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WSWS : Nouvelles et analyses : Afrique et Moyen-Orient

Des protestations qui ont ébranlé le gouvernement tunisien

Par Patrick Martin
28 février 2011

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Deux journées de protestations antigouvernementales en Tunisie ont précipité le gouvernement intérimaire qui a suivi celui du président Zine El Abidine Ben Ali dans une crise. Des dizaines de milliers de manifestants ont afflué dans le centre de la capitale, Tunis, exigeant la démission du premier ministre Mohammed Ghannouchi et d'autres responsables restant de la dictature.

On estime à quelque 40.000 les manifestants qui ont agité des drapeaux tunisiens et des banderoles pour exiger le renvoi de Ghannouchi, la convocation d'une assemblée constituante et la fin de l'ingérence française dans l'ancienne colonie. Ils ont dénoncé Ghannouchi pour être un loyal satrape de Ben Ali et s'être opposé à la révolution qui a forcé l'ancien président vers l'exil le 14 janvier et ils ont exigé la démission de tous les responsables régionaux nommés par Ben Ali et la révocation de la constitution.

Selon une dépêche de l'agence Reuters, la police tunisienne a tiré en l'air pour disperser l'énorme foule et des hélicoptères de l'armée ont survolé celle-ci, mais en vain. Les manifestants ont encore scandé « Va t-en ! » à l'adresse de Ghannouchi et « Nous ne voulons pas des amis de Ben Ali ! » tout en exigeant des augmentations de salaires.

La veille, 15.000 personnes avaient défilé dans la capitale en scandant des slogans contre les extrémistes islamiques qu'on avait rendu responsable du meurtre d'un prêtre polonais de 34 ans, Marek Rybinski, trouvé vendredi soir, la gorge tranchée. Le ministre de l'Intérieur avait mis en garde que les manifestations de masse étaient interdites en raison des lois d'urgence et que des manifestants pourraient être arrêtés.

Le gouvernement a condamné le meurtre comme étant l'ouvre de « terroristes fascistes d'orientation extrémiste. » Mais, le parti islamiste Ennahdha (Renaissance), qui avait été interdit auparavant, a dit qu'il devrait y avoir une enquête pour « faire la lumière sur les véritables circonstances de cet incident. avant de proférer des accusations. »

Une forte participation au rassemblement de samedi a reflété à la fois l'énorme opposition au fondamentalisme islamique et l'inquiétude que le gouvernement recourrait à la menace du terrorisme islamiste comme prétexte d'une nouvelle attaque contre les droits démocratiques - une tactique fréquemment utilisée par le régime Ben Ali.

Plusieurs centaines de personnes ont également manifesté samedi 19 février devant l'ambassade de France à Tunis exigeant le rappel du nouvel ambassadeur français, Boris Boillon qui avait été précédemment en poste en Irak. Le gouvernement français du président Nicolas Sarkozy est largement méprisé en Tunisie pour son fervent soutien du régime Ben Ali. Il a assuré l'approvisionnement en armes de la dictature, y compris en matériel de contrôle de foule, et ce jusqu'à la semaine de son effondrement.

Le premier ministre Ghannouchi avait fait une série de gestes pour calmer l'opposition populaire et dissimuler la continuité existant entre la dictature Ben Ali et son gouvernement qui se compose presque entièrement de responsables de l'ancien régime.

Le 18 février, le gouvernement a approuvé un projet pour augmenter le nombre des familles pauvres bénéficiant d'une aide financière gouvernementale, faisant passer ce nombre de 135.000 à 185.000. Le versement de l'aide devient mensuel au lieu de trimestriel.

Le 19 février entrait aussi en vigueur une amnistie générale pour les prisonniers politiques en vertu de l'approbation par le gouvernement d'un décret-loi signé par le président en place, Fouad Mebazza. Cette mesure s'applique à « tous ceux qui ont été emprisonnés ou qui ont été poursuivis pour des crimes de droit commun suite à leurs activités politiques ou syndicales, » déclare le communiqué de l'Agence d'informations officielle TAP. Quelque 3.000 prisonniers ont déjà été libérés et 300 à 500 autres devraient être libérés en vertu du dernier décret en date, selon des groupes de défense des droits de l'Homme.

Le 20 février, le gouvernement a adressé une demande officielle d'extradition à l'Arabie saoudite où ont fui après des semaines de protestations populaires Ben Ali et sa famille en emportant une importante quantité d'or. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères dit que la démarche se poursuivait au vu « d'une nouvelle série d'accusations à l'encontre du président déchu relatives à son implication dans plusieurs crimes graves qui consistent à commettre et à inciter à l'homicide volontaire et à semer la discorde entre les citoyens d'un même pays, en les poussant à s'entretuer. »

Le gouvernement a aussi cherché à obtenir des informations concernant la santé de Ben Ali suite à des rapports non confirmés que l'ancien président de 74 ans se trouverait dans le coma dû au stress et qu'il serait traité dans un hôpital à Djeddah. La télévision publique a diffusé dimanche des images montrant une grande quantité d'argent, d'or et de bijoux trouvés dans la bibliothèque du palais présidentiel de Ben Ali, un magot s'élevant à des millions de dollars.

Les Etats-Unis, l'Union européenne et d'autres puissances régionales ont cherché à soutenir le gouvernement Ghannouchi en le présentant comme un garant de la stabilité de la même manière qu'ils avaient soutenu pendant ces dernières 23 années la dictature Ben Ali.

Le sénateur américain John McCain, ancien candidat républicain à la présidence, a rencontré lundi à Tunis des responsables gouvernementaux tunisiens et a dit à Reuters que le gouvernement Obama avait offert une assistance sécuritaire au gouvernement intérimaire. « La révolution en Tunisie a été un vrai succès et elle devient un modèle pour la région, » a-t-il dit. « Nous sommes prêts à fournir un entraînement afin d'aider l'armée tunisienne à apporter  la sécurité. »

Le caractère « modèle » du soulèvement tunisien, en ce qui concerne Washington c'est que l'ancienne dictature a été remplacée par un régime qui est identique à tous points de vue à son prédécesseur proaméricain, mis à part l'absence de Ben Ali lui-même. Aucune empiétement n'a eu lieu en ce qui concerne la propriété soit de l'élite dirigeante tunisienne soit du capital étranger et le nouveau gouvernement a promis de poursuivre la collaboration avec les Etats-Unis dans la lutte contre le « terrorisme. »

McCain considère ceci comme un « modèle » parce que les Etats-Unis aimeraient créer des régimes identiques en Egypte et ailleurs - en réalité, le moubarakisme sans Moubarak - pour défendre leurs intérêts financiers et sécuritaires.

D'autres visiteurs s'étant rendus à Tunis pour rencontrer les successeurs de Ben Ali ont été le ministre des Affaires étrangères turc, Ahmed Davutoglu, et le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjorn Jagland.

Ailleurs en Afrique du Nord, cinq corps ont été trouvés dans une banque au Maroc qui avait brûlé dimanche lors de protestations antigouvernementales, selon l'agence d'information d'Etat. Les corps ont été trouvés dans la ville d'Al Hoceima dans le Nord du Maroc, l'une des région où les protestations avaient débouché sur de violents affrontements, des actes de vandalisme et de pillage. L'on estime que les victimes sont des spécialistes de l'informatique qui ont été piégés par le feu.

Le ministre de l'Intérieur, Taib Cherkaoui a dit lundi aux journalistes que 37.000 personnes avaient participé à des protestations pacifiques au niveau national, un chiffre bien plus élevé que ne l'avaient indiqué des rapports initiaux en provenance de Rabat, la capitale, et de Casablanca, la plus grande ville du pays. Le pillage qui a eu lieu après les manifestations a entraîné l'incendie de 24 banques, de 50 magasins et commerces et de 66 voitures, a dit le ministre. Environ 115 policiers ont été blessés.

 (Article original paru le 22 février 2011)

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