Des médias ultra-nationalistes du Québec saluent la montée du Rassemblement national en France et embrassent le fascisme

Le mois dernier, le président français Emmanuel Macron a déclenché des élections parlementaires anticipées qui se sont tenues en deux tours le 30 juin et le 7 juillet. Le Rassemblement national (RN), le parti d’extrême droite de Marine Le Pen, est arrivé en tête du premier tour avec plus de 11 millions de votes. Il a cependant subi une défaite surprise au deuxième tour aux mains du Nouveau Front populaire (NFP), mené par le parti de pseudo-gauche La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélanchon.

Les chroniqueurs ultra-nationalistes des grands médias québécois, qui alimentent la virulente campagne anti-immigrants menée par toute l’élite dirigeante, ont utilisé ces résultats et la montée du RN pour faire essentiellement l’apologie du fascisme.

Ce sont les influents chroniqueurs du Journal de Montréal (JdM), un tabloïd propriété de Pierre-Karl Péladeau, un multimilliardaire et ancien chef du Parti québécois (PQ), qui ont exprimé le plus ouvertement leur sympathie pour l’extrême droite française.

Dans une série de textes jubilatoires publiés après la victoire du RN au premier tour des élections françaises, ils ont cherché à légitimer l’extrême droite en présentant frauduleusement le parti de Marine Le Pen comme un mouvement populaire démocratique qui lutte pour les intérêts des «français ordinaires».

Le président français Emmanuel Macron, à droite, rencontre la leader du RN d'extrême-droite Marine Le Pen à l'Élysée le 21 juin 2022 à Paris. [AP Photo/Ludovic Marin]

Par exemple, Mathieu Bock-Côté, un chroniqueur aux sympathies fascistes bien connues, a réfuté tout lien entre le RN et le fascisme. Il a qualifié d’«absurde» l’étiquette d’extrême droite accolée à ce parti – ou à tout autre parti du même acabit car, selon lui, «le fascisme est mort depuis longtemps» et ne serait aujourd’hui qu’une invention de «l’extrême gauche». Bock-Côté a déclaré que le RN appartient plutôt à la «droite nationale» et prône «une volonté de protéger ses frontières, de conserver son identité culturelle ou de ne pas céder à tous les caprices des minorités radicales».

Dans son texte du 3 juillet intitulé «C’est l’immigration, stupide!», Richard Martineau, un autre chroniqueur du JdM bien connu pour son ressentiment envers les immigrants et les musulmans, a écrit que la «montée de la droite» en France était uniquement due au «problème d’immigration». Fidèle à son habitude, il y démonisait les immigrants en les présentant comme des gens qui «rejettent la France» et ses «valeurs fondamentales, comme la laïcité, l’égalité homme-femme et la liberté de critiquer les religions».

Cet accueil enthousiaste du RN sert à normaliser l’extrême droite afin de légitimer les politiques de l’élite québécoise de plus en plus calquées sur les idées néofascistes, particulièrement en matière d’immigration et de nationalisme. La normalisation du fascisme sert également à justifier le renforcement des forces répressives de l’État en vue de mater l’opposition sociale montante aux politiques d’austérité et de guerre de la classe dirigeante, y compris le mouvement de protestation contre le génocide à Gaza.

Il faut noter que les idéologues de droite du JdM exploitent les politiques de la pseudo-gauche centrées sur les «identités», en opposition à l’unité de classe, pour prôner le racisme et le nationalisme belliqueux. C’est l’épouvantail qu’ils agitent alors qu’ils encouragent la classe politique québécoise à se rapprocher plus ouvertement de l’extrême droite française. Évoquant la possible victoire du RN, une «force politique incontournable, et démocratique, appelée à peser sur le destin de la France», Bock-Côté a enjoint les politiciens québécois à «développer des liens» avec le parti de Le Pen.

Le chroniqueur Christian Rioux du quotidien Le Devoir, qui s’adresse à l’intelligentsia nationaliste québécoise, a salué avec enthousiasme la montée d’une Marine Le Pen «aux allures présidentielles», dépeinte comme la représentante légitime de la «France profonde». Il a averti les travailleurs qu’ils feraient face à la «violence» et au «chaos» s’ils rejetaient le RN lors des élections, car l’extrême droite serait ultimement contrainte de mettre fin au «régime» politique actuel, une allusion transparente à un coup d’État fasciste.

Sur la scène québécoise, ces mêmes chroniqueurs ultra-nationalistes sont depuis des années les principaux propagandistes d’une intense agitation nationaliste-chauvine contre l’immigration. Pour ne donner qu’un exemple, en mai 2023, Bock-Côté et le JdM ont orchestré une provocation d’extrême droite.

Le tabloïd avait alors déterré la proposition d’un groupe de réflexion (vieille de plusieurs années et jamais endossée par le gouvernement fédéral-libéral de Justin Trudeau) visant à faire passer la population canadienne d’environ 40 millions aujourd’hui à 100 millions en 2100 au moyen de l’immigration. Le JdM s’en est servi pour publier un «dossier spécial» qui dénonçait de façon hystérique un «complot fédéraliste» visant à détruire la «nation québécoise» – la version québécoise de la théorie fasciste du «grand remplacement».

Ce n’est pas un hasard si les mêmes forces qui ont alimenté la virulente campagne anti-immigrants au Québec, et exigé ou endossé des lois linguistiques discriminatoires sous le prétexte de défendre la langue française, appuient ouvertement aujourd’hui un parti d’extrême droite comme le RN. Comme l’a expliqué le WSWS, le nationalisme québécois est une idéologie réactionnaire utilisée par la classe dirigeante pour diviser la classe ouvrière.

Le discours anti-immigrants et explicitement chauvin est devenu un élément central de la politique de toute l’élite dirigeante, y compris celle du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) du Premier ministre multimillionnaire François Legault, un admirateur de Bock-Côté, qu’il a déjà qualifié de «grand intellectuel». Legault cherche à justifier ce tournant prononcé vers la droite dure comme étant nécessaire pour le maintien de la «cohésion sociale», c’est-à-dire l’emprise idéologique de la classe dirigeante.

Une manifestation à Montréal contre la Loi 21 de la CAQ qui brime en particulier les droits des femmes de confession musulmane [Photo: McGill Students Union/Twitter ]

Confrontée à la colère des travailleurs opposés à ses politiques de droite, la CAQ mène une campagne nationaliste et xénophobe qui allie des allégations que les «valeurs québécoises» et la langue française sont menacées par l’immigration «massive», à des déclarations frauduleuses que les immigrants sont responsables du crime, de la violence, de l’itinérance, de la crise du logement et de l’effondrement des systèmes publics de santé et d’éducation.

Cette campagne a pour double objectif de diviser les travailleurs québécois – entre eux sur des lignes ethnolinguistiques et de leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada – et de désigner un bouc émissaire pour l’état pitoyable des services publics et la montée de la pauvreté, causés en réalité par le capitalisme en faillite.

La CAQ est encouragé dans son tournant chauvin par le PQ. En tête dans les sondages sur les intentions de vote, le PQ allie le même discours anti-immigrants à un nationalisme québécois hystérique. Selon son chef Paul Saint-Pierre Plamondon, le gouvernement fédéral, qui n’aurait pas changé depuis «les déportations» et les «exécutions» de francophones au 18e siècle, mène une «charge» pour «écraser les Québécois».

De son côté, Québec solidaire (QS), le parti de la pseudo-gauche québécoise, a réagi avec complaisance à cette promotion de l’extrême droite par les grands médias québécois, démontrant une fois de plus que son rôle est de camoufler le virage à droite de l’ensemble de la classe dirigeante.

La députée de QS Ruba Ghazal a fait campagne pour le Nouveau Front Populaire (NFP) auprès des Français vivant au Québec afin de les «inciter» à «barrer la route à l’extrême droite». Elle a toutefois omis de mentionner certains faits politiques essentiels: 1) le NFP comprend le Parti socialiste (PS), ainsi que ses alliés traditionnels du PCF (Parti communiste français) stalinien et des Verts, qui ont mené ensemble de violentes attaques contre la classe ouvrière lorsqu’ils formaient le gouvernement; 2) le NFP a conclu une alliance électorale avec Macron, le «président des riches» connu pour ses politiques droitières, sa promotion d’une escalade de la guerre impérialiste de l’OTAN contre la Russie en Ukraine et son admiration pour le maréchal Pétain qui a dirigé le régime pronazi de Vichy durant la Seconde Guerre mondiale; 3) ce sont les politiques austéritaires et militaristes de Macron et de la gauche officielle (dont il est issu) qui ont permis au RN néo-fasciste d’exploiter la colère sociale en prenant une posture démagogique d’opposition aux coupes sociales et à la guerre.

Au cours de son intervention, supportée par d’autres députés de QS, Ghazal a nié toute similitude entre la montée de l’extrême droite en France et le discours anti-immigrants au Québec. Elle a déclaré que le «débat sur l’immigration» au Québec n’était pas «fait comme un débat d’extrême droite», mais de façon «saine et pacifique».

Le mois dernier, en réponse à une motion déposée à l’Assemblée nationale par le PQ pour légitimer la campagne de l’élite dirigeante québécoise contre l’immigration, QS avait soutenu que «le Parti québécois n’est pas intolérant sur le dossier de l’immigration» et tenu à dire que «Québec solidaire suggère lui-même une réduction de l’immigration temporaire».

QS constitue le «flanc gauche» de la politique capitaliste au Québec. À ce titre, il légitime l’agitation xénophobe et fournit une couverture politique à la CAQ et au PQ alors que ceux-ci se tournent vers des formes plus extrêmes de nationalisme et chauvinisme québécois.

En niant l’influence que des commentateurs sympathiques au fascisme exercent sur la classe dirigeante, et la volonté affichée de sections importantes de celle-ci à recourir aux idées et même aux forces historiquement associées à l’extrême droite, QS cherche à légitimer le nationalisme québécois – un outil idéologique, non seulement de la bourgeoisie québécoise mais du capitalisme canadien en son ensemble, pour garder divisés les travailleurs francophones, anglophones et immigrés du Canada.

Québec solidaire veut faire taire la classe ouvrière, la seule force sociale capable de lutter contre la montée de l’extrême droite. Les travailleurs conscients doivent répondre en développant un mouvement indépendant de classe qui s’attaquera à la source commune du fascisme, de l’austérité et de la guerre: le capitalisme et son système dépassé des États-nations. Cela exige le rejet décisif de ses défenseurs de pseudo-gauche comme QS.

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