La poussée
militariste des États-Unis menace de déstabiliser
l'Arabie saoudite
Par Jean Shaoul
Le 8 octobre 2001
La semaine dernière, le secrétaire à
la Défense Donald Rumsfeld est allé en Arabie saoudite,
le principal allié de Washington au Moyen-Orient, afin
d'attiser le soutien à la poussée militariste des
États-Unis contre l'Afghanistan.
Le régime saoudien a exprimé la crainte que
son soutien aux plans belliqueux des États-Unis en Asie
centrale, combiné avec le profond ressentiment des masses
arabes pour le soutien américain à Israël,
son allié qui exerce une brutale répression contre
l'intifada en Palestine depuis plus d'un an, puisse déclencher
une explosion sociale et le renverser.
Bien que l'Arabie saoudite ait soutenu publiquement la campagne
contre le terrorisme dirigée par les États-Unis,
ses dirigeants ont refusé de permettre au Pentagone de
lancer des frappes aériennes depuis son territoire contre
l'Afghanistan. Ce refus est survenu quelques jours seulement
après que le lieutenant-général Charles
F. Wald, commandant en chef de la US Air Force a déménagé
son quartier général de la Caroline du Sud à
l'Arabie saoudite afin de planifier les frappes aériennes
depuis un poste de commandement situé à la base
aérienne du prince sultan d'Al Kharj qui est à
un peu plus de 100 kilomètres de la capitale Riyad.
L'administration Bush a été rebutée par
ce refus. Apparemment, le Pentagone ne s'est même pas embarrassé
de demander la permission auprès des dirigeants saoudiens.
Partant du principe que leurs avions décollent quotidiennement
des bases saoudiennes pour faire respecter la zone d'interdiction
aérienne en Irak, les militaires américains ont
pensé qu'ils pouvaient également les utiliser pour
mener leurs opérations militaires dans la présente
campagne. Mais sans même la feuille de vigne qu'aurait
été une résolution des Nations Unies pour
soutenir l'assaut contre l'Afghanistan, Riyad ne s'est pas senti
prêt à faire face à la colère de ses
voisins arabes et du peuple saoudien.
Malgré l'importance de l'Arabie saoudite dans les intérêts
stratégiques à long terme de Washington dans cette
région, la crise actuelle a démontré combien
l'administration Bush fait preuve d'improvisation dans ses politiques.
Les États-Unis n'ont pas d'ambassadeur d'expérience
à Riyad depuis que le dernier nommé par Clinton
a quitté son poste en plein mandat. L'actuel ambassadeur,
Robert W. Jordan, un ancien avocat défenseur des pétrolières
et ami de la famille Bush originaire de Houston, est inexpérimenté.
Il a été nommé le 12 septembre, soit le
lendemain des attaques.
Au cours de sa première visite en tant que secrétaire
à la Défense, Rumsfeld a bien fait attention d'adopter
un ton conciliant. Conscient des sensibilités de la région
et de la faiblesse du soutien saoudien, il a souligné
que le soutien apporté aux États-Unis pouvait prendre
plusieurs formes selon les différents pays et que l'assistance
militaire de tous les membres de la « coalition contre
le terrorisme » n'était pas nécessairement
requise.
Rumsfeld semble avoir établi une sorte de mode opératoire
grâce auquel les États-Unis obtienne le soutien
dont ils ont besoin de l'Arabie saoudite tant et aussi longtemps
qu'il n'est pas étalé en public. Refusant de rentrer
dans les détails à propos du contenu des pourparlers,
Rumsfeld a dit qu'il ne se préoccupait pas d'obtenir l'autorisation
d'utiliser les bases saoudiennes pour la campagne militaire.
« Ce type de choses s'arrange tout seul », a-t-il
déclaré. Le prince sultan, qui est également
le ministre de la défense saoudien, a réfuté
la suggestion que les États-Unis auraient demandé
d'utiliser les bases aériennes de son pays en déclarant
que la question n'a pas été discutée.
Autrement dit, Washington doit s'assurer que ses actions militaires
sont entreprises de façon à ne pas embarrasser
ses alliés saoudiens. Dans ce contexte, il est bon de
remarquer que le gouvernement saoudien a toujours soutenu en
public qu'il ne permettait pas aux États-Unis de lancer
des opérations militaires contre l'Irak depuis ses bases
orientales, les vols d'interdiction en Irak étant effectués
sous l'égide des Nations Unies. Or de nombreuses preuves
corroborent le fait que des avions de combat américains
et britanniques ont lancé des attaques depuis les bases
occidentales de l'Arabie saoudite. De plus, l'ONU a abandonné
sa résolution de 1992 relative à la zone d'interdiction.
L'utilisation de subterfuges est essentielle dans des conditions
ou la clique dirigeante saoudienne ne possède qu'une mince
légitimité politique et qu'elle fait face à
une opposition croissante. Après avoir rejeté les
demandes de Washington pour utiliser ses bases, le régime
saoudien a rapidement resserré ses liens avec les talibans,
tout en demandant au président Bush d'accorder la plus
haute priorité à la résolution du conflit
israélo-palestinien. Le prince héritier Abdullah
a déclaré à Bush : « le processus
de paix au Moyen-Orient nécessite l'intervention de l'administration
américaine et de toutes les honnêtes gens dans le
monde ».
La famille royale saoudienne
Le régime féodal qui dirige l'Arabie saoudite
peuplée de 22 millions d'habitants est souvent qualifié
de plus grande entreprise familiale de la planète. Ce
régime fonctionne sans la moindre institution ou norme
démocratique propres à tout État moderne.
En dépit des différends qui existent au sein de
la famille royale quant au niveau d'ouverture et de collaboration
avec les États-Unis, la cour d'Al Sa'ud dépend
de Washington depuis 1943. Suite à la découverte
de pétrole dans les années 1930 dont la mise en
marché allait être entreprise par la pétrolière
américaine Aramco, Washington déclara que «
la défense de l'Arabie saoudite est vitale à la
défense des États-Unis ».
Au cours des dix dernières années, l'Arabie
saoudite a été le plus important récipiendaire
de l'aide militaire américaine à l'étranger,
recevant 33,5 milliards de dollars en matériel, un chiffre
qui fait pâlir mêmes les sommes fournies par Washington
à Israël.
gé et de santé fragile, le roi Fahd ne dirige
le pays que pour la forme. Son père, le premier monarque
d'Arabie saoudite, Abdul al Aziz al Saud, s'est emparé
de Riyad en 1902 et a lancé une campagne de 30 ans pour
unifier la Péninsule arabique. En 1926 il assujettissait
les tribus nomades vivant dans les anciens territoires ottomans
de la péninsule et établissait le Royaume d'Arabie
saoudite qu'il plaçait sous son règne autocratique
en 1932, donnant même son nom au pays.
Tant lui que ses héritiers ont utilisé les lieux
saints de l'Islam en territoire saoudien que sont La Mecque et
Médina, de même que les principes de leur propre
secte islamique, les wahhabis, comme liant idéologique
pour unir les citoyens du pays qui ne nourrissent aucune allégeance
nationale à cet État formé des déserts
de la Péninsule arabique. Ce processus est devenu encore
plus important maintenant qu'une proportion croissante de la
population est constituée de travailleurs immigrants.
Le roi Abdul al Aziz al Saud ayant eu plusieurs femmes et
plus de 40 fils, la famille royale compte maintenant quelques
7 000 membres et est déchirée en factions opposées.
Elle ne maintient son règne qu'au prix de coalitions toujours
changeantes. Depuis 1995, année où le roi Fahd
a subi une attaque cardiaque, le pays a été dirigé
par son demi-frère qui est âgé de 77 ans,
le prince héritier Abdullah, auquel doit succéder
le prince sultan, frère direct du roi Fahd et actuel ministre
de la Défense du pays et dont le fils est ambassadeur
aux États-Unis.
Des tensions existent dans toutes les sphères de la
politique saoudienne. La faction du roi Fahd et du sultan appartient
à la famille al Sudairi. Elle entretient des liens étroits
avec les États-Unis et recherche plus d'investissements
directs de l'étranger. Elle veut que le pays devienne
membre de l'Organisation mondiale du commerce. Au cours de la
dernière année, des investissements de 9,2 milliards
de dollars ont été promis, dont plus de 90 p. 100
provenant de l'étranger. Le régime a fait passé
sa taxe sur les entreprises de 45 p. 100 à 30 p. 100 et
a accepté la pleine possession par des étrangers
de certains secteurs de l'économie, en plus de s'être
engagé de continuer dans le même sens.
Le prince héritier Abdullah qui dirige la Garde nationale
saoudienne et entretient des rapports étroits avec les
leaders spirituels, est encore plus conservateur. Aussi depuis
1995 les relations avec les États-Unis se sont-elles refroidies
un peu. En août, il a limogé le prince Turki al
Faisal, frère direct du sultan qui était à
la tête des services de renseignement du pays depuis 25
ans, pour le remplacer par son de propre demi-frère, le
prince Nawwaf. Le prince Turki était responsable des relations
saoudiennes avec l'Afghanistan et le Pakistan, ainsi que des
rapports avec les services de renseignement américains.
Il semble avoir été la victime d'une lutte de pouvoir
gravitant autour de la façon de traiter les demandes des
États-Unis pour surveiller les activités d'Osama
Ben Laden.
Selon certains rapports, le roi Fahd aurait peu de temps après
quitté le pays avec une bonne partie de son entourage,
soi-disant pour subir des traitements médicaux en Europe,
et ne serait pas revenu depuis.
Tensions économiques et sociales
Au cur de ces divisions au sein de la famille royale réside
la peur de trop s'engager publiquement derrière Washington
dans des assauts contre un pays arabe ou musulman, et ainsi affaiblir
sa propre tyrannie.
Le taux annuel de croissance démographique de l'Arabie
saoudite est de 4,4 p. 100, la population ayant passée
des 9 millions d'habitants qu'elle était en 1980 à
plus de 22 millions en 1999. Mais la croissance économique
n'a pas connu le même rythme, notamment avec la chute du
prix du pétrole brut des années 1980.
Les entreprises présentes en Arabie saoudite ont importé
une main d'uvre à bon marché -principalement du
Pakistan, de l'Inde, de la Corée du Sud, de l'Indonésie,
du Nigeria et des Philippines- pour remplacer les travailleurs
qui jusqu'alors provenaient des pays arabes voisins. Les travailleurs
immigrants constituent près de 35 p. 100 des 15 à
64 ans. En plus de combler maints emplois manuels faiblement
rémunérés, les immigrants comptent pour
84 p. 100 des médecins, 80 p. 100 du personnel infirmier,
55 p. 100 des pharmaciens et 25 p. 100 du corps enseignant. Plus
récemment, le gouvernement a commencé à
remplacer ces travailleurs expatriés par des ressortissants
saoudiens, et des milliers de travailleurs étrangers considérés
sans papiers adéquats sont maintenant arrêtés
et déportés.
Le pays enregistre des déficits depuis plus de 20 ans.
À chaque baisse d'un dollar du prix du baril de pétrole
brut, l'Arabie saoudite perd environ 2,5 milliards de dollars
en revenus annuellement. La famille dirigeante utilise le contrôle
qu'elle a de facto sur l'approvisionnement mondial en pétrole
pour maintenir les prix bas et plaire à ses supporters
américains. En outre, la mauvaise gestion économique,
la corruption et le pillage au grand jour des revenus du pétrole
par la famille font que le pays éprouve des problèmes
financiers. La dette publique représente 120 p. 100 du
PIB. Le déficit budgétaire de 1999 représentait
6,5 p. 100 du PIB.
Le gouvernement a compressé ses programmes sociaux
et réduit les investissements dans les secteurs du pétrole
et de l'énergie, de même que dans les infrastructures
du pays, entraînant ainsi un taux de chômage estimé
entre 25 p. 100 et 30 p. 100 chez les hommes saoudiens. Beaucoup
n'ont pas reçu d'éducation décente, particulièrement
chez les femmes. Selon les analystes financiers, le gouvernement
devra créer 1 million d'emplois pour les hommes saoudiens
au cours des cinq prochaines années (les femmes ne sont
pas comptées dans les statistiques saoudiennes). Nourrissant
le mécontentement social, une chute catastrophique du
PIB par habitant est survenu, passant de 18 000 $ qu'il était
annuellement au début des années 1980, à
6 000 $ en 2000.
Mais tous ces torts ne trouvent aucune expression politique
légitime. Comme un récent rapport d'Amnesty International
expliquait, « La discrétion et la peur touchent
tous les aspects de la structure d'État en Arabie saoudite.
Il n'y a pas de partis politiques, pas d'élections, pas
de législature indépendante, pas de syndicats,
pas de Barreau, pas de système judiciaire indépendant
et pas d'organisation indépendante de défense des
droits de l'homme. Quiconque vit en Arabie saoudite et critique
le système est sévèrement châtié.
Lorsque arrêtés, les opposants politiques et religieux
au gouvernement sont détenus indéfiniment sans
être jugés, sinon emprisonnés après
un jugement foncièrement injuste. La torture est répandue.
Les travailleurs étrangers sont toujours menacés
».
Beaucoup de gens emprisonnés sont des critiques musulmans
shia et sunni, ou d'autres opposants au gouvernement. La communauté
shia éveille de profonds soupçons, surtout depuis
la révolution iranienne de 1979 qui a vue l'arrivée
au pouvoir des leaders religieux shia sous l'ayatollah Khomeni.
Cette communauté subit une discrimination constante, dispose
d'un accès limité aux services sociaux et aux emplois
du gouvernement, et se voit rarement accorder le droit de construire
ses mosquées ou ses centres communautaires.
Le gouvernement contrôle toutes les stations de radio
et les chaînes de télévision nationales,
en plus de contrôler de près toute les publications
privées. Il ne tolère aucune critique de l'Islam,
de la famille royale ou du gouvernement. Le régime saoudien
nomme et congédie les éditeurs en chef et dicte
le contenu de la presse sur toutes les questions sensibles. Les
publications étrangères sont régulièrement
censurées ou interdites. Les lignes téléphoniques
sont fréquemment mises sur écoute et le courrier
est surveillé. L'utilisation de l'Internet est officiellement
découragée et il n'y a que huit fournisseurs comptant
100 000 abonnés.
Les formes les plus barbares de châtiment sont choses
courantes, et comprennent des exécutions et des amputations
en public. L'usage systématique de la torture et de l'intimidation,
le viol flagrant des droits démocratiques de base par
les dirigeants saoudiens sont indispensables pour leur maintien
de leurs privilèges et de leurs richesses. Environ 40
p. 100 des revenus générés par le pétrole
à l'échelle du pays vont directement dans les poches
de la famille royale.
Combinées avec le ressentiment envers la présence
des forces militaires américaines -dont la principale
fonction et de soutenir la famille royale en cas de soulèvement
populaire contre sa domination- de telles conditions sociales
apportent un certain crédit au programme réactionnaire
d'Osama Ben Laden et d'autres groupes semblables.
Osama Ben Laden
Né en 1957 d'un père yéménite
et d'une mère syrienne, Osama Ben Laden est le fils de
Mohamed Ben Laden, l'influent fondateur de la gigantesque entreprise
de construction saoudienne, le groupe Ben Laden. C'est Mohamed
et sa famille qui, dans les années 1960, ont orchestré
le passage du pouvoir du roi corrompu Saud au roi Feisal, afin
de consolider la dynastie au pouvoir.
Bien qu'originaire de la strate supérieure de la société
saoudienne, Osama Ben Laden est rapidement devenu désenchanté
par son exclusion du pouvoir. Tentant de maintenir une base sociale
pour lui-même et d'autres sections de l'élite saoudienne,
sa carrière politique apparemment contradictoire est passée
de l'aventurier anticommuniste radical au fanatisme religieux,
puis à l'antiaméricanisme. Tant en Afghanistan
qu'au Soudan, il a travaillé à soutenir des régimes
des plus réactionnaires, totalement hostiles à
la classe ouvrière et aux masses oppressées, ce
qui a eu des conséquences désastreuses pour les
peuples de ces régions. Pendant un temps, il fut un outil
utile de l'impérialisme américain, mais maintenant,
comme bien d'autre avant lui, il est devenu un indésirable
en nuisant aux intérêts stratégiques des
États-Unis dans la région.
Ben Laden est devenu membre de la fraternité musulmane
alors qu'il était étudiant. Lorsque la Russie envahit
l'Afghanistan en 1979, il alla au Pakistan rejoindre la rébellion
afghane contre le régime de Kaboul détesté
qui était appuyé par l'Union soviétique.
Cette rébellion fut financée par l'impérialisme
américain dans le cadre de ses opérations de la
Guerre froide destinées à déstabiliser l'Union
soviétique. Ben Laden utilisa ses contacts richissimes
en Arabie saoudite pour recueillir de l'argent et du matériel
pour la résistance afghane -les moujahidines- recruter
des combattants arabes et aider à organiser des opérations
de guérilla. Il établit un réseau de camps
en Afghanistan -l'Al Qaeda- afin d'entraîner des combattants
recrutés dans tout le Moyen-Orient pour mener la guerre
contre le régime Najibullah appuyé par les Soviétiques.
En 1990, lorsque le président irakien Saddam Hussein
envahit le Koweït, menaçant du même coup l'Arabie
saoudite, Ben Laden retourna dans son pays et proposa un plan
de défense basé sur le type de mobilisation que
les États-Unis, le Pakistan et l'Arabie Saoudite avaient
aidé à organiser en Afghanistan. Malgré
le fait que la résistance afghane avait bénéficié
de l'appui des saoudiens, les « Arabes afghans »,
comme ils étaient appelés, étaient loin
d'être les bienvenus chez eux. La dernière chose
que le roi Fahd voulait faire, c'était bien d'armer les
masses. Aussi le plan de Ben Laden fut il rejeté et ce
dernier expulsé.
Le roi préféra se tourner vers les États-Unis
en invitant Washington à stationner des troupes en Arabie
saoudite. Il agit de la sorte en dépit de l'argument avancé
par Ben Laden et d'autres, dont d'importants leaders religieux,
que selon la loi islamique, des forces militaires étrangères
non-musulmanes ne pouvaient être déployées
en Arabie saoudite sous leur drapeau. Leurs préoccupations
s'accentuèrent lorsque, après avoir « libéré
» le Koweït en 1991, le Pentagone ne retira pas la
totalité de ses 550 000 hommes et que le gouvernement
saoudien ne souffla mot.
Indésirable dans son pays, Ben Laden alla d'abord au
Soudan, où il passa les cinq années suivantes à
soutenir le gouvernement islamique réactionnaire qui poursuivait
une féroce guerre civile au sud du pays. Lorsque ses activités
entrèrent en conflit avec les intérêts du
Soudan qui cherchait à pas hésitants à se
rapprocher de l'impérialisme américain, le gouvernement
soudanais offrit d'arrêter Ben Laden et de le remettre
aux autorités saoudiennes. Mais Riyad rejeta le plan,
préférant plutôt geler le compte de banque
de ce dernier et de lui retirer sa citoyenneté saoudienne.
Expulsé du Soudan, Ben Laden retourna en Afghanistan,
où, coupé de toute aide soudanaise et saoudienne,
il accentua sa rhétorique fondamentaliste radicale. Il
supporta les talibans, dont la base sociale est constituée
des couches les plus arriérées des tribus et des
villageois pauvres, dans leur guerre contre l'alliance instable
qui prit le pouvoir en 1992 après le retrait des troupes
soviétiques. Prenant le pouvoir en 1996, les talibans
imposèrent la stricte loi de la Charria islamique dans
tout le pays. Ils interdirent aux femmes de s'instruire et de
travailler, insistèrent pour que les hommes fassent pousser
leur barbe, interdirent les films, les vidéos et la musique,
et cherchèrent à effacer l'héritage culturel
varié de l'Afghanistan en détruisant notamment
ses fameuses statues bouddhistes connues mondialement.
En 1998, Ben Laden lança un fatwa (ordre religieux)
appelant à la guerre contre les États-Unis. Les
attentats à la bombe contre les ambassades des États-Unis
au Kenya et en Tanzanie suivirent quelques mois plus tard. Bien
que Ben Laden nia toute responsabilité pour ces attaques,
les gens arrêtés par la suite le nommèrent
comme l'un des instigateurs. Il est également soupçonné
d'être relié à l'attentat à la bombe
de 1993 contre le World Trade Centre, de même qu'à
l'attaque contre le USS Cole perpétrées dans les
eaux du Yémen l'an passé. Selon un rapport diffusé
en juin sur la chaîne télévisée par
satellite saoudienne Middle East Broadcasting, Ben Laden aurait
salué l'attaque contre le Cole lors de laquelle 17 marins
américains trouvèrent la mort, et appelé
ses partisans à attaquer des « objectifs occidentaux
et juifs dans le monde entier ». Le Département
d'État américain l'a qualifié de «
commanditaire du terrorisme » et « l'un des plus
importants commanditaires d'activités extrémistes
dans le monde aujourd'hui ».
L'opposition montante au régime saoudien
La progression de la crise économique et sociale en
Arabie saoudite nourrit le mécontentement, particulièrement
parmi les travailleurs immigrés et les musulmans shia,
sans se confiner toutefois à ces secteurs. Les preuves
de plus en plus nombreuses d'intimidation et de torture, de même
que le nombre croissant d'exécutions publiques horribles
dont fait part Amnesty International et Human Rights Watch indiquent
que les expressions de mécontentement social sont de plus
en plus nombreuses. Cependant, la censure fait qu'il y a peu
d'information relativement aux formes et à l'étendue
de l'opposition au gouvernement saoudien.
Les vues et les méthodes de Ben Laden semblent avoir
un écho auprès de nombreux dissidents saoudiens
qui le voient comme un héros menant une guerre sainte
contre les États-Unis. De nombreuses attaques terroristes
ont été menées contre des intérêts
américains en Arabie saoudite au cours des dernières
années. En 1995, une bombe à Riyad a tué
cinq Américains et deux Indiens. En 1996, un attentat
à la bombe contre les tours Khobar, qui abritent des membres
de la US Air Force, s'est soldé par la mort de 19 soldats.
Les arrestations ont été nombreuses et beaucoup
de gens ont été emprisonnées sans jugement
ou accusation pendant des années. Quatorze personnes ont
été formellement accusées mais le gouvernement
saoudien a refusé de laisser le FBI les interroger. Cet
état de fait reflète en partie les tensions qui
existent au sein des cercles dirigeants à propos de la
subordination saoudienne aux États-Unis, mais plus important
encore, la peur que le mécontentement social qui fait
rage au pays pourrait déborder outre-frontière.
La poussée militariste des États-Unis a intensifié
les sentiments antiaméricains dans le pays. L'intifada
qui dure depuis plus d'un an et dans lequel nombre de Palestiniens
ont trouvé la mort en s'opposant aux forces armées
israéliennes, largement vues comme jouissant de l'appui
de Washington, a entraîné une forte réaction
contre les États-Unis. Pareillement pour ce qui est du
soutien américain pour l'imposition de terribles sanctions
contre l'Iraq qui ont entraîné la mort de plus d'un
demi-million d'enfants et des raids de bombardement américano-britanniques
dans lesquels d'innocents civils irakiens sont tués régulièrement.
Il ne fait nul doute qu'éventuellement des sections
de la clique saoudienne tenteront de capitaliser sur ces sentiments,
allant peut-être même jusqu'à s'opposer verbalement
à la poussée militariste de Washington, afin de
tenter de calmer les tensions sociales au pays. Mais liées
comme elles le sont au capitalisme international, la famille
royale saoudienne ne pourra résoudre les immenses problèmes
du Moyen-Orient. Pour cela, il faut développer un mouvement
politique qui unira les peuples de la région dans une
lutte commune pour établir les États-Unis socialistes
du Moyen-Orient en éliminant les frontières artificielles
qui divisent les peuples et les économies de la région,
de façon à permettre que ses vastes ressources
servent à satisfaire les besoins de tous.
Voir aussi :
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