Ayant recours aux tribunaux et à la violence policière

L’élite dirigeante du Canada démantèle deux campements étudiants anti-génocide

La classe dirigeante canadienne, pro-guerre et pro-génocide, a réussi ce mois-ci à démanteler les deux principaux campements d'étudiants qui protestaient contre la «solution finale» d'Israël à la question palestinienne.

Des étudiants et des professeurs avaient installé un campement sur le campus de l'Université McGill, au centre-ville de Montréal, le 27 avril 2024.

En recourant à une injonction judiciaire et à la violence policière, les autorités de l'Ontario et du Québec ont dispersé les campements d'étudiants à l'Université de Toronto (UdeT) et à l'Université McGill au cours de la semaine et demie écoulée, sans qu'aucune des demandes des étudiants concernant le désinvestissement des entreprises israéliennes et la reconnaissance du génocide n'ait été satisfaite.

Dans un geste hautement provocateur, la direction de l'Université McGill a fait appel à la société de sécurité privée SIRCO pour démanteler le campement étudiant mercredi. Cette décision illégale viole une décision de la Cour supérieure du Québec datant du 15 mai, qui avait refusé à l'université une injonction de démantèlement du campement. Elle est intervenue quelques jours après que la revue médicale britannique The Lancet a estimé que le génocide soutenu par l'impérialisme israélien avait coûté la vie à quelque 186.000 Palestiniens, soit environ 8 % de la population de Gaza avant la guerre.

Le saccage des fiers-à-bras engagés par l'université a été activement soutenu par des centaines de policiers de la police provinciale du Québec et de la ville de Montréal en tenue anti-émeute.

Ce mouvement a été encouragé par le gouvernement de la Coalition Avenir Québec. Le premier ministre François Legault avait dénoncé à plusieurs reprises les étudiants protestataires dès le début du campement, que lui et la direction de l'université ont qualifié sans fondement de «violents» et d'«antisémites». Interrogée sur l'opération policière en cours mercredi, la ministre de l'Enseignement supérieur du Québec, Pascale Déry, a déclaré : «Nous suivons la situation de très près, mais il s'agit d'une bonne nouvelle.»

Une semaine plus tôt, le 3 juillet, le campement de solidarité «People's Circle for Palestine», qui avait refusé de quitter l'Université de Toronto pendant deux mois, a plié ses tentes et a quitté les lieux en quelques heures. Le démantèlement «volontaire» du campement a eu lieu un jour après une décision réactionnaire de la Cour supérieure de l'Ontario qui a déclaré la manifestation pacifique illégale sur la base totalement antidémocratique des droits de propriété privée de l'université.

La dispersion violente du campement étudiant par McGill et l'injonction du juge de la Cour supérieure de l'Ontario Markus Kohenen d'expulser les étudiants de l'Université de Toronto sont les derniers exemples de la répression brutale de l'élite dirigeante canadienne à l'encontre de toute opposition au génocide de Gaza. Cette campagne a combiné des agressions juridiques avec des violences extra-légales et parrainées par l'État, ainsi que des diffamations et des déformations politiques.

Les manifestants ont été attaqués par la police, mais aussi par des foules d'extrême droite et fascistes, tandis que les policiers détournaient le regard. La police a fait des descentes au domicile de personnes au milieu de la nuit, utilisant des tactiques dignes de la Gestapo, simplement en raison de leur opposition politique à un génocide qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes. Les rouages de cet assaut impitoyable de l'État ont été graissés par tous les partis politiques, qui ont qualifié d’«antisémite» toute critique du régime israélien d'extrême droite.

L'existence d'un groupe secret au sein du ministère du Procureur général de l'Ontario, chargé d'espionner et de calomnier les manifestants anti-génocide avec de fausses accusations de «haine», lié directement au consulat israélien, met en évidence l'existence d'une conspiration contre les droits démocratiques fondamentaux au sein de l'État capitaliste et de la classe dirigeante.

La bureaucratie syndicale a saboté les manifestations étudiantes contre le génocide

Cette campagne répressive a été supervisée par le gouvernement libéral Trudeau, soutenu par les syndicats et le Nouveau Parti démocratique, qui a couvert et défendu politiquement le génocide sioniste depuis le premier jour. Trudeau a acheminé des millions de dollars d'armement militaire à Israël, tout en soutenant pleinement les efforts de l'impérialisme américain visant à faire du génocide un élément clé des préparatifs d'une guerre à l'échelle régionale ciblant l'Iran. Cette politique agressive est l'un des éléments d'une troisième guerre mondiale qui émerge rapidement, provoquée par les puissances impérialistes afin de redécouper le monde selon leurs intérêts.

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau rencontre son homologue israélien, Benjamin Netanyahou, peu après l'arrivée au pouvoir de son gouvernement libéral en novembre 2015. [Photo: Twitter/Trudeau]

Le démantèlement des deux campements a révélé le rôle de la bureaucratie syndicale en tant que gant de velours recouvrant la main de fer de la classe dirigeante. Ni la Fédération du travail de l'Ontario (FTO) ni les diverses fédérations syndicales du Québec n'ont fait quoi que ce soit pour mobiliser le soutien populaire aux étudiants protestataires pendant les deux mois et plus qu'ont duré les campements. Ils ont refusé de le faire parce qu'ils savaient très bien à quel point le soutien à un mouvement politique de masse contre le génocide et la guerre est écrasant dans la classe ouvrière.

Dans les mois qui ont précédé les campements, le Canada a connu de nombreuses manifestations de masse à travers le pays contre l'assaut sauvage d'Israël, auxquelles ont participé des centaines de milliers de personnes. Les syndicats craignaient que la mobilisation de ce soutien en faveur des campements d'étudiants n'encourage un mouvement qui serait entré en conflit avec les alliés de la bureaucratie au sein du gouvernement libéral de Trudeau.

Dans un geste profondément cynique, la FTO a donné à son million de membres un préavis d'à peine plus de trois heures le 3 juillet pour qu'ils se joignent à un «rassemblement» visant à défendre le campement de l'Université de Toronto contre l'injonction, qui a été appliquée par la police. L'annonce est intervenue quelque 24 heures après la décision d'injonction. Le résultat final était prévisible : quelques représentants et militants de la FTO se sont présentés pour ce coup de relations publiques, qui s'est résumé à servir de garde d'honneur aux étudiants qui retiraient «volontairement» leurs tentes et leurs biens sous le regard attentif des policiers et des voyous sionistes d'extrême droite.

Les actions de la FTO révèlent le mensonge des engagements qu'elle avait proclamés haut et fort aux étudiants lorsque le campement a été menacé d'expulsion pour la première fois en mai. Ces engagements comprenaient la déclaration grandiloquente du président du Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario (SEFPO), J.P. Hornick, selon laquelle les syndicats «seront vos boucliers humains» contre la police. Comme le World Socialist Web Site l'avait expliqué, le rassemblement de solidarité de la FTO du 27 mai, au cours duquel Hornick a fait cette promesse vide, était une fraude, conçue pour préparer politiquement les étudiants à une capitulation contrôlée aux autorités.

Au cours des cinq semaines qui ont suivi, Hornick et ses collègues bureaucrates syndicaux qui perçoivent des salaires à six chiffres n'ont absolument rien fait pour que la classe ouvrière soutienne les étudiants. Ils savaient parfaitement que la direction de l'Université de Toronto cherchait à obtenir une injonction afin de fournir le prétexte à un assaut violent de la police, soutenue par des activistes sionistes, contre le camp. L'université a annoncé publiquement qu'elle déposait une demande d'injonction au tribunal au début du mois de juin.

Tournant en dérision la prétention de l'université à être un forum «démocratique» de débat et de protestation, la police de Toronto a adressé une menace inquiétante aux étudiants avant la date limite de l'injonction, les avertissant : «Nous espérons que les manifestants quitteront volontairement les lieux afin d'éviter une intervention de la police [...] le moment et le caractère de l'intervention de la police seront laissés à notre discrétion.»

Isolés par la bureaucratie syndicale et menacés de violences policières, les militants étudiants installés à l'UdeT ont décidé de mettre fin «volontairement» à leur manifestation. Bien avant l'heure limite de 18 h, les seules traces du campement, que les organisateurs s'étaient auparavant engagés à ne quitter que lorsque l'UdeT aurait accepté leurs revendications, étaient les empreintes laissées par leurs tentes sur l'herbe, quelques slogans peints à l’aérosol, et une sculpture en papier mâché que des militants d'extrême droite se sont fait un devoir de détruire quelques minutes seulement après le départ des derniers étudiants.

La faillite de la politique de protestation des étudiants

Le sabotage par la bureaucratie syndicale des manifestations étudiantes contre le génocide a été facilité par la perspective politique totalement pathétique et désorientée défendue par les organisateurs du campement. Concentrés exclusivement sur leurs propres campus universitaires, ils pensaient que s'ils protestaient avec suffisamment de force et de persistance, les dirigeants de ces entreprises éducatives multimillionnaires s'assiéraient à une table de négociation avec eux, admettraient leurs torts, se désinvestiraient des entreprises israéliennes et condamneraient le génocide. La direction n'a jamais tenté d'élargir la protestation à la classe ouvrière et n'a émis aucune critique sur l'isolement criminel des campements par les bureaucrates syndicaux vis-à-vis des travailleurs qu'ils prétendent représenter.

Les organisateurs du campement de l'Université de Toronto ont publié une déclaration explicative à la suite du démantèlement de leur campement, affirmant : «Nous refusons de donner aux services de police de Toronto l'occasion de nous brutaliser, comme ils l'ont fait à maintes reprises avec les manifestants pro-palestiniens dans toute la région du Grand Toronto.»

Tout ça évite délibérément la question principale. La question n'était pas de savoir s'il était approprié de s'engager dans une bagarre insensée avec la police, ce que seuls les anarchistes les plus démoralisés préconiseraient, mais pourquoi, après plus de deux mois, la police avait l'«opportunité» de confronter le groupe isolé d'étudiants protestataires ? Sur cette question décisive, les organisateurs étudiants n'avaient rien à dire.

Pourquoi les travailleurs ne se sont-ils pas mobilisés pour empêcher la police de brutaliser les étudiants protestataires ? Quelles organisations ont promis d'organiser une telle mobilisation mais n'ont rien fait ? Poser ces questions, c'est y répondre. Pourtant, les organisateurs de la manifestation étudiante n'ont pas pu se résoudre à prononcer un seul mot de critique à l'encontre de la bureaucratie syndicale pro-guerre, qui soutient le gouvernement libéral de «Justin le génocidaire» Trudeau.

Si les syndicats de la FTO avaient organisé une grève uniquement de leurs membres à l'UdeT, ils auraient pu placer des milliers de travailleurs sur le terrain pour «être des boucliers humains», comme l'avait promis le fanfaron Hornick en mai. Mais cette promesse était un mensonge.

Les organisateurs ont ensuite déclaré : «Nous partons selon nos conditions.» Cette déclaration est manifestement absurde. Le campement a été forcé de se dissoudre par l'Université de Toronto, soutenue par une injonction du tribunal et par les forces sociales les plus réactionnaires – de multiples organisations sionistes, la police de Toronto, et toute la puissance de l'appareil d'État canadien et de l'establishment politique.

La déclaration des activistes note avec une incroyable naïveté que le campement aurait dû inciter l'Université de Toronto à «réfléchir à ses responsabilités morales» dans un premier souffle, tout en déclarant dans le suivant que l'Université était «le visage du génocide».

En fait, le campement a incité l'université à réfléchir uniquement à ses droits en tant que propriétaire privé. C'est sur cette base, en citant la loi sur les violations de propriété, que la Cour supérieure de l'Ontario a fait droit à la demande de l'université d'expulser le campement, déclarant que «la protection des droits de propriété est si forte qu'il est possible d'accorder une injonction fondée uniquement sur le fait qu'il y a eu violation de propriété [...]»

La Cour a estimé que «l'Université a été dépossédée du campus Front en ce sens qu'elle n'y a plus accès et qu'elle n'en a plus le contrôle». Les droits de propriété privée de l'Université l'emportent donc sur tous les droits démocratiques de la Charte canadienne des droits et libertés. Malgré cette décision réactionnaire, le juge s'est senti obligé de noter qu'il n'avait trouvé aucune preuve à l'appui des affirmations ridicules de l'université et des organisations qui la soutiennent, qui accusent les étudiants protestataires de violence et d'antisémitisme.

La réponse au démantèlement violent du camp de McGill par SIRCO, une société de sécurité privée active à l'échelle mondiale, soutenue par la police, a suscité une réponse tout aussi pathétique de la part des forces politiques impliquées dans l'organisation et la direction du camp. Yves Engler, dont les précieuses révélations sur les crimes de l'impérialisme canadien dans le monde sont plus que minées par ses relations politiques tout à fait opportunistes avec le NPD et la promotion d'un nationalisme canadien «de gauche», a déclaré dans un article que McGill «ne peut pas faire taire les étudiants».

Le fait est que la véritable indignation face au génocide israélien, qui a motivé de nombreux étudiants à rejoindre les campements, a été en grande partie isolée, réduite au silence et étouffée. Ceci a été accompli par une combinaison de répression étatique impitoyable, l'étouffement de la lutte des classes par les syndicats, et l'impasse de la politique de protestation prônée par les organisateurs des campements.

Le seul moyen d'arrêter le génocide à Gaza est de rejoindre la lutte pour construire un mouvement de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste et le système capitaliste, la cause première du génocide et de la guerre. Pour les étudiants, cela signifie qu'il faut abandonner toute idée selon laquelle on peut faire appel aux administrateurs des universités et à leurs bailleurs de fonds dans les gouvernements capitalistes pour qu'ils changent leur façon de faire. Il faut au contraire se tourner résolument vers la classe ouvrière, dans les usines, les bureaux, les entrepôts, les dépôts de transit et autres lieux de travail, pour construire un mouvement puissant capable de stopper la production et la fourniture d'armes à Israël et d'arrêter net la machine de guerre des puissances impérialistes. Cette lutte ne peut être menée que sur la base d'une perspective socialiste et internationaliste.

(Article paru en anglais le 13 juillet 2024)

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