Ottawa et Québec cherchent à bloquer l’entrée de migrants au Canada par le chemin Roxham

La classe dirigeante au Québec intensifie sa campagne anti-immigrante pour exiger la fermeture immédiate du chemin Roxham, une route de campagne située à la frontière américaine à 60 km au sud de Montréal et empruntée depuis plusieurs années par des dizaines de milliers de migrants qui viennent demander l’asile politique au Canada.

En provenance de pays appauvris d'Amérique latine, du Moyen-Orient et d'Afrique, ces migrants risquent parfois leurs vies en coupant à travers bois sous des températures glaciales car il leur est impossible, en vertu de l'Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, d'entrer «légalement» par un poste frontalier régulier, sous peine d'être automatiquement refoulés aux États-Unis.

Le gouvernement fédéral du parti libéral de Justin Trudeau cherche, de son côté, à bloquer l'entrée aux migrants par des moyens «légaux» en renégociant l'Entente sur les tiers pays sûrs avec Washington pour étendre son application aux voies de passage dites «irrégulières», comme le chemin Roxham.

Manifestation contre l’accord réactionnaire entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs (Photo: David Asper, Centre for Constitutional Rights) [Photo: David Asper Centre for Constitutional Rights ]

Dans le cadre de l’agitation xénophobe autour du chemin Roxham, Jean-François Lisée, ex-chef du Parti québécois devenu chroniqueur en vue dans la presse capitaliste, a déclaré: «On garde tous les francophones et ceux qui ont de la famille immédiate au Québec et les autres, on les met dans un bel autobus (…) et on les emmène à Ottawa».

Lisée, qui a joué un rôle central pour attiser le chauvinisme anti-immigrant au Québec, calque ses propositions sur les représentants d'extrême-droite de la classe capitaliste américaine, comme Greg Abbott et Ron de Santis. Ces gouverneurs républicains, du Texas et de la Floride respectivement, ont déporté des centaines de migrants en autobus ou en avion pour les abandonner comme du bétail dans des États démocrates, sans même avertir les autorités sur place ou les organismes d’aide aux réfugiés.

Mathieu Bock-Côté, chroniqueur vedette du Journal de Montréal, un tabloïde proche des nationalistes québécois et contrôlé par le richissime Pierre Karl Péladeau, reprend les clichés d'extrême-droite. Dans l'une de ses nombreuses diatribes contre les migrants de Roxham, il écrit que des «masses humaines se mettent en mouvement vers l'Occident». Dans un appel à peine voilé aux éléments ultra-droitiers à s'en prendre physiquement au premier ministre, il a appelé à ce que le chemin Roxham soit renommé le «chemin Trudeau».

Les propos fascisants de Lisée, Bock-Côté et cie, tout comme l'agitation anti-immigrante de toute la classe dirigeante québécoise dont ils sont le produit, visent à défendre un ordre capitaliste en décrépitude. Se sentant menacée par les luttes montantes des travailleurs, la classe dirigeante au Québec et au Canada, comme partout dans le monde, se tourne vers le chauvinisme pour blâmer les immigrants pour la crise sociale causée par le capitalisme et diviser la classe ouvrière sur des lignes ethniques et linguistiques.

L’actuel chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a pressé le gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec) de déployer la police provinciale (Sûreté du Québec) pour fermer le chemin Roxham si le gouvernement fédéral n'intervient pas «dans les plus brefs délais» pour suspendre l'Entente sur les tiers pays sûrs.

Une telle intervention provoquerait une crise constitutionnelle dans laquelle les nationalistes québécois intensifieraient la campagne déjà lancée par la CAQ pour le rapatriement de tous les pouvoirs en matière d'immigration aux provinces. De telles crises sont utilisées pour renforcer le nationalisme et diviser les travailleurs francophones de leurs frères et sœurs de classes anglophones et immigrants au Canada et internationalement.

Le chef de la CAQ et actuel premier ministre du Québec, François Legault, s'est contenté de dire que c'est le fédéral qui gère les frontières et qu'il devrait renégocier l'Entente sur les tiers pays sûrs. Pendant ce temps, son gouvernement continue de courtiser et d’encourager l'extrême-droite, désignant constamment les migrants d’«irréguliers» et exigeant la fermeture de ce point d'entrée au Canada qu’il qualifie de «passoire».

Depuis plus d'une décennie, tous les partis de l'establishment politique québécois ont rivalisé entre eux pour attiser les préjugés envers les immigrants et les minorités culturelles.

La CAQ a mis le chauvinisme au centre de sa politique gouvernementale, faisant successivement adopter la loi 9, qui introduit des critères «culturels» dans le processus de sélection des immigrants; la loi 21, qui vise en particulier les femmes de confession musulmane en interdisant aux enseignants de porter des signes religieux tout en défendant le «patrimoine catholique» du Québec; et la loi 96, qui cherche à diviser la classe ouvrière selon des lignes ethnolinguistiques.

Le Parti québécois, le parti de la classe dirigeante qui a gouverné en alternance pendant une longue période, a aussi joué un rôle central dans ce tournant chauvin anti-immigrant. Tandis que St-Pierre Plamondon blâme les migrants du chemin Roxham comme la cause des «problèmes sociaux», c'est le PQ lui-même qui a passé plusieurs mandats à attaquer le droit de grève des travailleurs et à couper des milliards en éducation et en santé au nom du «déficit zéro».

Après l’imposition de ce féroce programme d’austérité qui lui a coûté une bonne partie de sa base électorale ouvrière, le PQ s'est tourné vers un virulent chauvinisme anti-immigrant. Ceci comprenait entre autres: la proposition que les immigrants échouant un test de connaissance du français perdraient certains droits politiques dans le cadre d’une citoyenneté québécoise; la défunte «Charte des valeurs québécoises» qui aurait interdit à tous les employés de l’État de porter des signes religieux «ostentatoires» avec des exceptions pour les croix catholiques «discrètes»; la suggestion de Lisée que les femmes musulmanes portant le niqab ou la burka en public pourraient avoir des AK-47 cachés dessous; et la proposition de St-Pierre Plamondon aux dernières élections que le Québec réduise le seuil d'immigration à 35.000 sous le prétexte qu’une immigration «excessive» pose une menace à la société québécoise et à ses valeurs.

Le Parti libéral du Québec (PLQ) d’orientation fédéraliste, l'autre parti en alternance de la classe dirigeante, a fait adopter de son côté la loi 62, qui prive les femmes portant le voile intégral de donner ou recevoir des services publics, y compris des soins de santé – disposition qui a été subséquemment intégrée à la loi 21 de la CAQ.

Quant à Québec Solidaire (QS), le parti soi-disant «de gauche» qui représente des sections aisées de la classe moyenne, son principal dirigeant Gabriel Nadeau-Dubois, a déploré que Legault et St-Pierre Plamondon «nous parlent d’Europe pour parler du Québec» mais «oublient de mentionner qu’en Europe, les partis modérés ont essayé de freiner la montée des partis xénophobes en copiant leur discours» et «ont plutôt normalisé les extrêmes».

C'est en partie vrai. Mais ce que Nadeau-Dubois omet de dire est que les partis de la pseudo-gauche «cousins» de QS en Europe – comme PODEMOS en Espagne ou SYRIZA en Grèce – ont soit attaqué les immigrants lorsqu'ils ont été au pouvoir, soit collaboré avec les partis de l'establishment politique dit «modérés» pour le faire. Au Québec, QS a pleinement «normalisé les extrêmes», qualifiant de «légitimes» les projets de lois et commentaires chauvins, se plaignant seulement qu’ils pouvaient parfois aller «trop loin».

Quant au gouvernement fédéral de Trudeau, sa pose d'«ouverture» envers les migrants est hypocrite. La politique d'immigration canadienne, qui a déjà reçu les félicitations de Trump, est hautement restrictive et n'est pas motivée par une quelconque obligation humanitaire envers les réfugiés. Elle est plutôt régie par les intérêts de profits de la grande entreprise canadienne, qui exploite des centaines de milliers de travailleurs temporaires dans des secteurs à bas salaires, comme l'agriculture ou les abattoirs. De plus, le gouvernement Trudeau a déporté des dizaines de milliers de migrants et s'est assuré de n'accepter qu'une infime minorité de demandes d'asile.

Une grande partie des migrants passant par le chemin Roxham proviennent de pays – l'Afghanistan, l'Irak, la Libye, la Syrie et Haïti – qui ont été dévastés par les guerres et interventions menées ces dernières décennies par les États-Unis avec le soutien actif d'Ottawa. Ils proviennent aussi de régions, comme l'Amérique latine, où les conditions sociales ont été ravagées par les demandes incessantes pour plus d'austérité provenant des institutions impérialistes, que le Canada contrôle en partie, comme le Fonds monétaire international.

Selon des fuites, Washington aurait accepté, dans des négociations encore tenues secrètes, d’étendre la portée de l'Entente sur les tiers pays sûrs. Mais il attend assurément quelque chose en retour. Avec l’escalade de la guerre en Ukraine, que Washington a planifiée pendant des années avec la pleine complicité d'Ottawa, les États-Unis viseront probablement à ce que le Canada, qui a déjà livré des quantités massives d'armes à l'armée ukrainienne, fasse encore plus «sa part» dans l'agression militaire contre la Russie et dans l'offensive diplomatique et militaire contre la Chine.

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