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Crime de guerre américain : des centaines de prisonniers de guerre massacrés à Mazar-i-Sharif

Par le Comité de rédaction
27 novembre 2001

L'assassinat de jusqu'à 800 prisonniers talibans dimanche à Mazar-i-Sharif est un crime de guerre pour lequel l'armée et le gouvernement américains, y compris le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld et le président Bush, portent la responsabilité politique. Ce massacre montre la vraie nature de l'assaut américain sur l'Afghanistan. Les attaques terroristes du 11 septembre ne sont qu'un prétexte pour lancer une guerre de style colonial, comportant pillages et massacres.

L'opération sauvage et les mensonges qui ont servi à cacher le crime à la forteresse Qala-i-Janghi rappellent les atrocités de la guerre au Vietnam : le massacre à My Lai, le meurtre de 20.000 vietnamiens par le programme d'assassinats «Phoenix», les bombardements de saturation, la défoliation aérienne avec des poisons tels que «Agent Orange», la destruction de la ville de Ben Suc, où un officier américain a déclaré qu'il était nécessaire de «détruire le village pour le sauver».

Selon la presse et le gouvernement américain, des forces spéciales américaines et du personnel de la CIA étaient présents à Mazar-i-Sharif, faisant venir des hélicoptères et des avions de chasse, et dirigeant les mouvements des soldats de l'Alliance du Nord tandis qu'ils tiraient sur des centaines de prisonniers. La télévision allemande a diffusé des images de soldats de l'Alliance du Nord qui tiraient des murs de la forteresse sur une masse de prisonniers sous eux.

La plupart des tués, cependant, ont été anéantis par les bombardements aériens américains. Des chasseurs ont lâché des bombes sur la forteresse et des hélicoptères AC-130, armés de canons qui tirent 1.800 balles par minutes, étaient dirigés par des troupes spéciales à l'intérieur de la forteresse. Des chars et 2.000 soldats de l'Alliance du Nord ont fini le travail de destruction. Tout au long de cette bataille inégale, selon Alex Perry, le journaliste de Time qui était sur place, environ 40 troupes spéciales américaines et membres de la SAS britannique «faisaient marcher l'affaire», dirigeant les opérations aériennes et celles sur terre.

Le caractère barbare de la répression était calculé, comme l'indiquent les commentaires des porte-paroles de l'Alliance du Nord lundi. «Ils ont été tous tués, et très peu d'entre eux arrêtés» a dit Zaher Wahadat, qui a confirmé que jusqu'à 800 prisonniers étaient peut-être morts. Alim Razim, un conseiller du général Rashid Dostum, le chef militaire régional, a assuré que tout prisonnier qui restait en vie ne le resterait pas longtemps. «Ceux qui restent seront morts», a-t-il dit. «Aucun d'entre eux ne peut échapper».

Des porte-paroles de l'Alliance du Nord et du Pentagone ont dit que les prisonniers talibans avaient introduit des armes dans la forteresse sous leurs tuniques, et ensuite tiré sur des gardes et tenté de s'échapper. Mais les journalistes à l'intérieur de la prison ont dit que les prisonniers avaient commencé la rébellion en s'emparant des armes de plusieurs des gardes.

Il n'est même pas évident qu'il y ait eu de rébellion organisée. Comme le journal britannique Guardian l'a fait remarquer, «"Tué en tentant de s'évader" est, après tout, un des mensonges les plus connus». Les troupes de l'Alliance du Nord ont peut-être ouvert le feu sur les prisonniers, provoquant une révolte.

Ces groupes anti-talibans ont une longue histoire d'infractions aux droits humanitaires, surtout à Mazar-i-Sharif, la scène de massacres des deux côtés pendant la guerre civile de dix ans en Afghanistan. Le Comité International de la Croix-Rouge a rapporté la semaine dernière qu'il avait trouvé de 400 à 600 cadavres à Mazar-i-Sharif, apparemment des victimes d'exécutions sommaires après la prise de la ville le 9 novembre par l'Alliance du Nord.

Selon Alex Perry, la révolte a commencé quand des prisonniers, des fondamentalistes islamiques du Pakistan, de Tchéchénie, et de différents pays arabes, ont rencontré un journaliste qui a commencé à leur poser des questions. «En fait, c'était probablement le journaliste britannique,» a-t-il écrit sur le site web de Time. «C'était simplement le fait de voir une figure occidentale. Ils sont ici pour une jihad ; ils voient une figure occidentale ; ils supposent que c'est le genre de personne qu'ils sont venus combattre».

Les prisonniers avaient de bonnes raisons pour réagir à la présence de personnes occidentales dans la prison. Des interrogateurs américains de la CIA étaient là pour faire le tri des prisonniers, séparant les talibans ordinaires des «leaders» al-Qaeda, qui devaient subir une interrogation plus intensive, c'est-à-dire la torture, suivie par l'exécution.

Les prisonniers talibans se sont rendus à l'improviste dimanche dans la ville assiégée de Kunduz. Ils se sont rendus au général Dostum, dont les forces ouzbèques approchaient Kunduz de l'ouest, plutôt qu'au général Khan Daoud, le chef d'une force largement tadjique qui attaquait de l'est, peut-être parce que Dostum leur avait donné des assurances qu'il les enverrait au Pakistan.

Il y a eu des reportages dans la presse le week-end que Dostum avait fait un accord semblable ; des leaders rivaux de l'Alliance du Nord l'ont dénoncé, car ils voulaient que les «talibans étrangers» soient traînés e justice dans des tribunaux islamiques ou tués sur place. Il est tout à fait probable que la présence américaine à Qala-i-Janghi était la première indication aux prisonniers talibans qu'ils avaient été trahis, et qu'ils ont réagi en se révoltant.

Un massacre sur les ordres de Rumsfeld

Si la séquence exacte des évènements qui ont préparé le massacre à Qala-i-Janghi est toujours à déterminer, la responsabilité morale et politique ne l'est pas. Dans les jours qui ont précédé le massacre, des fonctionnaires de l'ONU et des organisations humanitaires prédisaient la possibilité d'un massacre. Les porte-paroles américains, par contre, ont laissé comprendre qu'ils voulaient voir le nombre maximum de morts possible parmi les talibans étrangers. Chaque discours public était sans doute accompagné de recommandations secrètes même plus assoiffées de sang aux leaders de l'Alliance du Nord, qui avaient besoin de peu d'encouragements.

Les faits à la disposition du public justifient bien mieux des soupçons que le gouvernement américain a ordonné un massacre à Mazar-i-Sharif, que les soupçons que Osama bin Laden a ordonné les attaques terroristes sur New York et Washington. Voici la chronologie :

19 novembre : le général de l'Alliance du Nord Khan Daoud a suggéré qu'il laisserait les guerriers talibans étrangers quitter librement l'Afghanistan, s'ils rendaient Kunduz ; il négociait avec les talibans à ce sujet.

20 novembre : le secrétaire à la défense américain, Donald Rumsfeld, a opposé son veto au procédé, déclarant «Ce serait très dommage si les étrangers en Afghanistan ­ les al-Qaeda et les tchéchènes et les autres qui ont été là à travailler avec les talibans ­ s'ils étaient relâchés et s'ils étaient en aucune manière laissés libres d'aller dans un autre pays commettre le même genre d'actions terroristes». On a fréquemment cité Rumsfeld comme ayant dit que tous les talibans étrangers devraient êtres tués ou emprisonnés.

20 novembre : Le porte-parole officiel des forces américaines et britanniques attaquant l'Afghanitan, Kenton Keith, a dit que les Etats-Unis s'opposaient à toute forme de conclusion négociée à Kunduz, déclarant : «De notre point de vue, la seule possibilité est qu'ils se rendent». En une justification à peine voilée du massacre à venir, il a dit : «La coalition a fait de son mieux pour insister sur le contrôle de soi et le bon traitement des prisonniers de la part de commandants de l'Alliance du Nord». Mais, a-t-il ajouté, «Nous ne sommes pas en une position de garantir quoi que ce soit».

21 novembre : Rumsfeld, dans un interview avec le programme «60 minutes» de la chaîne CBS, a dit qu'il préfèrerait voir Osama ben Laden tué que capturé vivant. «Vous pouvez y parier votre vie», a-t-il dit.

22 novembre : Le président pakistanais, Pervez Musharraf, a rencontré le secrétaire des affaires étrangères britannique Jack Straw à Islamabad, demandant une intervention de l'ONU pour empêcher un bain de sang. Straw et les fonctionnaires de l'ONU ont demandé aux deux côtés d'observer les «règles de la guerre», qui comprennent la prohibition de tuer des prisonniers.

23 novembre : Le New York Times a cité des commentaires par «un fonctionnaire haut placé au Pentagone» qui ne voulait pas que les talibans étrangers capturés soient remis en liberté. «Ce qui nous intéresse, c'est ce que al-Qaeda et les Talibans ne soient plus capables de continuer à faire ce qu'ils ont fait», a-t-il dit.

23 novembre : Le Washington Post a remarqué des craintes très répandues dans la presse au Moyen-Orient que les commentaires de Rumsfeld étaient un « feu vert des Etats-Unis pour tuer les 'arabes afghans'». Un commentateur a écrit que l'Alliance du Nord se voyait «encouragée et incitée par les américains» à prendre leur revanche sur les talibans capturés.

24 novembre : Le Times a cité des commentaires d'un «fonctionnaire américain», selon qui le quartier général américain voulait interroger des non-afghans faits prisonniers à Kunduz et ailleurs, pour amasser des renseignements sur al-Qaeda. «Il est juste de dire que le QG s'intéresse à beaucoup de questions, y compris ce que l'on ferait si des tas de prisonniers sortaient» a-t-il dit. «Mais nous cherchons un rôle aussi limité que possible, avec autant d'accès aux prisonniers que possible». Ce dernier commentaire indique que les officiers américains suivaient de près le traitement des prisonniers talibans. Les évènements à Mazar-i-Sharif ne les ont pas surpris.

Le rôle des médias

La réponse du gouvernement américain et des médias au massacre de dimanche en Afghanistan a consisté de mensonges effrontés et de justifications des tueries d'une manière qui rappelle les pires crimes des nazis.

Le porte-parole militaire américain Kenton Keith a nié lundi que les troupes de l'Alliance ait commis un massacre, expliquant que le «statut» des prisonniers comme prisonniers de guerre protégés par les Accords de Genève avait changé une fois qu'ils «s'étaient engagés en une action offensive» (c'est-à-dire, une fois qu'ils aient résisté à leur exécution).

Tandis que la presse rapportait le massacre à Qala-i-Janghi et que l'on battait à mort les prisonniers talibans à Kunduz, Keith maintenait que les troupes de l'Alliance du Nord «se comportent avec retenue. Nous n'avons aucune connaissances d'atrocités comme faisant partie d'un système généralisé».

Cette version des évènements est passée presque sans questions dans la presse américaine. A la dernière conférence de presse de Bush, lundi matin, il n'y a pas eu de question sur le massacre. A la conférence de presse de Rumsfeld plus tard le même jour, la question n'est survenue que par accident, et personne n'a poursuivi la question.

Une expression du cynisme de la presse américaine était la publication, quatre jours avant le massacre, d'un compte-rendu détaillé de la situation militaire. Le Post a comparé les actions américaines en Afghanistan au rôle américain dans la guerre civile en El Salvador dans les années 1980, quand les «conseillers des forces spéciales américaines travaillaient avec des troupes locales pour pourchasser et tuer les guérillas marxistes».

La comparaison entre l'Afghanistan et El Salvador, faite avec une approbation évidente, est instructive peut-être sans vouloir l'être, confirmant que l'intervention américaine en Asie Centrale n'a rien d'une défense des «droits humanitaires» et très peu d'une guerre contre le terrorisme. La campagne anti-insurrectionnelle américaine en El Salvador est un des grands crimes du vingtième siècle. Au moins 50.000 personnes ont été assassinées par des troupes soutenues par les États-Unis. Parmi les victimes les plus connues de ces terroristes fascistes étaient l'archevêque catholique de San Salvador, Oscar Romero, et quatre nonnes américaines de Maryknoll.

Quant au New York Times, son propre rapport sur les tueries à Mazar-i-Sharif a non seulement suggéré que les prisonniers talibans étaient responsables de leurs propres morts, mais justifiait d'avance d'autres massacres. Le Times a écrit : «L'incident semble devoir confirmer les soupçons de l'Alliance du Nord tandis qu'elle se charge de centaines, et peut-être de milliers, de soldats talibans».

Les médias américaines fonctionnent comme un instrument direct et un complice de la campagne gouvernementale d'agression militaire et de provocation politique. Les chaînes de télévision et les journaux acceptent de cacher ou de justifier tout crime commis par les forces américaines à travers le monde.

Qui sont les terroristes ?

A l'extérieur des États-Unis, même certains des principaux journaux des classes dirigeantes ont dû au moins mentionner le caractère de plus en plus sanglant de l'intervention américaine en Afghanistan. Le journal britannique Guardian a publié un article le 26 novembre par Brian Whitaker qui demandait si le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld était responsable de crimes militaires.

Whitaker a comparé le massacre des prisonniers afghans à une autre atrocité impérialiste, le massacre des réfugiés palestiniens aux camps Sabra et Shatila en septembre 1982, quand une milice fasciste libanaise est entrée dans les camps sous la protection des forces israéliennes et a assassiné plus de 1.000 hommes, femmes, et enfants.

Whitaker écrit : «Le lien entre Sabra/Shatila et beaucoup des tueries en Afghanistan est que les deux sont des exemples de guerre au "feu vert", où les principaux acteurs essaient d'échapper à la responsabilité en permettant à des substitués de faire les sales besognes impossibles à mentionner (et politiquement inacceptables), en donnant une aide et un soutien discrets».

Ariel Sharon, ministre à la défense israélien à l'époque de Sabra et Shatila, a fait l'objet d'une investigation parlementaire et a dû finalement démissionner. Plusieurs pays européens ont tenté de mener un procès pour crimes militaires contre Sharon, à présent premier ministre israélien, à cause des évènements de 1982.

Whitaker écrit : «Il reste à voir si le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld, fera face à de telles investigations, mais ses commentaires récents ont donné le feu vert pour des tueries. Des soldats non-afghans en Afghanistans, il a dit : "J'espère qu'ils seront tués ou emprisonnés". Il ne semble pas avoir de préférence nette pour une solution ou pour l'autre».

Même s'ils utilisent les tribunaux manipulés de l'ONU pour traîner en justice certains ennemis comme l'ancien premier ministre yougoslave Milosevic, le gouvernement américain s'oppose fermement à l'établissement d'une Cour Criminelle Internationale avec juridiction sur les crimes militaires commis par des fonctionnaires des gouvernements de toute nation. Ceci n'est pas simplement la défense de la souveraineté américaine comme doctrine abstraite. Les principaux chefs du gouvernement américain préparent, autorisent et mettent en action quotidiennement des actions qui, selon tout système de critères objectifs, les condamneraient comme criminels de guerre comme Hitler, Göring, et Goebbels.

Les attentats-suicides qui ont tué près de 4.000 personnes au World Trade Center et au Pentagone étaient un crime monstrueux, bien que le gouvernement américain n'a fourni aucune preuve sérieuse de la responsabilité directe d'Oussama ben Laden, sans parler du régime taliban. Les attentats du 11 septembre, cependant, ne justifient aucunement les crimes commis par l'impérialisme américain contre le peuple de l'Afghanistan, et les nouveaux crimes que préparent déjà le Pentagone et la CIA contre d'autres pays au Moyen Orient, en Asie Centrale, et ailleurs.

Après les évènements à Qala-i-Janghi, il est ridicule de maintenir que l'intervention américaine en Afghanistan a comme but la défense des droits de l'homme, ou de punir les terroristes. Le gouvernement américain, avec son immense arsenal militaire et sa détermination impitoyable d'imposer sa volonté par la force, est le plus grand terroriste au monde.

C'est la responsabilité des ouvriers, à travers le monde et à l'intérieur des États-Unis, de construire un mouvement politique indépendant de masse pour mettre fin à la machine de guerre impérialiste et au système de profit qu'elle défend.

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