenu omniprésent dans tous les secteurs et a contribué à une baisse du niveau de vie de la classe ouvrière.
Obama a procédé à des déportations massives, ce qu’il lui a valu le surnom de « chef d’expulsions », a étendu les guerres commencées par Bush et a étendu les pouvoirs du président en tant que « commandant en chef » pour procéder à des assassinats extrajudiciaires, ce qu’il a fait en 2011 contre des citoyens américains (article en anglais).
Ce renversement du niveau de vie de la classe ouvrière a contribué à la défaite de la démocrate Hillary Clinton en 2016, qui avait tristement qualifié les électeurs soutenant Trump d’un « tas de déplorables ».
Après avoir déclaré que la grande majorité des Blancs aux États-Unis ont voté pour « l’autocratie », Jones s’en prend ensuite à la population hispanique, qui a connu un changement en hausse à deux chiffres du soutien parmi les hommes latinos, exprimé pour Trump en 2024 par rapport à Biden en 2020:
Les attitudes anti-Noirs ne peuvent pas être attribuées uniquement aux Américains blancs. Le choc provoqué par l’augmentation significative du nombre de Latinos choisissant Trump, avec sa rhétorique anti-immigrés, sa politique de séparation des familles et ses insultes envers les pays d’Amérique latine, au détriment d’une femme noire me dit que trop de gens ne comprennent pas que l’anti-Noir est également profondément ancré dans les cultures latinos et que les intérêts de ceux qui font partie de cette très grande catégorie latino, multiraciale et multinationale, ne sont pas et n’ont jamais été nécessairement alignés avec ceux des Noirs simplement dû au fait que de nombreux Américains blancs ne les considèrent pas comme blancs.
Cette affirmation, selon laquelle les intérêts de la « catégorie latino ne sont pas et ne seront jamais […] alignés avec ceux des Noirs », suggère que les travailleurs noirs devraient se tenir à l’écart des agressions contre les immigrants, et même les faciliter.
De son côté, Ibram X. Kendi, auteur du livre How to Be an Antiracist, propose d’abandonner purement et simplement la classe ouvrière à son sort. « Je ne pense pas qu’il soit sage de croire que si les choses tournent vraiment mal pour les électeurs de Trump [sous Trump], qu’ils reviendront en masse à la réalité et se battront à nos côtés pour tous nos moyens de subsistance et nos libertés », a-t-il déclaré sur Twitter. « C’est pourquoi j’ai beaucoup réfléchi à ce que nous dit le Dr Yaba Blay : “On ne peut compter que sur nous-mêmes”. »
Dans leurs attaques, les racialistes ne font que renforcer les affirmations de Jones, formulées pour la première fois dans le Projet 1619, selon lesquelles « les Américains noirs se sont battus seuls » pour « faire de l’Amérique une démocratie ». Ils affirment que les États-Unis sont déchirés par des conflits raciaux, acceptant implicitement l’affirmation des couches authentiquement fascistes selon laquelle Trump représente les intérêts de tous les « Blancs ».
En fait, aucun progrès social, du mouvement des droits civiques à la lutte pour la journée de huit heures en passant par la création des syndicats de masse, n'a été obtenu sur une base explicitement raciale. Il s'agissait de luttes de classe et non de luttes raciales.
Trump et les Républicains sont en train de mettre sur pied un gouvernement constitué de l’oligarchie du patronat et de la finance et à son service. L’appareil de répression et de dictature sera utilisé contre toute opposition dans la classe ouvrière, quelle que soit son origine raciale ou ethnique.
Le Parti démocrate est cependant un instrument de Wall Street et de l’appareil militaire et de renseignement. Tout comme le Parti républicain, il est absolument déterminé à mener une guerre impérialiste à l’étranger et une guerre de classe à l’intérieur du pays. Aucune section de la classe dirigeante ne conserve un quelconque engagement envers les droits démocratiques fondamentaux.
Les événements de l’année dernière l’ont confirmé. Des attaques contre les manifestants anti-génocide à la déclaration de « guerre ouverte » contre les tiers partis qui réclament le droit de se présenter aux élections, en passant par l’interdiction du droit des cheminots à faire grève, le Parti démocrate a été le principal ennemi des droits démocratiques. Il s’efforce actuellement de réprimer l’opposition de masse à la nouvelle administration Trump, promettant une « transition du pouvoir en douceur » et « pacifique » à un dictateur en puissance.
Enfin, l’allégation selon laquelle les Blancs auraient voté pour une « ethnocratie » ne tient pas compte de la réalité. En fait, c’est l’administration du Parti démocrate de Biden qui a dépensé la somme colossale de 17,9 milliards de dollars en aide militaire pour soutenir un véritable État ethnique, Israël, alors qu’il se livre à un véritable génocide du peuple palestinien.
La politique d’identité de Hannah-Jones et compagnie, pleinement adoptée par le Parti démocrate, exprime les intérêts des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure, dans la compétition pour les postes et le pouvoir au sein de l’État et des entreprises américaines. Elle est hostile aux intérêts de tous les travailleurs, quels que soient leur origine et leur genre.
La lutte contre le régime de Trump nécessite le développement d’un mouvement de la classe ouvrière aux États-Unis et à l’échelle internationale, fondé sur un programme qui articule ses véritables intérêts. Pour cela, il est indispensable de rejeter une fois pour toutes « l’escroquerie de la politique d’identité ».
(Article paru en anglais le 16 novembre 2024)