Au moins 16.000 et, selon certains rapports, beaucoup plus de personnes ont protesté au Yémen pour réclamer le départ d’Ali Abdullah Saleh, le président depuis plus de 30 ans.
Les manifestants se sont rassemblés à quatre endroits au moins de la capitale, Sanaa, dont l’université, en vue de déjouer la police et les services de sécurité. Les protestations ont aussi eu lieu ailleurs. Au moins 10.000 personnes ont participé aux protestations à l’université et 6.000 ailleurs dans la capitale.
Les manifestants ont scandé : « 30 ans au pouvoir ça suffit! », ajoutant : « Parti au bout de 20 ans ! » en se référant à l’insurrection qui a renversé le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali.
D’autres revendications comprenaient « Non à l’extension [du mandat présidentiel]! Non à l’héritage [de la présidence]! » et « Assez de tergiversations, assez de corruption, assez du gouffre entre riches et pauvre. »
Une forte présence policière avait été mobilisée mais aucun heurt avec la police n’a été rapporté.
Une série de protestations plus petites avaient eu lieu auparavant, débouchant jeudi sur les manifestations de masse qui ont en provoqué l’arrestation de l’activiste des droits de l’homme, Tawakul Karman. Cela avait déclenché de nouvelles protestations à Sanaam, et elle fut libérée lundi.
Saleh est à la tête d’un régime fortement haï. C’est un allié des Etats-Unis et il est au pouvoir depuis 33 ans. Il était devenu le dirigeant du Nord Yémen en 1978 et a dirigé la République du Yémen, créée par la fusion du Nord et du Sud, depuis 1990.
Il avait été réélu la dernière fois en 2006, pour un mandat de sept ans. Mais un projet d’amendement de la constitution débattu au parlement pourrait lui permettre de rester au pouvoir à vie. Il est aussi accusé de vouloir transmettre le pouvoir à son fils aîné Ahmed qui dirige la Garde présidentielle.
Dans un effort pour neutraliser l’opposition, Saleh a promis dimanche lors d’une allocution télévisée « Nous sommes une république. Nous somme contre l’héritage » du pouvoir. Il a alors proposé des amendements constitutionnels prévoyant des limitations du mandat présidentiel à deux mandats de cinq ou de sept ans. Saleh a aussi promis d’augmenter de 47 dollars par mois les salaires pour l’armée et les fonctionnaires en vue d’acheter leur loyauté et de réduire de moitié les impôts. Il ordonné un contrôle des prix.
Ceci ne servira pas à grand chose ou à rien du tout pour apaiser l’opposition publique. Saleh est largement haï. Il règne sur l’un des Etat les plus pauvres du monde où près de la moitié de la population, qui compte 23 millions d’habitants, vit de moins de 2 dollars par jour. Un tiers des habitants souffre de faim chronique. Le taux d’analphabétisme est supérieur à 50 pour cent et le chômage touche au moins 35 pour cent de personnes. Plus des deux tiers de la population a moins de 24 ans.
Les réserves pétrolières et les recettes du pays sont en baisse et le pays souffre d’un grave manque d’eau.
Le gouvernement Saleh est très répressif et mène une guerre dans le Nord du pays contre les tribus chiites dissidentes qui a entraîné la mort de milliers de civils et en a déplacé plus de 130.000. Sa guerre est soutenue par l’Arabie saoudite qui l’a rejoint pour affirmer que l’Iran était derrière la révolte chiite. Les Houthis sont des chiites musulmans mais une secte tout à fait différente des chiites d’Iran. Les chiites yéménites constituent environ 40 pour cent des 23 millions de citoyens du pays. La majorité de la population est sunnite.
Le gouvernement mène une autre campagne répressive contre un mouvement séparatiste armé dans le Sud où, jusqu’en 1990, un régime soutenu par Moscou a été au pouvoir. Pour s’assurer le soutien des Etats-Unis, Saleh s’est attribué le rôle d’un allié important de Washington dans la « guerre contre le terrorisme », en dirigeant ses efforts contre les éléments islamistes, ses alliés d’antan.
Il a été laissé libre cours aux Etats-Unis pour mener des opérations militaires au Yémen. L’armée et la CIA y lancent des attaques quotidiennes de drones et y organisent des escadrons de la mort. L’importance stratégique du Yémen pour les Etats-Unis est déterminée par ses frontières avec l’Arabie saoudite, le premier exportateur mondial de pétrole, et le détroit de Bal el-Mandeb, par lequel passent tous les jours 3 millions de barils de pétrole du Moyen Orient.
Telle est l’hostilité publique aux opérations des Etats-Unis que Saleh a même été obligé de déclarer publiquement son opposition à l’intervention militaire étrangère et à refuser la permission de certaines frappes de missiles américains.
Quoique ceux qui étaient engagés dans les protestations aient été clairement inspirés par la « Révolution du Jasmin » tunisienne, les protestations du Yémen ont été elles, organisées, par opposition au soulèvement spontané d’Afrique du Nord. Son architecte a été une coalition oppositionnelle qui recherche le soutien des Etats-Unis pour son action, au même titre que l’est Saleh.
Les Etats-Unis ont clairement fait comprendre qu’ils étaient au moins disposés à ce qu’un certain rôle soit joué par les partis d’opposition. Au début du mois, lors d’une visite au Yémen la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a demandé instamment à Saleh d’entamer un dialogue avec l’opposition en disant que ceci aiderait à stabiliser le pays.
Le New York Times a souligné que lors de ce voyage, « un législateur yéménite » avait demandé à Clinton « comment les Etats-Unis pouvaient prêter un soutien au régime autoritaire de M. Saleh alors que son pays devenait de plus en plus un havre pour combattants. ‘Nous soutenons un gouvernement inclusif,’ a répondu Mme Clinton. ‘Nous constatons que le Yémen traverse une période de transition.’ »
Il y a toutes les raisons de supposer que les dirigeants oppositionnels yéménites sont tout aussi enhardis par cette déclaration de soutien de Washington qu’ils le sont par les événements en Tunisie.
Le ministre des Finances de Saleh, Jalal Yaqoub, s’est servi de l’agence Reuters pour lancer un appel à l’opposition à se comporter de manière responsable afin d’éviter un soulèvement révolutionnaire. « Je crois que le président Saleh reste le seul à pouvoir maintenir la stabilité de ce pays, » a-t-il dit. « Je crains que si la majorité des gens descend dans la rue ni nous ni l’opposition ne sera en mesure de contrôler la situation. Cela pourrait devenir horrible très vite… Je suis encore un peu optimiste et pense que les choses ne deviendront pas incontrôlables. Si c’était le cas, nous y perdons tous, tant le gouvernement que l’opposition, et le Yémen frôlera le chaos. »
Sous le titre, « Les protestations yéménites occasionneront-elles une autre révolution ? » le quotidien américain Christian Science Monitor a fait ce commentaire qu’« aucun des partis impliqués ne veut assister à des heurts au Yémen comme il y en eut en Tunisie et en Egypte, surtout pas le gouvernement des Etats-Unis qui a un grand intérêt à faire en sorte que le Yémen reste stable. »
Malheureusement pour Washington et ses alliés actuels et ceux en voie de le devenir, les tensions de classe qui se sont déchaînées au Yémen, en Tunisie et en Egypte ne peuvent pas être coupées à volonté. Un mouvement de masse déferle sur le Moyen Orient qui est une menace à la survie de tous les régimes répressifs et pro-occidentaux de la région.
(Article original paru le 28 janvier 2011)
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