Les révélations sur la fraude journalistique à l'hebdomadaire allemand Der Spiegel a permis de lever le voile sur la manipulation de l'opinion publique par les médias faisant soi-disant « autorité ». Alors que Facebook, Google, Twitter et d’autres réseaux sociaux censurent systématiquement les publications inopportunes, les informations prétendument «fiables» et «objectives» des médias traditionnels s’avèrent être de la propagande, produite en coopération avec l'État et visant à promouvoir les intérêts de la classe dirigeante.
Au nom de la lutte contre les «fausses nouvelles», on est en train de détruire la liberté de la presse et la liberté d’opinion.
La semaine dernière, les rédacteurs en chef du Spiegel, le plus important tirage parmi les magazines allemands d'actualités, ont avoué (article en anglais) avoir publié 55 articles « totalement ou partiellement inventés, falsifiés, contrefaits » du journaliste Claas Relotius.
Relotius a également écrit de nombreux articles pour d'autres publications allemandes.
Depuis cet aveu public des rédacteurs en chef du Spiegel, la rédaction du magazine s'est efforcée de présenter le scandale Relotius comme un cas unique dans lequel s’étaient conjugués le génie, le désir de prestige, l’énergie nihiliste et l’instabilité psychologique. Selon la presse, le Spiegel aurait assuré des soins psychologiques et un avocat au faussaire, qui a démissionné de son propre gré après avoir été démasqué.
Relotius est peut-être une exception par l’effronterie de ses contrefaçons, mais la question beaucoup plus importante est de savoir pourquoi ses fabrications ont été publiées par le Spiegel et d'autres organes de presse et pourquoi il a reçu de nombreux prix journalistiques. À l'âge tendre de 33 ans, Relotius avait reçu près d'une douzaine de prix prestigieux, octroyés par des jurys où siégeaient non seulement des journalistes, mais encore des personnalités de la vie politique et publique.
Ses contrefaçons étaient, en fin de compte, assez transparentes. La rédaction du Spiegel a ignoré à plusieurs reprises les anomalies comme les avertissements. Maintenant, il admet avec une franchise désarmante que les reportages de Relotius étaient «trop beaux pour être vrais».
Quelle est la signification de ce scandale? Selon les commentateurs, bien que les reportages de Relotius aient été faux, ils restaient «beaux», c’est-à-dire qu’ils correspondaient au récit que les rédacteurs en chef et les jurys des prix journalistiques désiraient divulguer. Dans son écriture, «le présent est concentré dans un format lisible, les grandes lignes de l'histoire contemporaine deviennent compréhensibles, et tout d’un coup l’ensemble devient absolument et humainement compréhensible», a déclaré Ullrich Fichtner, rédacteur en chef du Spiegel. Tant que les faux n'étaient pas découverts, ils étaient les bienvenus.
De nombreux articles de Relotius traitent de sujets particulièrement sensibles du point de vue de la propagande bourgeoise, tels que le contexte de la montée de Trump aux États-Unis et les guerres en Irak et en Syrie.
Pour justifier les interventions militaires occidentales au Moyen-Orient, un conte de fées de Relotius sur deux jeunes frères (de «jeunes lionceaux») kidnappés, torturés et formés par l'État islamique pour devenir des kamikazes, s'est avéré bien plus efficace qu'un article soigneusement recherché montrant les coulisses réelles de ces guerres. Un tel article devrait admettre – s’il était honnête – que le groupe État islamique et d’autres milices islamistes sont avant tout les produits des intrigues des États-Unis et de leurs alliés dans l’OTAN et au Moyen-Orient.
Les fabrications de Relotius s'inscrivent parfaitement dans le flot de désinformation qui dure depuis près de 16 ans – depuis que le secrétaire d'État américain Colin Powell a prononcé à l'ONU son discours infâme sur les armes de destruction massive irakiennes. Bien que tout le discours fût basé sur des mensonges et des faux, il fut largement accepté sans aucun discernement par les médias internationaux et servit de justification à la guerre la plus sanglante du XXIe siècle, qui se poursuit encore de nos jours.
La liberté de la presse est une réalisation de la révolution bourgeoise. La bourgeoisie l'a maintenue tant qu'elle luttait contre l'aristocratie et l'a ensuite inscrite dans ses constitutions. Tant que le capitalisme fut capable de compromis social, de telles libertés gardèrent une étincelle de vie. Mais la liberté de la presse n’est pas compatible avec la guerre, le militarisme et une société fondée sur d’intolérables inégalités sociales.
Dans les années 1970, on célébrait et honorait encore Bob Woodward et Carl Bernstein qui ont révélé le scandale du Watergate. Aujourd'hui, Julian Assange et Edward Snowden, qui ont révélé des crimes incomparablement plus graves de l'impérialisme américain, sont isolés, vivent dans l'exil forcé et doivent craindre pour leur vie. Des faussaires révoltants comme Relotius, en revanche, reçoivent des prix.
La relation incestueuse entre le monde politique et les médias a pris des mesures défiant toute description. Des conglomérats de médias pesant de milliards de dollars dominent la presse. Les journalistes et les principaux politiciens se connaissent, se rencontrent dans les mêmes bars et folâtrent aux côtés de stars de cinéma et autres célébrités aux galas de presse annuels.
Comme pour les partis de l’establishment politique, les termes de «gauche» et de «droite» ont perdu tout leur sens par rapport aux médias. Stefan Aust, ancien rédacteur en chef du Spiegel, qui a débuté sa carrière en 1966 à la publication de gauche konkret, est aujourd'hui rédacteur en chef de Die Welt, le journal phare de la maison d'édition de droite Springer.
Nikolaus Blome, rédacteur en chef adjoint du torchon de Springer, Bild, a travaillé un temps pour le rédacteur en chef du Spiegel. D’autres journalistes influents passent eux aussi régulièrement d’une publication à l’autre, et c’est le journal taz pro-Verts qui s’avère être le terreau le plus fertile pour futurs journalistes bourgeois.
Relotius a lui aussi publié ses articles dans l’ensemble des médias allemands – du taz à Die Welt de Springer en passant par Die Zeit, le Süddeutsche Zeitung et le Frankfurter Allgemeine Zeitung. En deuxième position derrière le Spiegel pour ce qui est du nombre d’articles publiés par Relotius, on trouve, avec 28 articles, le Weltwoche suisse, porte-voix du Parti populaire suisse d'extrême droite.
La réalité sociale, les sentiments et les besoins des masses n'existent pour ainsi dire pas dans le milieu fermé des partis politiques, des médias et des super-riches. Les médias sont devenus des instruments de la propagande d'État. C'est la raison pour laquelle Claas Relotius – une version contemporaine de Felix Krull, l'imposteur de Thomas Mann – pouvait devenir un journaliste vedette.
Les travailleurs et les jeunes se méfient depuis longtemps des médias officiels et recherchent sur Internet des sources d'informations d’alternative et plus objectives. C'est la raison de la campagne hystérique contre les «fausses nouvelles» qui sert de prétexte à la censure d'Internet, dirigée surtout contre les publications de gauche, anticapitalistes. Tant l'Union européenne que le gouvernement allemand ont promulgué des lois de censure de l'Internet sous le pavillon frauduleux de la lutte contre les «fausses nouvelles». Facebook emploie à lui seul 30 000 personnes pour censurer les commentaires indésirables. Des termes tels que «camarade» et «frère» suffisent pour supprimer un commentaire.
Cette censure, particulièrement dirigée contre le World Socialist Web Site, montre à quel point il est important de renforcer et de diffuser le site wsws.org. En tant qu'organe central du Comité international de la Quatrième Internationale, il est totalement indépendant de donateurs bourgeois et de l'influence des gouvernements. Il appelle les choses par leur nom, analyse les faits avec une implacable objectivité et se bat pour armer la classe ouvrière d’une compréhension de la crise capitaliste et d'une perspective socialiste.
(Article paru en anglais le 31 décembre 2018)