En mai dernier, le Journal de Montréal, un tabloïd de droite appartenant au milliardaire et ancien chef du Parti québécois (PQ) Pierre-Karl Péladeau, a publié une série d’articles dénonçant la proposition – émise par le think thank «Initiative du Siècle» – d’une forte hausse de la population canadienne d’ici 2100 comme un complot du gouvernement fédéral visant à «noyer» le Québec francophone dans une mer anglophone de 100 millions de Canadiens.
Comme le rapportait le WSWS, ce dossier spécial du JdM, intitulé «Le Québec pris au piège», n’était rien d’autre qu’«une provocation caractéristique de l’extrême droite» qui présente «l’immigration comme une menace existentielle pour la 'nation québécoise'» et marque une nouvelle étape dans «la promotion d’un nationalisme québécois explicitement chauvin et xénophobe».
Un acteur clé de cette provocation est le chroniqueur Mathieu Bock-Côté, qui avait déjà commencé à dénoncer l’«Initiative du siècle» dans les pages du JdM en janvier 2023. C’est lui qui a signé l’une des chroniques principales du dossier spécial, un texte intitulé «Deux scénarios qui annoncent la disparition du Québec». Dans les jours suivants, il a publié deux chroniques additionnelles sur le sujet, «Immigration massive: impossible de débattre sans se faire insulter» et «L’initiative du Siècle nous oblige à l’indépendance, Monsieur Legault».
Bock-Côté est un idéologue d’extrême-droite qui exerce une influence manifeste sur des sections importantes de l’élite dirigeante et particulièrement sur le premier ministre du Québec, François Legault. Ce dernier reprend souvent dans ses tweets les propos de Bock-Côté ou en recommande les écrits.
Bock-Côté s’est démarqué tout au long de sa carrière comme un nationaliste ultra-droitier. En 2001, alors qu’il était début vingtaine, il a été exclu du Bloc québécois (BQ), le parti frère du PQ au niveau fédéral, après avoir dirigé, à titre de responsable au contenu du Forum jeunesse du BQ, la publication de manifestes nationalistes dénonçant le «problème immigrant» et prônant un retour à un nationalisme canadien-français traditionaliste. Ce n’est pas cette orientation vers un nationalisme chauvin qui a provoqué l’expulsion de Bock-Côté mais le fait que ses manifestes citaient Charles Maurras, un fasciste et antisémite français notoire qui, à la tête de l’organisation d’extrême droite l’Action française, a soutenu le régime collaborationniste de Vichy pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Après avoir terminé ses études en sociologie, Bock-Côté se lance dans une carrière d’intellectuel et de personnalité médiatique qui vise à promouvoir le nationalisme québécois en évoquant sans cesse et de façon hystérique la disparition de la «nation», du peuple, de la culture québécoise et du français, menacés par les anglophones et les immigrants, particulièrement ceux venus du Moyen-Orient qu’il qualifie souvent «d’islamistes».
Le discours nationaliste et anti-immigrants de Bock-Côté a acquis dans les dernières années un ton résolument fasciste et raciste. En avril dernier, il a ouvertement fait référence au Grand remplacement dans les pages du Figaro: «Si les choses se déroulent comme elles se déroulent en ce moment, à la fin du siècle, les peuples historiques européens seront minoritaires dans leur propre pays». Le Grand remplacement est une théorie à forte saveur anti-musulmane et anti-sémite créée par l’extrême droite européenne qui soutient que l’immigration «massive» est un complot ourdi par une élite internationale pour remplacer la population blanche.
Bock-Côté passe maintenant une partie de son temps en France où il écrit pour le Figaro et où il apparait régulièrement sur le réseau de télévision Cnews (souvent comparée à Fox News aux États-Unis pour ses positions très à droite). Lors des dernières élections françaises, il a appuyé Éric Zemmour, un provocateur fasciste et raciste condamné qui a prôné l’expulsion de cinq millions d’immigrants. Bock-Côté a aussi accueilli favorablement l’élection de Giorgia Meloni, une fasciste avouée dont le parti se réclame de la tradition et de la mémoire du dictateur Benito Mussolini.
Un autre sujet de prédilection de Bock-Côté, sur lequel il a écrit plusieurs livres, est ce qu’il appelle la «gauche woke», que le WSWS a identifiée plus correctement comme la pseudo-gauche – ces sections aisées de la classe moyenne qui nient les divisions essentielles de classe et utilisent les politiques identitaires pour obtenir une plus grande part des privilèges dans les universités, les arts, les conseils d’administration et la bureaucratie syndicale.
Malgré ses évidentes sympathies fascistes, Bock-Côté est accueilli à bras ouverts par la classe dirigeante québécoise dont il influence les politiques et le discours.
Ainsi, les attaques hystériques du dossier anti-immigrants du JdM ont immédiatement été reprises par l’ensemble de l’establishment politique. Dans les jours qui ont suivi sa publication, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion présentée par le PQ qui dénonçait l’Initiative du siècle et demandait au gouvernement Legault de s’y «opposer officiellement». Legault n’a pas tardé à s’exécuter en adoptant essentiellement les arguments nationalistes chauvins du JdM.
De même, en mai 2022, Bock-Côté a mené la charge pour réclamer la fermeture du chemin Roxham par où des milliers de migrants fuyant les politiques anti-immigrants de Trump et de Bidden sont entrés au Canada pour y chercher refuge. Quelques heures à peine après la parution de sa chronique «Il faut fermer le chemin Roxham» du 10 mai 2022, le PQ a organisé une conférence de presse pour réclamer la fermeture immédiate du chemin Roxham par le gouvernement fédéral de Justin Trudeau.
Cette demande initiée par Bock-Côté, reprise par le PQ puis par le gouvernement Legault, est devenue réalité moins d’un an plus tard. En mars dernier, après un sommet entre le premier ministre canadien et le président américain Joe Biden pour coordonner leur guerre contre la Russie en Ukraine, Trudeau a conclu un accord avec son homologue américain en matière d’immigration qui comprenait la fermeture du chemin Roxham.
Bock-Côté exerce aussi une influence intellectuelle et politique manifeste sur le premier ministre du Québec. Legault a cité les livres de Bock-Côté dans ses lectures préférées, décrit l’idéologue comme «un grand intellectuel», retweeté une chronique publiée par Bock-Côté à l’occasion de la fête de Pâques pour défendre l’histoire de la religion catholique au Québec et utilisé en pleine Assemblée nationale l’invective favorite de Bock-Côté, «woke», contre le porte-parole de Québec Solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois.
Le fait que Bock-Côté inspire Legault et influence son gouvernement permet de mesurer à quel point la classe dirigeante québécoise se déplace rapidement vers la droite alors qu’elle adopte des politiques nationalistes et xénophobes.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, la Coalition avenir Québec de Legault a fait adopter une série de lois anti-démocratiques qui ciblent les minorités, en plus de consacrer le nationalisme québécois le plus chauvin comme la politique officielle de la province et de blâmer les immigrants pour les problèmes sociaux résultants de ses politiques d’austérité capitaliste. Ainsi, sa loi 21 sur la «laïcité» cible les femmes musulmanes et sa loi 96 renforce le statut privilégié du français et brime les droits linguistiques des minorités.
Loin d’être unique au Québec, ce tournant s’inscrit dans une tendance nationale et internationale qui découle de la crise grandissante de l’ordre capitaliste et la montée de l’opposition ouvrière. L’opposition officielle à Ottawa est maintenant menée par le chef du parti conservateur Pierre Poilievre, ardent défenseur du Convoi de la «liberté» d’extrême-droite qui exigeait la levée de toutes les mesures restantes de santé publique anti-COVID. Aux États-Unis, l’ancien président Donald Trump, après avoir utilisé des groupes néo-nazis dans sa tentative de coup d’État du 6 janvier 2021, multiplie les diatribes fascistes contre le socialisme ainsi que ses appels anti-immigrants et racistes dans le cadre de sa campagne pour les primaires républicaines en vue de la présidentielle de 2024.
Il ne s’agit-là que de l’expression la plus avancée d'un phénomène mondial qui a vu la promotion par la classe dirigeante de tendances d'extrême droite en Italie, en France, en Allemagne et dans toute l'Europe, alors qu’elle multiplie partout les attaques contre le niveau de vie des travailleurs et mène la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine.
Les travailleurs ne peuvent pas combattre le danger du fascisme en s'appuyant sur l’État capitaliste qui encourage les forces de l’extrême-droite et se tourne vers des méthodes autoritaires afin d’écraser l’opposition grandissante de la classe ouvrière à l’austérité capitaliste et à la guerre impérialiste.
Il faut plutôt bâtir l’unité internationale de la classe ouvrière dans la lutte politique pour renverser le capitalisme, la source du fascisme et de la guerre, ce qui requiert le rejet du virulent nationalisme prôné par des idéologues d’extrême-droite comme Bock-Côté avec le plein soutien de l’establishment politique.