La guerre Etats-Unis/OTAN contre la Libye qui a duré huit mois et culminé dans le siège barbare de la ville méditerranéenne côtière de Syrte et le lynchage abominable du dirigeant évincé du pays, le colonel Mouammar Kadhafi, avait été soutenue dès le début par un bon nombre de partis politiques à travers le monde, qui se disent de « gauche » et par le milieu socio-politique de la classe supérieure qui constitue leur électorat clé.
Aux Etats-Unis, ce phénomène est lié au soutien accordé par ces partis et par ce milieu au gouvernement démocratique du président Barack Obama, alors même que celui-ci commet des agressions partout dans le monde et adopte l’assassinat comme principal instrument politique.
Parmi les représentants les plus en vue de cette tendance figure le professeur d’histoire du Moyen-Orient de l’université du Michigan, Juan Cole, qui se fait passer pour un expert de la Libye tout en promouvant sans aucun discernement la guerre de propagande du gouvernement Obama et de l’OTAN.
La réputation de Cole, qui se qualifie lui-même de « gauche », découle de son rôle de critique partiel à l’égard des faux prétextes pour la guerre contre l’Irak du gouvernement Bush. Une fois celle-ci lancée, il avait appuyé l’invasion américaine en la décrivant comme « valant les sacrifices » – qui ont réclamé à présent la vie d’environ un million d’Irakiens – faits pour débarrasser le monde de Saddam Hussein.
De la même manière, Cole avait déclaré dès le début de la guerre actuelle que « si elle réussissait à nous débarrasser du régime meurtrier de Kadhafi en permettant aux Libyens d’avoir une vie normale, elle vaudra bien les sacrifices en vies et en biens. » Il avait ajouté, « Si l’OTAN a besoin de moi, je suis prêt. »
Ses discours et ses écrits sur l’intervention libyenne ont été une écoeurante opération de justification de la guerre qui a été, sans nul doute, fomentée par les Etats-Unis et les autres grandes puissances, dans la poursuite d’intérêts stratégiques et de profit. En exploitant la situation créée par les soulèvements en Tunisie et dans l’Egypte voisines et en suscitant délibérément des protestations en Libye dans le but de créer les conditions d’un changement de régime, les puissances occidentales sont principalement intervenues pour établir fermement leur emprise sur les énormes approvisionnements de pétrole et de gaz du pays et pour refuser à leurs rivaux en Russie et en Chine de s’y implanter.
Cole a nié avec persistance que l’impérialisme américain et ses alliés européens occidentaux étaient intervenus en Libye pour d’autres motifs que les simples droits humains, la protection des civils et la promotion de la démocratie.
Son dernier article intitulé « Le Temple du peuple de Kadhafi, » démasque Cole comme un personnage en train de virer violemment et toujours plus hardiment à droite.
Le thème étrange de son essai est une comparaison faite entre le siège sanglant de Syrte et le lynchage de Kadhafi avec le suicide de masse commis en 1978 au Guyana par des membres du Temple du peuple dirigé par Jim Jones.
En quoi la résistance de Kadhafi à une opération des Etats-Unis et de l’OTAN en vue d’un changement de régime correspond-elle à un suicide masse par une secte religieuse ? Selon Cole, résister à une défaite inévitable était « suicidaire », était l'exercice de « l’irrationalité » et du « fanatisme. »
« A plusieurs reprises, un exile à l’étranger [sic] avait été offert à Kadhafi, » écrit Cole, « mais il a filé en douce dans sa ville natale de Syrte pour un ultime combat suicidaire. »
Il rend les forces fidèles au dirigeant libyen, décrites comme des « sbires au regard vitreux », responsables de la destruction de Syrte et ce, bien que la destruction de cette ville de 120.000 habitants réduite en cendres et le meurtre et la mutilation d’un nombre incalculable de ses habitants aient été l’œuvre d’une campagne de bombardement continue de l’OTAN, suivie du pilonnage de la ville par les « rebelles » soutenus par l’OTAN.
En fait, les Etats-Unis et l’OTAN ont fait à Syrte précisément le genre de siège qu’ils avaient affirmé vouloir empêcher par leur intervention.
Quant au meurtre de Kadhafi, qui a été révélé par de nombreuses vidéos de téléphones portables sur Internet être un lynchage, Cole l’exclut en avançant d’autres explications selon lesquelles le dirigeant libyen est mort « au combat » ou a été tué en tentant de s’échapper.
Cole rejette les nombreux rapports sur les tensions existant entre les différentes régions et les milices armées qu’elles ont formées – ainsi que les preuves que divers pouvoirs, tant les Etats occidentaux que les Etats arabes du Golfe, interviennent pour les attiser – en insistant pour dire que la guerre libyenne est une « victoire pour la Quatrième Vague de démocratisation. »
En réponse à cet article, l’un de ses lecteurs a écrit, « Je continue de voir des rapports selon lesquels les rebelles ont massacré des Libyens noirs et que Tawergha [une ville au Sud de Misrata qui a une population majoritairement noire] a été rayée de la carte. Pouvez-vous élaborer sur ces questions ? »
La réponse de Cole est glaçante : « Il y a très peu de Libyens noirs… Ce n’est pas une question importante. »
En réalité, les Libyens noirs, ajoutés aux plus de deux millions de travailleurs noirs africains immigrés, dont bon nombre vivaient en Libye depuis des années, constituent à peu près un tiers de la population. Dans son enthousiasme sanguinaire pour la victoire impérialiste, Cole est totalement indifférent au fait que des milliers de ces gens ont été assassinés, torturés et emprisonnés à cause de la couleur de leur peau.
La conclusion du professeur est triomphaliste et contredit ses propres affirmations que la seule raison de la guerre libyenne était celle des droits humains.
"Ceux disposant de capital d’investissement et qui ignorent la Libye en raison de telles préoccupations excessives [de conflits imminents] ne feront que rater une bonne occasion, » écrit-il. « Le Conseil national de transition a maintenant besoin de notre soutien, et la nouvelle Libye libérée se souviendra de qui étaient ses amis en ces temps incertains. Les taureaux sont lâchés en Tripolitanie et dans la Cyrénaïque. »
En d’autres termes, on peut faire confiance à un régime qui vient au pouvoir en qualité de client de Washington et de l'OTAN pour obtenir des accords pétroliers à des conditions bien plus lucratives que sous le gouvernement évincé de Gadhafi. On peut aussi compter sur lui pour l'obtention de contrats juteux pour la reconstruction de l'infrastructure massivement détruite par les bombardements de l'OTAN.
Ce qui mérite d’être souligné ici, et qui est politiquement significatif, c’est l’identification éhontée d'un professeur d’université qui se décrit lui-même comme étant de « gauche » avec une opération impérialiste brutale, une recolonisation et un meurtre.
Les écrits et les activités de Cole sont emblématiques du mouvement vers la droite opéré par une couche d’universitaires qui ont été à la fois profondément corrompus par le climat politique aux Etats-Unis et en Europe occidentale et leur propre ascension sociale dans les classes moyennes supérieures.
Il y a plus que des relents de fascisme dans les écrits de Cole. C’est quelqu’un qui est emballé par sa capacité de s’insinuer dans les bonnes grâces de ceux qui sont au pouvoir – en vantant ses briefings des services secrets et des militaires – de par sa capacité à jouer un rôle, même si ce n’est qu’indirectement, dans la brutalité et les meurtres perpétrés par l’impérialisme américain. Avec la Libye, il croit évidemment se sentir dans son élément.
Dans les conditions d’une crise sociale qui s’aggrave, d’une polarisation sociale grandissante et d’une lutte des classes naissante en Amérique et internationalement, une telle évolution revêt une signification historique profonde.
Durant les années 1920, dans l’Allemagne de Weimar, il y avait eu un grand nombre d’universitaires et d’intellectuels allemands qui avaient entamé une évolution vers la droite qui se termina par leurs cris, dix ans plus tard , de « Sieg Heil ! » Des individus tels Martin Heidegger et Carl Schmitt étaient en vue au sein de cette couche qui trouvait aussi une attirance malsaine pour la violence et les meurtres nazis.
Avant qu’un régime autoritaire ne puisse venir au pouvoir en Amérique, l’élite dirigeante a besoin des services d’universitaires et de lumpen-intellectuels comme Cole pour contribuer à jeter les bases idéologiques et à préparer l’opinion publique à devenir les défenseurs et les justificateurs des crimes de l’Etat.
Le fait que Cole se prétende « homme de gauche » devient de plus en plus absurde. Parmi un nombre croissant de gens qui sont au courant de son rôle, la simple mention de son nom suscite des sentiments de dégoût politique. Il y a, pour le dire franchement, une odeur désagréable qui accompagne sa réputation intellectuelle.
Voir aussi:
Lettre ouverte au professeur Juan Cole: réponse à une diffamation
Le professeur Cole « répond » au WSWS sur la Libye: un aveu de faillite intellectuelle et politique
(Article original paru le 25 octobre 2011)