C'est un jour que la plupart des membres du syndicat NUT (National Union of
Teachers) de l'école primaire Edward Wilson pensaient ne jamais voir: le jour
où ils ont voté contre un mouvement de grève.
Des années durant et à chaque conflit, les membres du NUT de cette école de
Londres ont voté à l'unanimité en faveur de la grève pour défendre les salaires
et les conditions de travail. Mais au cours de l'année dernière, les
enseignants se sont sentis de plus en plus frustrés par la campagne minimale
des syndicats contre l'assaut sur les retraites mené par le gouvernement de
coalition Conservateurs-libéraux démocrates, alors même qu'absolument aucune
lutte n'était organisée par ces mêmes syndicats contre les suppressions de
postes.
Les enseignants d'Edward Wilson avaient participé le 30 novembre dernier à
la grève la plus importante jamais vue en Grande-Bretagne depuis 30 ans et qui
avait rassemblé 2,5 millions de travailleurs du secteur public de 20 syndicats
différents.
Mais les syndicats ont rapidement fait le nécessaire pour étouffer cette
opposition. Le 20 décembre, le Congrès des syndicats (Trades Union Congress)
annonçait qu'il annulait tout nouveau mouvement de grève pour entamer des
négociations avec le gouvernement. Aux côtés de la majorité des autres
syndicats, il a tout fait pour diviser les travailleurs du secteur public selon
des lignes sectorielles en tenant des pourparlers « sur des projets
spécifiques » concernant des questions plutôt secondaires.
Puis une grève nationale commune prévue pour le 28 mars par les quatre
syndicats restants, le NUT, l'UCU (University and College Union), le PCS
(Public and Commercial Services) et l'EIS (Educational Institute of Scotland),
a été trahie avant même de commencer. Au tout dernier moment, le mouvement de
grève a été limité à Londres, avec pour uniques participants les membres du NUT
et de l'UNU des universités crées après 1992. Le PCS a décidé d'annuler
purement et simplement la grève tandis que l'EIS entamait des négociations
séparées avec le gouvernement écossais.
Cela veut dire que juste une semaine avant une journée d'action déjà
fortement réduite et deux semaines avant que l'augmentation des cotisations de
retraite ne soit appliquée, les membres du NUT d'Edward Wilson ont appris que
tous les autres syndicats hormis l'UCU avaient annulé la grève et que le NUT
n'appelait à la grève que dans la capitale.
Les quelque 20 enseignants invités à une réunion spéciale étaient écoeurés.
Les intervenants ont dénoncé la riposte « pitoyable » des syndicats
face aux attaques du gouvernement. Les enseignants ont exprimé leur colère sur
le fait que la direction syndicale n'aie aucune intention d'organiser une vraie
lutte contre les changements concernant les retraites, mais qu'ils attendaient
que les enseignants perdent une journée de salaire juste pour que les
bureaucrates puissent sauver la face et avoir l'air de faire quelque chose.
Finalement les membres ont voté à l'unanimité contre la journée de grève.
Plusieurs enseignants ont pris la parole et insisté pour que leur position
soit clairement expliquée aux dirigeants syndicaux et aux autres professeurs.
Ils voulaient montrer qu'ils n'étaient pas contre la grève mais pensaient
qu'ils étaient utilisés et manipulés de la manière la plus cynique et que c'en
était trop.
Une lettre a été rédigée et envoyée aux dirigeants syndicaux en ces termes:
« La section syndicale du NUT de Edward Wilson déplore l'appel à une
seule journée de grève du NUT sur la question des retraites uniquement alors
que que le gouvernement est en train d'organiser dans tout le pays la
privatisation complète de l'éducation, conjointement au démantèlement du
service de santé et à la destruction du système d'Etat providence.
Nous avons voté contre la journée de grève
du 28 mars, non pas parce que nous ne voulons pas lutter contre la destruction
de nos retraites mais parce que nous pensons que ces grèves éparpillées d'une
journée ne font pas vraiment pression sur le gouvernement et nous pensons
qu'il faut appeler à une grève plus longue, voire illimitée, pour espérer avoir
un quelconque impact.
Nous pensons que la question de nos retraites devrait être liée aux
attaques massives contre les emplois et contre l'Etat providence et qu'il faut
appeler à une grève générale unissant les travailleurs du public et du privé
contre ces coupes sociales.
Nous reconnaissons aussi qu'internationalement on fait payer aux
travailleurs du monde entier la spéculation des banquiers et les profits des
grandes entreprises. Nous nous opposons à la baisse des salaires et à la
destruction des services et appelons les travailleurs du monde entier à se
rejoindre dans une lutte unie pour le droit à un niveau de vie, une éducation,
un service de santé et des services fondamentaux décents. »
Après la réunion, Amanda Darlington, déléguée NUT de Edward Wilson depuis
plus de six ans a dit, « Etant donné que 73 pour cent des membres du NUT
ont voté pour une grève nationale, les dirigeants du syndicat n'ont pas
respecté la décision de la majorité. C'est inacceptable sur une question aussi
importante. »
« Lors de notre réunion, la majorité des gens pensaient que cela ne
servait à rien de limiter la grève à Londres uniquement. Nous étions convaincus
que cela n'aurait aucun impact, donc nous ne pouvions que voter contre. Nous
voudrions voir une grève nationale de tous les syndicats sur plusieurs
jours. »
« Pour le moment, on a l'impression que les syndicats ne peuvent pas
ou ne veulent pas se battre pour nous. Cela sert à quoi de faire un vote sur la
grève s'ils ont déjà décidé de ce qu'ils vont faire? »
Lorsqu'on lui a demandé ce qu'elle pensait du fait que les syndicats n'ont
mené aucune lutte concernant le programme de transformation des écoles en
académies [établissements ouverts au financement privé et indépendants des
autorités locales] ou concernant les mesures d'austérité, Hanan Wahabi,
coordinateur des matières littéraires a demandé, « Les syndicats font quoi
au juste? Ce n'est pas normal. On les paie à quoi faire? Il faut qu'ils nous
défendent. »
Phil Baldwin, enseignant du cours préparatoire a dit, « Ce n'est pas
que je sois contre la grève, c'est que je ne suis pas d'accord avec la façon
dont cet appel à la grève a été organisé. Pourquoi juste à Londres? Il est
évident que cela touche tous les enseignants où qu'ils soient. Je ne crois pas
qu'une seule journée de grève souligne suffisamment la gravité du problème.
Allez, le NUT, il faut se ressaisir, et vraiment prendre le problème à bras le
corps. »
« Je ne vois pas comment des grèves dispersées d'une journée peuvent
aboutir à quoi que ce soit sinon à agacer de temps en temps les parents, »
a dit Brian Keeler, le coordinateur de mathématiques.
« Ce gouvernement a un programme idéologique, » a-t-il dit.
« Ils veulent démanteler tous les vestiges de l'Etat et faire passer un
maximum de choses dans le secteur privé. De leur point de vue, le service
public apporte zéro croissance à l'économie. Ils veulent donner à davantage
d'entreprises privées une part du gâteau public; comme ça ils pourront réduire
encore plus les salaires et augmenter les profits des entreprises et, mieux
encore, des investisseurs privés qui soutiennent les conservateurs. »
« Les mesures d'austérité puent, » a ajouté Brian. « Les
soi-disant créateurs de richesses voient leurs avoirs protégés par le
gouvernement durant la crise et après on leur laisse carte blanche une fois que
les choses recommencent à aller mieux. On n'a emprisonné aucun banquier pour ce
qu'ils ont fait, et pourtant la majorité de la population va payer pendant
encore des décennies pour les renflouer. Les un pour cent doivent être écroulés
de rire en voyant comment la table de la roulette du capitalisme mondial est si
bien truquée en leur faveur. C'est gagnant-gagnant à tous les coups.»