Canada : Le NPD rompt l’alliance gouvernementale avec Trudeau dans l’espoir d’éviter une débâcle électorale

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a annoncé dans une vidéo de moins d'une minute mercredi que les sociaux-démocrates canadiens mettaient fin ou, pour reprendre la rhétorique exagérée de Singh, « déchiraient » leur « accord de confiance et d'approvisionnement » avec le gouvernement libéral du Canada dirigé par Justin Trudeau.

Au cours des deux dernières années et demie, le NPD, avec le soutien inconditionnel de la bureaucratie syndicale, a fourni au gouvernement libéral minoritaire sa majorité parlementaire, dans le cadre d'une alliance parlementaire et gouvernementale qui était presque une coalition formelle.

Le NPD a conclu cette alliance au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine provoquée par l'OTAN, afin d'assurer à la classe dirigeante canadienne, comme l'a expliqué Singh lui-même, une « stabilité politique ». Jusqu'à cette semaine, le NPD, soutenu par les syndicats, a loyalement respecté sa part du marché, en votant avec le gouvernement sur toutes les motions de confiance et les projets de loi de finances, alors même que Trudeau et ses libéraux allaient toujours plus à droite.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, et le Premier ministre libéral, Justin Trudeau [Photo: YouTube]


Pendant les 29 mois où l'« accord de confiance et d'approvisionnement » libéral-néo-démocrate est resté en vigueur, le gouvernement Trudeau s'est joint à Washington pour intensifier sans relâche la guerre avec la Russie, a intégré encore davantage le Canada dans l'offensive économique et militaro-stratégique tous azimuts des États-Unis contre la Chine, a soutenu sans réserve le génocide israélien à Gaza et a engagé des centaines de milliards de dollars supplémentaires pour fournir à l'armée canadienne un armement plus létal. Sur le front intérieur, le gouvernement Trudeau a collaboré avec la Banque du Canada pour imposer aux travailleurs des réductions des salaires réels, a opté pour une austérité « post-pandémique » et a privé à plusieurs reprises les travailleurs de leur droit de grève et de négociation collective.

D'un point de vue strictement juridique et constitutionnel, le sort du gouvernement Trudeau, en place depuis neuf ans, est désormais en suspens.

Cependant, la répudiation par le NPD de son alliance gouvernementale avec Trudeau, dix mois avant son expiration en juin 2025, est loin d'être aussi évidente qu'il y paraît. Et ce n'est pas seulement parce que Singh a clairement indiqué que le NPD ne s'engageait pas à faire tomber le gouvernement libéral maintenant, ni même avant l'expiration officielle de son mandat à l'automne 2025.

En mettant fin à son pacte gouvernemental officiel avec les libéraux, le NPD tente désespérément de se démarquer d'un gouvernement détesté à l'approche des prochaines élections.

Depuis l'automne dernier, les sondages d'opinion ont régulièrement montré que l'opposition officielle conservatrice disposait d'une avance de 15 à 20 points de pourcentage sur les libéraux et qu'elle était prête à remporter une majorité parlementaire écrasante. Selon toute vraisemblance, cela impliquerait de reprendre au NPD, dont le soutien populaire stagne, un nombre important de circonscriptions ouvrières.

Plus fondamentalement encore, la nouvelle posture d’opposition du NPD vise à repositionner les sociaux-démocrates et leurs alliés syndicaux afin qu'ils puissent remplir plus efficacement leur fonction essentielle pour la classe dirigeante – soit étouffer la lutte des classes et agir comme des soupapes de sécurité politiques – dans des conditions d'intensification de la crise capitaliste mondiale et de montée de l'opposition sociale.

Au Canada, comme partout dans le monde, on assiste à une radicalisation grandissante de la classe ouvrière. Depuis 2021, une vague de grèves touche toutes les régions du pays et pratiquement tous les secteurs de l'économie. Au cours des onze derniers mois, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre le génocide soutenu par l'impérialisme à Gaza.

Mais l'opposition croissante est contenue et réprimée par les syndicats, qui isolent et divisent les luttes des travailleurs et s’inclinent devant les mesures antigrève du gouvernement, tout en travaillant avec le NPD pour soutenir le gouvernement Trudeau.

Cela a ouvert la porte aux conservateurs, sous la houlette de leur chef d'extrême droite et fervent partisan du « Convoi de la liberté », Pierre Poilievre, pour lancer un appel social démagogique, dénonçant la « Just-inflation », le manque de logements abordables, l'effondrement des services publics et un Canada « brisé ».

Bien que le NPD soit maintenant désireux de prendre ses distances avec le gouvernement Trudeau, il n'en demeure pas moins déterminé à étouffer la lutte des classes au nom de l'élite patronale. En outre, l'abandon de l'« accord de confiance et d'approvisionnement » ne représente en aucun cas une répudiation de l'alliance entre les libéraux, les syndicats et le NPD, qui, depuis des décennies, sert à la classe dirigeante de mécanisme central pour contrôler politiquement la classe ouvrière et faire avancer son programme sous le couvert d'un gouvernement « progressiste ».

Et si cela est vrai pour les sociaux-démocrates, cela l'est au moins autant pour les syndicats corporatistes.

Le fait que le repositionnement politique du NPD ne soit rien d'autre qu'un reconditionnement de ses efforts pour réprimer politiquement la classe ouvrière a été bien illustré par la conférence de presse que Singh a donnée jeudi pour discuter des raisons et des conséquences de l'annonce de mercredi.

Pendant une heure, le chef du NPD a recyclé les mêmes points de discussion populistes et insipides en essayant à la fois de critiquer Trudeau, de défendre fermement l'alliance gouvernementale du NPD avec les libéraux, de présenter le NPD comme la véritable alternative à Poilievre et à ses conservateurs, et de laisser la porte ouverte à une collaboration avec les libéraux dans les semaines à venir et après les prochaines élections.

Singh n'a formulé pratiquement aucune critique concrète des actions du gouvernement et s'est encore moins exprimé sur ce que le NPD ferait différemment.

Bien que la conférence de presse ait duré une heure, il n'y a eu aucune mention des questions de politique étrangère – et encore moins un soupçon de critique sur l'intégration du Canada par le gouvernement libéral, dans le dos de la population, dans la guerre mondiale menée par les États-Unis. De même, Singh n'a pas mentionné ou critiqué les sommes massives que le gouvernement a détournées de la satisfaction des besoins sociaux pour équiper l'armée canadienne afin qu'elle puisse faire la guerre, comme l'indique la récente mise à jour de la politique de défense, dans le monde entier, de l'Arctique à la mer de Chine méridionale, en passant par l'espace et le cyberespace.

La phrase préférée de Singh, tirée de la vidéo de mercredi et répétée une douzaine de fois, est que Trudeau et ses libéraux « sont trop faibles, trop égoïstes et trop redevables aux intérêts des entreprises pour se battre pour les gens ».

Cependant, désespéré d'écarter tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à la lutte des classes, Singh a repris la rhétorique de Trudeau et celle de la vice-présidente américaine et candidate démocrate à la présidence, Kamala Harris, en se proclamant « militant » pour la « classe moyenne ».

Pressé par les journalistes d'expliquer ce qui avait précisément poussé le NPD à « déchirer » son accord avec les libéraux, Singh a déclaré qu'en travaillant avec le gouvernement, il en était venu à reconnaître que Trudeau ne pouvait pas et ne voulait pas s'opposer aux intérêts des entreprises. Comme si l'on pouvait douter que Trudeau, chef du Parti libéral, longtemps le parti préféré de la classe dirigeante canadienne pour le gouvernement national, et fils d'un Premier ministre anti-ouvrier de longue date, ne puisse être autre chose qu'un représentant impitoyable du capital canadien.

Le mois dernier, Singh a fait mine de s'opposer à l'utilisation par le gouvernement Trudeau des pouvoirs arbitraires du Conseil canadien des relations industrielles non élu pour court-circuiter la lutte de 9000 travailleurs des chemins de fer Canadien National et Canadien Pacifique-Kansas City et ordonner que leurs conventions collectives soient dictées par un arbitre pro-patronat. Pourtant, le chef du NPD n'a jamais soulevé cette question jusqu'à ce qu'un journaliste le lui demande plus d'une demi-heure après le début de la conférence de presse.

En affirmant que le NPD avait obtenu des gains réels « pour les gens » de son pacte gouvernemental avec les libéraux, Singh a souligné à plusieurs reprises le nouveau programme fédéral de soins dentaires. Ce programme a été salué par le Globe and Mail, le porte-parole traditionnel de Bay Street, comme un « modèle possible pour la réforme du système de santé dans son ensemble ». La raison en est qu'il est financièrement acceptable pour le patronat, qu'il inclut des tickets modérateurs pour tous, sauf les plus démunis, et qu'il est géré par une compagnie d'assurance privée, la Sun Life.

Des sections puissantes de la classe dirigeante sont maintenant impatientes de voir Trudeau partir, favorisant un gouvernement dirigé par Poilievre qui agira encore plus agressivement pour affirmer les intérêts impérialistes canadiens à l'échelle mondiale et contre la classe ouvrière à l'intérieur du pays. Il n'est donc pas surprenant qu'une grande partie des médias bourgeois, y compris le Globe, ait accueilli favorablement la fin du pacte gouvernemental du NPD avec les libéraux, et que leurs journalistes aient pressé Singh de déclarer clairement qu'il soutiendrait une motion de censure des conservateurs.

Mais Singh a refusé d'être épinglé ou de dire quand et dans quelles conditions son parti voterait pour renverser le gouvernement Trudeau. Quant à la présidente du Congrès du travail du Canada (CTC), Bea Bruske, elle a publié une déclaration mercredi, peu après la diffusion de la vidéo de Singh, dans laquelle elle salue l'accord entre les libéraux et les néo-démocrates pour avoir apporté des «gains historiques» aux travailleurs, félicite Trudeau et Singh «pour leurs efforts» et s'oppose à des «élections anticipées». «Les syndicats canadiens attendent de leurs représentants élus qu'ils continuent à trouver des occasions de travailler ensemble», a-t-elle déclaré.

Il ne fait aucun doute que le retrait du NPD de son alliance gouvernementale avec les libéraux a été étroitement coordonné avec Bruske et la direction du CTC, qui s'est déjà vantée de son rôle dans la mise en place de cette alliance. Le lundi, jour de la fête du Travail, le CTC a lancé une nouvelle campagne intitulée «Travaillons ensemble : pour améliorer nos conditions», qu'il qualifie d'«une initiative menée par les travailleurs et travailleuses pour lutter contre la cupidité des entreprises, rendre la vie plus abordable et tenir les politiciens anti-travailleurs imputables de leurs actions».

L'annonce de la campagne ne mentionne ni Trudeau ni le gouvernement libéral, mais dénonce sans détour le chef conservateur d'extrême droite.

Lors de sa conférence de presse de jeudi, Singh a tenté de promouvoir le NPD comme la véritable alternative aux conservateurs. Bien qu'avant et après les deux dernières élections fédérales, Singh se soit déclaré ouvert à la formation d'un gouvernement de coalition avec les libéraux pour empêcher les conservateurs de prendre le pouvoir, il a déclaré qu'il était candidat au poste de premier ministre et que les prochaines élections se résumeraient à un choix entre « les coupes conservatrices » et le NPD qui « se battra pour ramener l'espoir ... l'espoir (d'un Canada) où la classe moyenne prospérera à nouveau ».

Il ne fait aucun doute que des calculs électoraux sont également en jeu. Le NPD tente de prendre les devants dans la querelle électorale qui s'annonce avec ses anciens alliés libéraux pour établir qui est le mieux placé pour « arrêter » les conservateurs et les « coupes conservatrices ». Mais les bureaucrates syndicaux sont surtout motivés par leur crainte que la montée de l'extrême droite n'alimente une radicalisation de la classe ouvrière qui menace d'échapper à leur emprise étouffante.

L'évolution politique au Canada est parallèle à celle des États-Unis, de la France et des autres puissances impérialistes européennes. Pendant des décennies, les partis de « gauche » et « libéraux » de l'establishment, avec le soutien des syndicats et de la pseudo-gauche, ont imposé l'austérité capitaliste, entraînant une aggravation des inégalités sociales et de l'insécurité économique, et ont poursuivi une politique d'agression et de guerre qui s'est transformée en une guerre mondiale en cours de développement.

Dans la mesure où la classe ouvrière est empêchée par les organisations bureaucratiques qui prétendent faussement parler en son nom de faire avancer sa propre solution socialiste au programme de la classe dirigeante, qui consiste à détruire les droits démocratiques et sociaux des travailleurs et à faire la guerre, l'extrême droite est en mesure de s'emparer de l'initiative politique.

À l'instar des républicains dirigés par Trump, les conservateurs, le parti de droite traditionnel de la classe dirigeante canadienne, se transforment en un parti d'extrême droite, car la classe dirigeante, quel que soit le parti au pouvoir, a de plus en plus recours à des méthodes autoritaires pour imposer ses intérêts. Ces méthodes consistent notamment à briser les grèves, à invoquer la «clause dérogatoire» de la constitution et à attiser le chauvinisme et la xénophobie.

Un gouvernement conservateur dirigé par Poilievre serait sans aucun doute le gouvernement le plus réactionnaire de l'histoire moderne du Canada. Cette menace ne peut être contrée en votant ou en soutenant les manœuvres parlementaires des partis de droite entièrement sous l'emprise de la classe dirigeante impérialiste canadienne, comme le NPD et les libéraux, dont les politiques de droite portent une responsabilité considérable dans l'ascension de Poilievre. La menace posée par l'extrême droite ne peut être écartée que par l'intensification de la lutte des classes et le développement d'une offensive politique et industrielle de la classe ouvrière contre la guerre et l'austérité et pour la prise du pouvoir par les travailleurs.

(Article paru en anglais le 6 septembre 2024)

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