L’école d’éducation Steinhardt de l’université de New York a organisé, de février à juin, une série d’«ateliers antiracistes» réservés exclusivement aux Blancs, ce qui s’apparente dans les faits à une pratique discrète de ségrégation dans une grande université américaine.
Le programme en ligne, organisé par l’Education Justice Research and Organizing Collaborative (EJ-ROC) au NYU Metro Center, était décrit sur une page qui a depuis été retirée du site web de la NYU comme «conçu spécifiquement pour les parents blancs des écoles publiques de la ville de New York».
Toute personne ayant ne serait-ce qu’une vague familiarité avec le mouvement des droits civiques et la lutte contre la ségrégation dans le Sud des États-Unis devrait immédiatement reconnaître la contradiction fondamentale entre les expressions «réservé aux Blancs» et «antiraciste». Compte tenu de ce paradoxe apparemment évident, le lecteur pourrait être pardonné de supposer que les organisateurs ignorent tout simplement cette histoire ou qu’ils sont autrement très confus.
Mais l’université de New York n’a pas approuvé ce programme par hasard, et cette série d’ateliers n’est pas le fait de quelques personnes mal intentionnées. Elle démontre que la logique de la politique identitaire – la politique de la classe moyenne en matière d’identité raciale, de genre, d’orientation sexuelle et ainsi de suite – n’est pas d’éliminer les préjugés, mais de les consacrer en tant qu’axe central de la société.
Dans une vidéo divulguée de la première session, un parent présent déclare: «Je ne suis pas tout à fait convaincu qu’il soit si important de se réunir uniquement entre Blancs... Cela me semble un peu contre-intuitif». «L’objectif est de créer un espace où nous pouvons parler de notre racisme les uns avec les autres, répond Barbara Gross, directrice associée de l’EJ-ROC, sans accabler les personnes de couleur dans nos vies. Les personnes de couleur sont confrontées au racisme en permanence, ajoute-t-elle. C’est un préjudice supplémentaire pour eux que d’entendre nos pensées racistes».
L’EJ-ROC a également fait circuler une brochure d’une autre organisation, l’Alliance of White Anti-Racists Everywhere-Los Angeles (AWARE-LA), qui affirme qu’«un espace blanc sert de ressource aux personnes de couleur qui veulent travailler avec des Blancs mais ne veulent pas avoir à dépenser toute leur énergie pour faire face au racisme des Blancs».
L’idée que les «Blancs» sont intrinsèquement racistes et que, par conséquent, les «personnes de couleur» doivent être protégées de leurs «pensées racistes» est tout à fait réactionnaire et sert à légitimer la conception d’extrême droite selon laquelle les différentes «races» humaines s’opposent de façon irréconciliable les unes aux autres.
La brochure d’AWARE-LA justifie sa pratique ségrégationniste par des citations de personnalités et d’organisations nationalistes noires des années 1960. Elle cite une interview de Malcolm X réalisée par Jack Barnes et Barry Sheppard et publiée dans Young Socialist en 1965:
Les Blancs qui sont sincères devraient s’organiser et trouver des stratégies pour faire tomber les préjugés qui existent dans les communautés blanches. C’est là qu’ils peuvent agir plus intelligemment et plus efficacement, dans la communauté blanche elle-même, et cela n’a jamais été fait.
Young Socialist était une publication de la Young Socialist Alliance, le groupe des jeunesses du Socialist Workers Party (SWP). Le SWP a rompu avec le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) – la Quatrième Internationale fondée par Léon Trotsky, qui publie aujourd’hui le World Socialist Web Site – en 1963. En rompant avec le Comité international, le SWP a capitulé devant le pablisme, une tendance révisionniste apparue au sein de la Quatrième Internationale après la Deuxième Guerre mondiale, qui rejetait le programme de la révolution socialiste mondiale et excluait la classe ouvrière en tant que force révolutionnaire.
Le prédécesseur du Socialist Equality Party (SEP) aux États-Unis, la Workers League, a été fondé par des membres du SWP qui ont lutté contre la capitulation honteuse du SWP face au pablisme et à l’opportunisme national. Le document Les Fondations historiques et internationales du Parti de l’égalité socialiste résume cette période:
L’opposition croissante à la guerre du Vietnam parmi les masses étudiantes, l’irruption de manifestations violentes d’ouvriers et de jeunes afro-américains dans les grandes villes ainsi que les grèves déterminées menées par d’importantes sections de la classe ouvrière constituaient des indications de la crise du capitalisme américain. Le Socialist Workers Party, répudiant son héritage trotskiste, répondit à ces développements en s’adaptant aux tendances petites-bourgeoises qui dominaient ces mouvements. Son opportunisme trouva son expression dans sa promotion du nationalisme noir comme un substitut à la lutte pour l’unité de la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste. L’adoption par le SWP du nationalisme noir, y compris l’exigence d’une nation noire séparée, reflétait son refus de considérer la classe ouvrière américaine comme une force révolutionnaire. Cette perspective mettait en évidence l’influence de la Nouvelle Gauche, qui tirait une grande part de son inspiration théorique des conceptions antimarxistes de Herbert Marcuse, un représentant influant de «L’école de Francfort» qui caractérisait la classe ouvrière comme un élément «proto-fasciste» au sein de la société américaine.
La politique identitaire moderne, qui est la pierre angulaire du programme d’études de l’université de New York et de la stratégie électorale du Parti démocrate, est née de ce mélange de postmodernisme et de nationalisme noir, combiné à la promotion d’une politique fondée sur l’identité sexuelle et de genre.
Au cours des cinquante dernières années, la politique identitaire et la discrimination positive ont servi de mécanismes permettant à de petites fractions de groupes traditionnellement marginalisés d’accéder à la classe moyenne supérieure.
Lors d’une conférence à l’université d’été 2021 du PES (États-Unis), Les fondements idéologiques de la «théorie critique de la race», Tom Carter a décrit avec précision la réalité de la politique identitaire de la classe moyenne supérieure et le type d’«ateliers antiracistes» que l’EJ-ROC a organisé à l’université de New York:
Il y a pas mal d’argent à faire pour ceux qui misent sur ces absurdités tendancieuses. [Robin] DiAngelo elle-même a récemment demandé 12.000 dollars pour un seul séminaire à l’Université du Kentucky et 20.000 dollars pour un atelier de trois heures et demie à l’Université du Connecticut. Elle facture généralement entre 10.000 et 15.000 dollars par événement. Tim Wise, auteur du livre «Blanc comme moi» (White Like Me), demande également des honoraires de 10.000 à 20.000 dollars...
Ces «ateliers» coûteux pour Blancs seulement ressemblent étrangement aux «thérapies de conversion des homosexuels» pratiquées par les fondamentalistes chrétiens: la blancheur, comme l’homosexualité, ne peut jamais être complètement purgée, mais peut seulement être méditée comme une source perpétuelle de honte et de culpabilité pour la personne qui a eu la malchance de naître dans un tel état de péché.
La ségrégation raciale n’est pas étrangère à l’université de New York. Il y a trois ans, un petit groupe d’étudiants appelé les Black Violets a fait circuler une pétition réclamant des «logements pour étudiants noirs» et un «espace sûr» libéré du fardeau constant d’«éduquer leurs pairs mal informés sur le racisme».
L’administration de l’université a accueilli chaleureusement la proposition de logements séparés en dépit d’un nombre relativement faible de signataires sur la pétition, et des chambres ont été réservées exclusivement aux Noirs avec la création de la Black Violets Themed Engagement Community, à la résidence Brittany Hall.
Il ne fait aucun doute qu’il y a de nombreux étudiants à l’université de New York qui sont animés d’un véritable désir de changer la société et qui entrent en contact avec les politiques identitaires – et, tout aussi certainement, que beaucoup d’entre eux ressentent instinctivement qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette politique. Mais il est impossible de répondre aux revendications de la politique identitaire ou de s’y opposer sur une base progressiste sans une compréhension historique de ses racines. C’est pourquoi la clarification de ce qu’est la politique identitaire, son exposition et la lutte contre elle constitue un aspect central du travail du groupe de l’International Youth and Students for Social Equality (IYSSE) à l’Université de New York.
En 2019, l’IYSSE de NYU a organisé une réunion publique intitulée «Race, Class, and the Fight for Socialism» en opposition au Projet 1619 du New York Times et à sa falsification racialiste de l’histoire tant américaine que mondiale. David North a résumé le Projet 1619 lors de l’université d’été 2023 du SEP:
Consacrant d’énormes ressources à ce projet, le journal de la grande entreprise bourgeoise le plus influent des États-Unis – le fleuron médiatique de l’État américain, des agences de renseignement et de l’establishment universitaire – a annoncé qu’il entamait une révision fondamentale du récit de l’histoire américaine. La Révolution américaine et la guerre de Sécession ne devaient plus être considérées comme des événements historiques progressistes. Le Projet 1619 démontrerait de manière décisive que la Révolution était une rébellion désespérée et cynique de propriétaires d’esclaves, déterminés à contrecarrer les efforts de l’Empire britannique et de l’héroïque Lord Dunmore pour faire avancer la cause de l’émancipation.
Le World Socialist Web Site a pris la tête de l’opposition au Projet 1619 et a publié des interviews d’un certain nombre d’historiens éminents. Sans les conquêtes progressistes de la Révolution américaine et de la guerre de Sécession, explique le WSWS, il ne saurait être question de révolution socialiste aujourd’hui.
Nikole Hannah-Jones, l’auteure principale du Projet 1619, a été invitée à la hâte pour apparaître aux côtés du président de la NYU Andrew Hamilton lors d’une activité organisée la veille de la réunion de l’IYSSE. Clairement cette activité avait été organisée en réaction directe au travail de l’IYSSE.
La réponse paniquée de l’administration de l’Université de New York au travail de l’IYSSE reflète le désespoir du Parti démocrate et de la classe dirigeante en général. Comme expliqua alors Carter: «La volte-face [de la classe dirigeante] consistant à adopter le sectarisme racial est tant myope que désespérée. Incapables de lancer un appel populaire sur la base d’une véritable amélioration des conditions de vie et de travail pour la masse de la population, les Démocrates doivent recourir à des appels émotionnels à diverses formes de préjugés, d’envie et de méfiance. Mais le discours incessant sur le 'privilège blanc' et la 'fragilité blanche'... aura pour effet de pousser les travailleurs dans les bras de l’extrême droite et, en fait, de saper la véritable lutte pour dénoncer et éliminer les préjugés.»
Le marxisme insiste sur le fait que l’histoire de la société humaine est l’histoire de la lutte des classes et que l’avenir dépend de la capacité de la classe ouvrière à renverser la classe capitaliste et à établir une société socialiste.
Comme écrit Trotsky dans Programme de transition, le document fondateur de la Quatrième Internationale: «La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire», c’est-à-dire à la construction d’un parti révolutionnaire capable de mener la classe ouvrière au pouvoir.
À l’opposé, le postmodernisme nie l’existence de l’objectivité de l’histoire, et la politique identitaire se concentre sur les expériences subjectives des personnes de diverses identités. Ces idéologies irrationnelles reflètent les efforts de la classe dirigeante pour détourner la véritable opposition sociale vers l’impasse du réformisme, qui transforme invariablement ses adhérents en partisans exaltés du capitalisme et de l’impérialisme.
Par-dessus tout, la promotion de préjugés par la classe dirigeante sert à saper les efforts organiques de la classe ouvrière en faveur de son unité. La science a depuis longtemps réfuté le concept de la «race» en tant que catégorie biologique, mais le racisme et les préjugés persistent précisément parce que la classe dirigeante les considère comme des outils utiles pour saper la solidarité de la classe ouvrière et elle en fait la promotion intentionnellement à coups de millions et de millions de dollars. C’est là que réside l’importance du fait que les ateliers de l’EJ-ROC ciblaient les parents envoyant leurs enfants à l’école publique.
Le célèbre slogan du Manifeste du Parti communiste est bien «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!», et non pas «Races du monde, divisez-vous!» Les étudiants de l’Université de New York qui souhaitent vraiment lutter contre la réaction et pour la transformation socialiste de la société doivent contacter l’IYSSE à l’Université de New York et rejoindre ses rangs.
(Article paru en anglais le 13 août 2023)