Deux journées de protestations antigouvernementales en Tunisie
ont précipité le gouvernement intérimaire qui a suivi celui du président Zine
El Abidine Ben Ali dans une crise. Des dizaines de milliers de manifestants ont
afflué dans le centre de la capitale, Tunis, exigeant la démission du premier
ministre Mohammed Ghannouchi et d'autres responsables restant de la dictature.
On estime à quelque 40.000 les manifestants qui ont agité des
drapeaux tunisiens et des banderoles pour exiger le renvoi de Ghannouchi, la
convocation d'une assemblée constituante et la fin de l'ingérence française
dans l'ancienne colonie. Ils ont dénoncé Ghannouchi pour être un loyal satrape
de Ben Ali et s'être opposé à la révolution qui a forcé l'ancien président vers
l'exil le 14 janvier et ils ont exigé la démission de tous les responsables
régionaux nommés par Ben Ali et la révocation de la constitution.
Selon une dépêche de l'agence Reuters, la police tunisienne a
tiré en l'air pour disperser l'énorme foule et des hélicoptères de l'armée ont
survolé celle-ci, mais en vain. Les manifestants ont encore scandé « Va
t-en ! » à l'adresse de Ghannouchi et « Nous ne voulons pas des
amis de Ben Ali ! » tout en exigeant des augmentations de salaires.
La veille, 15.000 personnes avaient défilé dans la capitale en
scandant des slogans contre les extrémistes islamiques qu'on avait rendu
responsable du meurtre d'un prêtre polonais de 34 ans, Marek Rybinski, trouvé
vendredi soir, la gorge tranchée. Le ministre de l'Intérieur avait mis en garde
que les manifestations de masse étaient interdites en raison des lois d'urgence
et que des manifestants pourraient être arrêtés.
Le gouvernement a condamné le meurtre comme étant l'ouvre de
« terroristes fascistes d'orientation extrémiste. » Mais, le parti
islamiste Ennahdha (Renaissance), qui avait été interdit auparavant, a dit qu'il
devrait y avoir une enquête pour « faire la lumière sur les véritables
circonstances de cet incident. avant de proférer des accusations. »
Une forte participation au rassemblement de samedi a reflété à
la fois l'énorme opposition au fondamentalisme islamique et l'inquiétude que le
gouvernement recourrait à la menace du terrorisme islamiste comme prétexte
d'une nouvelle attaque contre les droits démocratiques - une tactique
fréquemment utilisée par le régime Ben Ali.
Plusieurs centaines de personnes ont également manifesté
samedi 19 février devant l'ambassade de France à Tunis exigeant le rappel du
nouvel ambassadeur français, Boris Boillon qui avait été précédemment en poste
en Irak. Le gouvernement français du président Nicolas Sarkozy est largement
méprisé en Tunisie pour son fervent soutien du régime Ben Ali. Il a assuré
l'approvisionnement en armes de la dictature, y compris en matériel de contrôle
de foule, et ce jusqu'à la semaine de son effondrement.
Le premier ministre Ghannouchi avait fait une série de gestes
pour calmer l'opposition populaire et dissimuler la continuité existant entre
la dictature Ben Ali et son gouvernement qui se compose presque entièrement de
responsables de l'ancien régime.
Le 18 février, le gouvernement a approuvé un projet pour augmenter
le nombre des familles pauvres bénéficiant d'une aide financière
gouvernementale, faisant passer ce nombre de 135.000 à 185.000. Le versement de
l'aide devient mensuel au lieu de trimestriel.
Le 19 février entrait aussi en vigueur une amnistie générale pour
les prisonniers politiques en vertu de l'approbation par le gouvernement d'un
décret-loi signé par le président en place, Fouad Mebazza. Cette mesure
s'applique à « tous ceux qui ont été emprisonnés ou qui ont été poursuivis
pour des crimes de droit commun suite à leurs activités politiques ou
syndicales, » déclare le communiqué de l'Agence d'informations officielle TAP.
Quelque 3.000 prisonniers ont déjà été libérés et 300 à 500 autres devraient
être libérés en vertu du dernier décret en date, selon des groupes de défense
des droits de l'Homme.
Le 20 février, le gouvernement a adressé une demande
officielle d'extradition à l'Arabie saoudite où ont fui après des semaines de
protestations populaires Ben Ali et sa famille en emportant une importante
quantité d'or. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères dit que la
démarche se poursuivait au vu « d'une nouvelle série d'accusations à
l'encontre du président déchu relatives à son implication dans plusieurs crimes
graves qui consistent à commettre et à inciter à l'homicide volontaire et à
semer la discorde entre les citoyens d'un même pays, en les poussant à
s'entretuer. »
Le gouvernement a aussi cherché à obtenir des informations
concernant la santé de Ben Ali suite à des rapports non confirmés que l'ancien
président de 74 ans se trouverait dans le coma dû au stress et qu'il serait
traité dans un hôpital à Djeddah. La télévision publique a diffusé dimanche des
images montrant une grande quantité d'argent, d'or et de bijoux trouvés dans la
bibliothèque du palais présidentiel de Ben Ali, un magot s'élevant à des
millions de dollars.
Les Etats-Unis, l'Union européenne et d'autres puissances régionales
ont cherché à soutenir le gouvernement Ghannouchi en le présentant comme un garant
de la stabilité de la même manière qu'ils avaient soutenu pendant ces dernières
23 années la dictature Ben Ali.
Le sénateur américain John McCain, ancien candidat républicain
à la présidence, a rencontré lundi à Tunis des responsables gouvernementaux
tunisiens et a dit à Reuters que le gouvernement Obama avait offert une
assistance sécuritaire au gouvernement intérimaire. « La révolution en
Tunisie a été un vrai succès et elle devient un modèle pour la région, »
a-t-il dit. « Nous sommes prêts à fournir un entraînement afin d'aider
l'armée tunisienne à apporter la sécurité. »
Le caractère « modèle » du soulèvement tunisien, en
ce qui concerne Washington c'est que l'ancienne dictature a été remplacée par
un régime qui est identique à tous points de vue à son prédécesseur
proaméricain, mis à part l'absence de Ben Ali lui-même. Aucune empiétement n'a
eu lieu en ce qui concerne la propriété soit de l'élite dirigeante tunisienne
soit du capital étranger et le nouveau gouvernement a promis de poursuivre la collaboration
avec les Etats-Unis dans la lutte contre le « terrorisme. »
McCain considère ceci comme un « modèle » parce que
les Etats-Unis aimeraient créer des régimes identiques en Egypte et ailleurs -
en réalité, le moubarakisme sans Moubarak - pour défendre leurs intérêts
financiers et sécuritaires.
D'autres visiteurs s'étant rendus à Tunis pour rencontrer les
successeurs de Ben Ali ont été le ministre des Affaires étrangères turc, Ahmed
Davutoglu, et le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjorn Jagland.
Ailleurs en Afrique du Nord, cinq corps ont été trouvés dans
une banque au Maroc qui avait brûlé dimanche lors de protestations
antigouvernementales, selon l'agence d'information d'Etat. Les corps ont été
trouvés dans la ville d'Al Hoceima dans le Nord du Maroc, l'une des région où
les protestations avaient débouché sur de violents affrontements, des actes de
vandalisme et de pillage. L'on estime que les victimes sont des spécialistes de
l'informatique qui ont été piégés par le feu.
Le ministre de l'Intérieur, Taib Cherkaoui a dit lundi aux
journalistes que 37.000 personnes avaient participé à des protestations
pacifiques au niveau national, un chiffre bien plus élevé que ne l'avaient
indiqué des rapports initiaux en provenance de Rabat, la capitale, et de
Casablanca, la plus grande ville du pays. Le pillage qui a eu lieu après les
manifestations a entraîné l'incendie de 24 banques, de 50 magasins et commerces
et de 66 voitures, a dit le ministre. Environ 115 policiers ont été blessés.