Canada : Le NPD prétend défendre les cheminots tout en appuyant les mesures anti-grèves de Trudeau

La lutte déterminée de 9300 mécaniciens, chefs de train, agents de triage et contrôleurs des deux principaux chemins de fer de marchandises du Canada a été impitoyablement réprimée par le gouvernement libéral le mois dernier. Quelques heures à peine après que le Canadien National (CN) et le Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) ont mis les travailleurs en lock-out dans le cadre d'un plan transparent visant à obtenir le soutien du gouvernement pour imposer de vastes reculs, le ministre libéral du Travail Steven MacKinnon a invoqué les pouvoirs draconiens du Code canadien du travail pour interdire toute grève des travailleurs et donner à un arbitre le pouvoir de dicter leurs conventions collectives.

Les travailleurs étaient prêts à se battre pour renverser des décennies de reculs et mettre fin à un régime de travail dangereux qui, ces dernières années, a coûté la vie à de nombreux travailleurs et a eu des répercussions psychologiques considérables sur un nombre incalculable d'autres. Les travailleurs du CN et du CPKC ont voté à une écrasante majorité en faveur de la grève et auraient dû débrayer bien avant que la direction n'ait l'occasion de les mettre en lock-out. Mais ils n'étaient pas seulement confrontés à la dictature corporatiste qui domine les chemins de fer nord-américains et au gouvernement libéral favorable à la guerre et à l'austérité, mais aussi à la bureaucratie corporatiste du syndicat des Teamsters. La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada a tout fait pour confiner la lutte des travailleurs dans le cadre pro-employeur de la «négociation collective» et s'est pliée sans broncher à l'intervention briseuse de grève du gouvernement libéral.

Ce conflit démontre une fois de plus pourquoi les travailleurs des chemins de fer et de tous les secteurs économiques doivent de toute urgence mettre sur pied des comités de base afin de prendre le contrôle de leurs luttes pour l'amélioration des salaires et des conditions de travail, en opposition aux bureaucrates syndicaux corrompus et pro-capitalistes. Ces comités doivent être utilisés pour lancer l'appel le plus large à la classe ouvrière au Canada, aux États-Unis et dans le monde entier pour une contre-offensive politique contre les efforts incessants de l'élite dirigeante pour faire payer aux travailleurs la crise capitaliste et la guerre impérialiste dans le monde entier. La base d'une telle lutte est l'unité internationale de la classe ouvrière et la reconnaissance que les besoins sociaux, et non le profit privé, devraient être le principe directeur de la vie sociale et économique.

Le NPD prétend faussement appuyer les travailleurs

La réponse du Nouveau Parti démocratique (NPD) du Canada visait à empêcher les travailleurs de tirer ces conclusions fondamentales en soutenant la bureaucratie syndicale discréditée et en occultant le rôle central joué par le NPD dans le soutien au gouvernement qui s'attaque aux droits des travailleurs du rail. Depuis deux ans et demi, le NPD soutient le gouvernement Trudeau dans le cadre d'un «accord de confiance et d'approvisionnement» officiel, lui fournissant les votes nécessaires pour mettre en œuvre son programme pro-patronal de guerre impérialiste à l'étranger et de guerre de classe au pays, dans une alliance gouvernementale négociée par la bureaucratie syndicale.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, et son seul député québécois, Alexandre Boulerice, ont fait une brève apparition sur le piquet de grève des cheminots à Montréal. [Photo: Teamster Canada Rail Conference Division 295/Facebook k]

«Justin Trudeau vient d'envoyer un message au CN, au CPKC et à toutes les grandes entreprises : il est payant d'être un mauvais patron», a déclaré le chef du NPD, Jagmeet Singh, dans un communiqué. «Les actions des libéraux sont lâches, hostiles aux travailleurs et prouvent qu'ils céderont toujours à la cupidité des entreprises et que les Canadiens en paieront toujours le prix.»

«Il n'y aura pas de fin aux lock-out maintenant. Tous les employeurs savent qu'ils peuvent obtenir exactement ce qu'ils veulent de Justin Trudeau en refusant de négocier de bonne foi avec leurs travailleurs. Et cela met en danger la sécurité des travailleurs et des communautés», a-t-il ajouté.

Avec le plus grand cynisme, Singh a déclaré aux journalistes qu'il serait prêt à rompre l'alliance de son parti avec le gouvernement libéral et à voter contre toute loi de retour au travail ou contre tout projet de loi interférant avec la grève des cheminots, en s'exclamant : «Qu'il s'agisse d'une motion de confiance ou non, je m'en moque.» Lorsque Singh a finalement décidé de mettre fin à l'accord de «confiance et d'approvisionnement» cette semaine pour de basses considérations électorales et pour mieux positionner le NPD et ses alliés syndicaux pour la tâche d’étouffer l'opposition des travailleurs au programme de guerre de classe de l'élite dirigeante, il n'a même pas mentionné la lutte des travailleurs du rail comme un facteur majeur de sa décision. Il ne s'est pas non plus engagé à faire tomber le gouvernement lors d'un vote de confiance.

Les paroles en l’air du chef du NPD ne devraient convaincre personne. Toute tentative de présenter Singh et son parti comme des alliés des cheminots dans leur lutte contre les employeurs et le gouvernement libéral est un mensonge : le NPD est en fait un pion au service du capital canadien.

L'attaque des libéraux contre les droits des travailleurs et la collaboration du NPD et de la bureaucratie syndicale

La criminalisation de la grève des cheminots n'est que le dernier exemple en date de l'intervention du gouvernement libéral pour mettre fin à une grève importante. En 2018, le gouvernement Trudeau a adopté une loi briseuse de grève pour criminaliser les grèves tournantes des travailleurs postaux ; en 2021, il a fait de même pour forcer les dockers de Montréal à reprendre le travail. L'année dernière, le gouvernement libéral – en utilisant le même Conseil canadien des relations industrielles, non élu et pro-employeur, et les mêmes pouvoirs quasi-dictatoriaux que lui confère le Code canadien du travail, qu'il a utilisés contre les travailleurs du CN et de CPKC – a effectivement criminalisé une grève des dockers de la côte ouest et, avec la connivence de leur direction syndicale, les a contraints à accepter une convention collective truffée de reculs.

L'attaque des libéraux contre le droit des travailleurs à faire grève et à déterminer collectivement leurs contrats de travail n'a été possible que grâce au soutien de la bureaucratie syndicale et du NPD. Tout en se gardant les mains propres avec des votes symboliques contre les lois de retour au travail, le NPD a soutenu le gouvernement Trudeau tout au long de cette période – assurant sa survie lors de nombreux votes de confiance et concluant ensuite un accord formel de «confiance et d'approvisionnement» avec les libéraux en mars 2022 qui s'engageait à les maintenir au pouvoir jusqu'en 2025. Fait significatif, le Congrès du travail du Canada (CTC), la plus grande fédération syndicale du Canada, s'est vanté du rôle clé qu'il a joué dans la négociation de l'alliance entre les libéraux et les néo-démocrates et l'a qualifiée d'accord «favorable aux travailleurs» et «progressiste».

L'accord était l'incarnation politique de l'alliance corporatiste entre les libéraux, le NPD et la bureaucratie syndicale, dans laquelle les syndicats ont garanti la «paix sociale» et la «stabilité» à l'élite dirigeante du Canada, tout en approfondissant leur partenariat avec l'impérialisme américain et en menant un assaut massif contre la position sociale de la classe ouvrière. Bien que Singh ait officiellement mis fin à l'arrangement parlementaire, déclarant de manière démagogique qu'il avait «déchiré» l'accord, l'alliance politique entre les libéraux, le NPD et les syndicats, qui a duré pendant les trois dernières décennies, demeure. Tant Singh que la présidente du CTC, Bea Bruske, ont insisté sur le fait que la question principale était de s'opposer aux «coupes conservatrices», c'est-à-dire de couvrir l'austérité imposée par les libéraux avec leur collaboration et de présenter le parti de gouvernement préféré de la bourgeoisie canadienne comme une alternative «progressiste» au démagogue d'extrême droite Pierre Poilievre.

Le gouvernement Trudeau, utilisant le mandat qui lui a été confié par le NPD et la bureaucratie syndicale, a dépensé des milliards pour faire la guerre à la Russie en Ukraine et a promis des dizaines de milliards supplémentaires pour préparer une confrontation militaire avec la Chine, tout en soutenant à fond le régime meurtrier de Netanyahou dans son assaut génocidaire contre Gaza. Les libéraux ont joué un rôle de premier plan en forçant les travailleurs à accepter des baisses de salaire réelles alors que l'inflation réduisait radicalement le niveau de vie, tout en mettant en œuvre un programme d'austérité «post-pandémique» pour forcer la classe ouvrière à payer pour les milliards prodigués aux grandes entreprises et promis à l'armée.

Non au programme corporatiste d'agression impérialiste à l'étranger et d’assaut contre les travailleurs à l'intérieur du pays !

L'alliance entre la bureaucratie syndicale et le NPD avec le gouvernement libéral a été un outil essentiel pour l'élite dirigeante canadienne qui cherche à construire les chaînes d'approvisionnement «robustes» dans les industries critiques nécessaires à l'impérialisme canadien et américain pour mener la guerre impérialiste à l'étranger et rivaliser avec leurs rivaux géostratégiques. La répression de la grève des cheminots, comme celle des dockers à Montréal et sur la côte ouest, est cruciale pour sécuriser ces chaînes d'approvisionnement. C'est pourquoi l'administration Biden s'est étroitement coordonnée avec le gouvernement Trudeau pour forcer les travailleurs à reprendre le travail et assurer la poursuite des échanges transfrontaliers, considérés comme essentiels à la construction d'un bloc nord-américain protectionniste capable de concurrencer les rivaux de Washington et d'Ottawa dans le cadre d'une nouvelle redivision du monde.

La ministre des Finances et vice-première ministre Chrystia Freeland s'adresse au congrès de Teamsters Canada. [Photo: Teamsters Canada/Facebook]

Alors que le NPD a assuré la «stabilité politique» dans son alliance parlementaire avec les libéraux, l'appareil syndical étouffe activement la lutte des classes : en démobilisant la classe ouvrière, en confinant ses luttes au «processus de négociation collective» dicté par l'État, et en mettant finalement en œuvre des conventions collectives truffées de reculs pour défendre les profits des entreprises et imposer l'austérité dans le secteur public.

En retour, les dirigeants syndicaux gagnent des salaires à six chiffres et reçoivent des nominations lucratives et influentes, formant ainsi une caste sociale aux intérêts distincts et hostiles à la classe ouvrière. Liée à l'État et aux employeurs dans une alliance corporatiste pro-capitaliste, la bureaucratie syndicale est particulièrement attachée au nationalisme économique. Les bureaucrates syndicaux se concertent avec les ministres libéraux et les patrons lors des négociations sur l'accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique et sur l'imposition de droits de douane sur les produits fabriqués en Chine.

Avec le soutien total de la bureaucratie syndicale, le NPD a assumé son rôle de gestionnaire «progressiste» du capitalisme canadien : dans son alliance avec le gouvernement Trudeau au niveau fédéral et chaque fois qu'il a détenu le pouvoir au niveau provincial. Les travailleurs de l'Ontario se souviennent encore avec haine du gouvernement néo-démocrate de Bob Rae de 1990 à 1995. Le premier ministre, soutenu par les syndicats, a imposé des réductions de salaire et des journées de congé non rémunérées aux travailleurs dévastés par la récession économique, ouvrant ainsi la voie à l'assaut de la droite de la «Révolution du bon sens» de Mike Harris. Rae a ensuite rejoint les libéraux et occupe actuellement le poste d'ambassadeur du Canada aux Nations unies. Le premier ministre néo-démocrate du Manitoba, Gary Doer, qui a mis en œuvre des réductions d'impôts et équilibré le budget provincial en imposant l'austérité de 1999 à 2009, a bénéficié d'une telle confiance de la part de la classe dirigeante qu'il a ensuite été nommé ambassadeur aux États-Unis par le premier ministre conservateur Stephen Harper. Les premiers ministres néo-démocrates actuels, comme David Eby en Colombie-Britannique et Wab Kinew au Manitoba, perpétuent cet héritage de gouvernement pro-capitaliste «responsable» des sociaux-démocrates canadiens.

Malgré le bilan totalement droitier du NPD dans son alliance avec le gouvernement Trudeau et au pouvoir dans les provinces, les bureaucrates syndicaux «militants» et les groupes de pseudo-gauche comme Socialist Action et la mal nommée Révolution communiste (anciennement La Riposte) continuent de le dépeindre comme un parti capable d'être «poussé vers la gauche» par la pression de la classe ouvrière. Rien n'est plus faux. Bien que ces forces puissent occasionnellement critiquer la collaboration de Singh avec les libéraux, elles occultent délibérément le rôle que le NPD et la bureaucratie syndicale jouent pour étouffer la lutte des classes et empêcher toute contestation par la classe ouvrière du programme de guerre et de réaction de l'élite dirigeante.

La tâche urgente à laquelle sont confrontés les cheminots et la classe ouvrière en général est de sortir politiquement et organisationnellement du carcan que leur imposent le NPD et la bureaucratie syndicale. Cela nécessite une rébellion politique contre l'alliance entre les libéraux, les syndicats et le NPD et la construction de nouvelles organisations de lutte de la base indépendantes des appareils syndicaux bureaucratiques. Surtout, la construction d'un parti socialiste de la classe ouvrière, le Parti de l'égalité socialiste (Canada), afin de fournir à ces luttes la perspective internationaliste socialiste et la direction révolutionnaire dont elles ont besoin, est à l'ordre du jour.

(Article paru en anglais le 6 septembre 2024)

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