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Manifestations de masse en Tunisie : le premier ministre démissionne

Par Patrick Martin
1er mars 2011

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Le premier ministre de la Tunisie, Mohammed Ghannouchi, un survivant de la dictature détestée de l’ex-président Zine El Abidine Ben Ali, a annoncé sa démission dimanche dans un discours à la télévision nationale. Il a quitté ses fonctions après plus d’une semaine de manifestations de masse contre son gouvernement. Au plus fort des protestations, deux jours d’émeutes ont pris place au cours desquels cinq manifestants ont été tués par la police.

Quelques heures plus tard, le président par intérim, Fouad Mebazaa, a nommé un ancien ministre, Beji Caid-Essebsi, au poste de premier ministre et le gouvernement a réitéré sa promesse de tenir des élections pour remplacer le gouvernement intérimaire le 15 juillet.

La nomination, tout comme la promesse d’élections, visait à apaiser les masses tunisiennes, qui ont correctement identifié le gouvernement comme la continuité du régime de Ben Ali sans lui. Ghannouchi a été le premier ministre de Ben Ali pendant 11 ans, avant que le dictateur tunisien ne fuit le pays le 14 janvier, au milieu de manifestations antigouvernementales de masse.

Mebazaa était aussi un fonctionnaire du régime, servant de whip pour son parlement servile. Dans le but de trouver un successeur à Ghannouchi qui n’aurait pas de lien direct avec Ben Ali, Mebazaa a été forcé de sortir Caid-Essebsi, qui est très âgé, de sa retraite. L’homme de 84 ans a été longtemps fonctionnaire durant la présidence d’Habib Bourguiba, que Ben Ali a remplacé en 1987.

Dans sa déclaration télévisée annonçant sa démission, Ghannouchi a mentionné la violence des jours précédents, dont une attaque armée sur l’édifice du ministère de l’Intérieur ainsi que des batailles en règle entre la police et des jeunes armés de pierres au centre-ville de Tunis. « Je ne suis pas disposé à être l’homme de la répression, et je ne le serai jamais », a-t-il dit, même s’il n’a eu aucun scrupule concernant la répression durant les onze ans où il a été le principal administrateur de Ben Ali.

L’opposition populaire a explosé lors des deux dernières semaines, pendant que rien n’était fait pour que les masses tunisiennes puissent obtenir des emplois ou des améliorations dans leurs conditions de vie. Plutôt, le gouvernement s’est concentré à restaurer les forces de sécurité et à négocier avec les représentants des différentes puissances impérialistes, particulièrement concernant l’aide pour la sécurité, afin d’aider l’élite dirigeante tunisienne à reconstruire ses forces armées pour l’utiliser contre son peuple.

Le 20 février, plus de 40 000 personnes ont manifesté à travers Tunis pour exiger l'expulsion du gouvernement. (Voir « Des protestations qui ont ébranlé le gouvernement tunisien ») Des groupes de protestataires ont ensuite établi un campement sur la place centrale de la capitale, inspiré des manifestations de la place Tahrir en Égypte.

Le vendredi 25 février a été désigné « jour de colère » à travers le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. À Tunis, environ 100 000 personnes ont marché sur la principale avenue de la capitale en scandant des slogans antigouvernementaux et exigeant le renvoi de Ghannouchi.

La manifestation – qui a connu un très fort taux de participation – a à peine été mentionnée dans les médias internationaux, qui ont porté toute leur attention sur le développement de la guerre civile en Libye.

La police a tiré en l'air pour disperser, sans succès, l'immense foule qui criait « Va-t-en ! » – le même slogan scandé lors des manifestations précédentes contre Ben Ali et dans le mouvement égyptien contre Moubarak – et « Nous ne voulons pas des amis de Ben Ali ! ».

Les manifestants ont accusé Ghannouchi et d'autres copains de Ben Ali d'avoir « trahi » et « volé » la révolution tunisienne.

Le cabinet de Ghannouchi a publié une déclaration pour tenter de calmer la population, affirmant que le gouvernement « a décidé que les consultations avec les divers partis politiques ne devaient pas être prolongées au-delà de la mi-mars... Des élections seront organisées au plus tard à la mi-juillet 2011. » La déclaration mentionnait aussi que le gouvernement avait saisi les actifs de 110 autres copains de Ben Ali, nombre qui s'ajoutait à 46 associés et parents contre lesquels le gouvernement avait sévi plus tôt.

Le gouvernement a du même coup intensifié la répression. Le ministre de l'Intérieur a interdit la tenue d'autres manifestations, menaçant de procéder à des arrestations de masse si cela n'était pas respecté. Il s'agissait du premier décret de ce genre depuis que Ben Ali avait été expulsé. Samedi, des policiers et des soldats flanqués de chars d'assaut ont eu recours aux gaz lacrymogènes pour disperser les foules de jeunes qui tentaient de continuer les protestations. Cela a eu pour effet de provoquer le lendemain une attaque armée sur les quartiers généraux du ministère. Plus de 200 personnes ont été arrêtées dans la capitale depuis vendredi.

Après le discours annonçant la démission de Ghannouchi, les foules sont sorties dans les rues de la capitale pour célébrer. Un homme, qui s'est présenté sous le nom d'Ahmed à l'agence Reuters, a dit : « Nous sommes très heureux, mais ce n'est pas assez. Il ne doit rien rester de ce gouvernement. »

Le site web Stratford Global Consulting, qui a d’étroits liens avec l’appareil de renseignement américain, a mis en garde : « l’espoir est que, avec ces concessions, les manifestations vont se calmer, permettant ainsi au gouvernement d’entamer la préparation d’élection. Mais il se pourrait que cela encourage les forces d’opposition à exiger davantage de concessions ».

Tant l’UGTT, l’organisation syndicale dirigée par l’État, que le groupe islamiste Ennahda, ont salué la démission de Ghannouchi. L’UGTT avait initialement accepté de servir dans le cabinet de Ghannouchi, mais elle a été forcée de retirer ses trois ministres face à l’hostilité de masse envers un « nouveau » régime dirigé par les mêmes visages de l’ancien régime. 

La nomination d’un premier ministre qui n’est pas directement impliqué dans les crimes de Ben Ali peut servir de prétexte aux syndicats et aux islamistes pour prendre leur place au sein d’un gouvernement qui vise à garantir les intérêts de l’élite bourgeoisie tunisienne et des entreprises multinationales.

Lundi dernier, le 21 février, Ghannouchi a rencontré deux visiteurs américains hauts placés, les sénateurs John McCain et Joseph Lieberman. McCain, le candidat républicain à la présidence en 2008, a déclaré « la révolution en Tunisie a été une vraie réussite et elle devenue un modèle pour la région », ajoutant, au nom de la Maison-Blanche, « Nous sommes prêts à fournir de l’entrainement afin d’aider l’armée tunisienne à assurer la sécurité ».

Ce que McCain saluait comme un « modèle » est une « révolution » qui laisse le premier ministre actuel en poste et l’appareil d’État complètement intact, et qui n'a renvoyé que le président. Il exprimait l’espoir, au nom de l’impérialisme américain, que des changements cosmétiques semblables puissent être présentés comme des révolutions dans d’autres dictatures et territoires sous l’autorité de cheiks dominés par les États-Unis, à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Seulement six jours plus tard, cependant, le « modèle » de McCain a démissionné, bien  qu'il soit remplacé par un autre serviteur éprouvé des puissances impérialistes et ennemi de la classe ouvrière tunisienne.

 (Article original paru le 28 février)

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