Le poète palestinien Refaat al-Ar’eer, professeur à l’université islamique de Gaza, a été assassiné de manière ciblée, avec son frère, sa sœur et quatre de leurs enfants, par les forces militaires israéliennes le 7 décembre. Ce crime odieux, qui s’inscrit dans le cadre du génocide en cours à Gaza, a suscité l’indignation dans le monde entier.
Dans le cadre du Festival de littérature de Palestine, un enregistrement vidéo de l’acteur vétéran Brian Cox lisant la dernière œuvre d’al-Ar’eer, If I Must Die, a été mis en ligne mardi après-midi. À l’heure où nous écrivons ces lignes, elle a été visionnée plus de 13 millions de fois sur la seule page X/Twitter du Festival de littérature de Palestine.
Le poème, écrit en anglais et daté du 1er novembre, se lit comme suit
If I must die,
you must live
to tell my story
to sell my things
to buy a piece of cloth
and some strings,
(make it white with a long tail)
so that a child, somewhere in Gaza
while looking heaven in the eye
awaiting his dad who left in a blaze—
and bid no one farewell
not even to his flesh
not even to himself—
sees the kite, my kite you made, flying up
above
and thinks for a moment an angel is there
bringing back love
If I must die
let it bring hope
let it be a tale.
Voici une proposition de traduction française du compte Youtube Alètheia :
Si je dois mourir,
Il faut que tu vives,
Pour raconter mon histoire,
Pour vendre mes affaires,
Acheter un bout de tissu,
Et quelques ficelles.
(Fais-le blanc et qu’il ait une longue traîne !)
Qu’ainsi un enfant, quelque part dans Gaza,
Tandis qu’il lèvera les yeux par-dessus le ciel,
Attendant son père parti dans un éclat,
– Et il n’a dit adieu à personne,
Pas même à sa chair,
Pas même à lui-même –
Puisse voir le cerf-volant,
Mon cerf-volant que tu auras fait,
Dans la hauteur au-dessus de sa tête,
Qu’il pense un instant qu’un ange est là,
Venu lui rapporter l’amour.
Si je dois mourir,
Qu’il en naisse de l’espoir,
Qu’il en reste une histoire.
Cox récite la courte pièce lentement et de manière émouvante.
Al-Ar’eer, né à Gaza en 1979, a obtenu une maîtrise à l’University College London en 2007 et un doctorat en littérature anglaise à l’université de Putra Malaysia en 2017, avec une thèse sur le poète anglais John Donne (1572-1631). Il est connu pour avoir édité deux livres, Gaza Writes Back et Gaza Unsilenced, et pour avoir contribué à plusieurs autres, dont Light in Gaza : Writing Born of Fire publié en 2022.
Al-Ar’eer a régulièrement contribué à des sites d’information palestiniens et de gauche, dont Electronic Intifada. Il a cofondé l’organisation We Are Not Numbers (Nous ne sommes pas des numéros), après la campagne militaire israélienne de 2014 «Operation Protective Edge», afin d’aider les jeunes Palestiniens qui ont survécu à s’en sortir. L’un de ses frères a été tué lors d’une frappe aérienne israélienne pendant la guerre de 2014.
Au lendemain de l’attaque du 7 octobre par les forces du Hamas, dans une interview accordée à la BBC, al-Ar’eer l’a décrite comme «exactement comme le soulèvement du ghetto de Varsovie». Comme l’a noté la BBC après sa mort, M. al-Ar’eer «a refusé de quitter le nord de Gaza après le début des opérations israéliennes dans la région». Deux jours avant sa mort, il a posté sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle on entendait un certain nombre d’explosions. «Le bâtiment tremble. Les débris et les éclats d’obus frappent les murs et volent dans les rues», a-t-il écrit.
Brian Cox a une longue carrière au théâtre, au cinéma et à la télévision. De formation classique, Cox a travaillé pour la Royal Shakespeare Company et le National Theatre dans les années 1980 et 1990. Parmi les nombreuses distinctions qu’il a reçues, citons deux Laurence Olivier Awards, un Primetime Emmy Award et un Golden Globe Award, ainsi qu’une nomination pour un British Academy Television Award.
Récemment, Cox s’est illustré dans la série populaire Succession, où il incarne le patriarche de la famille Roy, propriétaire rapace et destructeur d’un vaste conglomérat de médias et de divertissements.
En 2021, Cox a été l’un des 16.000 artistes à signer la «Lettre contre l’apartheid», qui dénonçait la politique israélienne. La lettre commence ainsi : «Les Palestiniens sont attaqués et tués en toute impunité par des soldats israéliens et des civils israéliens armés qui parcourent les rues de Jérusalem, Lydda, Haïfa, Jaffa et d’autres villes en scandant “Mort aux Arabes”. Plusieurs lynchages de Palestiniens non armés et non protégés ont déjà eu lieu au cours des deux dernières semaines».
Le massacre de plus de 20.000 Palestiniens à Gaza horrifie des millions de personnes dans le monde entier. Alors que les médias américains et britanniques prétendent que le public est plus ou moins uni derrière les gouvernements et leur soutien au génocide, à l’exception d’une poignée de «partisans du terrorisme», la réalité est tout autre. L’actuelle campagne d’assassinat de type nazi ainsi que d’autres processus sociaux et économiques creusent un fossé immense et infranchissable entre les élites dirigeantes et la masse de la population.
Les artistes, comme beaucoup d’autres, sont profondément troublés par les événements. Des milliers d’entre eux ont signé des lettres ouvertes, lancé des appels et fait des déclarations publiques pour s’opposer à la destruction de Gaza par Israël. Cox parle au nom des meilleures couches de l’intelligentsia qui entrent en conflit avec les réalités insupportables du capitalisme moderne.
Les autorités américaines et occidentales en général ont lancé une chasse aux sorcières désespérée et grossière à l’encontre de ceux qui s’opposent au génocide sur les campus, dans l’industrie du divertissement et ailleurs.
On peut donc se poser la question suivante : Brian Cox sera-t-il traîné devant une audience du Congrès ? L’acteur sera-t-il dénoncé comme «antisémite», au même titre que les millions de spectateurs qui ont visionné sa lecture de If I Must Die ? Sa carrière sera-t-elle «annulée» ? McDonald’s va-t-il désormais écarter Cox qui est actuellement sa voix publicitaire ? Succession sera-t-elle retirée des plateformes de streaming ?
(Article paru en anglais le 14 décembre 2023)