Le syndicat des Teamsters réagit aux mesures anti-grève du gouvernement en sabordant la lutte des cheminots canadiens

La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) a cédé aux mesures anti-grève du gouvernement libéral Trudeau en sabordant la lutte militante des 9.300 mécaniciens, chefs de train, agents de triage et contrôleurs ferroviaires des opérations canadiennes du Canadien National (CN) et du Canadien Pacifique Kansas City (CPKC).

Locomotive du CN [Photo by Dan from PQ, Canada / CC BY-SA 4.0]

Dès que le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) – suite aux ordres exprès du Premier ministre Justin Trudeau et de son ministre du Travail, Steven MacKinnon – a eu recours à ses pouvoirs d’arbitrage pour priver les travailleurs ferroviaires du CN et du CPKC de leur droit juridique de faire la grève et de négocier collectivement leurs conventions de travail, les dirigeants de la CFTC ont annoncé leur entière soumission.

Se conformant aux ordonnances du CCRI, la CFTC a donc immédiatement demandé aux travailleurs de CPKC de renoncer à toute grève et de se présenter au travail dès 0 h 01 HAE lundi. Elle a également annulé le préavis de grève de 72 heures au CN qui aurait légalement permis à ces travailleurs de cesser le travail dès lundi après-midi.

Avec les ordonnances du CCRI, les conventions des 9.300 cheminots du CN et du CPKC vont être dictées, comme les compagnies ferroviaires l’ont demandé, par un arbitre nommé par l’État. De plus, tant que la procédure d’arbitrage obligatoire sera en cours et que les anciennes conventions collectives demeureront en vigueur, toute grève des cheminots sera déclarée illégale. Cela signifie dans les faits que les travailleurs sont privés de leur droit de grève, censé être protégé par la Constitution, pour les années à venir, étant donné qu’en vertu du Code canadien du travail, toute grève syndicale sera illégale tant que leur convention ne sera pas expirée et que les travailleurs devront passer par toute une série d’obstacles juridiques conçus pour entraver leur pouvoir lorsqu’ils sont en mesure de faire grève.

Les dirigeants de la CFTC ont tenu des propos enflammés à l’égard de l’ordonnance du CCRI. Paul Boucher, président de la CFTC, a ainsi déclaré: «Cela indique aux entreprises canadiennes que les grandes sociétés n’ont qu’à interrompre leurs activités pendant quelques heures, le temps d’infliger une perturbation économique temporaire, et que le gouvernement fédéral interviendra pour briser un syndicat.»

Mais tout cela n’est que du bluff! Boucher a clairement indiqué que la seule action que le syndicat a l’intention de prendre pour s’opposer à cet assaut frontal mené contre ses membres par les deux principaux chemins de fer du Canada – une action qui, selon ses propres dires, diminue les droits de tous les travailleurs où que ce soit au Canada – sera de contester la constitutionnalité de l’ordonnance du CCRI dans le cadre d’un processus qui trainera pendant des années devant les tribunaux capitalistes.

La capitulation de la bureaucratie syndicale des Teamsters était tout à fait prévisible. Il en va de même de la complicité du Congrès du travail du Canada (CTC) et du Nouveau Parti démocratique (NPD), parrainé par les syndicats, qui a conclu une alliance gouvernementale avec les libéraux minoritaires, leur fournissant les votes dont ils ont besoin au parlement pour conserver le pouvoir. Le CTC n’a pas même publié de communiqué de presse pour condamner les actions anti-grève du gouvernement, ou encore même levé le petit doigt pour mobiliser un seul de ses plus de 3 millions de membres en solidarité avec les cheminots.

Dès le début des négociations, il était manifestement évident que les patrons du rail avaient l’intention d’utiliser le gouvernement libéral pour imposer leurs demandes de reculs, que toutes les entreprises canadiennes soutenaient leur appel pour une action gouvernementale préventive afin d’empêcher toute grève dans les chemins de fer, et que Trudeau se plierait à leurs exigences.

Plutôt que de réagir en préparant une lutte industrielle et politique totale contre le CN et le CPKC, les grandes entreprises canadiennes et le gouvernement Trudeau, la direction des Teamsters a fait tout ce qui était en son pouvoir pour démobiliser et diviser les travailleurs et isoler les cheminots.

Le CN et le CPKC font partie des cinq plus grandes compagnies ferroviaires en Amérique du Nord, leurs réseaux s’étendant profondément aux États-Unis et, même jusqu’au Mexique dans le cas du CPKC. Une grève au même moment contre le CN et le CPKC aurait rapidement paralysé une grande partie de l’économie canadienne et entravé le transport des ressources naturelles, des produits manufacturés et du matériel de guerre dans une grande partie des États-Unis.

Par ailleurs, l’action des cheminots se serait déroulée dans un contexte de montée en puissance des luttes ouvrières partout au Canada et aux États-Unis, alors que les travailleurs se battent pour obtenir des augmentations de salaire à la hauteur de l’inflation et pour mettre fin à des décennies de concessions dans leurs conventions, avec notamment l’érosion de leurs pensions et de leurs conditions de travail.

Le fait que les travailleurs du CN et du CPKC soient dans une position extrêmement puissante n’a fait qu’accroître la détermination de l’appareil des Teamsters des deux côtés de la frontière canado-américaine à saboter leur lutte.

Alors que les patrons du rail ont étroitement coordonné leurs actions, en faisant pression presque dès le départ pour une intervention du gouvernement et en annonçant qu’ils imposeraient un lock-out à la première occasion, le syndicat de son côté s’est efforcé d’empêcher les travailleurs du CN et du CPKC d’utiliser leur pouvoir pour paralyser ensemble les chemins de fer au Canada. Dans cette optique, le syndicat a proposé des négociations échelonnées, avec des délais de grève et de lock-out différents pour les deux entreprises, mais sa proposition a été refusée par les employeurs.

Puis, lorsque les deux compagnies ferroviaires ont annoncé leur intention d’imposer un lock-out jeudi dernier, la CFTC a riposté en signifiant le préavis de grève de 72 heures requis, mais uniquement contre le CPKC.

Par conséquent, lorsque le ministre du Travail MacKinnon a annoncé, quelque 17 heures après le début du lock-out, que le gouvernement ordonnait au CCRI de priver les cheminots de leur droit de grève et de négociation de leur convention, et que le CN a annoncé qu’il levait son lock-out, la CFTC – toujours empressée de respecter les dispositions anti-ouvrières du Code du travail – a immédiatement ordonné aux travailleurs du CN de reprendre le travail.

La CFTC, Teamsters Canada et la Fraternité internationale des Teamsters dirigée par Sean O’Brien n’ont pas non plus tenté de rallier le soutien des dizaines de milliers de membres des Teamsters qui travaillent pour les chemins de fer américains de classe 1, y compris dans les opérations américaines du CN et du CPKC, que ce soit avant ou après l’interdiction de la grève par le gouvernement Trudeau.

Il y a moins de deux ans, les Teamsters et les autres syndicats du secteur ferroviaire aux États-Unis ont également fait le mort lorsque l’administration Biden a conspiré avec les Démocrates et les Républicains au Congrès pour faire passer une législation privant les travailleurs ferroviaires américains de leur droit de grève après que ceux-ci aient manifesté leur opposition à accepter des reculs contractuels.

Alors que les Teamsters et les autres syndicats ferroviaires se sont efforcés de maintenir les travailleurs américains et canadiens séparés les uns des autres, quand bien même que leurs membres soient confrontés à des conditions communes et qu’ils font partie d’une industrie continentale, le gouvernement Trudeau est resté en contact permanent avec la Maison-Blanche en attendant de voir comment et quand le conflit social dans les chemins de fer canadiens prendrait fin.

Loin de défendre les intérêts des travailleurs, les syndicats sont hostiles à la lutte des classes. Ils sont dirigés par une caste bureaucratique privilégiée qui défend avec véhémence le «droit» des employeurs au profit et les intérêts géostratégiques des deux puissances impérialistes nord-américaines. Cette situation trouve son expression politique dans les liens étroits entretenus par Teamsters Canada, le CTC et les syndicats dans leur ensemble avec le gouvernement libéral de Trudeau, qui articule un programme pro-guerre et d’austérité, et l’alliance des syndicats américains avec le Parti démocrate (à la différence que pour sa part, O’Brien, le président des Teamsters aux États-Unis, s’acoquine avec le républicain fasciste Donald Trump).

En conséquence, les travailleurs du rail sont maintenant confrontés à la perspective de voir leurs conventions collectives dictées avec les exigences des entreprises imposées. Les deux compagnies ferroviaires ont l’intention d’allonger encore plus la journée de travail et d’imposer des régimes d’horaires afin de garder les travailleurs à leur disposition, détruisant ainsi encore plus l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et mettant du coup en péril la sécurité des travailleurs et du public en général. Ces dernières années, de nombreux déraillements ont eu lieu en raison de la surcharge de travail et de la réduction des effectifs. Le CN tente également d’obtenir le pouvoir de déplacer des travailleurs vers des endroits éloignés pendant des mois afin de combler ses pénuries de main-d’œuvre.

Devant le CCRI, les avocats de la CFTC ont soutenu que la tentative du gouvernement de priver les cheminots de leurs droits en invoquant l’article 107 du Code canadien du travail était inconstitutionnelle. Cet article, que le gouvernement libéral a utilisé à trois reprises pour torpiller la lutte des travailleurs au cours de l’année écoulée, autorise le ministre du Travail à ordonner au CCRI de «prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent».

Le CCRI, non élu et pro-employeur, a balayé les arguments juridiques des Teamsters, donnant son aval à une disposition du Code du travail conférant au ministre et au gouvernement des pouvoirs quasi-dictatoriaux. «Compte tenu du libellé clair de l’article 107 du Code, écrit la présidente du CCRI, Ginette Brazeau, le Conseil conclut qu’en l’espèce, il n’a ni le pouvoir discrétionnaire ni la capacité de refuser de mettre en œuvre, en tout ou en partie, les directives du ministre ou d’en modifier les modalités.»

Pour développer une contre-offensive devant l’assaut toujours plus grand de l’État et des employeurs contre leurs emplois, leurs conditions de travail et leurs droits, les travailleurs doivent construire de nouvelles organisations de lutte de classe et adopter une nouvelle stratégie politique basée sur l’unité internationale de la classe ouvrière et le refus de subordonner les besoins des travailleurs aux impératifs du profit capitaliste.

Les patrons du rail ont l’intention de ramener les travailleurs au régime de travail brutal qui prévalait il y a plus d’un siècle. Pour contrer cela, s’opposer aux diktats de l’arbitre nommé par le gouvernement et forger des liens en luttant avec tous les travailleurs du rail et des autres secteurs industriels partout en Amérique du Nord – une alliance essentielle pour vaincre l’assaut de l’État contre les droits des travailleurs – les travailleurs doivent construire des comités de base en opposition aux politiques nationalistes et capitalistes des Teamsters, d’Unifor et des autres syndicats du secteur ferroviaire.

Le World Socialist Web Site et le Parti de l’égalité socialiste apportent leur plein soutien et toute leur aide aux travailleurs menant ce combat.

(Article paru en anglais le 27 août 2024)

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