Le soulèvement en Tunisie est à son stade initial et des efforts ont rapidement
été entrepris par ceux qui restent de la dictature de Ben Ali, les partis
d’opposition bourgeois et les syndicats, pour stabiliser la situation. Ils
cherchent à rassembler un gouvernement capable de réprimer le mouvement de masse
et de sauvegarder les intérêts de l’élite dirigeante tunisienne et de
l’impérialisme américain et français.
Si l’initiative est laissée entre les mains de ces forces il existe un danger réel de répression militaire et de mise en place d’un nouveau régime autoritaire.
La tâche la plus cruciale à la laquelle sont confrontées les masses tunisiennes est le développement d’une direction et d’un programme révolutionnaires pour la classe ouvrière. Aucune des revendications de ce mouvement de masse – pour des emplois et un niveau de vie décent, des droits démocratiques fondamentaux et la fin du pillage du pays par le Fonds monétaire international (FMI), les groupes multinationaux et les capitalistes autochtones – ne peuvent se concrétiser en dehors d’une lutte de la classe ouvrière pour la prise du pouvoir politique et la réorganisation de l’économie selon des lignes socialistes.
En opposition à une telle lutte, une myriade d’organisations de « gauche » petites bourgeoises dans le monde entier cherchent a lier la classe ouvrière tunisienne aux partis d’opposition officiels et, en premier lieu, à l’UGTT (Union générale des Travailleurs tunisiens). Le Nouveau Parti anticapitaliste en France en fait partie (Voir : Les événements de Tunisie révèlent la politique pro-impérialiste du Nouveau Parti anticapitaliste ).
Aux Etats-Unis, l’International Socialist Organisation (ISO) a été l’une des principales organisations à soutenir et promouvoir l’UGTT. Un article paru en début de semaine sur son site web Socialist Worker déclare, « Au cours de ces quelques dernières semaines, l’Union générale des Travailleurs tunisiens (UGTT) s'est révélée être un noyau crucial pour l’organisation et l’unification des travailleurs avec ou sans emploi dans la contestation. »
C’est un mensonge. La première réaction de l’UGTT a été de dénoncer les protestations. Même au moment où des manifestants commençaient à être abattus dans les rues, le dirigeant de l’UGTT, Abdessalem Jerad était en réunion avec Ben Ali.
L’UGTT a longtemps soutenu le régime et a joué un rôle décisif dans l’application des réformes structurelles et des mesures d’austérité appuyées par le FMI. Elle a publiquement soutenu Ben Ali durant les élections présidentielles truquées en disant encore dernièrement aux travailleurs qu’il garantirait « un climat de liberté et de stabilité. »
Incapable de dissimuler complètement ces faits, le correspondant de Socialist Worker, Matt Swagler, a dit, « Malheureusement, les dirigeants syndicaux ont rejoint le mouvement avec quelque peu de retard. Après avoir initialement condamné les protestations en s’en tenant écartés, ils ont été poussés par la base à soutenir et à rejoindre les actions. Mais leur poids a été grand pour faire basculer la balance à l’encontre de Ben Ali. »
Quel a été le rôle véritable de l’UGTT ?
Avec des dizaines de milliers de personnes défilant au mépris de la violence d'Etat, la commission nationale de l’UGTT a appelé à une réunion d’urgence le 11 janvier. Elle a publié un communiqué pour lancer un appel au calme en pressant le gouvernement de ne pas imputer au syndicat « les événements dramatiques qui ont marqué le pays. » Elle n’a pas réclamé l’éviction de Ben Ali mais, au lieu de cela, « la création d’une commission nationale de dialogue pour déterminer les réformes économiques et sociales indispensables pour assurer la stabilité, la sécurité et la prospérité nationale. »
Alors que les grèves et les protestations s’intensifiaient, les dirigeants de l’UGTT ont appelé à une grève symbolique de deux heures le 14 janvier pour essayer de contenir la rébellion et pour se présenter comme une force d'opposition. Lorsque Ben Ali a fui vers l’Arabie saoudite, l’UGTT s’est rapidement ralliée derrière les manœuvres de ses acolytes pour former un gouvernement « d’union nationale. »
Trois responsables de l’UGTT ont accepté des postes de ministres au sein du gouvernement qui était dominé par des membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de Ben Ali. Avec les protestations se poursuivant et se concentrant sur le rôle joué par le RCD, les trois ministres UGTT ont été obligés de démissionner.
Dans un effort visant à renforcer l’autorité de l’UGTT, Swagler écrit, « Le mouvement ouvrier tunisien a une histoire radicale importante – en particulier, une grève générale en 1978. Mais il a été sérieusement affaibli par une interaction entre la répression, la privatisation des emplois publics et le pouvoir d’adaptation de la direction syndicale. Il reste à voir si en solidarité avec le mouvement de protestation les syndicats vont recouvrer une partie de leur force d’avant. »
Depuis le début, l’UGTT est un instrument des forces les plus réactionnaires, y compris avant tout de l’impérialisme français et américain. Comme l’a remarqué Nigel Disney dans son article de 1978, « La révolte de la classe ouvrière en Tunisie, » l’UGTT « avait été formée en 1946 par la fusion de syndicats existant déjà mais elle avait rapidement viré à droite durant la période de la lutte pour l’indépendance nationale. Un an après son adhésion, l’UGTT quittait en 1951 la Fédération syndicale mondiale, d'orientation communiste, pour rejoindre à la place la Confédération internationale des syndicats (CISL). Par le biais de cette organisation, la direction de l’UGTT a forgé des liens étroits avec la Fédération américaine du travail (AFL), liens existant encore à ce jour. »
Irwing Brown, qui a dirigé les activités anticommunistes mondiales de l’AFL en étroite liaison avec l’Agence centre le renseignement (CIA), a forgé des liens étroits avec l’UGTT et les prédécesseurs du parti RCD de Ben Ali. Les opérations de l’AFL à Tunis étaient devenues un tremplin pour les crimes et les intrigues de l’impérialisme américain non seulement en Afrique du Nord mais sur l’ensemble du continent.
La grève générale tunisienne de 1978 avait été une lutte explosive déclenchée par les troubles survenus dans le milieu ouvrier et universitaire au sujet des conditions économiques décrépites et de la répression politique. Des centaines de personnes avaient été fusillées par l’armée et plus de 200 responsables syndicaux, dont le dirigeant de l’UGTT, furent emprisonnés. Dès 1981, cependant, après la libération et l’amnistie des responsables syndicaux, l’UGTT soutenait le Parti socialiste de Destourian qui avait organisé la répression, en affirmant qu’il s’était réformé. En 1987, Ben Ali, un membre dirigeant du parti prenait le pouvoir.
Tout ceci ne porte nullement à conséquence pour l’ISO et les autres organisations soi-disant de gauche. Plutôt que de mettre en garde la classe ouvrière contre des illusions fatales sur l’opposition bourgeoise, ils nourrissent ce genre d’illusions en insistant pour dire que la pression de masse peut faire virer l’UGTT et les partis d’opposition bourgeois vers la gauche.
Swagler demande instamment aux travailleurs et aux jeunes Tunisiens de « rendre les dirigeants intérimaires responsables de leurs promesses de réformes et de mettre un terme à l’oppression. » De plus, dit-il, les « syndicats et les organisations d’opposition de la gauche tunisienne pourraient jouer un rôle significatif pour contribuer à rassembler un mouvement » en vue d’un « changement social radical. »
Chacun de ces soi-disant partis d’opposition – à commencer par ceux autorisés sous la dictature jusqu'à ceux qui étaient interdits tels le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) stalinien et les partis islamistes – défend l’ordre capitaliste.
Loin d’être le moyen pour un « changement social radical » ils oeuvrent assidûment pour forger un gouvernement qui soit en mesure d’étouffer la résistance populaire. Dans ces efforts, les organisations de « gauche » petites bourgeoises opèrent comme un appui et un auxiliaire crucial de l’impérialisme français et américain.
Ce n’est certainement pas la première ou même la deuxième fois qu’ils jouent ce rôle. En 2009, l’ensemble de la fraternité de « gauche » avait soutenu les efforts entrepris par les Etats-Unis pour déstabiliser le régime iranien durant la soi-disant Révolution verte, en soutenant les opposants qui cherchaient à mettre en place un régime plus favorable à Washington.
Les masses tunisiennes sont confrontées à de grands défis politiques qui ne peuvent être résolus en dehors d’une lutte pour la construction d’une direction révolutionnaire qui a assimilé les leçons de l’histoire, y compris la lutte contre le nationalisme bourgeois, le stalinisme et l’opportunisme. Le seul parti qui incarne cette lutte est le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), le mouvement trotskyste mondial. Nous encourageons les travailleurs, les jeunes et les intellectuels tunisiens à étudier l’histoire et le programme de notre mouvement et à construire des sections du CIQI en Tunisie et partout en Afrique du nord.
(Article original paru le 21 janvier 2011)
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