Le 24 janvier, lors d'une cérémonie sombre et émouvante, environ 200 personnes se sont réunies dans le parc de Washington Square, dans le sud de Manhattan, pour commémorer la vie des journalistes, des écrivains et des artistes assassinés lors du génocide israélien à Gaza.
La veillée aux chandelles était parrainée par la section new-yorkaise de Writers Against the War on Gaza (WAWOG – Écrivains contre la guerre en Palestine) et Al-Awda : The Palestine Right to Return Coalition (Coalition du Droit au retour des réfugiés palestiniens), et a donné lieu à des discours et à la lecture de lettres de Gaza et de poèmes palestiniens.
Créé au début de l'assaut israélien meurtrier contre la population de Gaza, WAWOG a lancé un appel le 26 octobre, signé par des milliers d'écrivains. En voici un extrait : «Nous soutenons fermement la population de Gaza, victime d'une guerre génocidaire que le gouvernement des États-Unis continue de financer et d'armer avec une aide militaire – une crise aggravée par la colonisation illégale et la dépossession de la Cisjordanie, ainsi que par l'assujettissement des Palestiniens au sein de l'État d'Israël.»
La lettre ouverte note également que «dans le monde entier, des écrivains et des travailleurs culturels sont victimes de harcèlement, de représailles sur leur lieu de travail et ont perdu leur emploi pour avoir exprimé leur solidarité avec la Palestine, que ce soit en exposant les faits relatifs à la poursuite de l'occupation ou en amplifiant la voix d'autres personnes. Il s'agit là de cas qui marquent de graves incursions dans les supposées protections de la parole».
Ce jeudi, les membres de WAWOG, dont l'écrivaine palestinienne Randa Jarrar, ont organisé une manifestation contre l’organisation par PEN America d'une lecture par la pro-sioniste Mayim Bialik à Los Angeles. WAWOG a commenté sur son fil Twitter/X, «Avec un aplomb libéral délirant, @PENamerica prétend à l'objectivité tout en offrant une plateforme aux sionistes génocidaires et en réduisant au silence les Palestiniens comme @randajarrar qui mettent en œuvre la “liberté d'expression” que PEN prétend défendre» et a noté que PEN America «est également resté silencieux sur l’attaque de journalistes par les FIO [Forces d'occupation israéliennes] et la censure des agences de presse de langue anglaise».
PEN America, l'organisation d'écrivains, tourne en dérision son objectif autoproclamé de défense de la liberté d'expression. Elle appuie notoirement la guerre par procuration menée par les États-Unis et l'OTAN en Ukraine, ainsi que la censure de la littérature russe par le gouvernement ukrainien d'extrême droite. Il est significatif que des écrivains mettent à nu le caractère pro-guerre et pro-impérialiste du groupe.
Lors de la veillée du 24 janvier, le World Socialist Web Site s'est entretenu avec Hussain Omar, codirigeant de la section new-yorkaise de l'association Writers Against the War on Gaza. Nous l'avons interrogé sur l'objectif de la veillée.
«Cette veillée a donc pour but de commémorer les écrivains, les poètes, les journalistes et les travailleurs culturels qui ont été tués, non seulement lors du récent génocide, mais aussi en remontant plusieurs décennies dans l'histoire, jusqu'aux moments fondateurs du sionisme lui-même. Nous sommes indignés par le manque d'attention envers ces morts dans les médias nationaux et internationaux, et nous sommes ici pour commémorer nos collègues. Les sionistes s’en prennent clairement aux journalistes et aux travailleurs culturels».
Nous lui avons demandé ce qu'il pensait de l'objectif des sionistes en assassinant tant de travailleurs culturels.
«Cela fait partie d'un projet en cours visant à rendre Gaza invivable», a déclaré Omar. «La Palestine, comme vous le savez, a un taux d'alphabétisation très élevé. La population est incroyablement instruite. Toutes les universités de Gaza ont été détruites. Évidemment, les journalistes sont tués pour que ces crimes ne soient pas révélés au monde entier.»
«Mais il y a un réel effort pour effacer non seulement le peuple qui fait la culture palestinienne. Les sites patrimoniaux importants en Palestine ont été détruits de manière délibérée et systématique au cours de cette guerre. Nous sommes ici pour exprimer, modestement, notre opposition à cette guerre. Nous utilisons les outils dont nous disposons, c'est-à-dire notre capacité à écrire et à faire un travail culturel, pour dire que trop c'est trop».
L'événement du 24 janvier s'est ouvert sur les remarques d'Ilana Cruger Zaken – chercheuse interdisciplinaire au Center for Experimental Humanities de l'université de New York et chercheuse affiliée au projet de langue juive – parmi lesquelles on peut citer les suivantes :
«Nous nous rassemblons, veillant ici en solidarité pour améliorer la vie des survivants [...] alors même que les dirigeants de cette ville, notre maire sioniste, se tiennent main dans la main avec le régime sioniste, alors même que l'histoire, les institutions culturelles de cette ville blanchissent le génocide. Le New York Times a abandonné sa section poésie et imprime des mensonges qui blanchissent le génocide dans ses pages remplies de bêtises. Le «92nd Street Y» a annulé sa série de poésie et accueille à la place les héritiers du génocide pour qu'ils puissent confortablement parler du génocide dans leurs salles de guerre.
«Malgré tout, nous sommes les écrivains, les artistes», a poursuivi Zaken. Nous répondons à l'appel du martyr Refaat al-Ar'eer, qui a écrit : «En fin de compte, rien de ce que font les Palestiniens ou ceux qui soutiennent la Palestine ne plaira à Israël ou au régime sioniste, et l'agression israélienne se poursuivra sans relâche. Le BDS [Boycott, Désinvestissement et Sanctions], la lutte armée, les pourparlers de paix, les manifestations, les tweets, les médias sociaux, la poésie, tout cela n'est que terreur pour Israël».
L'écrivaine américaine d'origine palestinienne Sarah Aziza a lu une lettre à un collègue poète sur l'angoisse du génocide. Elle a encore trois cousins qui survivent à Gaza. «Je suis obligée d'abattre les murs de mon imagination encore et encore, pour faire place à une dépravation toujours plus profonde. Je découvre à quoi ressemble un corps à la fois exsangue et écrasé. J'apprends combien de temps un bébé prématuré peut survivre sans chaleur. Je sais maintenant ce que l'on entend lorsqu'un orphelin de quatre ans décrit la guerre. J'entends mon père sangloter comme jamais auparavant».
Lylla Younes, poète, a lu le poème de l'Américain d'origine palestinienne Fady Joudah intitulé «[...]». Un autre poème de Joudah, portant le même titre, a été le dernier article publié dans le New York Times Magazine le 2 novembre par sa rédactrice en chef pour la poésie, Anne Boyer, juste avant qu'elle ne démissionne du Times en raison des «euphémismes macabres [...] des paysages d'enfer verbalement aseptisés [...] des mensonges bellicistes» du journal sur la Palestine.
L'un des vers du poème de Joudah lu par Younes est le suivant : «Trop d'enfants se sont trouvés sur le chemin de bombes d'une tonne, imprécises et précises, larguées 1001 fois durant la nuit des enfants. Ils ne pardonneront pas ce péché aux enfants».
Parmi les autres lecteurs, l'acteur palestinien Adam Bakri et l'écrivain et poète Chase Berggrun ont lu des extraits du grand poète palestinien Mahmoud Darwish.
Le public était silencieux et attentif aux paroles des écrivains. La réunion était riche en images, en sentiments et en pensées politiques d'un peuple opprimé. La plupart des participants, debout sous la pluie, étaient jeunes, et quelques-uns étaient des étudiants de l'Université de New York, toute proche. Le WSWS s'est entretenu avec l'un d'entre eux, Ricardo, pour connaître sa réaction à la veillée et son point de vue sur le génocide à Gaza.
WSWS : Que signifie, selon vous, le fait qu'Israël attaque des poètes, des artistes et des dramaturges, qu'il les ait battus, détenus et assassinés ? Quelle est la signification de cette attaque systématique ?
Ricardo : L'art, l'expression, la liberté, tout cela a beaucoup de sens. Ils sensibilisent le monde. Et [les sionistes choisissent] de continuer à supprimer cela, non seulement comme une forme de censure de l'information, de l'expression et de l'opinion, mais aussi de la culture, de l'histoire, de l'art et de ceux qui choisissent de les partager.
L'art a toujours été lié à l'activisme et aux mouvements de libération. Et ce qu’on voit est une pratique connue dans l’histoire de la répression […] la désignation de «terroristes» continuera à justifier les atrocités commises par l'État et la censure des journalistes, des artistes, des activistes et de ceux qui disent la vérité.
C'est une véritable parodie. Et nous devons faire très attention à la manière dont nous permettons [...] que ces récits soient imposés à tous ceux qui s'opposent à la violence de l'État.
WSWS : Que pensez-vous du rôle de Biden dans le génocide en cours ? Quelle est sa responsabilité ?
Ricardo : Eh bien, il est très complice. Il est un facilitateur. Il continue de financer ce génocide en usurpant le rôle du Congrès, qui est déjà prêt à financer ce génocide année après année. Biden est un sioniste convaincu depuis des décennies. C'est une chose qui a été très publiquement connue à son sujet et qui est une composante essentielle de son succès continu au sein du Parti démocrate.
Et il est très frustrant d'être coincé dans un système où les seules options politiques qui nous sont présentées par les partis majoritaires au pouvoir [...] sont toutes deux des partisans du génocide. Et Biden continue de se présenter comme un allié des peuples opprimés, de la libération et de l'amélioration sociale.
Mais on ne peut même pas prétendre s'intéresser à ces valeurs au niveau national si l'on continue d'envoyer autant d'argent, autant de couverture diplomatique à un État oppresseur, un État génocidaire. [...] C’est donc très frustrant de constater non seulement le rôle de Biden dans cette affaire, mais aussi celui de tous ses partisans et de toutes les personnes qui continuent à soutenir et à ne pas remettre en question cette présidence qui dit s’inscrire dans toutes ces valeurs d'égalitarisme, mais qui continue à agir de manière répréhensible à tant de niveaux.
(Article paru en anglais le 3 février 2024)