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Afrique et
Moyen-OrientLes protestations anti gouvernement se
poursuivent en Tunisie durant la période de deuil national
Par Ann Talbot
25 janvier 2011
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Les protestations ont continué en Tunisie le premier jour du deuil national
de trois jours à la mémoire de ceux qui sont morts lors du soulèvement. L’on
estime que 100 personnes sont mortes durant un mois de protestation.
Le gouvernement intérimaire dirigé par des acolytes de longue date du
président évincé, Zine Abidine Ben Ali, a appelé à une période de deuil dans
une tentative consciente d’apaiser la colère populaire et de débarrasser la
rue des opposants du soi-disant gouvernement « d’union nationale ». Le
« deuil » de la part du gouvernement pour les victimes de Ben Ali est
foncièrement hypocrite étant donné que tous ceux qui occupent des postes clé
sont complices des semaines de répression et de violence d’Etat qui ont
précédé la fuite de Ben Ali.
La situation demeure tendue en Tunisie alors que le gouvernement
intérimaire lutte pour contenir la situation. Le 20 janvier, la police a
tiré en l'air, par-dessus les têtes des manifestants devant le quartier
général de l’ancien parti dirigeant. Hier, elle a contenu la foule qui
s’était rassemblée devant le ministère de l’Intérieur et devant le bureau du
premier ministre Mohammed Ghannouchi. La foule scandait, « Le peuple veut la
chute du gouvernement. »
Initialement, le premier ministre Ghannouchi a nommé un certain nombre
d’opposants à des postes mineurs du gouvernement. Ahmed Ibrahim, le
dirigeant de l’ancien mouvement Ettajdid stalinien, ou « Renouveau », a été
nommé ministre de l’Enseignement supérieur. Nejib Chebbi, le dirigeant du
Parti démocratique progressiste (PDP) a été fait ministre du Développement
et Mustapha Ben Jaafar du Forum démocratique pour le Travail et les Libertés
(FDTL) est devenu ministre de la Santé. Le blogueur Slim Amamou a été inclus
comme secrétaire d’Etat à la Jeunesse.
Près de la moitié du gouvernement intérimaire est composé de figures de
l’opposition. Mais des positions clé, telles la Défense, l’Intérieur, les
Finance, les Affaires étrangères et l’Industrie ont été confiées aux membres
de l’ancien régime, ainsi que les postes de premier ministre et de président
intérimaire.
La plupart des ministres de l’opposition ont maintenant été obligés de
démissionner au vu des protestations continues contre le gouvernement
intérimaire. Le principal syndicat tunisien, l’UGTT (Union générale des
Travailleurs tunisiens) a retiré son soutien au gouvernement intérimaire et
ses trois ministres ont quitté le gouvernement. Il appelle maintenant à la
formation d’un « cabinet de salut national » excluant tous ceux qui sont
associés à Ben Ali.
Ben Jaafar a fait de même, avec Nejib Chebbi partant à contrecœur un peu
plus tard. Le PDP de Chebbi avait initialement essayé de défendre son siège
au gouvernement au motif que sans membres de l’ancien régime, la Tunisie
tomberait dans le chaos comme la Somalie. Mais, il a été incapable de
résister à l’hostilité des membres de son propre parti.
Tous les membres du gouvernement ont à présent démissionné de l’ancien
parti dirigeant, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et le
parti a officiellement dissout son comité central. Cette manœuvre n’a pas
satisfait les manifestants qui continuent d’exiger la dissolution du parti
et des élections immédiates.
Les protestations continues ont concentré le feu des projecteurs sur les
partis d’opposition qui étaient interdits sous Ben Ali – l’Al-Nahda
islamiste, ou Renouveau, et le Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT),
une petite organisation affilée au mouvement maoïste fondé par Enver Hoxha.
Ces organisations jouent un rôle de premier plan dans les actuelles
protestations. En début de semaine, le gouvernement intérimaire a levé une
interdiction légale concernant ces deux organisations de façon à pouvoir se
servir de leur aide pour contenir le mouvement populaire dans les limites du
capitalisme tunisien.
Des membres de l’un ou de l’autre de ces partis pourraient éventuellement
diriger un nouveau gouvernement ou former une coalition disposant d’une
certaine crédibilité de la rue.
L’une des questions débattues dans les médias est l’absence d’une
présence islamiste organisée dans les protestations qui ont entraîné la
chute de Ben Ali. Ecrivant dans le New York Times, Olivier Roy a posé la
question, « Où sont les islamistes tunisiens ? »
C’est précisément parce que le mouvement de protestation tunisien est
concentré sur des questions sociales et de classe – le chômage, l’inégalité,
l’incroyable corruption du régime – et non sur les questions religieuses ou
laïques – que les médias internationaux cherchent maintenant à promouvoir
l’opposition islamiste afin d’orienter le mouvement dans des canaux
religieux et antisociaux.
Le New York Times a publié vendredi un article sur Al-Nahda et l’un de
ses dirigeants, Ali Larayed, sous le titre « L’opposition en Tunisie trouve
une chance pour renaître ». L’article caractérise Al-Nahda comme promouvant
« une version libérale unique de la politique islamiste » et déclare, « M.
Larayedh baigne maintenant dans une célébrité singulière. »
Il poursuit: « Il est l’un des quelques dirigeants restants du seul
mouvement d’opposition crédible de l’histoire de la Tunisie. Et, après la
fuite de M. Ben Ali, le potentiel de réincarnation de ce mouvement est
peut-être la variable la plus significative pour l’avenir
post-révolutionnaire de la Tunisie – attendue avec impatience par des
légions de travailleurs et de paysans tunisiens, considérée avec presque
autant d’appréhension par l’élite cosmopolite de la côte.
« Dans une interview accordée dans le hall d’entrée de l’Hôtel Africa, M.
Larayedh a insisté pour dire que son parti ne posait aucune menace aux
Tunisiens ou aux touristes dégustant du vin français dans leurs bikinis sur
les plages de la Méditerranée. »
Que le New York Times soutienne aussi chaleureusement un fondamentaliste
islamique pourrait passer pour une anomalie dans le contexte d'une « guerre
contre le terrorisme » permanente. Des milliers d’Islamistes ont été
emprisonnés depuis que la Tunisie a souscrit à l’invasion américaine de
l’Irak. Larayedh a passé les 14 dernières années en prison. Les Etats-Unis
ont soutenu pendant des décennies la dictature impitoyable de Ben Ali au
motif qu’il était nécessaire d’empêcher toute croissance du fondamentalisme
islamique dans la région.
La volte-face du Times ne fait que souligner le cynisme et l’hypocrisie
qui sous-tend la « guerre contre le terrorisme » qui a toujours été un moyen
pour promouvoir les intérêts impérialistes américains au Moyen Orient, en
Asie centrale et de par le monde. Lorsqu'ils sont confrontés au danger d’un
mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, le Times et la classe
dirigeante américaine, pour laquelle il parle, n’ont aucun problème à
promouvoir des forces islamistes – tout comme dans les années 1980 quand ils
s’en étaient servis contre un régime pro soviétique en Afghanistan en
encourageant auparavant sa croissance comme un contre poids aux mouvements
nationalistes laïcs au Moyen Orient.
Le quotidien Daily Telegraph de Londres a aussi fait l’éloge d’Al-Nadha.
Le journaliste Damien McElroy a affirmé que le parti dispose « d’une vaste
base dans les universités du pays. » Larayedh a dit au Daily Telgraph,
« Nous voulons un gouvernement qui est capable de constituer une démocratie
et cela signifie que le premier ministre doit partir. »
Nejib Chebbi du PDP a appelé à ce qu’un « Islam politique modéré »
intègre le nouveau gouvernement. Le dirigeant au plus haut niveau
d’Al-Nadha, Rached Ghannouchi, qui n'est pas apparenté au premier ministre
Ghannouchi, projette de retourner en Tunisie dès que la menace de prison à
vie sera levée.
Le PCOT avait également été exclu du gouvernement intérimaire. Il a joui
ces derniers jours d’une couverture médiatique d’une ampleur sans précédent
y compris de la part de journaux émanant de divers groupes de « gauche » de
la classe moyenne.
Hamma Hammami, le dirigeant du PCOT, a été libéré de prison la semaine
dernière et est devenu depuis un critique éloquent du gouvernement
intérimaire. Sa femme Radhia Nasraoui et lui ont été identifiés dans le New
York Times comme défenseurs des droits de l’homme.
« C’est un gouvernement national qui n’a rien de national, » a dit
Hammami, « Il a pour but de maintenir l’ancien régime accompagné de toutes
ses institutions autoritaires existantes. »
Le PCOT promeut une ligne nationaliste en opposition à une perspective
socialiste et internationaliste. Il a appelé à la formation d’une assemblée
constitutionnelle afin d’établir une république démocratique sur une base
capitaliste. Mis à part le programme pro-capitaliste, le PCOT et Hammami
sont engagés dans un effort politiquement criminel de promouvoir des
illusions dans l’armée en la dépeignant comme un défenseur patriotique du
peuple contre la police et les forces de sécurité de Ben Ali.
« Les forces armées tunisiennes se livrent à des combats de rue contre
les membres armés du sinistre appareil ‘ de sécurité interne ‘ de Ben Ali, »
a écrit Hammami. « Leur décision de se retourner contre le dictateur a été
un dernier coup décisif le forçant à démissionner. »
Le général Rachif Ammar, chef de l’armée, n’a à ce jour fait aucune
déclaration politique publique. En écrivant dans le journal The Independent
de Londres, Kim Sengupta a remarqué que le général a été une figure clé en
coulisses. Il a cité les commentaires de l’analyste politique Walid Chiti
sur le rôle du général :
« Il n’a pas besoin de faire quoi que ce soit, sinon observer et
attendre. C’est un homme ambitieux mais aussi sophistiqué et qui connaît le
jeu politique. Ammar est un homme habile et il ne fera pas d’erreur de
calcul ni de fausse manoeuvre. »
Les médias français et arabes regorgent de rapports selon lesquels les
généraux tunisiens ont persuadé Ben Ali de partir mais ils l’ont fait après
des discussions avec Washington. Présenter l’armée tunisienne comme une
institution uniquement nationale qui viendra en aide aux travailleurs
tunisiens et aux opprimés est une mascarade. Cette armée collabore
étroitement avec les Etats-Unis depuis des années en Afrique du Nord. Avec
cet appel qu'il a lancé à l’armée, Hammami se présente lui-même comme un
collaborateur fiable pour l’impérialisme américain au même titre que les
dirigeants islamistes.
(Article original paru le 22 janvier 2011)